LE FONDS MONDIAL ET LA PARTICIPATION COMMUNAUTAIRE
Author:
Simon KaborƩ
Article Type:Article Number: 7
Les rĆ©volutions engagĆ©es et les risques dāoccasions manquĆ©es
RĆSUMĆ Un des acquis importants du Fonds mondial de lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose est le renforcement des communautĆ©s et de la sociĆ©tĆ© civile dans la gouvernance des interventions sanitaires et la dĆ©livrance des services de santĆ©. Le Fonds mondial semble avoir suscitĆ© des innovations rĆ©formatrices des systĆØmes de santĆ©, alors quāil nāĆ©tait vu au dĆ©part que comme un instrument financier. Mais pour que ces innovations puissent ĆŖtre intĆ©grĆ© dans la gestion des systĆØmes de santĆ©, elles doivent bĆ©nĆ©ficier du soutien des partenaires, en particulier de lāOMS, qui joue un rĆ“le naturel de leader dans ce domaine.
Un des acquis importants du Fonds mondial de lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose est le renforcement des communautĆ©s et de la sociĆ©tĆ© civile dans la gouvernance des interventions sanitaires et la dĆ©livrance des services de santĆ©. Le Fonds mondial semble avoir suscitĆ© des innovations rĆ©formatrices des systĆØmes de santĆ©, alors quāil nāĆ©tait pas vu au dĆ©part comme une organisation dāorientation ou de normalisation des politiques, ce rĆ“le Ć©tant dĆ©volu Ć lāOrganisation Mondial de la SantĆ©. Quelles ont Ć©tĆ© les Ć©volutions de la participation communautaire apportĆ©e par le Fonds mondial, qui ont rĆ©volutionnĆ© lāapproche classiqueĀ ? Ces Ć©volutions sont-elles susceptibles dāĆŖtre exploitĆ©es pour une rĆ©forme de nos systĆØmes de santĆ©Ā ? Nous traitons de ces questions dans la prĆ©sente analyse.
La politique de rĆ©fĆ©rence en matiĆØre de participation communautaire en Afrique est lāInitiative de Bamako. Elle a Ć©tĆ© adoptĆ©e lors dāune confĆ©rence internationale dans la capitale malienne en 1987, comme une stratĆ©gie de relance des soins de santĆ© primaires adoptĆ©s lors de la confĆ©rence dāAlma Ata en 1979. Cette confĆ©rence avait Ć©tĆ© conjointement organisĆ©e par lāOMS et lāUnicef, les deux institutions naturellement leaders dans la mise en Åuvre de lāInitiativeĀ : lāOMS, en termes de conception et de normalisation des directives et lāUNICEF en tant quāacteur de lāopĆ©rationnalisation des chaines dāapprovisionnement en mĆ©dicaments. La vision de ces deux institutions en matiĆØre de participation communautaire a donc Ć©tĆ©, et continue dāĆŖtre, trĆØs dĆ©terminante pour lāimplication des acteurs communautaires dans le systĆØme de santĆ©.
La vision restrictive de la participation communautaire
Plusieurs dĆ©finitions du concept de participation communautaire ont Ć©tĆ© proposĆ©es, mais parmi les plus utilisĆ©es figure celle des Nations Unies. Elle dĆ©crit la participation communautaire dans le processus global de dĆ©veloppement comme Ā«la crĆ©ation d’occasions qui permettent Ć tous les membres de la communautĆ© et Ć la sociĆ©tĆ© en gĆ©nĆ©ral de contribuer activement, d’influencer le processus dĆ©veloppemental ainsi que de partager Ć©quitablement les bĆ©nĆ©fices du dĆ©veloppementĀ Ā» (Midgley, 1981).
De cette dĆ©finition dĆ©coulent deux visions principales de la participation communautaire dans le systĆØme de santĆ©.
La premiĆØre vision, plus proche de la dĆ©finition des Nations Unies, dĆ©finit la participation communautaire comme Ā«Ā l’implication de la communautĆ© dans l’administration et le financement des services de santĆ©. Une pareille implication suppose que la communautĆ© participe Ć la planification, l’organisation, l’exĆ©cution et au contrĆ“le des soins de santĆ© primaires, utilisant au maximum les ressources locales et nationales et d’autres ressources disponiblesĀ Ā» (Agudelo, 1983). Cette dĆ©finition a le mĆ©rite dāĆ©voquer lāimplication communautaire dans toute la chaine de gouvernance et de gestion du systĆØme de santĆ©.
