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ENJEUX ET DÉFIS DES UNITÉS DE GESTION DE PROGRAMMES DANS LES PAYS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST ET CENTRALE
OFM Edition 97

ENJEUX ET DÉFIS DES UNITÉS DE GESTION DE PROGRAMMES DANS LES PAYS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST ET CENTRALE

Author:

Christelle Boulanger

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 7

RÉSUMÉ Les unités de gestion de programmes se sont multipliées ces dernières années, en particulier dans la région d’Afrique de l’ouest et du centre. Comment fonctionnent ces unités qui semblent les parfaites candidates à la gestion des subventions des bailleurs internationaux ? Qu’a-t-on appris en matière de gouvernance, d’efficacité de la gestion des financements, et de pérennité de ces unités qui peinent parfois à s’intégrer dans le paysage institutionnel ?

Introduction

Les 10 dernières années ont vu fleurir les unités de gestion de programmes (UGP) au sein des ministères de la santé, afin d’y accueillir les financements des bailleurs internationaux. Ces unités ont la charge de la gestion des projets financés par des investissements en provenance de grands fonds verticaux tels que le Fonds mondial, GAVI, ou par des entités telles que la Fondation Bill et Melinda Gates, la Banque Mondiale ou les coopérations bilatérales (AFD). Elles reçoivent les fonds, choisissent les partenaires de mise en œuvre, mettent en place un cadre de suivi et de rapportage conforme aux exigences des bailleurs, et offrent aux ministères des pays récipiendaires la visibilité nécessaire sur les financements extérieurs.

Cet article revient sur les raisons de ce « succès » des UGP après de bailleurs comme le Fonds mondial, analyse les avantages mais également les défis auxquels sont confrontés les ministères qui les ont mises en œuvre, ainsi que les conditions pré-requises nécessaire à toute décision de création d’une UGP.

 

La multiplication des UGP en Afrique de l’ouest et du centre

Alors que l’Afrique subsaharienne compte 11 % de la population du globe, elle supporte 24 % de la charge de morbidité mondiale et représente moins de 1 % des dépenses mondiales de santé. La part des investissements effectués par les bailleurs internationaux varie d’un pays à l’autre, allant de 5% au Ghana à presque 30% au Bénin, en Guinée ou au Mali (voir tableau ci-dessous) et reste cruciale dans les pays de la sous-région.

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Source : Financement et Gouvernance de la Santé (Health Finance and Governance, HFG) / USAID

Si l’on observe plus finement l’évolution des contributions des bailleurs présents dans la région d’Afrique de l’ouest et du centre, les sommes investies pour soutenir les systèmes de santé n’ont jamais été aussi importantes depuis 2013.

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Pour gérer ces financements croissants, les bailleurs exigent des récipiendaires solides, aux méthodes de gestion éprouvées, et aux capacités de rapportage programmatique et financière solides. En quelques années, des unités de gestion de projets se sont multipliées au sein des ministères, afin de répondre à ces exigences. Cet article présente les enjeux associés à ces institutions créées récemment pour coordonner les projets financés par les partenaires extérieurs.

Les unités de gestion

D’un point de vue de bailleur, les unités de gestion sont un modèle intéressant : elles permettent de concentrer dans un lieu unique, et de manière coordonnée, toutes les fonctions nécessaires à la mise en œuvre de projets : programmatique, financière, juridique et parfois logistique. Les unités de gestion sont généralement généreusement pourvues en personnel bien formé, rémunéré très correctement, expérimenté et rôdé aux procédures des bailleurs internationaux. Lorsque le pays crée une UGP par bailleur, celle-ci garantit même un traçage très simple des dépenses, sans crainte que la fongibilité des financements n’handicape la redevabilité sur l’utilisation des fonds. Chaque projet dispose de son compte en banque, de ses rapports programmatiques et financiers, etc…

Pour les ministères (qu’il s’agisse de la santé, des finances, du plan), ce format d’UGP facilite une vision globale sur les financements des partenaires, et accroît le coût-efficacité : pas de doublon dans le personnel et dans les activités, une vision consolidée de tous les financements, des passerelles plus faciles avec les programmes de mise en œuvre, moins de retard dans le démarrage des projets, une meilleure connaissance des procédures des partenaires techniques et financiers, une fidélisation du personnel, et des règles de gestion communes qui facilitent la mise en œuvre et le rapportage. Les subventions des bailleurs couvrent en général le fonctionnement de ces UGP, ce qui donne par ailleurs la possibilité aux ministères de s’entourer de collaborateurs bien formés, qui attirent les autres bailleurs.

