Réunion Clé à Dakar : Bilan et perspectives du Fonds Mondial pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre
Author:
Ida Hakizinka et Kafui Essie
Article Type:Article Number: 6
Cet article est compte rendu de la réunion de haut niveau qui s’est tenue à Dakar entre le 12 et le 14 décembre 2023. Organisée par le Bureau de la circonscription africaine (BCA) et rassemblant 12 pays de l'Afrique de l'Ouest et du Centre, cette rencontre a constitué une plateforme cruciale pour évaluer les succès du Cycle de subvention 6 (CS6) du Fonds mondial et élaborer des stratégies pour le Cycle de subvention 7 (CS7). Le CS6 a marqué des progrès significatifs dans la lutte contre le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme, mais des défis subsistent. Les discussions ont souligné l'importance d’un meilleur ciblage des populations, de l'intégration des soins, de l'implication communautaire, et de la production locale d'intrants pour des interventions réussies. Les débats ont également mis en avant des exemples de bonnes pratiques en matière de coordination et de leadership, ainsi que l'importance du cofinancement et de la participation de la société civile. Enfin, la faible représentation de la société civile a été discutée, mettant en évidence la nécessité de renforcer ses capacités et d'améliorer la coordination des programmes. La réunion a abouti à des plans d'action et des recommandations pour renforcer les systèmes de santé et poursuivre la lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme en Afrique de l'Ouest et du Centre. La réunion a abouti à des plans d'action et des recommandations pour renforcer les systèmes de santé et poursuivre la lutte contre le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme en Afrique de l'Ouest et du Centre.
Introduction
Entre le 12 et le 14 décembre 2023, Dakar, la capitale du Sénégal, est devenue l’épicentre d’une réunion cruciale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre organisée par le Bureau de la circonscription africaine (BCA). Cette assemblée qui a réuni 12 pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Nigéria, RDC, Sénégal, Tchad, Togo) de la sous-région a offert une plateforme exceptionnelle pour examiner les succès et les leçons tirées du Cycle de subvention 6 (CG6) du Fonds mondial et pour élaborer des stratégies robustes pour le Cycle de subvention 7 (CS7) qui s’est ouvert récemment. Cette rencontre constitue en n’en point douter un moment clé pour le renforcement des systèmes de santé dans la région.
Contexte et enjeux actuels
Le Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme finance des programmes de lutte contre ces trois maladies et le renforcement du système de santé. Le CS6 du Fonds mondial, qui s’est déroulé de 2016 à 2023, a alloué plusieurs milliards de dollars à 12 pays de l’AOC.
Le moins que l’on puisse dire c’est que ce cycle a été significatif dans la lutte contre le VIH/Sida, la tuberculose et le paludisme en AOC. Au 31 décembre 2022, le taux d’absorption global des fonds en Afrique de l’Ouest et du Centre a atteint 75 %, enregistrant une progression de 5 % par rapport à la période précédente. Notablement, la région s’est distinguée par son efficacité dans l’utilisation du budget, affichant un taux impressionnant de 93 %. Le nombre de personnes vivant avec le VIH sous traitement antirétroviral (TAR) a augmenté de 70 %, passant de 11,5 millions en 2016 à 19,4 millions en 2023. Le nombre de nouveaux cas de tuberculose a diminué de 22 %, et le nombre de décès dus au paludisme a diminué de 29 %.
Ces avancées résultent de la collaboration entre les gouvernements des pays de la région, les organisations de la société civile, et les partenaires du Fonds mondial, contribuant ainsi à l’amélioration de la santé et du bien-être de millions de personnes. Néanmoins, malgré ces succès, des défis persistent. Le nombre élevé de personnes vivant avec le VIH qui n’ont pas encore accès au TAR, la menace croissante de la tuberculose résistante aux médicaments, et la persistance du paludisme en tant que principale cause de décès chez les enfants de moins de 5 ans demeurent des préoccupations importantes.
Bilan du CS6 et perspectives pour le CS7.
Le Dr Djésika Amendah du BCA a présenté une analyse approfondie du cycle 6, mettant en évidence des lacunes financières et des performances mitigées dans des domaines critiques tels que la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant, la lutte contre la tuberculose et le paludisme. Pour le cycle 7, l’objectif est clair : renforcer les initiatives de prévention et améliorer la portée ainsi que la qualité des soins de santé.
Des études de cas provenant du Tchad, du Nigéria et de la République démocratique du Congo ont été exposées, offrant des enseignements cruciaux sur les stratégies efficaces dans la lutte contre le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme. Ces partages d’expériences ont souligné l’importance cruciale de développer des stratégies adaptées aux contextes et aux réalités locales.
