UNE MENACE POUR LA SANTÉ MONDIALE TELLE QUE LA COVID-19 EXIGE UNE RÉPONSE MONDIALE BIEN COORDONNÉE : EXPÉRIENCES DE PREMIÈRE LIGNE DU RWANDA
Author:
Dr MENELAS NKESHIMANA
Article Type:Article Number: 5
RÉSUMÉ Le Dr Menelas Nkeshimana, médecin engagé en première ligne dans le groupe de travail Covid-19 au Rwanda, décrit la réponse de son pays à la Covid-19; un pays qui se distingue par sa réaction rapide et efficace pour contenir la pandémie dès son apparition. Il analyse les leçons apprises sur la façon de gérer une urgence sanitaire mondiale, qu’il s’agisse de la Covid-19 ou de toute autre.
Nous vivons dans un monde qui connaît,en moyenne, 200 épidémies par an. Alors que la plupart d’entre elles passent inaperçues, certaines sont suffisamment graves pour nous affecter durablement et paralyser notre vie quotidienne. La Covid-19 est l’une des trois plus grandes tragédies qui ont touché ma génération; à la suite de la pandémie de VIH et du génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda.
La pandémie de Covid-19 a commencé en décembre 2019 dans la ville lointaine de Wuhan, progressant très rapidement et contre toute attente, semant la panique, et pour atteindre finalement notre Terre des Mille Collines en mars 2020. Je me souviens de ce jour comme si c’était hier. La ministre d’État en charge de la santé primaire, accompagnée par d’autres hauts responsables, nous ont convoqués. Au ton de sa voix, il était évident que quelque chose de grave était arrivé. La pandémie mondialement redoutée s’était déjà diffusée sur le territoire, ce qui signifiait que nous devions passer de la phase de Préparation à l’urgence épidémique COVID-19, à celle de l’opérationnalisation sur le terrain, et à grande échelle, de la réponse à la Covid-19.
Les pandémies précédentes ont préparé le Rwanda à faire face à la Covid-19
2009 nous a ouvert les yeux; lorsque la pandémie de grippe H1N1 est arrivée au Rwanda dans les mêmes conditions : sa progression a été stoppée par l’activation d’un mécanisme d’intervention qui contrôlait la maladie en temps opportun.
Les épidémies d’Ebola qui se reproduisent fréquemment dans le pays voisin de la République Démocratique du Congo ont constitué autant d’occasions tragiques de nous rappeler qu’il faut rester vigilants et attentifs à la manière de gérer cette maladie ou toute menace d’une ampleur similaire. Le Rwanda a mis en œuvre des campagnes de vaccination contre Ebola, la formation du personnel de santé et la recherche active de cas. Au Centre Hospitalier Universitaire de Kigali (CHUK), où je suis en poste, en tant que coordinateur de l’Équipe d’intervention rapide pour Ebola, j’ai eu le temps et l’occasion de m’intéresser à l’histoire des épidémies. Je ne doute pas qu’avant l’ère de la Covid-19, le personnel de santé rwandais avait appris au moins une leçon apparemment simple mais importante lors de la gestion de maladies hautement infectieuses : il existe une « zone rouge » où les patients infectés sont pris en charge et une « zone verte » où travaillent habituellement le personnel et les autres partenaires.
La Covid-19 a surgi alors que nous terminions l’un de nos exercices de simulation réguliers de la riposte à Ebola. Ceux-ci permettent au personnel de santé de rester bien informé, confiant et psychologiquement préparé à gérer les flambées causées par des agents pathogènes hautement infectieux tels que le virus Ebola. Bien que le Rwanda n’ait jamais détecté de cas de maladie à virus Ebola, les connaissances et les compétences que nous avons acquises grâce à ces exercices de simulation nous ont permis d’engranger des connaissances et des compétences très similaires à celles nécessaires pour gérer la Covid-19.
La Force opérationnelle conjointe du Rwanda pour la Covid-19
L’intelligence épidémique, la préparation et la réponse nécessitent une plateforme solide et des interactions en temps réel entre les institutions au-delà de celles du secteur de la santé.
