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Un tiers des Camerounais n’utilisent pas les moustiquaires qu’ils reçoivent
OFM Edition 154

Un tiers des Camerounais n’utilisent pas les moustiquaires qu’ils reçoivent

Author:

Julien Chongwang

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 4

Pour diverses raisons, 32% de personnes au Cameroun préfèrent ne pas utiliser les moustiquaires qu’elles reçoivent dans le cadre de la prévention du paludisme. Une situation qui ralentit la lutte contre cette maladie qui fait encore des milliers de victimes chaque année.

Dans un Dossier de presse publié à l’occasion de l’édition 2023 de la journée mondiale de lutte contre le paludisme, le ministère de la Santé publique du Cameroun, à travers le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP), laisse entendre que presque un tiers des gens n’utilisent pas les moustiquaires qu’ils reçoivent dans le cadre de la prévention du paludisme dans le pays. « Il faut cependant relever que seulement 68 % des personnes disposant de Moustiquaire imprégnée à longue durée d’action (MILDA) les utilisent effectivement », peut-on en effet lire dans ce Dossier qui évoque la situation de 2022.

 

Le Dossier presse en question (inaccessible en lige) ne fournit aucun autre détail. Mais, pour Raymond Tabué, chef de l’Unité de lutte intégrée contre les vecteurs au PNLP, la première explication relève de la connaissance même de l’utilité de la moustiquaire par les populations. « La méconnaissance de l’importance de la moustiquaire ou de son utilité dans le cadre de la prévention du paludisme reste une barrière à l’utilisation de cet outil », dit-il dans une interview qu’il nous a accordée.

 

À en croire ce dernier, le niveau d’éducation a sa part de responsabilité dans cette situation et ce niveau de connaissance est plus élevé en milieu urbain qu’en milieu rural. « Vous allez vous rendre compte que plus vous vous éloignez de la ville, moins les connaissances sont importantes ».

 

Mais, au-delà de cette ignorance, des considérations à la fois sociologiques et anthropologiques ont leur part de responsabilité dans ce refus d’utiliser la moustiquaire par une bonne frange de la population camerounaise. Ainsi, à en croire cet expert, les supervisions menées jusqu’ici ressortent des plaintes qui sont liées à l’inconfort qu’éprouvent certaines personnes lorsqu’elles sont sous la moustiquaire. « Certaines disent qu’elles se sentent étouffées lorsqu’elles sont sous une moustiquaire, d’autres évoquent l’irritation que le contact avec la moustiquaire pourrait provoquer du fait de l’insecticide qu’elle contient », rapporte Raymond Tabué.

 

Il poursuit en disant que d’autres encore évoquent des raisons d’ordre esthétique parce que l’installation de la moustiquaire va entraîner la dégradation des murs de leur chambre. Et c’est ainsi que dans les quartiers résidentiels, dit-il, rares sont les maisons qui disposent d’une moustiquaire installée. En effet, pour ne pas planter de clous dans leurs murs ou sur leurs plafonds, les habitants de tels quartiers vont souvent préférer installer des grillages aux fenêtres pour barrer la voie aux moustiques.

 

Raymond Tabué finit d’égrainer le chapelet de ces causes en disant que « dans la partie septentrionale du pays, la moustiquaire qui est généralement de couleur blanche est associée au linceul ; d’où son rejet par un certain nombre de personnes. Tandis que dans les zones en guerre où les gens se déplacent beaucoup, la moustiquaire de forme rectangulaire n’est plus très adaptée, les gens auraient préféré qu’elles soient de forme conique ».

 

Enquête

Une enquête menée dans les provinces septentrionales du Nord et de l’Extrême-Nord et publiée en 2020 sous le titre « Enquête sur les déterminants des comportements liés au paludisme » confirme une bonne partie des comportements que dénonce Raymond Tabué.

 

On peut en effet y lire que : « on note que certaines attitudes négatives à l’égard des moustiquaires sont courantes. Par exemple, 44,8 % des personnes interrogées déclarent qu’elles n’aiment pas dormir sous une moustiquaire lorsqu’il fait chaud (…) et 39,1 % déclarent que l’insecticide contenu dans les moustiquaires les gêne. »

 

Cette enquête réalisée par “Breakthrough Action”, structure basée au « Johns Hopkins Center for Communication Programs » aux États-Unis, mentionne également que « le nombre de personnes qui estiment que dormir sous une moustiquaire chaque nuit est problématique en raison de la difficulté à la déplier est plus élevé dans le Nord (27 %) que dans l’Extrême-Nord (18,4 %) ».

 


Source : https://malariabehaviorsurvey.org/wp-content/uploads/2021/11/CAM-MBS-Report-2019-Fr.pdf (p. 32).

 

Toutefois, il ressort de cette étude que par-dessus tout, « les attitudes sont généralement positives à l’égard des moustiquaires parmi les personnes interrogées. Plus de neuf dixièmes des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête estiment qu’il est plus facile de passer une nuit agréable lorsqu’on dort sous une moustiquaire (90,6 %) et que les moustiquaires sont utiles (95,6 %) ».

 

Quoi qu’il en soit, le refus d’utiliser la moustiquaire par une bonne frange de la population n’est pas l’apanage du Cameroun. Citant le Rapport mondial sur le paludisme 2022, Margaret Reilly McDonnell, directrice exécutive de « United to beat malaria », rappelle, pour le regretter, que « l’utilisation des moustiquaires en Afrique subsaharienne a légèrement diminué depuis qu’elle a atteint son apogée en 2017 ».

