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Une voix féminine essentielle de la lutte contre le VIH en Afrique : Entretien avec le Dr. Coulibaly Madiarra de l’ONG Alliance Côte-d’Ivoire
OFM Edition 164

Une voix féminine essentielle de la lutte contre le VIH en Afrique : Entretien avec le Dr. Coulibaly Madiarra de l’ONG Alliance Côte-d’Ivoire

Author:

Christian Djoko

Article Type:
Interview

Article Number: 4

En ce mois dédié à la Journée internationale des droits des femmes, nous avons choisi de donner la parole à une actrice majeure de la lutte contre le VIH en Afrique. À la tête de l'organisation Alliance Côte-d'Ivoire, le Dr. Coulibaly Madiarra se démarque par sa contribution significative à l'amélioration de la santé et du bien-être des femmes et de nombreuses communautés touchées par le VIH/SIDA. Au cours de cet entretien, nous explorerons également des questions cruciales, notamment le rôle essentiel des femmes dans la gestion des crises sanitaires et les défis spécifiques auxquels elles font face.

S’il fallait vous présenter (vous et votre organisation) en quelques mots, que diriez-vous?

 

Je suis Dr COULIBALY Madiarra épouse OFFIA, titulaire d’un doctorat d’État en médecine, spécialiste en santé publique et en médecine communautaire. J’ai réalisé des formations complémentaires en épidémiologie, leadership, management, genre et développement, genre et changement organisationnel. Je dispose de 23 années d’expérience professionnelle dans le management des équipes, la gestion de projets de santé, de développement d’envergure nationale et dans la région Afrique de l’Ouest et du Centre. J’assure depuis 11 années, la position de Directrice Exécutive de l’ONG Alliance Côte d’Ivoire, qui est un partenaire stratégique de Frontline AIDS, membre fondateur et actif de l’Institut de la Société Civile pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre sur la santé et le VIH.

 

L’ONG Alliance Côte d’Ivoire est le récipiendaire principal communautaire des subventions du Fonds Mondial pour les thématiques du VIH/sida et de la tuberculose depuis 2011. En outre, l’organisation a bénéficié du soutien de multiples bailleurs tels que la Banque Mondiale, l’USAID, l’Union européenne, Expertise France, Stop TB partnership, etc.

 

Mon expertise avérée dans plusieurs domaines (le renforcement des capacités des Organisations de la société civile, la mise en œuvre des programmes communautaires de lutte contre le sida, la tuberculose et la gestion performante des subventions du Fonds Mondial) m’a valu d’être sollicitée comme structure d’appui technique dans les pays de la région Afrique de l’Ouest et du Centre.

 

La rigueur dans la gestion de l’ONG Alliance Côte d’Ivoire m’a également permis d’obtenir une distinction de l’Instance de coordination nationale (ICN) Côte d’Ivoire (unité de coordination des subventions du Fonds Mondial) et de l’Observatoire Africain de la bonne gouvernance.

 

Parcours professionnel et motivation :

Pouvez-vous partager avec nous votre parcours professionnel et ce qui vous a motivée à travailler dans le domaine de la lutte contre le SIDA en Afrique et plus précisément en Côte-d’Ivoire ?

 

Avant Alliance Côte d’Ivoire, j’ai travaillé au PNUD Côte d’Ivoire en qualité d’experte nationale VIH/sida et genre, à l’Initiative ESTHER (Ensemble pour une Solidarité Thérapeutique Hospitalière en Réseau) comme coordinatrice pays, à l’ONG ACONDA-VS où j’avais en charge la PTME et la prise en charge communautaire et enfin au FSTI (Fonds de Solidarité Thérapeutique International) comme coordinatrice pays.

 

J’ai eu la chance de démarrer ma carrière en 2001 dans la lutte contre le VIH/sida, en ayant la responsabilité de la gestion de 2 sites pilotes de prévention de la transmission mère enfant (PTME) sur les quatre que comptait la Côte d’Ivoire. Le pays était alors confronté à une prévalence du VIH à plus de 10%, des traitements ARV peu accessibles, un fort niveau de stigmatisation et discrimination des personnes vivant avec le VIH. J’ai été touchée par l’histoire des femmes enceintes et des mères qui nous partageaient leurs angoisses par rapport à leur statut sérologique et au devenir de leurs enfants, leurs vécus des rejets, des violences de leurs conjoints, de leurs familles et voisinages, etc. Le courage de ces femmes séropositives, malgré leur fragilité, m’a motivé à poursuivre mon investissement en direction des plus vulnérables. J’ai ainsi contribué à mettre en lumière la nécessité d’améliorer les services de santé en direction des détenus à travers l’appui à l’élaboration de la première politique de santé en milieu carcéral en Côte d’Ivoire. Au sein de l’ONG Alliance Côte d’Ivoire, j’accorde une attention particulière à nos programmes de prévention, de soins et soutien pour le VIH et la tuberculose en direction des populations vulnérables, des populations clés, et des survivant(e)s de violences basées sur le genre.