Le Rwanda dispose depuis un moment déjà d’un mécanisme bien rôdé pour répondre à toute menace sanitaire qui pourrait potentiellement perturber la vie publique, comme ce fut le cas de la Covid-19. Dès le début, nous avons affronté la pandémie dans une collaboration étroite entre le Ministère de la Santé, le Centre biomédical du Rwanda et une plate-forme multisectorielle nouvellement créée et innovante : la Force opérationnelle interarmées rwandaise de la Covid-19, opérant à partir de ce qui était connu sous le nom de Poste central de commandement. Rentré de Chine depuis un peu plus de dix ans (où j’ai fait mes études de médecine), je n’avais pas encore été le témoin de de la réponse du pays à un risque sanitaire majeur; mais je me suis vite rendu compte que le Rwanda prend toutes les menaces de santé publique très au sérieux.
Les dirigeants de notre pays ont mis en place une structure multidisciplinaire et multisectorielle (figure 1 ci-dessous) pour s’assurer que le pays puisse répondre correctement aux trois principaux piliers de la lutte contre les épidémies : (1) contrôler la source de l’infection; (2) couper la chaîne de transmission de l’homme à homme; et (3) protéger les populations vulnérables. La structure a été revue et adoptée avant même que le premier patient Covid-19 n’ait été identifié au Rwanda. Le personnel a été recruté auprès d’institutions gouvernementales, du secteur privé et d’organisations partenaires telles que le Center for Disease Control, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, l’Organisation mondiale de la Santé et d’autres. La réponse à la Covid-19 devait être mise en œuvre par étapes, les membres ayant des responsabilités à temps plein et tous siégeant ensemble au quartier général du poste de commandement central à Kigali. Les membres de l’équipe d’intervention devaient s’engager à être disponibles à temps plein, puisque le travail augmenterait à mesure qu’un plus grand nombre de patients atteints de Covid-19 seraient identifiés et que les mesures de contrôle seraient ajustées en conséquence.
Figure 1. La structure de la Force opérationnelle conjointe du Rwanda pour Covid-19
Principales mesures prises pour réagir rapidement au cours de la première et de la deuxième vague de la maladie
Comme ce fut le cas dans plusieurs pays, un délai a été accordé à toute personne qui souhaitait rentrer au Rwanda avant la mise en œuvre de la première mesure d’intervention clé : la fermeture de l’aéroport international de Kigali.
Il s’agissait d’un moment clé pendant lequel nous devions tester tous les voyageurs entrants à la Covid-19, tout en mettant en œuvre la recherche des cas contacts afin d’identifier les personnes qui auraient besoin d’être testées à la Covid-19. Je me souviens que certains vols contenaient un grand nombre de personnes infectées par le coronavirus à bord, ce qui nous a rapidement décidé à mettre tous les rapatriés en quarantaine, qu’ils démontrent ou non des signes typiques de Covid-19. Ils ont été logés gratuitement dans des infrastructures désignées par le gouvernement et testés à leur arrivée et à la fin de leur quarantaine. De même, nous avons testé tous les passagers au départ de l’aéroport pour nous assurer que nous ne menaçaions pas d’autres pays en leur envoyant des voyageurs atteints de la Covid-19.
La recherche et le dépistage des cas contact auraient été difficiles sans notre équipe spécialisée dans l’information sanitaire hautement compétente. C’est elle qui a fourni toutes les données nécessaires pour calibrer la réponse à la Covid-19 dans différents districts du Rwanda. Leur rôle principal était d’aider à cartographier les lieux où nous avions trouvé les cas positifs, avec des données géospatiales complètes, de les relier à leurs contacts à l’aide de signaux du réseau téléphonique et de produire un tableau de bord quotidien pour guider la décision quant à savoir si oui ou non nous avions besoin d’instituer un confinement, où et quand le mettre en œuvre.
Nous nous sommes fortement appuyés sur la technologie pour déployer la réponse à la Covid-19, comme l’utilisation de drones pour garantir le maintien des services essentiels (c.-à-d. les livraisons de médicaments pendant le confinement) et transmettre des messages sur la façon de prévenir la Covid-19 dans nos collectivités. Nous avons utilisé des robots pour la prise de température dans la zone rouge, la livraison d’eau potable, les médicaments et d’autres fonctions. Nous avons également utilisé des plateformes « Weltel » à l’aide de téléphones mobiles (également utilisés dans la riposte au VIH) pour assurer le suivi des cas contacts afin de détecter de possibles symptômes qui indiqueraient qu’ils avaient besoin d’un test Covid-19.
