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UN GROUPE DE CONSULTANTS ENGAGÉS DANS L’APPUI AUX DEMANDES DE FINANCEMENT ANALYSENT LEUR EXPÉRIENCE
OFM Edition 104

UN GROUPE DE CONSULTANTS ENGAGÉS DANS L’APPUI AUX DEMANDES DE FINANCEMENT ANALYSENT LEUR EXPÉRIENCE

Author:

Christelle Boulanger

Article Type:
COMMENTAIRE

Article Number: 6

80% des consultants interrogés pensent que le processus a souffert gravement du fait de la COVID-19, et 42% que les attentes du TRP étaient supérieures au cycle passé

RÉSUMÉ La majorité des pays africains a soumis ses demandes de financement pour le prochain cycle. Aidspan se fait le portevoix des acteurs engagés dans le processus de renouvellement des subventions : après un article consacré aux organisations de la société civile, nous nous intéressons ici au travail des consultants qui ont accompagné le processus aux côtés des CCM, et qui analysent les défis liés à ce processus en pleine crise sanitaire.

Introduction

Les années de renouvellement des subventions voient un déploiement important de consultants recrutés grâce au financement des partenaires techniques et financiers. Un regard rétrospectif sur l’évolution du processus nous indique une inflation importante du nombre d’experts aujourd’hui mobilisés pour contribuer à produire les documents demandés par le Fonds mondial, ce qui semble démontrer une complexification du processus.

Nous leur avons demandé ce qu’il en était, pour ceux qui accompagnent le Fonds mondial parfois depuis ses débuts, et qui ont vu évoluer ses exigences mais également les problématiques financières, sanitaires, politiques et sociales. Cet article tire sa source d’un questionnaire envoyé à 42 consultants sollicités dans le cadre de l’élaboration des demandes de financement pour le prochain cycle. Leurs réponses sont anonymes et visent à compléter le témoignage recueilli auprès des organisations de la société civile, ainsi que ceux des membres des Instances de Coordination Nationale (CCM), qui seront interrogés dans les prochains jours.

Quels consultants sont recherchés pour cet exercice ?

L’échantillon auquel Aidspan a eu accès montre d’emblée que les consultants recrutés pour accompagner les pays dans l’élaboration des demandes sont en grande majorité (81%) rôdés à l’exercice et des « routards » du Fonds mondial. Seuls 19% des consultants interrogés dans le cadre de ce questionnaire n’avaient jamais participé à l’élaboration d’une demandes de financement. Cela s’explique aisément par les critères de sélection, qui stipulent généralement que le consultant recherché doit bénéficier d’une expérience antérieure dans cet exercice. C’est par ailleurs compréhensible au regard de courte durée sur laquelle se déroule le processus d’élaboration de la demande, l’exigence très standardisée et les rôles définis de chaque expert au sein de l’équipe. Il y a en effet peu de temps pour former les nouveaux experts aux procédures et aux outils du Fonds mondial, et peu d’outils disponibles pour le faire (quelques webinaires ou bien un consultant bienveillant qui accepte de former les nouveaux venus). Il est cependant dommage que le système n’accueille pas plus de nouveaux experts, dont on pourrait attendre qu’ils renouvellent quelque peu la vision, complètent le dispositif avec des connaissances additionnelles (notamment ceux qui travaillent habituellement avec Gavi, l’OMS ou la Banque mondiale) et nourrissent les pays avec de nouvelles stratégies ou approches opérationnelles. Par ailleurs, les tandems entre experts internationaux et experts locaux sont peu standardisés et la méthodologie de collaboration/transfert de compétences inexistante, ce qui ne permet pas de faire émerger de nouveaux consultants ni de se passer à terme d’une expertise internationale pour laisser les pays travailler avec leurs ressources propres.

