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Impuissante : le cri des jeunes femmes violées sous le toit familial
OFM Edition 151

Impuissante : le cri des jeunes femmes violées sous le toit familial

Author:

Linda J. Bauma

Article Type:
COMMENTAIRE

Article Number: 2

Cet article lève un pan de voile sur le viol dont sont victimes de milliers de filles au sein même de leur famille en République Démocratique du Congo. À travers la présentation de nombreuses histoires vécues, il dresse un réquisitoire sans concession contre les violences sexuelles « domestiques » aux conséquences sanitaire et psychique dévastatrices pour les victimes.

Constat alarmant

On estime à 200.000 le nombre de victimes de viol survivantes vivant actuellement en République démocratique du Congo (RDC). Face aux violences sexuelles, les jeunes filles se disent impuissantes. « Impuissante », c’est souvent le mot que j’ai entendu de la bouche des jeunes filles victimes de viol en milieu familial.

 

Quand on s’attarde sur les circonstances des viols, les mots ne semblent pas pouvoir décrire l’horreur que vivent les victimes. Depuis plus d’une dizaine d’années, les statistiques s’accumulent au sujet des violences sexuelles en contexte de guerre en RDC. Cependant, la plupart de nombreux témoignages des victimes ne sont qu’une statistique de plus, une statistique parmi tant d’autres répertoriés dans les rapports qui, aussitôt publiés, seront rangés dans une étagère ou archivés.

 

En analysant le contexte conflictuel à l’Est de la RDC, il est, hélas, loisible de constater que les violences sexuelles sont utilisées comme arme de guerre. Reconnu d’ailleurs au sens du droit international comme crime de guerre et crime contre l’humanité, ce crime est de plus en plus utilisé par les milices armées et terroristes, non seulement en RDC, mais dans d’autres pays d’Afrique, notamment au Nigéria. Rappelons-nous le tollé mondial qu’avait suscité l’enlèvement des filles de Chibok. On notera que malgré les indignations, ce crime est resté impuni. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’une telle impunité nourrit la culture du viol et des violences sexuelles.

Au-delà des contextes de guerre, les violences sexuelles déploient également en milieu familial.

 

Le viol domestique et la loi du silence

Je souhaiterais ici m’attarder sur cette autre violence sexuelle : le viol domestique en RDC. Contrairement aux contextes de guerre ou de conflits, en milieu familial, les femmes ne sont pas, a priori du moins, dans les zones à risques. Il s’agit des jeunes filles et femmes en milieu urbain, dont on aurait spontanément tendance à penser que le cocon familial les met à l’abri des violences sexuelles. Dans les faits, il n’en est rien. De jeunes filles subissent des abus sexuels sous le toit parental et y sont condamnées au silence suivant la loi des tabous, de l’omerta et du “qu’en-dira-t-on”.

 

À la question de savoir « pourquoi n’as-tu pas dénoncé ? » ; la réponse est souvent : Je me sentais impuissante parce que c’était mon oncle, parce que c’était mon père, mon cousin, mon beau-frère ». Pour celles qui ont osé dénoncer les abus dont elles ont été victimes, le feedback est souvent : « Personne ne m’a cru ».

 

Les violences sexuelles sous le toit familial sont monnaie courante. Et les victimes qui se retrouvent face à un individu estimé et respecté dans la famille ont très peu de chance d’être crues. Plusieurs victimes ne dénonceront les agressions sexuelles dont elles ont été que plusieurs semaines, plusieurs mois ou plusieurs années plus tard, et ce, parce qu’elles craignent les représailles des membres de la famille. Il est tout aussi difficile de recueillir des témoignages des victimes des violences sexuelles sous le toit familial que celles perpétrées dans les zones de conflits armés. Le risque de porter la responsabilité d’avoir exposé la famille au déshonneur pèserait lourd face au préjudice subi. Mais en entretenant une sorte de chape de plomb sur les violences sexuelles en milieu familial pour soi-disant préserver l’honneur et la paix familiale, a-t-on pensé un instant à la souffrance que peuvent endurer les victimes ?