 

Bien que la prévalence de l’infection à VIH/sida ait considérablement baissé en Côte d’Ivoire et en Afrique, de nombreuses barrières subsistent pour les populations vulnérables et marginalisées. Je souhaite poursuivre ce combat et avoir la joie de contribuer à l’atteinte de l’objectif d’élimination du VIH/sida en Côte d’Ivoire et dans plusieurs pays de l’Afrique.

 

Quels défis avez-vous rencontrés en tant que femme dans ce secteur, et comment les avez-vous surmontés ?

 

Je ne pense pas avoir été confrontée à des difficultés particulières dans le domaine de la lutte contre le VIH/sida, liées à ma condition de femme. Je dirai plutôt que celle-ci m’a servi et aidé à mieux aborder les questions spécifiques telles que les violences basées sur le genre et les défis des femmes infectées par le VIH.

 

Cependant, en matière de gestion des équipes et des partenaires généralement à prédominance masculine, il a fallu faire preuve d’imagination pour bâtir et entretenir des relations productives. Par ailleurs, allier la vie familiale et la vie professionnelle, a constitué un défi au quotidien. La planification, l’anticipation et l’établissement d’une communication efficace m’ont aidé à créer plus d’harmonie entre les contraintes professionnelles et les devoirs familiaux.

 

Rôle de la femme dans la lutte contre le Sida :

 

En quoi le rôle des femmes est-il crucial dans la gestion des programmes de lutte contre le Sida en Afrique, selon votre expérience ?

 

Les femmes représentent plus de la moitié des personnes touchées par le VIH/sida en Afrique subsaharienne. Les jeunes filles et adolescentes sont deux fois plus infectées que les jeunes hommes et représentent environ 70% des nouvelles infections de leur tranche d’âge. Elles manquent d’information, de moyens de contraception et de prévention des IST/VIH/sida.

 

Le déséquilibre des pouvoirs entre hommes et femmes et de nombreuses pesanteurs socioculturelles peuvent freiner la construction d’interventions et programmes centrés sur les besoins des femmes.

 

Avoir des femmes au cœur des programmes de lutte contre le sida pour adresser les inégalités sexo-spécifiques constitue un atout. Dans mon expérience, j’ai établi plus facilement le contact avec les femmes de toutes les conditions parmi nos cibles (détenues, travailleuses de sexe, handicapées, jeunes filles et adolescentes, transgenres, usagères de drogues, migrantes, femmes vivant avec le VIH) parce qu’elles voyaient en moi leur pair. Elles me confient plus aisément leur situation de survivantes de violences conjugales et autres formes de violences sexistes, qui nous ont influé dans la construction de nos programmes.

 

Par ailleurs, les femmes sont jugées en général plus rigoureuses et honnêtes dans la gestion des financements et des projets.

 

Comment votre organisation promeut-elle l’autonomisation des femmes dans les communautés touchées par le VIH/Sida ?

 

Nous mettons en œuvre un projet d’envergure nationale de promotion et de protection des droits humains dans le cadre des financements du Fonds Mondial. Celui-ci nous permet de réaliser des actions de sensibilisation contre les VBG dans les communautés et apporter un appui holistique (psychologique, juridique, judiciaire, sanitaire, social, économique) aux survivantes de VBG.

 

Nous avons de nombreuses femmes et jeunes filles qui sont employées dans nos programmes comme pair-éducatrices ou agents communautaires.

 

Nous soutenons le développement des organisations de femmes vivant avec le VIH, de travailleuses de sexes, de jeunes femmes et de femmes en matière de gouvernance, de gestion financière et programmatique.

 

Nos interventions de prévention, de soins et soutien en direction des femmes et des jeunes filles dans leur diversité, renforcent leur capacité à prendre les bonnes décisions face à l’infection à VIH et aux IST.