L’autre élément frappant est la répartition femmes-hommes dans les équipes : habituellement inégal et favorable aux hommes, le ratio est encore plus déséquilibré dans ce type de mission. 28% de femmes incluses dans les missions d’élaboration des notes conceptuelles, face à une écrasante majorité d’hommes. Ce chiffre est à mettre en relation avec le paragraphe antérieur, qui nous montre finalement qu’il y existe une forme de reproduction des consultants et un faible renouvellement. Il y avait peu de femmes lors des cycles précédents, il continue d’y en avoir très peu. Et même s’il existe aujourd’hui des mesures qui promeuvent le recrutement de femmes (les termes de référence des appels à candidature d’Expertise France ou de la GIZ stipulent en effet que les candidatures féminines sont les bienvenues), dans les faits il est plus difficile de trouver des femmes consultantes expérimentées dans la rédaction d’une demande de financement. Sans une politique volontariste, et un processus planifié d’identification et de formation antérieur au processus d’élaboration des notes conceptuelles, cette situation est amenée à perdurer. Et avec elle son lot d’iniquités, dans l’accès à la consultance, mais aussi et surtout d’insuffisance dans le traitement des questions de genre au sein des demandes de financements.

Le processus a été très largement bousculé par l’irruption de la COVID-19 et continue de manquer d’organisation

71% des consultants ont reconnu que la COVID-19 avait affecté le processus d’élaboration des demandes de financement, 66% estimant par ailleurs n’avoir pas bénéficié d’un temps suffisant pour effectuer un travail de bonne qualité, et qui respecte les principes du Fonds mondial (en particulier ceux de transparence et d’inclusivité dans les débats). Cela s’est révélé d’autant plus gênant que dans 78% des cas, les pays d’Afrique de l’ouest et du centre ont soumis leurs demandes aux fenêtre d’avril, mai et juin, au moment où la pandémie faisait rage dans leur pays. On note également que dans 60% des cas, les pays concernés constituaient des contextes d’intervention difficile, et que 57% d’entre eux étaient sous mesures de sauvegarde additionnelle. Cette conjonction de facteurs explique également les difficultés rencontrées : dans 45% des cas, les documents stratégiques (plans stratégiques VIH, TB et paludisme, Plans Nationaux de Développement Sanitaire) et programmatiques (études IBBS, audit de files actives, cartographies à jour des populations clés) n’étaient pas disponibles, rendant les discussions et les projections de cibles très incertaines. Dans 42% des cas, la coordination était déficiente, malgré une implication systématique du CCM. Dans 65% des cas, aucune analyse initiale sur les résultats actuels de la subvention en cours et les goulets d’étranglement n’était disponible. En l’absence de ces pré-requis, qui facilitent les discussions stratégiques et mènent rapidement à la hiérarchisation des priorités, le temps a manqué pour mener à bien le processus de manière structurée.

L’irruption de la COVID-19 a par ailleurs aggravé la situation : selon les consultants, certaines personnes clés dans le processus ont été réaffectées à la lutte contre la COVID et ont quitté le processus ; les consultants sont rentrés précipitamment, interrompant le travail pendant de longues journées et démobilisant les équipes, sans que le relai ne soit passé systématiquement et partout aux consultants nationaux; les discussions stratégiques ont perdu de leur profondeur du fait des moyens de communication qui limitaient les débats à distance.

 

Une analyse historique sur les évolutions de leurs pratiques

Les consultants notent plusieurs tendances fortes qui pourraient devenir des règles à l’avenir :

69% d’entre eux reconnaissent avoir noué des contacts avec les autres partenaires techniques et financiers présents dans le pays de la demande concernée, pour évoquer les domaines dans lesquels plusieurs bailleurs (USAID, Enabel, Gavi, Banque mondiale, DFID, AFD) sont présents (populations clés, RSS, financement basé sur la performance) ou dialoguer sur des questions techniques (OMS, Onusida). A l’heure où l’alignement des bailleurs devient essentiel pour accompagner les ministères de la santé des pays récipiendaires dans leur structuration et la mise en place d’actions concertées et pérennes, ce chiffre est encourageant, même si cette réflexion commune et cette planification concertée entre bailleurs et ministères doit devenir systématique.