Le cercle vertueux des UGP

Dans les pays dits « fragiles » (ou contextes d’intervention difficiles tels que définis par le Fonds mondial), la gestion transparente et efficace des financements est un enjeu stratégique. Un article récent sorti dans Le Monde à l’occasion du sommet du G5 Sahel à Pau rappelait qu’une partie non négligeable des financements accordés dans le cadre de l’aide aux pays du Sahel sont intraçables et ne se traduisent pas par des programmes de développement. En cause, le manque des moyens des ministères chargés de suivre les flux financiers, la difficulté pour les équipes peu étoffées et mal formées de suivre les projets mis en œuvre. A l’inverse, les procédures des bailleurs n’ont jamais été aussi complexes et lourdes, comme l’explique François Grunewald, du Groupe URD: manuel de procédures de plus en plus longs, exigences en matière de redevabilité et de remplissage d‘indicateurs toujours plus sévères, délais de décaissement entre 6 et 8 mois, reprogrammations qui prennent presque 1 an, qui explique qu’à la fin d’un projet en moyenne, seule la moitié des sommes sont décaissées. Ce qui semblait, aux yeux du Fonds mondial, une situation rare et exceptionnelle de goulots d’étranglement liés à des procédures inflexibles, n’est qu’un exemple parmi d’autres de la lourdeur des procédures aujourd’hui en place dans ces pays par des partenaires aussi divers que la Banque Mondiale, l’Union européenne ou l’AFD.

Dans ce contexte, une unité de gestion unique, correctement dotée en personnel, bien outillée et en capacité d’appliquer les procédures, de planifier et de suivre la mise en œuvre des activités, et de rapporter efficacement est vue comme idéale. A tel point que dans un certain nombre de pays, elles accueillent aujourd’hui plusieurs, et parfois tous les financements des bailleurs étrangers, en appliquant des procédures uniques et consolidées. Elles se sont d’ailleurs multipliées ces dernières années et ont permis à de nombreux pays, qui souhaitaient assurer directement la gestion de leurs subventions, de convaincre le Fonds mondial d’investir dans leur structure : au Tchad, au Mali, en Mauritanie, des unités ont vu le jour. D’autres pays les avaient déjà précédés, comme le Togo, et certains pays pour des subventions transversales comme celles consacrées au renforcement du système de santé comme le Bénin, le Sénégal ou encore la Guinée.

Il n’existe à ce jour aucune typologie des unités de gestion, chacune d’elle est analysée de manière individuelle par le Fonds mondial. Les équipes qui travaillent au département de la gestion des risques effectuent habituellement une évaluation des capacités à l’aide d’un outil, le Capacity Assessment Tool (CAT), qui étudie les capacités de la structure en matière de gestion programmatique, financière, d’achats, de procédures, d’organisation et de capacités de ressources humaines. Ses conclusions orientent les décisions en matière de renforcement des capacités et de suivi rapproché de la structure, en particulier le cahier des charges de l’agence de gestion fiduciaire, présente dans la plupart des pays fragiles, pour assurer un engagement des dépenses conforme aux procédures, ce qui limite en bout de chaîne les dépenses inéligibles.

Les leçons apprises et les défis associés aux UGP

Il faut cependant reconnaître que les unités de gestion ne sont pas la réponse magique à tous les problèmes de gestion et de gouvernance des subventions des bailleurs internationaux, elles sont même parfois à l’origine de nombreuses difficultés et de tensions au sein des ministères. En effet, la création de ces organes de coordination, appelés « ministère dans le ministère » par ses détracteurs, pose de vraies questions en matière de gouvernance, de coordination intra et interministérielle, et de pérennité pour les pays qui les mettent en place. De ce fait, et même s’il n’existe pas de « manuel » standardisé de mise en œuvre d’une unité de gestion, il est important de réfléchir à certains éléments clés, qui constituent des conditions nécessaires (mais pas suffisantes) pour qu’une unité soit fonctionnelle.

