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La crise au Sahel, née des différents putschs militaires combinée à la situation sécuritaire, fragilise la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme : cas du Niger
OFM Edition 157

La crise au Sahel, née des différents putschs militaires combinée à la situation sécuritaire, fragilise la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme : cas du Niger

Author:

Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 4

Le putsch militaire intervenu le 26 juillet 2023 au Niger a ete suivi de larges sanctions économiques et financières avec effets immédiats imposées par la CEDEAO. À cela s’ajoutent les suspensions des aides par la plupart des partenaires multilatéraux et bilatéraux du Niger. Les conséquences de ces sanctions, qui touchent les banques, l’électricité ou encore le pétrole, pèsent déjà et pèseront davantage sur la population nigérienne. En cette période de pic du paludisme et autres maladies infectieuses, qui coïncide avec la saison de pluie, le secteur de la santé paie un lourd tribut. Si rien n’est fait, cette situation risque de mettre en péril les énormes progrès enregistrés jusqu’ici par le pays en matière de lutte contre le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme. Ce constat dressé est en même temps une invitation conjointe adressée aux acteurs nationaux, sous-régionaux et internationaux afin qu’ils rétablissent les conditions optimales pour une délivrance efficiente des services de santé. C’est une question de vie ou de mort pour de milliers de Nigériennes et Nigériens.

Contexte 

 

Le putsch militaire au Niger, qui a eu lieu le 26 juillet 2023, a été suivi d’une série de sanctions de la part de la communauté internationale, car le prétexte avancé par la CEDEAO et certaines organisations internationales est « de restaurer l’ordre constitutionnel en rétablissant le Président Bazoum au pouvoir ».

 

Ces sanctions sous forme d’embargo sur les médicaments et les denrées de première nécessité ont un impact négatif sur la population nigérienne, notamment sur les efforts de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme.

 

Les sanctions

 

Les sanctions économiques imposées au Niger en réponse au coup d’État militaire ont des conséquences significatives sur la situation économique et sociale du pays. Voici quelques éléments clés :

  • Blocus économique : La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a imposé un blocus économique au Niger, caractérisé par la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les pays de la CEDEAO et le Niger. Cette mesure a des conséquences importantes sur l’économie nigérienne, qui est fortement dépendante de l’aide étrangère. À titre d’exemple, selon le système d’information sur les marchés agricoles nigérien, une hausse des prix du mil (+10%), du maïs (+14%), du riz local (+15%) a été enregistrée dès le mois d’août, et qui perdure en septembre et qui s’accentue en octobre (dont le prix du sac de riz de 25 kg passe de 12 500 FCFA à 17 500 FCFA soit une hausse de prix de 40%). « Les commerçants ont été mis devant le fait accompli des sanctions inopinées et immédiates. Ils n’ont pas pu renouveler leurs stocks », analyse l’économiste Adamou Louche rapporté par le Journal Libération. Cela risque de se compliquer également pour le versement des salaires des fonctionnaires », ajoute-t-il. En juillet et août, ils ont été payés « par le biais de l’effort de mobilisation des ressources internes », a déclaré le Premier ministre Lamine Zeine, le 4 septembre 2023. Mais les liquidités manquent cruellement en raison des sanctions de l’Uemoa (suspension des transactions commerciales et financières, gel des avoirs financiers et monétaires de toutes les instances étatiques). Des dégraissages du personnel administratif contractuel sont à l’étude.
  • Gel des avoirs : Les avoirs de la République du Niger ont été gelés dans les banques centrales de la CEDEAO. Cette mesure a des conséquences sur la capacité du gouvernement nigérien à financer ses programmes sociaux et de développement dont les revenus des populations rurales en dépendent énormément.
  • Suspension de l’aide au développement : Plusieurs pays et institutions internationales ont suspendu leur aide au développement au Niger en réponse au coup d’État militaire. La France, par exemple, a suspendu toutes ses actions d’aide au développement (30% étaient consacrés au secteur de la santé) et d’appui budgétaire au Niger.

 

Tableau 1 : Panorama des sanctions

 

Source : Agence Anadolu

 

Les effets des sanctions

 

Les sanctions ont un impact dramatique sur la population nigérienne, notamment sur les efforts de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme.

 