 

En outre, les femmes conservent le rôle traditionnel de soutien aux personnes malades au sein des familles, y compris en cas de sida. Il est impératif que ce rôle social ne les expose pas davantage au VIH. Alliance Côte d’Ivoire leur fournit des conseils sur les mesures de prévention du VIH au sein des communautés, afin d’assurer des attitudes adaptées dans les soins à tous les malades sans présager du statut sérologique.

 

Impacts spécifiques sur les femmes :

Quels sont les impacts spécifiques du VIH/Sida sur les femmes en Côte-d’Ivoire, et comment votre organisation s’efforce-t-elle de les atténuer ?

 

Les impacts du VIH/sida sont négatifs sur les femmes en Côte d’Ivoire. L’auto-stigmatisation peut entrainer un manque d’ambition et un faible engagement à la construction d’une vie familiale chez les femmes et les jeunes filles.

 

Les violences physiques, psychologiques, verbales, économiques, la stigmatisation et la discrimination sous toutes les formes dont sont victimes les femmes vivant avec le VIH aggravent leurs vulnérabilités, leur état de santé et peut conduire à la mort. Ces pratiques néfastes peuvent freiner l’accès au traitement et l’atteinte des résultats nationaux d’élimination du VIH.

 

Nous nous efforçons à travers nos programmes à rendre les services de prévention, de soins et soutiens accessibles aux femmes et aux filles dans leur diversité et même aux femmes les plus marginalisées.

 

Pouvez-vous partager des histoires ou des exemples concrets illustrant comment la lutte contre le Sida a amélioré la vie des femmes que vous avez rencontrées ?

 

Dans le cadre des financements du Fonds Mondial, Alliance Côte d’Ivoire met en œuvre une approche spécifique portant sur l’autonomisation et la résilience des jeunes filles et adolescentes face au VIH/sida, appelée READY. Cette approche empruntée à notre partenaire Frontline AIDS, nous permet de former de jeunes filles comme pairs éducatrices, de les mettre en activité au sein des Services de Santé Scolaires Universitaires et Services dédiés aux Adolescents et Jeunes (SSSU-SAJ) du Ministère de la santé. Les pairs éducatrices READY réalisent des sensibilisations en direction des jeunes filles dans la communauté, au sein des gares routières, dans les salons de coiffures, au sein des établissements scolaires, etc. Elles les réfèrent ensuite vers les SSSU-SAJ afin de bénéficier d’un paquet de services plus compréhensif comportant des informations sur le VIH/sida, la santé sexuelle et reproductive, les VBG, l’offre du dépistage du VH/sida, le diagnostic et le traitement des IST, du VIH/sida et des autres pathologies en fonction des besoins. De janvier à septembre 2023, ce sont 143 083 jeunes filles de 15 à 24 ans qui ont bénéficié de ce programme.

 

Par ailleurs, dans le cadre de notre sous-projet Droits humains, des femmes ont bénéficié d’hébergement d’urgence dans des centres de transit afin de les soustraire de leurs agresseurs, ou de leur offrir un logement en cas de rejet de la famille. Ces centres permettent d’assurer la continuité du traitement ARV, des consultations psychologiques et la médiation familiale.

 

Défis et opportunités :

Quels sont les principaux défis auxquels votre organisation est confrontée dans la lutte contre le Sida, et comment les abordez-vous ?

 

Le défi principal de la réponse national au VIH/sida que partage notre organisation est celui de la pérennisation. Nous sommes fortement dépendant des financements extérieurs. La fin de la pandémie à VIH/sida est prévue dans 6 années en 2030. Nous voyons le monde entier et les donateurs faire face à de nouveaux enjeux tels que le changement climatique, les questions sécuritaires, les mouvements migratoires des populations, etc. Nous savons qu’il faudra des ressources suffisantes pour parcourir les derniers kilomètres qui nous restent afin de mettre fin au VIH/sida.

 

Pour faire face à ce défi, Alliance Côte d’Ivoire participe aux actions de plaidoyer sur la durabilité de la réponse engagées avec la société civile nationale et avec nos partenaires tels que Frontline AIDS et l’Institut de la société civile. Par ailleurs, nous menons des actions pour diversifier les sources de financements de nos actions et obtenir du soutien au niveau domestique.

 

Y a-t-il des opportunités émergentes ou des succès notables que vous aimeriez mettre en lumière dans votre travail ?

