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Lutte contre le paludisme en Afrique : progrès, défis et perspectives, analyse approfondie du Rapport d’étape 2023 de l’Union africaine
OFM Edition 164

Lutte contre le paludisme en Afrique : progrès, défis et perspectives, analyse approfondie du Rapport d’étape 2023 de l’Union africaine

Author:

Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 7

Cet article résume les points clés du rapport d'étape 2023 de l'Union africaine sur le paludisme, élaboré par la Commission de l'Union africaine, l'Alliance des dirigeants africains contre le paludisme (ALMA) et le Partenariat RBM pour l'élimination du paludisme. Malgré les progrès réalisés, il reste encore beaucoup à faire pour inverser de manière significative et durable la tendance dans la lutte contre le paludisme et les maladies tropicales négligées (MTN).

Introduction

 

Le dernier Rapport mondial sur le paludisme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) indique une situation inquiétante. À l’échelle mondiale, les cas de paludisme ont augmenté en 2022 par rapport à la période pré-pandémique de 2019, atteignant près de 249 millions de cas. Les décès liés au paludisme ont également dépassé les niveaux de 2019, avec 608 000 décès en 2022, soit 32,000 de plus qu’en 2019. Bien que l’incidence mondiale du paludisme reste légèrement plus élevée comparée à 2019, la mortalité mondiale due au paludisme demeure légèrement supérieure. (Pour une exploration détaillée de ce rapport, consultez notre article à cette adresse).

 

La situation s’est particulièrement détériorée en Afrique subsaharienne, avec une augmentation significative du nombre de cas de paludisme entre 2019 et 2022, atteignant 233 millions. La région africaine dans son ensemble ne progresse pas favorablement pour atteindre les objectifs de la Stratégie technique mondiale pour 2025, présentant des écarts respectifs de 52 % et 50 % par rapport aux objectifs établis. Les interruptions de services pendant la pandémie de COVID-19 et d’autres urgences humanitaires sont identifiées comme des facteurs contributifs à cette détérioration.

 

Figure 1 : Données et tendances du paludisme dans la région Afrique

Source : Rapport 2023 sur le paludisme dans le monde de l’OMS. Dossier d’information (p.3)

 

L’Union africaine (UA) a fait de la lutte contre le paludisme une priorité et publie chaque année un rapport d’étape sur les progrès réalisés. Le rapport de 2023, le sixième de cette série examine de près la situation actuelle tout en envisageant les perspectives à venir.

 

Avancées et obstacles dans la bataille contre le paludisme : un tango

 

Selon le rapport de l’UA, bien que des progrès significatifs aient été réalisés dans la lutte contre le paludisme en Afrique, la persistance des défis tels que la charge élevée de la maladie, l’émergence de nouveaux vecteurs et le besoin de renforcement des systèmes de santé soulignent l’importance d’une action continue, coordonnée et innovante pour progresser vers l’élimination du paludisme sur le continent.

 

Progrès réalisés:

 

Les principaux progrès ou gains obtenus résident dans l’intégration de nouveaux produits dans la lutte contre le paludisme, lesquels élargissent les options disponibles pour les pays :

 

  1. Moyens de régulation des vecteurs: En 2023, l’OMS a approuvé l’utilisation préférentielle de moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes-chlorfénapyr, qui sont 43 % plus efficaces que celles à base de pyréthrinoïdes seules et conservent une efficacité de 40 % au bout de trois ans. Les États membres ont considérablement étendu l’utilisation de moustiquaires PBO et de celles imprégnées de pyréthrinoïdes-chlorfénapyr pour protéger les populations vulnérables.
  2. Nouveaux traitements contre le paludisme : À la fin de 2022, l’OMS a approuvé l’utilisation de l’artésunate-pyronaridine pour le traitement du paludisme non compliqué. Les pays l’acquièrent et le déploient en complément des combinaisons thérapeutiques existantes.
  3. Secours des vaccins : En octobre 2023, l’OMS a recommandé un deuxième vaccin, R21/Matrix-M, pour la prévention du paludisme chez l’enfant. Les deux vaccins, R21 et RTS,S, sont sûrs et efficaces chez les enfants. Les ressources limitées nécessitent une sélection stratégique des vaccins en fonction des caractéristiques du produit, des besoins programmatiques, de la capacité à passer à l’échelle, et de l’accessibilité à long terme. Jusqu’à présent, Gavi a approuvé une aide au déploiement du vaccin RTS,S dans 18 des 28 États membres qui en ont fait la demande. (Retrouvez notre article sur ce vaccin ici)

 

Défis persistants:

 

Le rapport souligne plusieurs défis majeurs dans la lutte contre le paludisme en Afrique. Tout d’abord, il met en évidence la résistance croissante aux insecticides (35 États membres font face à la résistance à trois ou quatre classes d’insecticides) et aux médicaments antipaludiques, compromettant l’efficacité des méthodes de contrôle des vecteurs et retardant l’élimination des parasites chez les patients. De plus, il souligne le manque de financement adéquat pour lutter contre le paludisme, avec des déficits budgétaires importants dans de nombreux pays africains. La crise financière et le coût croissant des produits et interventions essentiels contribuent à ces insuffisances de fonds. « En 2022, le financement domestique de la lutte contre le paludisme a augmenté de 300 millions de dollars US sur l’ensemble des États membres. Ceux-ci n’en continuent pas moins de compter sur l’apport des bailleurs de fonds, avec un pourcentage de 70 % de leurs ressources antipaludiques en provenance de bailleurs extérieurs ».