A lāopposĆ© de cette vision figure celle plus ancienne de lāOMS et lāUNICEF, apparue simultanĆ©ment au lancement de la stratĆ©gie des soins de santĆ© primaires en 1978. Elle dĆ©finit la participation communautaire comme Ć©tantĀ Ā«Ā un processus par lequel les individus et les familles, d’une part prennent en charge leur propre santĆ© et leur propre bien-ĆŖtre comme ceux de la communautĆ©, d’autre part dĆ©veloppent leur capacitĆ© de concourir Ć leur propre dĆ©veloppement comme Ć celui de la communautĆ©Ā Ā» (UNICEF-OMS, 1978). En ne considĆ©rant que les individus et les familles pour caractĆ©riser la communautĆ©, lāUNICEF et lāOMS, ne prennent pas en compte les formes organisĆ©es des communautĆ©s au-dessus des familles. Cāest sans doute pour cela que les organisations Ć base communautaire et les organisations gouvernementales ne font pas partie du schĆ©ma de mise en Åuvre de lāInitiative de Bamako. Les comitĆ©s de gestion communautaires des centres de santĆ© ne sont alors composĆ©s que de reprĆ©sentants individuels issus directement des familles, mais non dāorganisations qui auraient pu offrir des laboratoires de rĆ©flexions stratĆ©giques et des cadres dāaction de redevabilitĆ©.
Un autre Ć©lĆ©ment restrictif de la vision de lāOMS et de lāUNICEF, concerne la prĆ©rogative de contrĆ“le par les communautĆ©s.
Tout comme cette notion est absente de leur dĆ©finition, elle est Ć©galement absente de la stratĆ©gie de mise en Åuvre de lāInitiative de Bamako. TrĆØs peu dāimportance a Ć©tĆ© accordĆ©e au contrĆ“le du systĆØme de santĆ© du niveau central au niveau pĆ©riphĆ©rique par les communautĆ©s. Il a Ć©tĆ© surtout question de dĆ©finir comment chaque communautĆ© prise isolĆ©ment contribuait Ć prendre en charge financiĆØrement sa propre santĆ©, sans se poser des questions sur les responsabilitĆ©s de lāĆtat, qui perƧoit pourtant des impĆ“ts de ces mĆŖmes communautĆ©s, et dont le devoir est dāoffrir Ć sa population des services sociaux de base.
Pour lāOMS et lāUNICEF, le premier objectif de la participation communautaire est Ā«Ā d’encourager les communautĆ©s Ć participer Ć la mise en place d’un systĆØme de financement communautaire de l’approvisionnement en mĆ©dicaments et autres produits essentielsĀ Ā» (AFR/RC49/13).
Force est de constater que cette prioritĆ© a pris le pas sur les prĆ©rogatives des communautĆ©s Ć participer Ć lāidentification de leurs besoins, Ć lāorganisation du systĆØme de soins et au contrĆ“le de la gestion.
Les rƩvolutions menƩes par le Fonds mondial
Le Fonds mondial est essentiellement un mĆ©canisme de financement de la lutte contre les 3 pathologies que sont le VIH, le paludisme et la tuberculose, qui ne pouvait ignorer le renforcement des systĆØmes de santĆ©. Il nāĆ©tait pas censĆ© Ć©dicter des politiques, mais financer les actions de lutte basĆ©es sur les orientations et normes existantes Ć©noncĆ©es par des institutions plus habilitĆ©es telle que lāOMS.
Cependant, la nature du Fonds mondial, dont le partenariat avec les autoritĆ©s publiques, la sociĆ©tĆ© civile, les institutions techniques, le secteur privĆ© et les personnes touchĆ©es par les maladies constitue le fondement mĆŖme, Ć©tait une opportunitĆ© pour les acteurs de la sociĆ©tĆ© civile, qui nāavaient pas voix au chapitre dans les dĆ©libĆ©rations de lāOMS, de se faire entendre. La composition hĆ©tĆ©roclite du partenariat du Fonds mondial devint par la force des choses un laboratoire dāidĆ©es, de convergence dāexpĆ©riences et dāacteurs en mal de reconnaissance. A travers ses Ā«Ā notes dāinformationĀ Ā», le Fonds mondial a diffusĆ© des rĆ©flexions, des principes et des directives qui ont stimulĆ© la participation communautaire et promu lāĆ©quitĆ© en matiĆØre de santĆ©.
