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La mise en œuvre des subventions du Fonds mondial par la Guinée livre des difficultés et des apprentissages
OFM Edition 78

La mise en œuvre des subventions du Fonds mondial par la Guinée livre des difficultés et des apprentissages

Author:

Djesika Amendah

Article Type:
NOUVELLES

Article Number: 4

La priorité doit être donnée à l’intégration des programmes et au renforcement de la chaîne d’approvisionnement, de l’infrastructure et de la logistique

RÉSUMÉ La Guinée s’est vue confrontée à des difficultés significatives dans le cadre de la mise en œuvre des subventions du Fonds mondial. Certaines de ces difficultés étaient inhérentes à la mise en œuvre des politiques du Fonds mondial vis-à-vis des subventions. D’autres étaient liées au contexte politique et épidémiologique du pays. Pays à faible revenu dont les systèmes de santé sont eux aussi faibles, la Guinée doit dépenser ses fonds de cofinancement de manière optimale. Les solutions à la plupart des problèmes requièrent une appropriation plus ferme par le pays et un investissement dans les systèmes de santé.

La Guinée, pays d’Afrique occidentale de quelque 12 millions d’habitants, est confrontée à plusieurs difficultés graves dans le cadre de la mise en œuvre des subventions du Fonds mondial. Certaines de ces difficultés sont liées au contexte politique et épidémiologique du pays, d’autres à la mise en œuvre de certaines politiques du Fonds mondial dans le pays. Selon la classification du Fonds mondial, la Guinée est un pays « essentiel », c’est-à-dire caractérisé par un grand portefeuille et une charge de morbidité élevée pour au moins une des maladies. Elle est en outre considérée comme présentant un « risque élevé » pour la gestion des subventions.

L’épidémie de VIH de la Guinée est généralisée, mais a un niveau de prévalence encore relativement bas (de 1,5 pour cent parmi la population générale âgée de 15 à 49 ans), ce qui correspond à ce que l’on observe dans les pays voisins, la prévalence allant de 0,4 pour cent au Sénégal à 3,4 pour cent en Guinée-Bissau. Bien que le pays ne figure sur aucune liste de pays à forte charge de morbidité de tuberculose, l’incidence de cette maladie reste une menace majeure pour la santé publique, et le paludisme est endémique.

Comme on pouvait s’y attendre, la prévalence est plus élevée au sein des populations clés des professionnels du sexe (10,7 pour cent), des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (11,4 pour cent) et des consommateurs de drogues injectables (5,5 pour cent). L’incidence de la tuberculose est de 22 000 cas selon le rapport 2018 sur la tuberculose dans le monde publié par l’Organisation mondiale de la Santé. Le paludisme est généralisé en Guinée : une récente enquête auprès des ménages estime que 30 pour cent des enfants de moins de cinq ans ont des parasites du paludisme dans le sang. Cela signifie que ces enfants sont infectés, même s’ils n’affichent pas de symptômes. Dans la pratique clinique, ils devraient être traités, faute de quoi ils risquent de progresser vers un tableau clinique complet de la maladie. Il n’est donc pas surprenant que parmi les enfants de moins de cinq ans, le paludisme est à l’origine de 31 pour cent des consultations externes, de 25 pour cent des hospitalisations et de 14 pour cent des décès dans les hôpitaux publics.

Les estimations concernant le paludisme au sein de la population générale sont proches de celles relatives aux enfants : le paludisme est la cause principale de 34 pour cent des consultations externes, de 31 pour cent des hospitalisations et de 14 pour cent des décès dans les hôpitaux publics, selon les statistiques relatives à la Guinée citées par l’Initiative présidentielle pour lutter contre le paludisme.

Les cas de paludisme traités dans les établissements privés ou au niveau communautaire ne sont pas compris dans ces estimations. C’est dans ce contexte épidémiologique que la Guinée a présenté des demandes de subvention au Fonds mondial au titre des trois maladies pour la période 2017/2020.

Cet article vise à analyser les difficultés liées à la mise en œuvre des subventions en Guinée et à identifier les leçons tirées – ou les problèmes passés inaperçus – par les parties prenantes. L’information sur laquelle repose cet article provient de documents disponibles au public (voir la liste en fin d’article), y compris les demandes de financement et les résultats des subventions, le rapport de l’audit du Bureau de l’Inspecteur général sur la Guinée d’août 2017 et des entretiens avec des responsables guinéens et le gestionnaire de portefeuille du Fonds.