  • La gouvernance : l’UGP doit être ancrée au niveau le plus élevé possible, afin de jouer correctement son rôle de supervision des activités mises en œuvre dans le cadre d’un projet. Cet ancrage auprès du ministre, et parfois auprès de la primature, garantit que les difficultés seront remontées et arbitrées au niveau adéquat, mais elles coupent de fait les membres de l’UGP du reste des départements et des directions en charge d’établir les stratégies et politiques et de les mettre en œuvre. La prise de décision en matière de mise en œuvre programmatique ne leur revient pas, alors que les résultats programmatiques lui sont en partie imputés. Si on doit établir un parallèle, elle joue un peu le rôle du secrétariat du Fonds Mondial, car ils financent mais ne mettent pas en œuvre.
  • Le fonctionnement : les UGP sont généralement privilégiées si l’on considère les conditions souvent précaires dans lesquelles travaillent les fonctionnaires et les directions des ministères de la santé. Le statut des personnels est le plus souvent contractuel, les salaires plus élevés que ceux de la grille du ministère, les équipements plus récents et en nombre suffisant (ordinateurs, imprimantes, accès à internet, véhicules…). Dans un parallélisme cruel, les conditions de travail des différentes directions et programmes en charge de la mise en œuvre des projets ne sont pas renforcées, les écarts de salaire importants créent des tensions et des jalousies. Pour acheter la « paix sociale », les UGP doivent renforcer les directions et les programmes nationaux.
  • La performance : certaines UGP sont soumises à un cadre de performance de leur personnel, ce qui leur impose des résultats et un mode de fonctionnement qui diffère des habitudes prises dans la plupart des ministères. En effet, ces derniers n’ont généralement pas recours à la rémunération basée sur les résultats, et quand cette dernière existe, elle s’applique plutôt au niveau décentralisé pour les agents de santé communautaire ou le personnel des districts sanitaires. Cela crée un biais avec le reste du personnel du ministère. Par ailleurs, l’UGP est jugée sur la performance de la subvention, traduite par une note qui va de A à C, alors qu’elle n’est directement chargée de la mise en œuvre des activités sur le terrain, mais plutôt de leur coordination. Comment alors être juste et rendre compte de la qualité de leur travail ?
  • Le suivi stratégique effectué par le CCM : prise entre le ministère, le Fonds mondial et les agents locaux du Fonds, l’UGP doit cependant rapporter au CCM, dont le rôle en matière de suivi stratégique est essentiel. Un CCM faible ou peu actif dans son rôle de « challenger » de l’UGP ne permettra pas de jouer efficacement de contre-pouvoir, pour questionner le bénéficiaire principal (BP) sur ses performances et son rôle de coordination des actions mises en œuvre dans le cadre de la subvention. A un moment où la stratégie d’évolution des CCM se généralise, en particulier dans les pays « fragiles », cette dimension doit être prise en compte : les attentes envers le CCM du Tchad, du Niger, du Mali ou de la Guinée, pays dans lesquels des UGP ont été créées sont grandes en matière de suivi stratégique, fonction essentielle et parfois faible. Les consultants engagés dans ces contextes devront tenir compte de ce double enjeu : un nouveau BP traduit par une UGP qui cherche souvent encore ses marques, et un CCM dont les capacités en suivi stratégique sont parfois encore fragiles. On ne pourra renforcer l’un sans appuyer l’autre.
  • Les rapportages et audits : de nombreux bailleurs exigent un rapportage financier et programmatiques axé sur leurs procédures et leurs outils propres, et demandent un audit de leurs financements. Alors qu’ils s’engagent à utiliser une seule unité de gestion, ils continuent à demander des comptes spécifiques. La quantité de rapports à fournir et d’audits à diligenter constitue une charge de travail considérable qui entrave un véritable suivi de la mise en œuvre.

 

Les pistes d’amélioration

Une unité de projets qui présenterait un seul rapport d’activités consolidé et un seul audit serait une innovation importante, et irait dans le sens d’une véritable gestion commune de tous les financements extérieurs.

Par ailleurs, l’idéal voudrait que les unités de gestion puissent renforcer les Ministères de la santé dans le suivi de la mise en œuvre car il est désolant de voir disparaître, lorsqu’un projet s’achève, tous les acquis et le personnel formé, et de devoir tout recommencer à la signature d’un nouveau projet. Les unités de gestion devraient comporter une composante de renforcement des capacités de mise en œuvre des institutions où elles sont logées. Et les Gouvernements de prendre leurs responsabilités et de financer sur fonds propres les unités de gestion dans les structures étatiques, pour ne plus être considérés comme des prolongements des bailleurs au sein des ministères. Cela dépend bien entendu du niveau d’engagement des ministères dans la gestation de l’UGP et sa création : lorsque celle-ci est désirée par les autorités, dans le but d’harmoniser les procédures de gestion et de mieux coordonner tous les projets financés sur fonds extérieurs, elle a plus de chance de perdurer et de s’adapter à son environnement institutionnel.

Conclusions

Les défis énonces ci-dessous ne sont pas exhaustifs, et surtout, les réponses qui leur sont apportées n’ont jamais fait l’objet d’une étude approfondie qui faciliterait l’analyse des pratiques et donnerait aux UGP nouvellement créées des informations précieuses sur les difficultés et les stratégies de contournement déjà éprouvées. Ce travail de capitalisation commence à émerger au sein des organisation de la société civile locales, de plus en plus désireuses de prendre la responsabilité de la gestion des financements de fonds mondial, en particulier pour les activités communautaires ou celles destinées aux populations clés. Un partage d’expériences a lieu entre elles, des études sont en cours pour capitaliser sur la manière dont elles agissent dans les contextes fragiles. Un travail similaire serait bénéfique concernant les UGP et les expériences de gestion des ministères dans des contextes fragiles. Elles permettront d’anticiper les difficultés rencontrées régulièrement, et d’orienter l’assistance technique mise à disposition pour accompagner le déploiement de ces unités de gestion de projets.

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