30% des consultants voient une évolution dans les attentes du TRP, qu’ils jugent plus élevées que lors du cycle précédent. Certains ont vu dans les questions et les commentaires de ce dernier un travail plus précis, plus approfondi, et mieux enraciné dans l’analyse contextuelle du pays. Les consultants soulignent que certains sujets évoqués par le TRP n’étaient pas analysés lors des cycles précédents, en particulier celui de l’insécurité et de l’accès aux services pour les populations déplacées et réfugiées, le rôle du secteur privé dans la prise en charge des trois pandémies et la collaboration avec le secteur public, ou l’opérationnalisation des stratégies proposées. Ces questions requièrent un travail en collaboration avec d’autres structures jusqu’alors peu sollicitées (le Haut-Commissariat pour les réfugiés, des organisations humanitaires présentes dans des zones d’insécurité comme au Mali ou en RCA où le Fonds mondial va collaborer avec des ONG d’urgence, mais également avec le secteur privé, généralement encore peu structuré et en lien avec le ministère de la santé).

La majorité des consultants s’inquiète des cibles très ambitieuses appelées de leurs vœux par les équipes du Fonds mondial et parfois le TRP. Tous soulignent la fragilité des ressources humaines, et craignent qu’elles soient insuffisantes pour soutenir cette accélération du dépistage et de la mise sous traitement. Ils mentionnent également une plus grande recherche d’impact des subventions, ainsi qu’une exigence plus forte vis-à-vis de l’engagement des pays dans le cofinancement. Tout cela dans un objectif d’élimination des trois pandémies et de pérennité des actions. Le rapport du BIG consacré à la région d’Afrique de l’Ouest et centrale avait bien montré les gaps encore existants en matière de dépistage et de mise sous traitement, et le retard pris notamment dans le cas de la lutte contre la tuberculose. L’augmentation singulière des enveloppes appelait à de plus grandes ambitions en matière de cibles, mais elle se confronte à une part grandissante d’achat des traitements et des intrants (qui grèvent l’enveloppe au détriment des activités d’accompagnement du dépistage et de rétention dans les soins) et à des difficultés opérationnelles qui limitent une accélération trop rapide. De là les questions récurrentes autour de l’opérationnalisation des stratégies, l’action en contextes d’insécurité, les engagements de l’Etat pour compléter des financements et couvrir l’achat de médicaments mais également de ressources humaines nécessaires à la mise en œuvre des programmes.

 

Conclusion

L’année 2020 a été spéciale à bien des égards, et le renouvellement des subventions dans ce contexte de crise sanitaire a souffert de nombreuses perturbations. Mais il a également permis de renouveler les méthodes de travail, et s’est peut-être révélé utile pour un pilotage et un rôle de premier plan des CCM, des programmes de lutte contre les maladies et des ministères de la santé. C’est ce que nos entretiens avec ces acteurs révèleront prochainement. En attendant, il est des leçons à tirer de ce processus :

  • Souhaite-t-on renouveler le pool d’experts, le féminiser et peut-on envisager un véritable compagnonnage pour promouvoir l’expertise locale, qui pourrait contribuer à préparer le processus de renouvellement des subventions avec le CCM avant le démarrage du dialogue pays, et suivre la mise en œuvre une fois la subvention signée ?

 

  • Peut-on transposer les méthodologies utilisées par les consultants et les programmes pour analyser les résultats et les leçons apprises de la subvention en cours, pour l’appliquer dans un pilotage de routine qui se fonde sur l’analyse des données ? Et dans lequel le dialogue pays s’insère comme une des étapes supplémentaires de ce processus de planification, de mise en œuvre et d’évaluation itérative ?

 

  • Enfin, le travail engagé durant le dialogue pays pour aligner le plus possible les interventions financées par le Fonds mondial au reste des bailleurs peut-il trouver, là encore, une prolongation dans un dialogue sectoriel qui aille au-delà de l’échange d’informations, pour devenir un mécanisme de renforcement des capacités des ministères de la santé, de planification conjointe entre bailleurs et avec les ministères, de rapportage et de redevabilité mutuelle ?
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