Les trois maladies
Tchad : Lutte contre le VIH-Sida
Dans le cadre du CS6, le pays a signalé des progrès dans la lutte contre le VIH, mettant en évidence une série de points forts. Depuis 2020 en effet, des progrès notables ont été enregistrés, marqués par une augmentation du nombre de personnes connaissant leur statut sérologique, passant de 79 à 85%, et une augmentation du pourcentage de personnes sous traitement antirétroviral, passant de 59,20% à 63%. Ces chiffres témoignent d’une volonté politique manifeste de lutter contre la maladie. Cependant, pour améliorer davantage la situation, des mesures telles que le renforcement du dépistage, l’accroissement des ressources dans les zones à risque, et la participation active des communautés locales sont préconisées pour le CS7.
Nigéria : Lutte contre la Tuberculose
Le Nigéria a enregistré des progrès significatifs dans la lutte contre la tuberculose, avec une couverture en hausse et une réduction notable des cas grâce à l’implication du secteur privé. L’utilisation efficace des fonds, qui a dépassé les cibles initiales, témoigne d’une gestion stratégique réussie. Cependant, une meilleure intégration des communautés reste un axe d’amélioration pour les futures interventions.
République Démocratique du Congo : Lutte contre le Paludisme
La RDC fait face à des défis financiers et logistiques dans sa lutte contre le paludisme. La majorité des financements provient de sources externes, et la distribution des intrants de prévention est insuffisante. Pour le CS7, l’objectif est d’accroître le financement, améliorer la disponibilité des intrants et étendre la couverture territoriale.
Mali : Systèmes de Santé Résilients et Pérennes (SSRP)
Le Mali a reçu une allocation substantielle du Fonds mondial, destinée à combattre le VIH, la tuberculose et à renforcer son système de santé. Malgré certains succès enregistrés, le pays doit cependant surmonter des retards dans la mise en œuvre des activités, ainsi qu’un déficit de financement et de ressources humaines. Des approches telles que l’anticipation des besoins en personnel et la décentralisation des fonds sont envisagées comme des solutions possibles.
Sénégal : Réponse à la COVID-19 et renforcement des Systèmes de Santé
Au Sénégal, la subvention C19RM a priorisé des domaines stratégiques tels que le renforcement des systèmes de surveillance et des soins respiratoires. Dans le cadre du CS7, des ressources supplémentaires ont été allouées pour intensifier la lutte contre la tuberculose et le paludisme, ainsi que pour renforcer les capacités de préparation aux pandémies.
Togo : Lutte contre le Paludisme, VIH et Tuberculose
Le Togo, bénéficiant d’une allocation substantielle du Fonds mondial, a principalement orienté ses efforts vers la lutte contre le paludisme, suivi du VIH et de la tuberculose. Les investissements ont été diversifiés, mais le pays est confronté à des défis tels que des procédures administratives complexes et une insuffisance de personnel qualifié.
Somme toute, les différentes expériences de ces pays mettent en évidence l’importance du ciblage efficace des populations, de l’intégration des soins, de l’implication des communautés locales, et de la production locale d’intrants. Une utilisation optimale des ressources et un plaidoyer pour une plus grande participation des gouvernements locaux s’avèrent cruciaux pour le succès des interventions futures.
Défis et solutions dans la coordination et leadership dans mise en œuvre des subventions
Les débats ont mis en exergue les défis liés à la coordination et au leadership dans la mise en œuvre des subventions. Les participants ont discuté des moyens d’améliorer la gestion des programmes, d’augmenter la transparence et la responsabilité, et de renforcer l’engagement des communautés locales dans les processus de prise de décision.
Spécifiquement, les discussions ont porté sur l’amélioration de la gestion des programmes, la transparence, la reddition des comptes, et l’implication des communautés locales. Toutefois, la mise en œuvre de politiques de sauvegarde additionnelles dans certains pays a été identifiée comme un obstacle potentiel à l’efficacité des subventions.
Des exemples de coordination et de leadership efficaces dans l’application des subventions du Fonds mondial ont été partagés par des pays tels que le Bénin, le Ghana et le Nigéria. Ces témoignages ont mis en lumière les stratégies fructueuses et les défis rencontrés dans différents contextes.
Au Ghana, les défis dans la lutte contre les trois grandes maladies résidaient dans la gestion multipartite des fonds. Pour résoudre les confusions et améliorer la prise de décision, un cadre de règlement des conflits a été instauré. Bien plus, l’accent est mis sur la nécessité d’une coordination intelligente entre les responsables de programme et les principaux bénéficiaires. Malgré les lacunes relevées dans la prise en compte des indicateurs de performance, le pays a obtenu des résultats satisfaisants dans la lutte contre le paludisme.