 

Les conséquences psychosomatiques du viol domestique

Les violences sexuelles affectent profondément la santé et sécurité humaine de nombreuses femmes en RDC. Parlant précisément de la sécurité humaine, c’est la capacité d’exercer ses droits et de vivre dans un environnement sain et protecteur. Outre les conséquences physiques et sociales, évoluer dans un environnement où l’on côtoie son bourreau quotidiennement affecte également la psyché des survivantes. Les études démontrent que les victimes des violences sexuelles sont significativement plus à risque de présenter des symptômes de stress post-traumatique, d’anxiété, de dépression, de comportements agressifs ou encore de dissociation et de dépersonnalisation.

 

En plus de l’impact psychologique, les victimes de viol domestique sont également exposées aux maladies sexuellement transmissibles, en l’occurrence le VIH/SIDA. Les statistiques démontrent une surreprésentation des femmes parmi les personnes contaminées en RDC : sur les 390 000 adultes vivant avec le VIH en 2018, 280 000 (71,79 %) étaient des femmes. Les nouvelles infections parmi les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans sont quatre fois supérieures à celles des jeunes hommes : 4 100 nouvelles contaminations chez les jeunes femmes pour 1 000 chez les jeunes hommes. De plus, le taux de traitement est inférieur chez les femmes par rapport aux hommes.

 

Lorsque la violence est à l’origine de leur infection par le VIH, la stigmatisation dissuade de nombreuses femmes de consulter un professionnel de la santé, même pour des soins de base. Les femmes qui vivent avec le VIH/sida peuvent être marginalisées, abandonnées par leur famille ou leur partenaire, chassées de la maison, battues, et même tuées.

 

Malheureusement, tout comme la sexualité, la santé mentale est un sujet tabou au sein des communautés. Ces tabous empêchent les victimes de bénéficier d’une prise en charge adéquate. Pire encore, ces tabous entretiennent la culture du viol et le cycle perpétuel des violences sexuelles.

 

Témoigner pour dénoncer

Netsuba est une jeune fille d’à peine 15 ans. Lorsqu’elle vivait chez sa sœur, elle a été régulièrement violée par son beau-frère. Ce dernier lui a fait comprendre qu’il la « préparait » à la vie de demain. Cela fait partie, lui dira-t-il, de son éducation sexuelle. Elle était cependant loin d’être dupe. Elle savait qu’elle était l’objet d’un abus. C’est ainsi qu’un jour, elle a eu le courage de dénoncer son beau-frère auprès de sa famille. À la suite de cette dénonciation, elle découvrira que ses deux autres sœurs ont également été victimes des agissements de la même personne. Ce dernier utilisait la manipulation pour arriver à ses fins. Considérant que les faits étaient tabous, les parents privilégièrent une solution à l’amiable et décidèrent de ne jamais dénoncer les faits, ni en famille ni auprès des autorités judiciaires compétentes. Netsuba, n’a pour ainsi dire jamais obtenu justice. Elle ne bénéficiera pas non plus d’une prise en charge psychologique.

 

Tshimankinda s’est brisé une jambe en sautant de la fenêtre pour essayer d’échapper à son cousin qui à trois reprises avait essayé de la violer. Ce jour-là, il n’y avait malheureusement personne à la maison. Elle a été réveillée de sa sieste en sentant des mains l’agripper fortement autour de ses hanches. Sa seule issue était alors de sortir par la fenêtre ouverte. En famille, on n’a jamais su les véritables raisons pour lesquelles elle s’est brisé la jambe.

 

Tout comme Netstuba, Masika a été régulièrement violée par son oncle. Lorsqu’elle a osé en parler à sa mère, elle s’est vu rétorquer qu’elle “devait se garder d’inventer de tel mensonge à l’avenir”. Enfant sans protection, elle va régulièrement et silencieusement subir des viols sous le toit parental.

 

Masika, Netsuba et Tshimankinda ne sont qu’un échantillon parmi les nombreuses jeunes filles violées sous le toit parental et muselées par leurs familles. Même lorsqu’elles sont au courant des violences sexuelles que subissent leurs enfants, de très nombreuses familles préfèrent se voiler pour préserver un certain « honneur ». Autrement dit, la santé de nombreuses jeunes filles en RDC est pour ainsi dire sacrifiée sur l’autel de l’honneur familial.

Il est plus que temps que les choses changent.

 

 

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