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Une pandémie d’inégalité : les disparités entre les sexes dans la santé mondiale
OFM Edition 164

Une pandémie d’inégalité : les disparités entre les sexes dans la santé mondiale

Author:

Ekelru Jessica et Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 3

En cette veille de la Journée internationale des droits des femmes, il est crucial de souligner pour mieux les décrier les disparités salariales et l'absence des femmes aux postes de direction au sein des organisations de santé mondiale. Malgré des progrès, les écarts salariaux persistent et les femmes sont sous-représentées aux plus hauts niveaux de direction. Comme nous le démontrons dans cet article, cette situation crée un déséquilibre de pouvoir préjudiciable, affectant les décisions et politiques qui ne reflètent pas pleinement les besoins des femmes. En comblant ces lacunes, nous renforcerons la santé mondiale en permettant aux femmes d'occuper des postes clés où leurs compétences peuvent contribuer à des avancées significatives.

Le fardeau qui pèse sur les épaules des femmes

 

Il y a trois ans, nous avons rédigé un article intitulé “Des services de santé assurés par des femmes dans un secteur dominé par des hommes“. Cet article visait notamment à faire le point sur la question des ressources humaines en santé féminines, leur nombre important, leur accès aux postes à responsabilité, mais surtout à dénoncer les inégalités persistantes entre hommes et femmes dans le secteur de la santé. Trois ans plus tard, malgré les intentions exprimées au plus fort de la crise de la COVID-19, rien n’a fondamentalement changé. Le paysage de la santé mondiale demeure criblé d’inégalités, et le sexe/genre est au cœur de ce déséquilibre. Les femmes, qui constituent l’épine dorsale de la prestation de soins de santé, sont plus que jamais confrontées à des défis disproportionnés et sont sous-représentées dans les organes de décision, ce qui crée un système qui ne répond pas pleinement à leurs besoins et à ceux des communautés qu’elles servent.

 

Selon le Conseil international des infirmières, à l’échelle mondiale, les femmes représentent 70 % de la main-d’œuvre dans le domaine de la santé et de l’aide sociale et occupent souvent des postes d’infirmières, de sages-femmes et d’agents de santé communautaire. Cependant, ce dévouement est rarement accompagné d’une juste reconnaissance ou compensation. Elles sont souvent sous-estimées, sous-payées et n’ont pas accès à une formation et à des ressources adéquates, ce qui entraîne un épuisement professionnel et une baisse de la qualité des soins.

 

D’après un rapport (2022) conjoint de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les femmes exerçant dans le secteur de la santé et des soins font face à un écart de rémunération plus marqué que dans d’autres domaines économiques, percevant en moyenne 24 % de moins que leurs homologues masculins. Cette analyse exhaustive sur les disparités salariales entre hommes et femmes dans le domaine de la santé révèle également un écart brut d’environ 20 points de pourcentage, qui s’accroît à 24 points de pourcentage lorsque l’on prend en compte des facteurs tels que l’âge, l’éducation et la durée du travail.

 

Plus largement, elles assument invariablement à travers la planète les trois quarts du travail de soin non rémunéré, représentant précisément 76,2 % du temps dédié à ces tâches. Il n’existe aucun pays où les responsabilités liées au travail de soin non rémunéré sont réparties de manière équitable entre hommes et femmes ; en moyenne, les femmes y consacrent 3,2 fois plus de temps que les hommes, soit 4 heures et 25 minutes par jour contre 1 heure et 23 minutes pour ces derniers. Sur une année, cela équivaut à 201 journées de 8 heures pour les femmes et 63 pour les hommes. Dans toutes les régions du monde, les femmes consacrent plus de temps que les hommes aux activités de soin non rémunérées, avec des variations allant de 1,7 fois plus dans les Amériques à 4,7 fois plus dans les États arabes. Le travail de soin non rémunéré s’avère particulièrement exigeant pour les femmes et les filles vivant dans des pays à revenu intermédiaire, mariées et d’âge adulte, ayant un niveau d’instruction inférieur, résidant dans des zones rurales et ayant des enfants d’âge préscolaire. Ce travail non rémunéré limite non seulement leurs opportunités économiques, mais a également un impact sur leur santé physique et mentale.

 

Figure 1 : Temps consacré quotidiennement aux activités de soin à autrui non rémunérées, au travail rémunéré et à l’ensemble, selon le sexe, la région et le niveau de revenu du pays, dernière année

Source : OIT (p. 4)

 

Une invisibilisation multiforme

 

Bien qu’elles représentent la majorité de la main-d’œuvre et contribuent de manière significative à l’écosystème de la santé, les femmes demeurent largement sous-représentées aux postes décisionnels ou de direction. Au Cameroun, par exemple, il est loisible de constater qu’aucun hôpital d’envergure n’est actuellement dirigé par une femme. En analysant de près les organigrammes, il devient évident que la présence féminine diminue progressivement à mesure que l’on explore les échelons hiérarchiques. La majorité des postes de responsabilité sont occupés par des hommes.

Cette invisibilisation s’étend au-delà des frontières nationales. Un rapport publié en 2023 par Women in Global Health a révélé que seulement 25 % des postes de direction dans les principales organisations de santé mondiale sont occupés par des femmes. L’effet de plafond de verre est particulièrement évident chez les femmes originaires des pays les plus ciblés par lesdites organisations : seule une des 13 agences est dirigée par une femme originaire d’un pays à faible revenu.

 

Figure 2 : Pyramide du leadership des femmes en santé mondiale (2023)

Source: Rapport d’orientation Women in Global Health- Mars 2023, p. 6.

