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DIPLOMATIE SANITAIRE ET PLANS DE CONTINGENCE : CE QUE LA COVID-19 NOUS ENSEIGNE POUR LES PROCHAINES SITUATIONS D’URGENCE
OFM Edition 104

DIPLOMATIE SANITAIRE ET PLANS DE CONTINGENCE : CE QUE LA COVID-19 NOUS ENSEIGNE POUR LES PROCHAINES SITUATIONS D’URGENCE

Author:

Christelle Boulanger

Article Type:
Entretien

Article Number: 7

L’approvisionnement en intrants liés à la COVID et aux autres pathologies a beaucoup souffert de la situation d’urgence

RÉSUMÉ L’approvisionnement en produits de santé et intrants dans la situation d’urgence entrainée par la COVID-19 a soulevé de nombreux défis. Surenchère dans les prix des équipements de protection, fermeture des frontières, embargo sur les médicaments, cette crise est riche d’enseignements pour permettre aux systèmes pharmaceutiques des pays africains de se préparer à de possibles prochaines crises sanitaires. Le directeur exécutif du CHMP et le directeur du pôle Expertise et Formation Internationale exposent ces défis et éclairent les priorités pour l’avenir.

Entretien avec le Dr Karl Hounmenou et le Dr Alassane Ba, CHMP Centre humanitaire des métiers de la pharmacie)

1. Quels ont été les principaux enjeux liés à l’achat des médicaments pour les pays en développement ces derniers mois ?

Les derniers mois ont mis les pays africains en particulier à rude épreuve, pour deux raisons principales, liées à l’offre et à la demande en produits de santé :

  • L’absence de financement pour acheter les intrants : les pays africains n’avaient pas d’argent pour acquérir les intrants dans l’urgence. On ne parle pas des produits de santé habituels de la liste des médicaments essentiels, mais des médicaments et des équipements nécessaires à la lutte contre la COVID-19, qui n’étaient pas en stock et qu’il fallait acquérir rapidement pas des fonds d’urgence. Face à cette situation, l’élan est venu de Paris, qui a plaidé en faveur d’un moratoire sur le remboursement des dettes accordé aux pays. Ces moratoires ont permis aux pays africains de déployer leurs plans de riposte et beaucoup d’achats ont été possibles sur fonds propres.
  • Les pays pourvoyeurs de produits utilisés pour la Covid et d’autres pathologies ont appliqué des mesures de protectionnisme et une préférence partenariale inter Etat. La Chine s’est repliée sur elle-même pour sécuriser ses intrants en faveur de sa population, et a utilisé la voie diplomatique pour acheminer les médicaments et les équipements vers les autres pays selon l’état de ses relations avec les pays africains. Ces derniers ont commandé des intrants et ont également bénéficié de dons comme ceux du milliardaire Jack Ma, qui a donné des stocks de maques à l’Union Africaine et aux pays du continent. Les pays africains ont également été victimes de la surenchère : certains ont passé des commandes, ont réservé des stocks que d’autres pays, qui payaient plus cher, leur subtilisaient. Dans cette surenchère, les pays africains ont été dépassés, ils ont réalisé que leur manque de pratique de la diplomatie sanitaire les avait défavorisés dans les négociations.

 

2.Comment les pays africains se sont-ils procuré les tests et les masques ou autres EPI ?

Les pays africains se sont procuré les intrants nécessaires à la lutte contre la COVID par trois biais :

  • Les dons reçus de la Chine, comme ceux de la Fondation Jack Ma
  • L’achat à des fournisseurs internationaux grâce notamment aux dons des bailleurs et à l’argent libéré par le moratoire sur les dettes. Les achats aux fournisseurs chinois ont parfois été simplifiés par la voie diplomatique, comme ce fut le cas pour le Congo.
  • Les achats locaux, avec leurs limites dues à la difficulté de contrôler la qualité et la provenance, comme au Mali ou en RDC.

Bien entendu, la concurrence a été féroce, car tous les pays achetaient leurs produits aux mêmes fournisseurs chinois et indiens. C’est donc celui qui mettait le plus d’argent qui remportait la mise. Les fournisseurs qui approvisionnaient habituellement l’Europe et les Etats-Unis et vendent des produits préqualifiés, ont continué de vendre leurs marchandises à leurs clients habituels. D’autres fournisseurs, moins regardants, ont fourni les pays africains. Le continent n’a pas le même système de contrôle que l’Europe ou les Etats-Unis, et l’urgence les a contraints à utiliser les produits avant d’en vérifier leur qualité.

 

3. Quels ont été les méthodes d’approvisionnement des principaux bailleurs pour assurer que les produits des différents programmes ne soient pas en rupture ?