Investissements du Fonds mondial et d’autres partenaires en Guinée

La Guinée bénéficie du soutien du Fonds mondial et d’autres partenaires externes dans le cadre de la lutte contre les trois maladies. À ce jour, le Fonds mondial a décaissé 114 711 999 dollars au titre du paludisme, 87 157 784 dollars au titre du VIH, 16 289 030 dollars au titre de la tuberculose et 2 552 108 dollars au titre de la lutte conjointe contre le VIH et la tuberculose, d’après la page du site Web du Fonds mondial consacrée à la Guinée. Les décaissements en faveur de la Guinée s’élèvent au total à 220 868 633 dollars.

Durant la période de mise en œuvre 2015/2017, le Fonds mondial a engagé 113 563 396 dollars en faveur de la Guinée, dont 93 179 148 ont été décaissés (Tableau 1). Catholic Relief Services, récipiendaire principal de la subvention paludisme, a administré 45 612 251 dollars ; deux récipiendaires principaux ont géré les subventions VIH, d’une valeur totale de 38 169 376 dollars, Population Services International (PSI), en charge de la prévention, a administré la somme de 6 438 817 dollars, tandis que le Comité national de lutte contre le sida s’est quant à lui vu confier 31 730 559 dollars.

Tableau 1 : Caractéristiques des subventions de la Guinée pour la période de mise en œuvre en cours et les précédentes

Période de mise en œuvre Comp. Récipiendaire principal Montant signé
($)
Montant engagé
($)
Montant décaissé
($)
En cours 2018/2020 VIH/TB Plan International Inc. 14 550 605 6 302 624 2 552 108
En cours 2018/2020 VIH/sida Ministère de la Santé publique 33 573 749 12 235 253 5 318 835
Du 1er oct. 2015 au 31 déc. 2017 VIH/sida Population Services International 14 071 558 11 286 991 6 438 817
Du 1er oct. 2015 au 31 déc. 2017 VIH/sida Comité National de Lutte contre le Sida 46 774 989 40 595 710 31 730 559
Du 1er janv. 2014 au 31 déc. 2016 TB Population Services International 7 066 900 6 686 932 6 675 684
Du 1er janv. 2017 au 31 déc. 2017 TB Plan international 3 894 373 3 504 935 2 721 837
Du 1er oct. 2015 au 31 déc. 2017 Palud. Catholic Relief Services 62 200 441 51 488 828 45 612 251
Total 182 132 615 132 101 273 101 050 091

Source : site Web du Fonds mondial, page consacrée à la Guinée

Afin de protéger l’investissement du Fonds mondial en Guinée, le pays est soumis à la politique de sauvegarde supplémentaire, ce qui signifie que le Secrétariat prend une série de mesures supplémentaires en vue de renforcer le suivi stratégique et budgétaire dans les contextes à risque particulièrement élevé (de plus amples informations sur cette politique sont disponibles ici [en anglais]).

En Guinée, cette politique suppose de faire appel à des entités internationales en qualité de récipiendaire principal de certaines subventions, la mise en œuvre d’une politique de trésorerie limitée dans le cadre des opérations liées aux subventions et le recours à un agent financier qui cosigne les dépenses des subventions gérées par des récipiendaires principaux nationaux.

Le Fonds mondial considère en outre la Guinée comme un contexte d’intervention difficile, ce qui s’entend comme « un pays ou une région marqué par des flambées épidémiques, des catastrophes naturelles, des conflits armés ou une gouvernance fragile ». La politique relative aux contextes d’intervention difficiles, adoptée par le Fonds mondial en 2016, vise à améliorer l’efficacité des investissements du Fonds mondial en atteignant les populations clés et en instaurant plus de souplesse, en soutenant l’innovation et en établissant des partenariats plus forts.

Le Fonds mondial est le principal donateur externe en ce qui concerne le VIH et la tuberculose en Guinée, mais pour le paludisme, le deuxième bailleur de fonds (après le Fonds mondial) est l’Initiative présidentielle pour lutter contre le paludisme, active dans le pays depuis 2011. Ce soutien fait une énorme différence dans la gestion et les résultats de la subvention paludisme du Fonds mondial, étant donné que cette initiative contribue à hauteur de 15 millions de dollars aux achats de produits de santé, à la lutte antivectorielle, à la distribution à grande échelle de moustiquaires imprégnées d’insecticide et à un système d’information de gestion de la logistique pour le paludisme, d’après le rapport de l’audit de 2017 du Bureau de l’Inspecteur général.

Faiblesse du système de santé de la Guinée

Le système de santé de la Guinée, son système d’information sur la santé, ses dispositifs de surveillance, sa chaîne d’approvisionnement, son infrastructure et ses systèmes logistiques se sont avérés défaillants, comme l’a démontré la flambée et la propagation du virus Ébola de 2014 à début 2016, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Cette flambée d’Ébola s’est manifestée dans trois pays voisins – Guinée, Sierra Leone et Libéria – provoquant au total 28 616 cas de maladie à virus Ébola et 11 310 décès. En Guinée, 3 814 personnes sont décédées durant cette épidémie, d’après les estimations des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis.

