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La participation des organisations de la société civile et des communautés à la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme a le plomb dans l’aile
OFM Edition 144

La participation des organisations de la société civile et des communautés à la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme a le plomb dans l’aile

Author:

Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 2

Au-delà de la critique de ce qui tient lieu actuellement de la participation des organisations de la société civile et des communautés, ce texte se propose, non sans démonstration, de réitérer l’importance de la participation comme facteur de maximisation des investissements du Fonds mondial.

Contexte

Au sein de l’écosystème général du Fonds mondial, la participation des organisations de la société civile (OSC) et des communautés est depuis longtemps valorisée et présentée comme une pratique indispensable dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Tout le monde s’accorde au moins officiellement pour dire qu’il ne peut y avoir de lutte efficace contre ces maladies sans une participation significative des communautés aux différentes étapes de mise en œuvre des subventions du Fonds mondial. Dans les faits cependant, on est bien loin de l’intention affichée. La participation tant vantée semble avoir le plomb dans l’aile. Elle ressemble de plus en plus à une arlésienne, une sorte de vernis démocratique que l’on glisse dans les textes et discours pour faire bonne figure sans que cela soit réellement suivi des faits.

 

Il n’est pas rare de rencontrer des acteurs et actrices de la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme en Afrique de l’Ouest et du Centre qui se disent profondément désabusé(e)s par ce fossé depuis longtemps persistant entre le discours et la réalité.

 

La Plateforme Régionale Afrique Francophone du Fonds mondial (PRF) a initié un questionnaire en ligne, en prélude au forum régional sur l’engagement communautaire qui s’est tenu 25 au 27 janvier 2023 à Cotonou. L’objectif était de collecter et les leçons apprises sur la participation des communautés et de la société civile au Cycle de subvention 6 (NFM3) et les évidences pour appuyer les propositions de recommandations pour une meilleure participation de la société civile dans le cycle de subvention 7 (NFM4) du Fonds mondial. S’il existe ici et là quelques bons exemples ou bonnes pratiques, il se dégage globalement de cette étude que la participation communautaire dans le Cycle de subvention 6 était loin d’être une réalité optimale. Et lorsque les OSC avaient l’opportunité de participer aux différents processus ou activités du Fonds mondial, leurs voix n’étaient pas toujours entendues ou considérées à leur juste valeur. Les priorités communautaires n’étaient pas alignées avec les priorités retenues dans les Plans stratégiques nationaux (PSN) ou suffisamment prises en compte dans les subventions pays. Les OSC ont surtout souligné dans une large majorité qu’elle ne parvenait pas à participer aux sessions de finalisation des requêtes des subventions.

 

Dans la même veine critique, le Rapport d’observation 2020-2022 du Comité technique d’examen des propositions (CTEP) du Fonds mondial dénonce les vices et carences de la participation communautaire :

 

Une réelle contribution communautaire à la conception, à la mise en œuvre, à l’examen et à l’évaluation des programmes suppose une participation forte et efficace à des partenariats multisectoriels aux niveaux national et infranational. Une telle participation peut améliorer la qualité et l’impact des stratégies nationales, l’élaboration des politiques et l’efficacité des services. Le CTEP a constaté trop peu d’exemples de participation effective de la communauté aux partenariats multisectoriels et aux structures de gouvernance où celle-ci contribuait à la planification, à la supervision et à l’examen des programmes. Lorsqu’elle existait, les efforts visant à traduire cette participation communautaire en services de qualité étaient rarement suffisants. Le CTEP a noté qu’un accent accru avait été mis sur les programmes bénéficiant de la participation et du leadership actifs des communautés, quoique toujours en grande partie dans les programmes de prévention et de traitement antirétroviral du VIH. Peu d’exemples témoignent en effet d’un renforcement du leadership communautaire effectif dans la lutte contre la tuberculose et le paludisme. (p. 33).

 

La Note d’information technique du Fonds mondial sur les Renforcement des systèmes communautaires (Période d’allocation 2023-2025) ne s’écarte pas non plus des différents constats susmentionnés :

 

Les populations clés et vulnérables ne sont pas suffisamment engagées dans les efforts de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme et n’en bénéficient pas pleinement. Il faut améliorer la coordination et en renforcer les liens entre les programmes communautaires, les programmes dirigés par les communautés et les programmes officiels du secteur de la santé, et favoriser davantage la participation sociale. (p. 11).