Comme de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, le Rwanda compte un nombre limité de professionnels de santé, malgré ses priorités sanitaires. L’arrivée de la Covid-19, vue comme une priorité absolue, a aggravé la pénurie de personnel. Toutefois, il ne s’agit pas seulement du nombre professionnels dont vous disposez, mais également de leur organisation. L’Ordre des médecins rwandais a tout fait pour mobiliser les médecins afin qu’ils prennent le plus de responsabilités possible pour que nous puissions faire face à la pandémie. Une initiative récente, « Operation Save the Neighbour », a été lancée dans le district de Gasabo pour permettre aux médecins et aux infirmières de travailler dans les communautés où ils vivent, en suivant les patients Covid-19 dans les soins à domicile de leur quartier. Plusieurs autres associations de spécialistes ont également renforcé les connaissances des professionnels de santé sur la façon dont la Covid-19 interagit avec d’autres comorbidités, et d’autres connaissances spécifiques en matière de soins de santé (c.-à-d. coronavirus chez les enfants, les femmes enceintes, les patients ayant besoin de services chirurgicaux d’urgence, et ainsi de suite).
Les principaux facteurs qui nous ont aidé à contrôler la pandémie
Parmi les bonnes pratiques, le mentionnerais notre capacité à réunir et collaborer avec des équipes pluridisciplinaires dans un emplacement géographique bien délimité; et la participation active du secteur privé au sein de l’équipe d’intervention.
Le rôle joué par les dirigeants rwandais dans la réponse à la Covid-19 est une autre caractéristique à souligner. Le Président a guidé toutes les opérations du poste de commandement central et s’y est rendu en personne pour nous assurer de son soutien, nous demandant de faire tout ce qui est nécessaire pour ralentir la pandémie, tant en nous assurant que toutes les ressources nécessaires seraient mises à disposition. Les ministres et les Secrétaires d’État ont tous été affectés sur les sites de quarantaine et d’isolement Covid-19 pour suivre les activités quotidiennes et s’assurer que la logistique suivait, qu’il s’agisse des repas, des livraisons, du linge, des visites médicales, des médicaments, des produits d’entretien ménager, etc. Lorsque j’ai été déployé à Rusizi (province occidentale), j’ai constaté que le secrétaire permanent du ministère des Gouvernements locaux y avait été envoyé des mois avant moi, pour une période indéterminée, afin de gérer le contrôle de la transmission dans cette région. Il a participé à toutes les activités de la Covid-19, du lundi au dimanche, aussi longtemps et souvent que nécessaire.
Toutes les décisions étaient centrées sur les personnes, fondées sur la transparence dans le partage des données et une consultation approfondie avec les bénéficiaires , la population rwandaise. La réponse s’est vue renforcée par un cadre de protection sociale solide (c’est-à-dire la distribution de nourriture aux communautés les plus vulnérables et les plus touchées, la garde d’enfants pour les enfants dont les parents ont dû être isolés ou hospitalisés dans les centres de traitement COVID-19, etc.) : autant de décisions difficiles qui ont nécessité le soutien de la population car les mesures de confinement devaient être strictement respectées.
Les réunions hebdomadaires du Groupe consultatif scientifique (SAG) ont fourni un environnement convivial au sein duquel nous examinions les données scientifiques de cette nouvelle maladie. Fait important, toutes les décisions prises par nos dirigeants se sont fondées sur des faits scientifiques qui avaient fait l’objet de discussions approfondies lors des réunions du SAG.