La faiblesse du système de santé du pays tient en partie aux investissements limités des pouvoirs publics dans la santé. D’après un rapport de la Banque mondiale sur le renforcement des systèmes de santé après Ébola, la part du budget public consacrée à la santé était d’à peine 1,9 % en 2012, 4 % en 2015 et 4,6% en 2016. Pour les années suivantes, le pays a prévu d’augmenter ce pourcentage à au moins 6 pour cent du budget. Ces augmentations du financement public pour la santé sont un signe que la Guinée accorde à nouveau la priorité au secteur de la santé. Bien que ces pourcentages représentent une amélioration par rapport à 2012, ils restent en-deçà des 15 % que le pays s’est engagé à consacrer à la santé dans la Déclaration d’Abuja. (Cette constatation n’a rien de surprenant, compte tenu du fait que six pays seulement – le Rwanda, le Botswana, le Niger, la Zambie, le Malawi et le Burkina Faso – satisfont à cet engagement.)

Après la flambée d’Ébola, le gouvernement guinéen a instauré une taxe liée à la téléphonie consacrée aux secteurs touchés par le virus (outre la santé, il s’agit des secteurs de l’agriculture, de l’élevage de bétail, de la pêche, du commerce et de l’industrie, des mines, du tourisme et du transport aérien et de l’infrastructure), susceptible de lever près de 67 millions de dollars par an – montant légèrement supérieur aux dépenses publiques totales dans la santé en 2015.

Le volet santé du plan de relance 2015/2017 mis au point par le ministère guinéen de la Santé avec ses partenaires, faisait le point sur la situation, et planifiait une feuille de route assortie d’une estimation des ressources nécessaires.

Subvention VIH gérée comme un projet

La subvention 2015/2017 du Fonds mondial consacrée au traitement du VIH, gérée par le récipiendaire principal gouvernemental, était en proie à de nombreux problèmes liés à une mauvaise coordination et à une quantification inadéquate, qui ont mené à des expirations de produits et à des stocks insuffisants, selon le rapport d’audit 2017 du bureau de l’Inspecteur général sur les subventions de la Guinée.

Durant son cycle de vie, la subvention a la plupart du temps reçu du Secrétariat la notation B2 (« inadéquate mais au potentiel avéré »). Le récipiendaire principal gouvernemental était le Comité national de lutte contre le sida (CNLS), organisme d’État indépendant du ministère de la Santé. (Le récipiendaire principal non-étatique, Population Services International, était en charge de la prévention du VIH.)

Selon une source, la subvention était gérée « comme un projet, et non dans le cadre des tâches du ministère de la Santé », ce qui la privait de l’expérience existante et menait à des dysfonctionnements. Par exemple, le CNLS utilisait des chiffres « fantaisistes » pour les achats d’antirétroviraux, ce qui contribuait aux ruptures de stocks dans les établissements de santé (voir l’article de ce numéro de l’OFM consacré à l’enquête du Bureau de l’Inspecteur général sur la falsification des données en Guinée), bien que le ministère de la Santé emploie des pharmaciens compétents en matière de quantification des produits de santé qui auraient pu aider à obtenir des estimations plus fiables des besoins. De même, le département du ministère de la Santé chargé des prestations de soins de santé, qui supervise les établissements de santé et emploie des spécialistes de la coordination des prestations de soins dans les établissements publics, ne participait pas non plus à la gestion des subventions, ce qui contribuait aux ruptures de stocks dans les établissements publics.

Pour la période d’allocation en cours (2017/2020), le ministère de la Santé est le récipiendaire principal (Population Services International a mis fin à ses opérations en Guinée en 2018, selon le Fonds mondial ; PLAN remplace désormais PSI dans le soutien aux interventions ciblant les populations clés). Ce changement de récipiendaire principal gouvernemental, ainsi que la création d’une unité de coordination pour les subventions du Fonds mondial au sein du ministère de la Santé pour les trois maladies, devrait améliorer la coordination des différentes activités et les résultats des subventions.

Tant que le ministère de la Santé de la Guinée était récipiendaire principal, jusqu’en 2012, les résultats des subventions étaient insatisfaisants. Mais le Fonds mondial est optimiste quant à l’amélioration de la mise en œuvre, maintenant que le ministère est doté d’une nouvelle direction et que le gouvernement s’est engagé à mieux financer le secteur de la santé après les épidémies d’Ébola. Malgré la nouvelle direction et la bonne volonté observée, le fait que les antirétroviraux destinés à traiter le VIH étaient en rupture de stock de mai à juillet 2018 (comme l’a rapporté Médecins Sans Frontières), est un signe persistant de la profondeur de certains problèmes de mise en œuvre de la Guinée.