Même si leur nom contient le mot « achats », en réalité les centrales nationales d’achats n’achètent pas les produits financés par le Fonds mondial (voir l’article consacré aux CNA dans ce numéro). Ce ne sont plus centrales d’achats mais plutôt des entreprises de stockage et de distribution car les partenaires financiers ont créé leurs propres dispositifs d’achats. Le but est noble, obtenir des produits compétitifs avec des mécanismes d’achats groupés. Mais pourquoi ne pas juste préqualifier des fournisseurs et demander aux pays de s’y fournir avec leurs subventions ? Ils pourraient vérifier et valider les achats, les CNA resteraient acheteurs, et les bailleurs joueraient leur rôle de bailleurs. Mais ces derniers ont créé des macro centrales d’achats qui achètent les produits de santé pour tous les pays récipiendaires. Les coûts sont définis durant la préqualification et l’avantage de la quantité est réel. Cependant, petit à petit, ces pratiques ont affaibli les capacités de négociation et d’achats des centrales. Elles sont habituées à commander des produits bien définis, dans des contextes de routine. Dans la situation d’urgence créée par la COVID-19, il fallait continuer d’approvisionner dans un contexte de frontières fermées et de ports qui fonctionnaient au ralenti. Assurer la disponibilité des produits essentiels fournis par la Chine et l’Inde dans ce contexte s’est révélé à un défi immense : ces pays avaient fermé leurs frontières et avaient également publié une liste de produits qui ne pouvaient plus quitter le territoire car indispensables à la lutte contre la COVID-19: le curare (utilisé pour l’anesthésie des patients) et l’hydroxychloroquine ont été interdites d’exportation, ce qui a privé les patients qui souffrent par exemple de problèmes articulatoires de leur traitement ou ceux qui devient être opérés.

 

4. Qu’a-t-on réalisé sur la dépendance à la Chine et à l’Inde en matière de médicaments essentiels ?

Les pays d’Europe et les USA se sont rendu compte de l’impact et de l’ampleur de la délocalisation de leur production pharmaceutique. Le Président Macron a d’ailleurs annoncé dans l’un de ses discours qu’il souhaitait relocaliser les industries de production pharmaceutique en France et en Europe. En Afrique, il y a un intérêt pour la production pharmaceutique locale et certains pays sont pionniers en la matière : l’Afrique du sud, les pays du Maghreb, en particulier le Maroc. 2 pôles sont capables de produire des médicaments sur le continent, et l’Union Africaine a placé dans son Agenda 2063 le développement de la production industrielle médicamenteuse en Afrique. C’est dans ce contexte que des projets de mise en place d’industries pharmaceutique ont vu le jour, en collaboration avec des investisseurs en Afrique : au Burkina Faso, au Bénin, et au Nigéria.

Faire fonctionner une industrie pharmaceutique est un immense défi qui requiert des conditions bien précises. Il faut des ressources humaines bien formées pour pouvoir travailler dans ces industries (les facultés de pharmacie ne forment pas de pharmaciens industriels, ceux qui se forment se destinent à travailler dans des officines). Il faut évaluer la taille du marché. Si le Bénin produit des médicaments, ces derniers seront-ils enregistrés au Togo ou au Nigéria pour y être vendus ? Cela dépend du degré d’harmonisation du processus règlementaire et de la reconnaissance mutuelle des autorités de réglementation pour garantir un marché conséquent.

 

5. Quelles leçons pour l’avenir du médicament en Afrique ?

L’Union Africaine qui s’est impliquée dans la riposte contre la COVID-19, ce qui n’était pas le cas dans d’autres crises, avec un élan sous-régional sans précédent que l’on doit valoriser. Et nous avons tiré plusieurs leçons :

  • La diplomatie sanitaire n’est pas une notion encore très développée dans les pays africains. Si cette dernière avait mieux fonctionné, les produits de santé auraient été accessibles plus facilement.
  • Il n’existe pas encore de mécanisme d’urgence pour le fonctionnement de la chaine d’approvisionnement. Comment anticiper une prochaine crise ? L’irruption soudaine de la COVID-19 nous oblige à nous préparer à de futures urgences sanitaires, et celle-ci doit être préparée et rentrer dans le quotidien.
  • Il nous faut réfléchir à des solutions pour anticiper les urgences : on ne peut pas acheter des stocks gigantesques de chloroquine ou d’autres produits qui périmeront dans les entrepôts. Il faut trouver le juste milieu entre anticiper les crises en disposant des produits et ne pas se retrouver en situation de surstock. Il faut réfléchir aux risques auxquels on peut être confronté (risques politiques, crise sanitaire) et les conséquences pour le secteur du médicament qui est stratégique. Mettre à jour la liste des produits nécessaires et identifier les stratégies pour les acquérir en situation d’embargo est une  priorité.

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