La premiĆØre Ā«Ā rĆ©volutionĀ Ā» du Fonds mondial porte sur la dĆ©finition des acteurs communautaires. Alors que la vision de lāUNICEF et de lāOMS se limite aux individus, leurs familles, les comitĆ©s de gestion communautaires des centres de santĆ© et les agents de santĆ© communautaires, laĀ note dāinformation sur le renforcement des systĆØmes communautaires, Ć©ditĆ©e en fĆ©vrier 2016, inclut dans les acteurs communautaires les membres de la communautĆ© (individus et familles), les organisations et les rĆ©seaux communautaires formels et informels, ainsi que dāautres organisations de la sociĆ©tĆ©Ģ civile. On doit sans doute cette vision du Fonds mondial Ć lāengagement des acteurs de la sociĆ©tĆ© civile, et particuliĆØrement des organisations des personnes infectĆ©es par le VIH pour susciter une rĆ©ponse au mal qui les dĆ©cimait. Cāest une vision plus large, plus fidĆØle et plus reconnaissante des acteurs de premiĆØre ligne qui ont travaillĆ© Ć dessiner lāengagement international contre le VIH, et par ricochet celui contre le paludisme, la tuberculose et le renforcement des systĆØmes de santĆ©.
La deuxiĆØme Ā«Ā rĆ©volutionĀ Ā» du Fonds mondial porte sur les prĆ©rogatives des acteurs communautaires en matiĆØre de santĆ©. La note dāinformation contredit le confinement dans lequel Ć©taient maintenus les acteurs de la sociĆ©tĆ© civile : Ā«Ā ils peuvent jouer divers rĆ“les dont la nature dĆ©pend prĆ©cisĆ©ment de leurs capacitĆ©s et du contexte :
- Gestion et prestation de services, y compris de services cliniques en Ć©tablissement de soins et de services de santeĢ en dehors de ces Ć©tablissements, tels que lāĆ©ducation par les pairs, la sensibilisation, le traitement, les soins et la prise en charge au niveau communautaire ainsi que dāautres services sociaux ;
- Soutien aux personnes marginalisĆ©es ou victimes de discrimination qui nāont pas accĆØs aĢ des services de santeĢ adaptĆ©s aĢ leurs besoins ;
- Actions de mobilisation parmi les personnes marginalisĆ©es afin dāamĆ©liorer les conditions sociales, y compris lāaccĆØs aĢ des services de meilleure qualitĆ©Ģ ;
- Prise en considĆ©ration des dĆ©terminants de la santeĢ au sens large, notamment les inĆ©galitĆ©s entre les genres et les droits de lāhomme ;
- Plaidoyer en faveur de politiques et de cadres lĆ©gislatifs favorables et appropries, de la gouvernance, du suivi stratĆ©gique et de la responsabilitĆ©Ģ ;
- Suivi et plaidoyer en faveur dāune meilleure protection des droits de lāhomme et dāun meilleur accĆØs aux soins de santĆ©Ģ.
Ainsi, la participation communautaire nāest plus simplement vue comme une contribution financiĆØre pour assurer lāapprovisionnement et le fonctionnement des centres de santĆ©. Elle inclut dĆ©sormais la dĆ©livrance de services de santĆ© par des structures sanitaires crĆ©Ć©es par des organisations communautaires, la dĆ©fense des populations marginalisĆ©es, le contrĆ“le et lāinterpellation des acteurs du systĆØme de santĆ©. De cette ouverture dĆ©coule la troisiĆØme Ā«Ā rĆ©volutionĀ Ā» de la vision du Fonds mondial sur la participation communautaire.
A lāimage des six piliers de lāOMS sur le renforcement des systĆØmes de santĆ©, le Fonds mondial identifie quatre axes dāinterventions sur le renforcement des systĆØmes communautairesĀ : suivi au niveau communautaire de lāobligation redditionnelle – plaidoyer pour la responsabilitĆ©Ģ sociale, mobilisation sociale – renforcement des liens communautaires, collaboration et coordination – renforcement des capacitĆ©s institutionnelles, planification et dĆ©veloppement du leadership dans le secteur communautaire. La dĆ©finition de ces axes de renforcement ouvre la perspective dāune consolidation trĆØs visible des systĆØmes communautaires en lien avec les systĆØmes publics de santĆ©, contrairement aux directives de lāOMS qui nāĆ©voquent les acteurs communautaires que dans le pilier sur les ressources humaines, en termes dāagents de santĆ© communautaire. Selon la vision du Fonds mondial, Ć travers les quatre axes dāintervention, il est possible de retrouver les acteurs communautaires dans les 6 piliers de renforcement des systĆØmes communautaires.