 

Pourtant, dit-elle, les moustiquaires jouent un rôle « essentiel » dans la lutte contre le paludisme. « L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a estimé que les moustiquaires ont évité 1,3 milliard de cas de paludisme et 6,8 millions de décès dus à la maladie depuis l’an 2000 ; et une étude de 2015 de Nature a estimé que les moustiquaires étaient responsables de 68 % de tous les cas de paludisme évités entre 2000 et 2015 », martèle Margaret Reilly McDonnell.

 

Renforcement de la sensibilisation

Pour souligner l’incidence que cette situation peut avoir sur la lutte contre la maladie, l’intéressée attire l’attention sur le fait que de 2016 à 2021, les décès dus au paludisme signalés au Cameroun ont augmenté de 43 % ; passant de 2 639 à 3 872. La plupart de ces décès concernant des enfants de moins de 5 ans.

 

« Considérez l’impact à long terme, non seulement sur les familles et les communautés, mais aussi sur l’économie camerounaise. Ce ne sont pas seulement des vies; ce sont de futurs médecins, avocats, leaders communautaires », analyse Margaret Reilly McDonnell.

 

En conséquence, les experts préconisent d’une part un renforcement de la sensibilisation pour arriver à un changement de comportement des populations par rapport aux moustiquaires, en s’appuyant sur les agents de santé communautaires, les églises, les mosquées, les réseaux d’associations pour véhiculer les messages.

 

D’autre part, on prescrit le recours aux autres moyens de prévention du paludisme, en plus de l’usage de la moustiquaire. « Je recommanderais aux communautés d’investir dans des stratégies de contrôle des vecteurs telles que les larvicides, les répulsifs spatiaux pour vous protéger, vous et votre famille, lorsque vous êtes en dehors de la moustiquaire, ainsi que de se joindre aux efforts de nettoyage de l’environnement pour réduire la population de moustiques. Enlever toute eau stagnante de votre maison et de votre communauté aura un impact », affirme Margaret Reilly McDonnell.

 

Deux autres instruments s’ajoutent désormais à cet arsenal de prévention du paludisme, à savoir la chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS) et les vaccins récemment développés et récemment autorisés.

 

Pour ce qui est de la CPS, une note de synthèse produite par Médecins sans frontières (MSF), indique que « elle consiste à administrer une combinaison de médicaments antipaludiques – à dose thérapeutique – durant la saison où le risque lié à la transmission du paludisme est le plus élevé ».

 

« Cette action a pour but de réduire la morbidité et la mortalité liée au paludisme. Les médicaments recommandés pour cette stratégie sont une combinaison de Sulfadoxine-Piryméthamine et d’Amodiaquine. Ces médicaments ont un effet actif d’environ 28 jours après leur administration. »

 

Selon le rapport mondial 2022 sur le paludisme, 15 pays à ce jour mettent en œuvre la CPS. Dans ces pays, peut-on lire, « le nombre moyen d’enfants traités par cycle de CPS n’a cessé d’augmenter, passant de quelque 0,2 million en 2012 à près de 45 millions en 2021 ».

 

En ce qui concerne le vaccin, l’OMS a recommandé depuis 2021 le RTS,S, tout premier vaccin contre le paludisme, qui est déjà en cours d’utilisation dans certains pays d’Afrique comme le Malawi, le Ghana et le Kenya où plus d’un million et deux cent mille enfants ont déjà été vaccinés, d’après les chiffres de l’organisation.

 

L’on apprend que son utilisation sera prochainement étendue à d’autres pays dans la mesure où quelque 18 millions de doses sont prévues pour être distribuées à 12 pays du continent pour la période allant de 2023 à 2025.

 

Outre le RTS,S, un deuxième vaccin contre le paludisme est en bonne voie pour être lui aussi recommandé prochainement par l’OMS. Dénommé R21/Matrix-M et développé par des chercheurs de l’université d’Oxford au Royaume-Uni et de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) au Burkina Faso, ce vaccin est déjà autorisé au Nigéria, au Ghana et au Burkina Faso.

 

Mais, pour rester dans l’utilisation de la moustiquaire, Raymond Tabué est particulièrement préoccupé par l’attitude de ceux qui utilisent les moustiquaires qu’ils reçoivent à d’autres fins : par exemple comme filets de buts par les jeunes qui jouent au football, pour protéger les jeunes plantes dans les pépinières ou encore comme grilles pour les fenêtres…

 

Et il analyse : « Je pense qu’il faut à un moment donné questionner la gratuité même de la distribution des moustiquaires. Il faut se demander si le fait de les distribuer gratuitement n’enlève pas une part de l’importance qu’on donne à cet outil. Parce que généralement, ce qui est donné gratuitement, on y accorde très peu d’importance. »

 

Concrètement, cet expert se demande s’il ne faut pas envisager la commercialisation, même à faible coût, des moustiquaires. Sachant que ceux qui les achèteront seront plus susceptibles de les utiliser effectivement. L’inconvénient cependant pourrait être de priver un certain nombre de ménages de l’accès à cet important outil de lutte contre cette maladie qui a causé la mort de 593 000 personnes dans le monde, dont 96% en Afrique.

 

 

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