 

Le rapport met également en évidence l’impact du changement climatique sur la lutte contre le paludisme, avec une exposition disproportionnée de la population africaine aux effets du changement climatique. En 2022, 110 millions d’habitants du continent ont été touchés, représentant 60 % du total mondial, bien que l’Afrique ne contribue qu’à 10 % des émissions mondiales de carbone. Un climat plus chaud et humide favorise le développement des parasites et des moustiques, augmentant le risque de paludisme pour des millions de personnes. Enfin, le rapport souligne les contraintes des ressources humaines et l’impact des crises humanitaires (entre 2019 et 2022, 41 pays ont connu des crises humanitaires, affectant 169 millions d’Africains) sur la lutte contre le paludisme. Les pénuries de personnel qualifié limitent la mise à l’échelle des interventions et de la surveillance, tandis que les crises humanitaires perturbent l’accès aux services de santé et aux campagnes de contrôle des vecteurs.

 

Le recours croissant à la numérisation des données : un « game changer »

 

Le rapport souligne les avancées dans l’utilisation des données numériques pour intensifier la lutte contre le paludisme en Afrique. La numérisation, en améliorant la gestion des données, favorise une action plus efficace, une redevabilité accrue, et une approche intégrée, contribuant ainsi à l’élimination du paludisme et à l’amélioration de la santé publique sur le continent. La progression de la numérisation des données de santé offre un accès accru à des informations en temps réel, essentielles pour surveiller l’efficacité des interventions et prendre des décisions éclairées. Ces données facilitent la résolution des défis opérationnels liés au paludisme, la priorisation des actions, et renforcent la redevabilité des programmes de lutte contre la maladie. L’utilisation des données en temps réel et des outils de cartographie permet une action ciblée, favorisant des progrès significatifs dans la réduction de la charge de la maladie. La numérisation des données s’inscrit dans un cadre plus large visant à renforcer la résilience des systèmes de santé, promouvoir la couverture sanitaire universelle, et favoriser une approche intégrée au sein du Nexus Humanitaire – Développement – Paix, dont les détails seront annoncés lors du Sommet 2024 de l’UA, visant à harmoniser les efforts de numérisation pour améliorer la coordination et la mise en œuvre des interventions de lutte contre le paludisme.

 

Une symphonie d’initiatives plurielles

 

Enfin, le rapport de l’UA met en évidence l’importance du plaidoyer politique, de l’action concertée et de la mobilisation de ressources pour renforcer la lutte contre le paludisme en Afrique. Des initiatives telles que la campagne “Zéro Palu ! Je m’engage” lancée en 2018 visent à intégrer la lutte contre le paludisme dans tous les secteurs, en mettant l’accent sur le maintien de cette lutte parmi les priorités nationales, l’augmentation du financement intérieur, et l’engagement communautaire. Des événements de plaidoyer de haut niveau en 2023 ont cherché à sensibiliser les responsables politiques et à mobiliser un soutien financier crucial. Des conseils nationaux pour l’élimination du paludisme et des MTN ont été instaurés dans plusieurs pays pour favoriser le plaidoyer, l’action, et la mobilisation de ressources. La coordination régionale, notamment par des rencontres de l’ALMA et d’autres partenaires, évalue les progrès des pays et offre une plateforme pour plaider en faveur d’une augmentation des ressources domestiques. La coopération transfrontalière renforce quant à elle la planification, partage les bonnes pratiques, résout les défis communs et améliore l’accès aux populations vulnérables. Bref, ces initiatives contribueraient à une approche plus intégrée et efficace pour atteindre les objectifs d’élimination du paludisme et de réduction de la charge des MTN sur le continent.

 

Perspectives et recommandations pour accélérer les progrès

 

En examinant ce rapport, de nombreuses suggestions émergent pour intensifier les avancées dans la lutte contre le paludisme, notamment:

  • Accroître le financement domestique de la lutte contre le paludisme. À titre illustratif, le budget alloué par le Ministère de la Santé du Cameroun à la lutte contre le paludisme a représenté 2% pour les années 2019 et 2020, et a diminué à 1% en 2021. Cette réduction a entraîné l’incapacité à mener à bien certaines activités.
  • Investir dans la recherche et le développement de nouveaux outils de lutte contre le paludisme.
  • Renforcer les systèmes de santé pour mieux diagnostiquer et traiter le paludisme.
  • Renforcer l’engagement des communautés et des organisations de la société civile. C’est d’ailleurs ce qu’elles n’ont de cesse de réclamer. (Lire à ce sujet notre article)
  • Mettre en place un système d’enregistrement global des produits de contrôle des vecteurs, en intégrant les procédures collaboratives de l’OMS et une approche régionale harmonisée, tout en renforçant les capacités des autorités nationales de réglementation.
  • Intégrer la lutte contre le paludisme dans les efforts de lutte contre le changement climatique.
  • Ratifier le Traité qui institue l’Agence africaine du médicament (AMA), favorisant ainsi l’amélioration de l’accès à des produits médicaux de qualité, sûrs et efficaces sur le continent.
  • Accroitre substantielle la production locale des médicaments et vaccins afin de garantir des prix abordables, une accessibilité accrue et stimuler le développement économique et la durabilité du continent.

 

Y a-t-il lieu d’être optimiste ?

 

Ce rapport, bien qu’instructif, suscite la question de savoir s’il incitera effectivement les États africains à prendre conscience de l’urgence de la situation et à agir en conséquence. Cela impliquerait-elle une augmentation significative des investissements domestiques dans le domaine de la santé en général, et plus spécifiquement dans la lutte contre le paludisme ? Qu’advient-il des engagements pris dans le cadre de la Déclaration d’Abuja (2001), de la Déclaration ALM (2019) et du Groupe de travail des parlementaires sur la mobilisation des ressources nationales pour la santé en Afrique, évoqué lors du sommet de l’Union africaine en 2023 ?

 

 

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