 

Plus largement, de très nombreux acteurs et actrices communautaires nous confessent régulièrement sous anonymat ou à l’occasion de diverses rencontres (conférences, webinaires, échanges informels, etc.) que le jargon très technique du Fonds mondial, l’omniprésence de l’anglais (une documentation, rencontres de haut niveau du Fonds mondial) et le renouvellement poussif des représentant(e)s des communautés dans les instances ou espaces d’échanges en lien avec le Fonds mondial constituaient un frein à une participation effective et efficiente des communautés.

 

« Fossilisation de la participation communautaire »

 

Parlant précisément du renouvellement poussif des représentant(e)s, la critique à ce niveau semble être dirigée moins vers le Fonds mondial en tant qu’organisation que vers les instances, les dynamiques et les processus locaux.  Certains acteurs et actrices des OSC et communautés dénoncent sous anonymat ce qu’on pourrait appeler la « fossilisation de la participation communautaire ». Les instances et rencontres en lien avec la lutte contre les maladies ressembleraient quelques fois à un club d’amis où les mêmes personnes se rencontrent depuis plusieurs années. Il y aurait, à en croire ces acteurs et actrices, une sorte de prise en otage par un club d’ancien(ne)s de ce qui tient lieu de participation communautaire. Si l’expertise et l’expérience de ses « ancien(ne)s » ne sauraient être remises en question, il est cependant permis de douter que la lutte contre les trois maladies puisse être enrichie de nouvelles perspectives suivant une telle configuration. Il ne peut y avoir de résultats satisfaisants dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme sans un engagement ou une participation communautaire sans cesse renouvelée. Mieux encore, il ne saurait y avoir de riposte efficiente contre les maladies sans un engagement communautaire réel et significatif à toutes les étapes du processus des subventions : Élaboration, mise en œuvre et évaluation, etc. Il est important d’oxygéner la participation des OSC et des communautés en renouvelant constamment son leadership, ses acteurs et actrices, ses porteurs et porteuses de flambeau. Le rappel de cette évidence est loin d’être inopportun. L’engagement communautaire et plus spécifiquement la participation des OSC et des communautés à l’action du Fonds ne constituent pas une dépense superflue, c’est un investissement incontournable qui permet de maximiser l’impact des subventions du Fonds mondial. La participation a un prix, il faut le payer. Voici quelques arguments supplémentaires en appui à cette position.

 

Pourquoi la participation des OSC et des communautés est si importante ?

L’argumentaire qui suit ne revendique aucune originalité, si ce n’est de rappeler les fondements et la pertinence de la participation communautaire que le temps, la fossilisation ou les mauvaises habitudes organisationnelles auraient fini par nous faire oublier.

 

La participation des OSC et des communautés dans le cadre de la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme renvoie à une forme d’autogouvernement des maladies par le corps concerné. C’est l’idée d’une participation des parties prenantes aux décisions qui les concernent. Une approche au sein de laquelle la prise en compte des communautés est davantage valorisée renforce la robustesse des décisions prises. Elle ramène l’enjeu de la lutte contre les maladies à une échelle de proximité beaucoup plus inclusive et engageante pour les populations. Elle convoque l’empowerment (capacitation) des OSC et des communautés locales dans les différentes étapes du processus de subventions. Elle renferme la conviction éprouvée par l’expérience que la viabilité et le succès de la riposte contre les maladies sont inexorablement tributaires de l’implication des communautés. Ce n’est d’ailleurs pas le Fonds mondial qui nous démentira. En effet, la  Stratégie pour la période 2023-2028 (p. 41) affirme ce qui suit :

 

Le leadership des communautés qui vivent avec les trois maladies ou qui sont touchées par celles-ci a été la clé du succès du modèle unique du Fonds mondial depuis sa création. Les communautés sont souvent les mieux placées pour guider et mettre en œuvre des programmes de santé répondant efficacement à leurs besoins variés et pour lever les obstacles structurels aux progrès de la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Un engagement ferme des communautés garantit que les investissements seront équitables, pérennes, fondés sur des données probantes, ancrés dans les droits humains et adaptés au genre et à l’âge.