  • Détérioration de la santé : Les restrictions sur les transactions commerciales et financières ont des conséquences importantes sur la santé des populations, notamment les plus vulnérables (les femmes, les enfants et les personnes âgées). L’on signale déjà la rupture de plusieurs molécules d’antidouleurs, d’insuline injectable, de chlorure de sodium et de potassium utilisés dans les hôpitaux. Les populations atteintes de maladies chroniques, telles que le VIH, la tuberculose et le paludisme, sont particulièrement touchées par la pénurie ou l’augmentation du coût des médicaments et des fournitures médicales. Aussi, certains ménages ont tendance à vouloir assurer la disponibilité de produits de premières nécessités (les vivres) que de faire face à une ordonnance médicale.
  • Suspension ou arrêt des programmes de lutte contre les maladies : Depuis mardi 1er août 2023, un particulier, quel que soit son compte, ne peut toucher [retirer] que 500 000 FCFA [764 euros] et une entreprise 5 millions de francs CFA [7 640 euros]. Selon certains responsables des OSC sur place, une telle restriction empêche les organisations humanitaires de mener à bien leurs activités. Elles sont dans l’incapacité de payer des agents communautaires ou de réaliser des activités à l’échelle du pays (Gèle de nouveaux projets, ralentissement voire arrêt des Interventions à haut impact à l’endroit des communautés bénéficiaires, etc.). Ce contexte nourrit également une atmosphère de découragement des agents sur le terrain.
  • Détérioration de la sécurité alimentaire : Les sanctions économiques ont entraîné une détérioration de la sécurité alimentaire au Niger. L’inflation ne cesse de grimper, ce qui induit une augmentation du prix ou une pénurie de denrées alimentaires. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la santé et le bien-être des populations, en particulier les enfants et les personnes âgées. Les gens se trouvent forcés de prioriser la nourriture au détriment de l’achat des médicaments. Les coupures de l’électricité par le Nigéria ont également un impact sur la conservation de certains produits en lien avec la santé.
  • Renforcement de l’instabilité politique et des vulnérabilités sanitaires. L’instabilité politique est un facteur qui favorise la propagation des maladies infectieuses. La pauvreté et l’inégalité, qui sont souvent exacerbées par l’instabilité sociopolitique, peuvent rendre les populations plus vulnérables aux infections, ce qui peut augmenter le besoin de services de santé. Par exemple, les conflits armés dans le nord du Niger ont entraîné le déplacement de millions de personnes, ce qui a rendu plus difficile l’accès aux services de santé, y compris les services de prévention et de traitement du VIH, de la tuberculose et du paludisme.
  •  Dépendance à l’aide étrangère : Le Niger est fortement dépendant de l’aide étrangère pour financer ses programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Les sanctions économiques ont des conséquences sur la capacité du gouvernement nigérien à (co)financer ces programmes. Les sanctions dissuadent les investisseurs étrangers d’investir au Niger. Cet investissement est nécessaire pour soutenir le développement économique du pays, qui est également un facteur important pour lutter contre les maladies infectieuses.

 

Somme toute, dans les contextes d’intervention difficiles comme le Niger, les maladies infectieuses ont tendance à se propager rapidement, les chaînes logistiques et d’approvisionnement peuvent s’effondrer à tout moment, entraînant ainsi une interruption de l’approvisionnement en fournitures médicales. Si la situation ne s’améliore pas dans les prochains mois, les maladies risqueront de ne pas être convenablement traitées, les traitements seront interrompus, ce qui entraînera des maladies plus graves, des décès et l’émergence d’infections résistantes aux médicaments. Dans le pire des cas, le système de santé tout entier risque de se déliter complètement. Les progrès durement acquis dans la lutte contre la tuberculose, le paludisme et le VIH seront pour ainsi dire perdues. Nous ne sommes peut-être qu’à l’aube d’une crise humanitaire et sanitaire de grande ampleur.

 

Les maladies n’attendent pas

 

Concernant très précisément la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, ci-dessous un tableau qui présente à grands traits l’état des lieux. Comme vous pourrez le constater, les enjeux et défis sont énormes pour le Niger. Ce d’autant plus que le pays est classé depuis 2016 par le Fonds mondial dans la catégorie des contextes d’intervention difficiles (CID) en raison de l’instabilité de sa situation politique et sécuritaire. Le pays est également soumis à la politique de sauvegarde additionnelle depuis 10 ans.

 

Tableau 2 : Charge de morbidité au Niger, fin 2021

 

  Source : Rapport d’audit. Subventions du Fonds mondial à la République du Niger (p.12)

 

Si on peut se réjouir du fait que le Fonds mondial ait maintenu ses subventions et le processus de financement du Niger dans le cadre du Cycle de subvention 7, il y a cependant lieu de s’inquiéter des effets collatéraux du putsch militaire et des sanctions qui en ont découlé sur la lutte contre les maladies en général et le VIH, la tuberculose et le paludisme en particulier.  Les déterminants de la santé sont de plusieurs ordres. Autrement dit, la santé en tant qu’approche globale ou holistique repose sur un faisceau convergent de plusieurs facteurs inextricablement liés de telle sorte que la défaillance d’un facteur a nécessairement des répercussions sur l’équilibre global. Si les organisations ne peuvent pas se déployer sur le terrain en raison des restrictions bancaires, si le pays ne peut être approvisionné en médicaments ou fournitures médicales de manière optimale en raison des sanctions, si la détérioration de la sécurité alimentaire devait se poursuivre pour des raisons susmentionnées, il est évident que les subventions du Fonds mondial n’auront pas l’effet escompté. Insistons pour dire que tout retard dans la délivrance des services de lutte contre les maladies a nécessaire des conséquences dramatiques. À titre d’exemple, les modèles épidémiologiques pour les enfants de moins de 15 ans prévoient qu’une interruption de l’approvisionnement pendant 6 mois entraînerait 107 300 infections pédiatriques supplémentaires par le VIH et 20 600 décès infantiles supplémentaires dus au sida en l’espace d’un an.

 

Bref, les sanctions actuelles sont avant tout une double peine pour les populations, notamment les plus vulnérables. Si les différents protagonistes (autorités nigériennes, CEDEAO, Union européenne, France, États-Unis, Banque mondiale, bailleurs de fonds, Partenaires techniques et financiers, etc.) n’y prennent garde, la crise actuelle débouchera sur une crise sanitaire extrêmement meurtrière. Il se faut se garder de ne pas aggraver la maladie que l’on prétend soigner.

 

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