 

L’ONG Alliance Côte d’Ivoire s’est énormément investie dans le renforcement des capacités des organisations de la société civile. À ce titre en 2023, nous avons appuyé 3 réseaux adressant les thématiques du VIH/sida, des populations clés et de la tuberculose (RIP+, ROPCCI et COLTMR) et à 40 organisations membres en Côte d’Ivoire et 11 organisations de la société civile en Centrafrique. Ces appuis ont consisté à l’évaluation des capacités assortie de plans de renforcement des capacités dont la mise en œuvre est soutenue par diverses actions, notamment des formations, des mises à disposition d’outils, des coachings, des équipements, etc.

 

Cette action pour nous est essentielle, car elle contribue à constituer un vivier d’ONG fortes, capables d’accompagner efficacement les pays dans les efforts d’élimination des pandémies du VIH/sida et de la tuberculose.

 

Approches novatrices et solutions durables :

Comment votre organisation intègre-t-elle des approches novatrices pour faire face aux défis persistants dans le domaine de la lutte contre le Sida ?

 

Nous travaillons avec les jeunes et les populations clés qui utilisent régulièrement les réseaux sociaux. Ceci nous a emmené à introduire des plateformes digitales dans nos outils de travail. Ainsi, nous avons développé avec le ministère de la Santé de Côte d’Ivoire l’outil MTB-VIH qui permet de suivre les malades du VIH et de la tuberculose en traitement, de leur rappeler les rendez-vous et leur donner des informations régulières en vue de l’observance au traitement. Nous utilisons également en partenariat avec FHI360, la plate-forme Ngouan dédiée aux populations clés (HSH, travailleuses de sexe, transgenres). En outre, Dure Technologie nous accompagne dans le cadre du CLM avec l’application One Impact. Ces outils viennent compléter les campagnes de sensibilisation sur le VIH que nous réalisons sur les réseaux sociaux.

 

Vision pour l’avenir :

Quelle est votre vision à long terme pour l’impact de la lutte contre le Sida en Afrique, en particulier en ce qui concerne les femmes ?

 

Ma vision à long terme pour l’impact de la lutte contre le VIH/sida en Afrique, en particulier en ce qui concerne les femmes, est celle d’une réduction significative du taux de nouvelles infections, d’une amélioration de l’accès aux traitements et aux soins, d’une diminution de la stigmatisation et de la discrimination associées au VIH/sida, ainsi que d’une autonomisation de la femme, surtout celles qui vivent avec le VIH/sida. L’un des facteurs qui empêchent l’accès aux services des soins est la dépendance socio-économique de ces femmes vis-à-vis de leurs compagnons.

 

Je crois fermement que des efforts continus pour sensibiliser, éduquer et autonomiser les femmes en matière de santé sexuelle et reproductive sont essentiels pour lutter efficacement contre le VIH/sida. Cela implique de garantir un accès équitable aux services de dépistage, de traitement et de prévention, ainsi que de promouvoir l’égalité des genres et les droits des femmes. Ainsi en investissant dans des programmes de prévention ciblés, en renforçant les systèmes de santé et en impliquant les communautés locales, je suis convaincu que nous pouvons progresser vers un avenir où le VIH/sida ne sera plus une menace majeure pour les femmes en Afrique. Cela nécessitera une approche holistique, axée sur les droits, la santé et le bien-être des femmes, afin de créer un impact durable et positif dans la lutte contre cette pandémie.

 

Comment les efforts actuels contribuent-ils à cette vision et quelles sont les prochaines étapes importantes ?

 

Comme je le disais plus haut, nous avons un programme en direction des jeunes filles et adolescentes, nommé READY qui adresse les questions de santé sexuelle et reproductive. Nous avons également un programme en direction des travailleuses de sexe, des transgenres et des personnes vivant avec le VIH victimes des violences basées sur le genre. À travers l’observatoire communautaire, nous leurs offrons une prise en charge holistique, allant jusqu’à l’hébergement d’urgence pour celles qui sont victimes de violences.

 

En outre, avec le financement du Fonds mondial, nous avons un programme de lutte contre les mutilations génitales féminine, dans lequel nous avons initié des Associations villageoise de Crédit et d’Épargne dénommée AVEC, pour autonomiser ces femmes et impulser un leadership dans leur communauté.

 

Les prochaines étapes seraient d’y inclurent les femmes séropositives et de regrouper ces AVEC en réseau, en vue de permettre un partage d’expérience et créer une saine émulation. Par ailleurs, une de nos perspectives serait de passer à l’échelle nationale pour un tel programme.

 

Merci.

 

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