 

La participation des OSC et des communautés est par ailleurs une solution aux insuffisances des modèles décisionnels (traditionnels) basés sur la standardisation des solutions. À travers l’exigence d’inclusion et de délibération, l’idée de participation dont il est question ici apparaît en effet comme le véhicule adéquat pour l’élaboration différentiée et réalisation effective des programmes. Quand elle est effective, inclusive et régulièrement oxygénée, elle permet en effet de coconstruire une prévention et une prise en charge sanitaire adaptée à chaque contexte et non imposée ou présupposée. Autrement dit, elle permet de sortir de la dichotomie habituelle entre l’édiction des solutions décontextualisées et la violence de leur application dans les contextes qui ne se prêtent guère à leurs formulations.

 

Notons enfin qu’une participation large au processus de délibération et de construction des programmes accroît la motivation et le degré de mobilisation de celles qui, au premier rang, sont chargées de mettre en œuvre les décisions, à savoir les communautés. Suivant ce schéma, les communautés se considéreront inéluctablement comme constructrices, coresponsables et co-exécutantes des décisions prises.

 

Bref, subordonner les processus, les activités et les programmes de lutte contre les maladies à l’exigence d’une validité intersubjective est un gage de légitimité démocratique, d’adhésion communautaire, d’optimisation des investissements du Fonds mondial et de bien d’autres initiatives en matière de santé globale. Insistons pour le dire, seule une coparticipation à la prise d’une décision fonde et renforce une coobligation dans l’exécution de ladite décision.

 

Cela dit, pour être pleinement efficace et efficiente, la participation communautaire requiert cependant un ensemble de prérequis ou de conditions. Voici une liste non exhaustive d’actions qui pourrait accroitre la qualité de la participation.

 

Précisons immédiatement que les suggestions sont adressées aux différents paliers de l’écosystème du Fonds mondial (OSC, communautés, États, Fonds mondial, ONUSIDA et autres partenaires techniques et financiers de la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme). À chacun de jouer sa participation pour :

  • Former les OSC et les communautés aux enjeux et techniques de la participation et de délibération ;
  • Former et renforcer les capacités des membres de la société civile et des communautés sur les politiques, les processus, les mécanismes, les approches, la philosophie, etc. du Fonds mondial ;
  • Coaliser, mutualiser, mettre en synergie et coordonner les actions des OSC et des communautés pour peser sur les orientations et décisions prises au sein des différentes instances décisionnelles à l’instar des ICN (instances de coordination nationale) ;
  • Accompagner les OSC et les communautés dans les différentes étapes d’un cycle de financement (dialogues au niveau des pays, processus de rédaction des Plans stratégiques nationaux/notes conceptuelles/demandes de financement, mise en œuvre des subventions, suivi communautaire, évaluation, etc.) ;
  • Traduire les textes du Fonds mondial et multiplier davantage les espaces d’échanges et de discussion en français pour lever la barrière linguistique qui est un enjeu pour de très nombreuses personnes en Afrique de l’Ouest et du centre. C’est l’occasion de saluer l’appui multisectoriel de L’Initiative/Expertise France pour rendre l’information (autour du Fonds mondial) accessible en français.

 

Plus largement, le nouveau cycle de financement (Cycle de subvention 7) est une fenêtre d’opportunité pour une meilleure prise en compte des préoccupations des OSC et communautés. Un pourcentage du budget qui sera alloué au pays devra être consacré aux activités communautaires.

 

Le nouveau cycle de financement (cycle de subvention 7) peut contribuer à réenchanter la participation des OSC et des communautés dans la lutte contre les maladies.

Voici quelques orientations du CTEP à l’intention des candidats qui prépareront de nouvelles de demandes de financement.

 

C’est également l’orientation qui se dégage du Manuel du candidat. Période d’allocation 2023-2025 du Fonds mondial.


Source : Manuel du candidat. Période d’allocation 2023-2025, p. 17.

 

Le Cadre modulaire du Fonds mondial est encore plus explicite que les deux documents précédemment cités. Il suggère un ensemble d’interventions et d’activités en lien avec la participation des OSC et des communautés.


Source : Manuel du cadre modulaire, p. 17-18.

 

Au demeurant, il est indispensable de penser en permanence les termes de la prise en charge des maladies à l’intérieur d’une approche qui mise réellement sur leur participation (diversité, inclusion, etc.) sans jamais présumer par avance du contenu des solutions. Défendre et optimiser les financements qui comptent, concrétiser l’engagement dans les budgets et mettre fin aux maladies en tant que problèmes de santé publique exigent une réelle et large participation des OSC et des communautés. Les investissements du Fonds mondial seront maximisés parce qu’ils auront été soumis au jugement et à l’implication des membres de la société civile et des communautés. Affranchissons-nous des participations de pacotille.

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