Cofinancement affecté aux antirétroviraux

Le Fonds mondial applique une politique de cofinancement en vertu de laquelle les pays à faible revenu comme la Guinée doivent démontrer une augmentation des contributions nationales à leur secteur de la santé et aux programmes de lutte contre les trois maladies à chaque nouveau cycle de financement. Le décaissement d’une portion de la somme allouée égale à 15 pour cent dépend de cette contribution nationale.

La forme spécifique du cofinancement dépend des négociations entre les représentants du pays et l’équipe de pays du Secrétariat. (L’OFM publiera un article séparé sur le cofinancement en Guinée et dans d’autres pays en janvier 2019.) Au cours du cycle d’allocation 2015/2017, la Guinée a engagé 19 857 143 dollars sur le compte du nouveau modèle de financement en vue de l’achat d’antirétroviraux. Elle a partiellement honoré ses engagements : le pays a dépensé 10 844 930 dollars, soit 54,6 pour cent du montant auquel il s’était engagé, en achats d’antirétroviraux durant la dernière année de la subvention. Cependant, ces achats se sont faits tard, ce qui a entraîné des ruptures de stocks durant la subvention 2015/2017 et des interruptions de traitement des patients. (Les systèmes de santé efficaces mettent l’accent sur l’absence de ruptures de stocks de médicaments importants.)

Durant la période d’allocation en cours (2017/2019), les antirétroviraux se sont à nouveau retrouvés en rupture de stock de mai à juillet 2018 en Guinée, pour des motifs similaires : le cofinancement du pays était censé servir à l’achat d’antirétroviraux, mais les fonds ne se sont pas concrétisés en temps opportun. À titre de solution provisoire, le programme de lutte contre le VIH n’a pu s’appuyer que sur les produits de santé achetés par le Fonds mondial.

Gestion de la chaîne d’approvisionnement

La gestion de la chaîne d’approvisionnement dans le pays est inadéquate, le plus gros problème de la subvention VIH étant la récurrence de périodes de rupture de stocks d’antirétroviraux suivies de périodes d’excédents de stocks.

L’audit réalisé en 2017 par le Bureau de l’Inspecteur général estime qu’environ 3 millions de dollars d’antirétroviraux financés par le Fonds mondial en 2016 risquaient de devenir périmés en raison de la mauvaise gestion des stocks, de la chaîne d’approvisionnement et de la logistique dans le pays. Les parties prenantes ont dès lors décidé d’estimer la quantité d’antirétroviraux restants et de les envoyer dans d’autres pays qui pourraient en avoir besoin, avant qu’ils deviennent périmés – mais malheureusement l’entrepôt où les antirétroviraux étaient stockés a été frappé par un incendie avant que cette action soit entreprise. (La cause de l’incendie n’est pas encore connue publiquement.)

Depuis l’audit de pays réalisé par le Bureau de l’Inspecteur général en 2017, le Secrétariat a travaillé avec le récipiendaire principal à la mise en œuvre des actions convenues de la direction recommandées. Il s’agit notamment de renforcer certains aspects du mécanisme étatique de chaîne d’approvisionnement.

La subvention paludisme, d’une plus grande envergure que la subvention VIH, connaît moins de problèmes du fait qu’elle est appuyée par PMI et est coordonnée de manière efficace par le programme de lutte contre la maladie du ministère de la Santé.

Leçons tirées et occasions manquées

La Guinée est un contexte d’intervention difficile en raison de la faiblesse générale du système de santé et des récentes épidémies d’Ébola qui ont frappé le pays. Des preuves plus récentes de cette faiblesse sont mises en lumière dans la dernière enquête du Bureau de l’Inspecteur général en Guinée, où une ONG a fourni des données frauduleuses dans le cadre d’une étude biocomportementale intégrée, ainsi que des indicateurs trompeurs (voir l’article de l’OFM à ce sujet).

Il est plus que jamais nécessaire que la Guinée ait un plus grand sens de l’appropriation. Une telle évolution doit être appuyée par le Fonds mondial, au travers d’une application flexible de la politique de cofinancement, et par les autres partenaires. Dans ce contexte, le changement de récipiendaire principal et de direction de la gestion des subventions du Fonds mondial en Guinée semble être un pas dans la bonne direction. Le pays doit investir dans son système de santé, en choisissant un point de départ réaliste compte tenu de son contexte : un investissement dans des systèmes d’information sanitaire qui couvriraient la collecte de données et l’assurance qualité, ainsi que dans les prévisions, la quantification et l’entreposage des produits de santé, autant de bons candidats pour ce type d’investissements.

Lectures complémentaires sur la Guinée :

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