La quatriĆØme Ā«Ā rĆ©volutionĀ Ā» imposĆ©e par le Fonds mondial concerne la dĆ©finition des catĆ©gories de personnes vulnĆ©rables. Depuis le lancement de la stratĆ©gie des soins de santĆ© primaires, les groupes dits vulnĆ©rables se rĆ©sumaient essentiellement aux indigents, aux femmes enceintes et aux enfants. Sur la base de donnĆ©es probantes liĆ©es Ć lāinfection Ć VIH, le Fonds mondial a identifiĆ© dāautres groupes de populations, qui mĆ©ritent des interventions spĆ©cifiques et dont les droits doivent ĆŖtre protĆ©gĆ©s. Il sāagissait particuliĆØrement des hommes ayant des rapports sexuels avec dāautres hommes (homosexuels), les professionnels (lles) du sexe, les usagers des drogues injectables et les prisonniers. De ce fait, la dimension de lāĆ©quitĆ© en matiĆØre de santĆ© prenait une autre dimension, et devenait presque la porte dāentrĆ©e pour une Ć©quitĆ© et une justice sociale inclusive.
La derniĆØre Ā«Ā rĆ©volutionĀ Ā» retenue pour cette analyse est dĆ©crite parĀ une note dāinformationĀ publiĆ©e en dĆ©cembre 2016 sur la mise en place des systĆØmes rĆ©sistants et pĆ©rennes pour la santĆ© avec les investissements du Fonds mondial. La note dĆ©crit de la meilleure faƧon la diffĆ©rence de la vision du Ā«Ā systĆØme pour la santĆ©Ā Ā»Ā et celle du Ā«Ā systĆØme de santĆ©Ā Ā»Ā : Ā« Ć Ā la diffĆ©rence des systĆØmes de santeĢ, les systĆØmes pour la santeĢ ne se limitent pas aux Ć©tablissements de santĆ© et sāĆ©tendent jusque dans les communautĆ©s pour atteindre les personnes qui ne se rendent pas toujours dans les centres de santeĢ, particuliĆØrement les plus vulnĆ©rables et les plus marginalisĆ©es. Les systĆØmes pour la santeĢ sāintĆ©ressent aux personnes, plutĆ“t quāaux contraintes et aux maladies.Ā Ā»
Cette assertion est une reconnaissance implicite des Ć©checs de nos systĆØmes de santĆ© actuels en mal dāinnovation et de rĆ©activitĆ©.
Les risques dāoccasions manquĆ©es
Les innovations en matiĆØre de participation communautaires dans les systĆØmes de santĆ© du Fonds mondial, sont basĆ©es sur des donnĆ©es probantes et sont plus avant-gardistes que les propositions actuelles de lāOMS en la matiĆØre. Le Fonds mondial, fort de son poids financier, tente dāimposer ces innovations dans les pays de mise en Åuvre de ses subventions. Cependant, sans le soutien proactif de lāOMS dans les pays, les innovations peinent Ć ĆŖtre opĆ©rationnalisĆ©es dans les subventions, et les interventions, quand elles sont mises en Åuvre, nāont pas un impact suffisant pour transformer les systĆØmes en place. A titre dāexemple, plusieurs subventions accordĆ©es par le Fonds mondial ne prennent pas en compte les 4 domaines dāintervention du renforcement des systĆØmes communautaires. Le Fonds mondial appuie actuellement lāĆ©laboration de plans stratĆ©giques de santĆ© communautaire qui occultent lāimplication des acteurs de la sociĆ©tĆ© civile et la prise en compte des droits des populations clĆ©s.
Le prochain cycle de financement du Fonds mondial devra veiller Ć voir comment, au-delĆ du pouvoir financier, donner aux innovations quāil finance, la lĆ©gitimitĆ© et la reconnaissance quāelles mĆ©ritent, afin quāelles aient un effet rĆ©el sur les politiques, et Ć termes un impact bĆ©nĆ©fique pour les populations.
Le MinistĆØre de lāEurope et des Affaires ĆtrangĆØres franƧais a dĆ©jĆ donnĆ© le ton en organisant en janvier 2019 Ć Paris, une rencontre sur le rĆ“le de la sociĆ©tĆ© civile dans le renforcement des systĆØmes de santĆ©. La rĆ©flexion a dĆ©butĆ© et mĆ©rite dāĆŖtre poursuivie, car nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de faire du surplace ou pire encore, de reculer, malgrĆ© les sommes colossales investies.
Ressources additionnelles :
- Le Fonds Mondial,Ā Note dāinformation Mise en place de systĆØmes rĆ©sistants et pĆ©rennes pour la santĆ© avec les investissements du Fonds mondial, 15 dĆ©cembre 2016 GenĆØve, Suisse.
- DĆ©claration dāAlma Ata sur les soins de santĆ© primaires, 12 septembre 1978.
- Le Fonds mondial,Ā Maximiser lāimpact en renforƧant les systĆØmes et les ripostes communautaires, GenĆØve, Novembre 2016
- Le Fonds mondial,Ā La mise en place de systĆØmes rĆ©sistants et pĆ©rennes pour la santĆ©, GenĆØve, fĆ©vrier 2018.