Un résumé des données les plus récentes et pertinentes est publié chaque soir par le ministère de la Santé sur le twitter handle @RwandaHealth avec des chiffres mis à jour selon la figure 2 à partir du 4 mars 2021:
Figure 2 : Derniers chiffres sur la Covid-19 au Rwanda
En tant que chef de file de la gestion de cas au niveau national, j’ai souvent été tenu de fournir les informations saillantes sur la situation clinique des patients, les résultats des soins et des suggestions susceptibles d’améliorer la guérison, comme des médicaments prometteurs encore en phase de test. En octobre 2020, nous avons publié la troisième édition des Lignes directrices sur la gestion clinique et nous devrons bientôt décider des nouvelles informations clés à inclure concernant la Covid-19 dans la quatrième édition. En termes de mises à jour thérapeutiques, nous avons récemment utilisé le médicament Favipiravir avec des résultats très satisfaisants en matière du délai de guérison. Ce médicament s’est révélé particulièrement approprié pour les patients qui sont asymptomatiques, ou avec des formes légères ou les patients diagnostiqués à un stade précoce. Les soins cliniques intensifs pour les patients en état grave ont obligé nos ingénieurs biomédicaux à s’impliquer, en particulier ceux spécialisés dans les soins intensifs et l’équipement de soins respiratoires. Ces secteurs ont été clés dans la gestion clinique de la Covid-19 au Rwanda.
Principaux défis pour la réponse mondiale à la Covid-19
Si l’on remonte à juin 2020, lorsque le sud-ouest du Rwanda était aux prises avec une transmission communautaire à grande échelle du COVID-19 en raison d’un nombre important de chauffeurs de camion transfrontaliers infectés, je dois admettre que la collaboration transfrontalière aurait pu être meilleure. La population générale a été désorientée par des mesures préventives parfois contradictoires avec celles des pays voisins, ce qui a donné lieu à des politiques qui n’étaient pas bien alignées et qui affectaient négativement les mouvements entre les pays.
L’autre technique permettant de suivre la circulation du virus d’un endroit à un autre, est le séquençage qui donne des détails génomiques. C’est une technologie coûteuse et tous les pays ne possèdent pas forcément ces capacités de laboratoire. Il s’agit d’un défi pour les pays qui n’ont pas accès aux données de surveillance génomique et qui ne sont pas en mesure d’exécuter eux-mêmes de tels tests. Certains pays ont été regroupés et ont exécuté quelques échantillons dans le cadre de la surveillance génomique: mais nous pourrions faire mieux non seulement en faisant plus, mais aussi en encourageant les pays à mieux interpréter les données obtenues. Au Rwanda, nous avons commencé à faire le séquençage viral pour obtenir ces détails génomiques et il y a une augmentation progressive du renforcement des capacités dans ce domaine. Nous avons collectivement manqué l’occasion d’interpréter dès le départ les données et l’apport qu’elles constituent ; mais nous réalisons maintenant à quel point elles nous aident à mieux comprendre cette maladie, d’autant plus que les confinements ont été progressivement levés et les voyages internationaux ont repris. Une politique internationale stricte des voyages et une solide compréhension des mouvements de population sont essentielles dans les réponses aux épidémies.
L’Organisation mondiale de la Santé et d’autres organisations de santé devraient éviter de nommer les variants selon le pays d’origine (souche sud-africaine, souche britannique, etc.). Cela a créé une stigmatisation inutile et évitable qui a menacé de freiner l’utilisation de données scientifiques avancés tels que ceux obtenus grâce aux données génomiques de la Covid-19. Les contradictions scientifiques découlant de ce type de dénomination des souches malsaine créent souvent un environnement confus qui pourrait retarder la prise de décisions importantes, non seulement pour la Covid-19 mais aussi pour d’autres pandémies futures.
Le monde a maintenant la chance d’avoir accès à de nouveaux vaccins prometteurs. A l’instant où j’écris ces lignes, je n’ai pas encore reçu ma dose, mais mes collègues qui travaillent en première ligne ont déjà commencé à être vaccinés. Le nombre de Rwandais vaccinés continuera d’augmenter jusqu’à ce que nous atteignions un niveau qui stoppera la Covid-19 au Rwanda, la soi-disant « immunité collective ». Je souhaite la même chose pour notre région, le continent africain et le monde en général, car comme l’OMS l’a dit: personne ne devrait se sentir en sécurité tant que tous les pays n’ont pas reçu le nombre de vaccins nécessaires (idéalement, 60% de la population). Nous devons tous nous efforcer de promouvoir une part équitable des vaccins disponibles à un rythme qui nous permette de nous protéger de la Covid-19 dans un monde étroitement interconnecté (le « Village mondial »).
Comme le dit Peter Piot : « Les épidémies à l’autre bout du monde sont une menace pour nous tous. Aucune épidémie n’est seulement locale ».