 

Un rapport publié en 2023 par Global Health 50/50 abonde dans le même sens. Il montre que les inégalités de pouvoir persistent dans le système de santé mondial, notamment en ce qui concerne l’égalité des sexes et la diversité aux postes de direction. Bien que le nombre de femmes occupant des postes de PDG et de présidentes de conseils d’administration ait légèrement augmenté depuis 2020, la parité hommes-femmes dans la santé mondiale ne sera pas atteinte d’ici à l’échéance de 2030, fixée par les objectifs de développement durable.

 

Figure 3 : Genre et leadership en matière de santé mondiale

Source : Rapport 2023 du Global Health 50/50 (p. 47)

 

Cette sous-représentation, ce cycle d’exclusion dans lequel les voix et les perspectives des femmes sont marginalisées dans les processus de prise de décision, persiste malgré les preuves démontrant que la diversité des dirigeant(e)s contribue à obtenir de meilleurs résultats en matière de santé.

 

De très nombreuses recherches menées par Women in Global Health ont en effet démontré que les organisations qui comptent davantage de femmes à des postes de direction sont plus susceptibles d’accorder la priorité à l’égalité des sexes et d’investir dans des programmes qui répondent aux besoins spécifiques des femmes en matière de santé. En outre, des équipes dirigeantes diversifiées favorisent des lieux de travail et des processus décisionnels plus inclusifs, garantissant la prise en compte d’un plus grand nombre de points de vue.

 

Prenons un autre exemple pour étayer davantage notre constat. Parmi les personnes vivant avec le VIH, 76 % des femmes ont une charge virale supprimée, comparée à 67 % des hommes. De 2010 à 2022, les nouvelles infections par le VIH ont diminué de 50 % chez les adolescentes et les jeunes femmes, et de 44 % chez les adolescents et les jeunes hommes. L’amélioration de l’utilisation des traitements par les femmes a également entraîné une diminution de près de 60 % du nombre de nouvelles infections pédiatriques pendant la même période. Le taux de recours au traitement dans cette population dépasse celui des hommes, démontrant leur résilience. Or, malgré leur contribution significative à la lutte contre le VIH, les femmes et jeunes filles, confrontées à un risque disproportionné et à un fardeau plus lourd du VIH, ont été constamment négligées et insuffisamment prises en compte dans la recherche et les programmes de lutte contre le VIH. Les obstacles structurels et réglementaires ont souvent exclu les femmes des essais cliniques, en particulier les femmes enceintes et allaitantes, qui ont régulièrement un accès tardif aux nouveaux médicaments. De plus, les femmes font face à des difficultés d’accès à la prophylaxie pré-exposition (PrEP), qui a été initialement développée pour les hommes ayant des relations homosexuelles, soulignant une inégalité persistante dans le déploiement de la PrEP.

 

Briser le plafond de verre

 

Rompre avec le plafond de verre, tel que nécessaire, exige un engagement immédiat, simultané, et sans compromis dans plusieurs domaines clés (Consultez les propositions de l’OIT/OMS p. 14 et celles de Women in Global Health pp. 17-19). Trois domaines nous apparaissent comme prioritaires.

 

L’équité salariale : Il est impératif de garantir que la rémunération des femmes reflète équitablement la valeur de leur travail et de leurs compétences. L’équité salariale n’est pas simplement une question de justice, mais elle contribue également à promouvoir une force de travail diversifiée, favorisant ainsi l’innovation et l’excellence dans la prestation des soins de santé. L’introduction de la transparence salariale et d’instruments juridiques pour contrer la discrimination salariale, combinée à des initiatives visant à modifier les normes culturelles liées au genre et à combattre les stéréotypes, se révèle être des moyens efficaces pour réduire la part inexpliquée de l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes.

 

L’approche genre : la promotion d’une budgétisation sensible au genre au sein des systèmes de santé (soins, recherche, gouvernance, etc.) peut garantir que les ressources sont allouées de manière équitable et répondent aux besoins spécifiques des femmes et des filles. Plus largement, l’approche genre ici préconisée suggère de prêter une attention particulière au facteur genre dans les politiques publiques de la santé, mais surtout dans les statistiques.  Concrètement, on pourrait adopter un « Test genre » permettant d’analyser les textes légaux ou politiques publiques sous le prisme du genre. Cela doit devenir un prérequis indépassable et un filtre transversal.

 

Leadership féminin : Il est essentiel de promouvoir le leadership des femmes dans les organisations de santé mondiale. Des initiatives telles que Women in Global Health et Global Health 50/50 s’efforcent de parvenir à une représentation égale aux postes de direction, en plaidant pour des politiques qui suppriment les obstacles systémiques et soutiennent l’évolution de carrière des femmes.

 

Un exemple de progrès : Le Fonds mondial a été certifié EQUAL-SALARY en 2019 après avoir passé avec succès une analyse statistique de ses pratiques salariales. Celles-ci démontraient une mise en œuvre effective de l’égalité salariale entre hommes et femmes. Par ailleurs, parmi les 13 membres composant le Conseil de direction Conseil de direction du Fonds mondial, on compte 7 femmes et 5 hommes. Cependant, il y a encore un long chemin à parcourir pour inclure, à ce niveau de gouvernance, davantage de membres en provenance des pays du Sud, où la charge des maladies est la plus lourde.

 

Figure 4 : Performance organisationnelle 2023 (Le Fonds mondial fait figure de bon élève)

Source : Rapport 2023 du Global Health 50/50 (p. 53)

 

Conclusion

Insistons pour le dire, la réalisation de l’égalité des sexes dans le domaine de la santé mondiale n’est pas seulement un impératif moral. C’est aussi une question de santé publique. En éliminant les facteurs discriminatoires tels que les écarts salariaux et la sous-représentation, nous serons en mesure d’optimiser considérablement l’efficacité de nos systèmes de santé.

 

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