En ce qui concerne le Bénin, le ministère de la Santé joue un rôle essentiel dans la réalisation des programmes, avec cinq principaux bénéficiaires répartis entre les trois maladies. Le pays a fait face à des difficultés liées à une gestion fragmentée et envisage, pour le CS7, la création d’une unité de gestion unifiée, favorisant ainsi la coordination et l’optimisation des ressources. De plus, le Bénin a élaboré des plans d’intervention en réponse à la COVID-19 jusqu’en 2025.
Relativement au Nigéria, il bénéficie d’une implication active des ONG et du secteur privé dans la gestion des subventions du Fonds mondial. Bien que la gouvernance soit partagée entre le gouvernement et les ONG, le ministère de la Santé demeure le principal acteur de la mise en œuvre. Des réunions trimestrielles et des évaluations annuelles sont organisées pour surveiller les indicateurs de performance. Cependant, des défis tels que les retards dans le décaissement des fonds et les lourdeurs administratives appellent à une amélioration de la gouvernance et à une simplification des procédures.
Les autres sujets discutés au cours de la réunion : ICN, cofinancement et société civile.
ICN
Au cours de la session consacrée aux instances de coordination nationales (ICN), les exemples de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso ont illustré des approches variées et innovantes.
En Côte d’Ivoire, l’ICN, instaurée en 2002 et réorganisée en 2013, met en évidence l’importance d’une organisation interne robuste et adaptable. Les comités techniques spécifiques à chaque maladie et l’introduction du comité de suivi stratégique en 2018 témoignent d’une volonté de spécialisation et d’un suivi rigoureux. Cela a permis de surmonter d’importants défis et de mettre en œuvre des recommandations stratégiques. L’attention portée à la mise à jour du plan de suivi stratégique et à l’élaboration d’un plaidoyer pour les besoins non couverts par les subventions est particulièrement pertinente.
Au Burkina Faso, on observe également un modèle de composition de l’ICN intégrant divers secteurs, y compris la société civile. Cette approche multidisciplinaire, bien qu’ayant rencontré des défis tels que la coordination et la stigmatisation, suggère une voie vers une gouvernance plus inclusive et représentative.
Ces expériences soulignent la nécessité d’une approche coordonnée et collaborative pour les ICNs.
Comme l’a souligné le Professeur Niamba dans sa conclusion, la prise de décisions basée sur l’expérience de terrain, l’esprit d’équipe et la solidarité sont fondamentaux. L’importance accordée à l’analyse des données empiriques et à l’apprentissage par l’expérience est cruciale pour influencer positivement l’avenir des ICNs.
La réussite des ICNs dépend non seulement de structures solides et bien organisées, mais également de l’engagement envers une approche participative et fondée sur des évidences.
Cofinancement
La Guinée-Bissau est un exemple notable d’engagement gouvernemental dans la santé. Pour la période 2024-2026, le pays a augmenté de 6 % son budget de santé, portant les dépenses publiques dans ce secteur à 10,73%. Cette augmentation budgétaire se concentre principalement sur les salaires des personnels de santé et les investissements gouvernementaux annuels. Un comité de suivi, en collaboration avec l’ICN, a été instauré pour le contrôle et le suivi des dépenses domestiques.
Il convient également de souligner l’importance d’incorporer les systèmes financiers publics de tous les bailleurs de fonds qui requièrent un cofinancement en travaillant étroitement avec le ministère des Finances. Une telle intégration favorise une transparence accrue, renforce l’autonomie des pays et améliore la reddition de comptes de manière plus efficace.
Cependant, il est crucial d’éviter un sur-engagement financier des gouvernements au-delà de leurs capacités, mettant en lumière que les États ne devraient pas percevoir le Fonds mondial comme une source concurrentielle, mais plutôt comme un partenaire collaboratif.
Et la société civile dans tout ça ?
Simon Kaboré du RAME a souligné la faible représentation de la société civile dans la réception principale des subventions, avec seulement un tiers des pays concernés. RAME fournit un appui technique à la société civile, en se concentrant sur l’évaluation des lacunes en matière de droits humains, de genre et d’engagement communautaire. Le réseau promeut également l’efficacité et la durabilité des interventions communautaires.
Plus largement, les débats à ce niveau ont porté sur l’autonomie des instances de coordination nationales (ICN) vis-à-vis du gouvernement, la motivation des acteurs, le soutien aux organisations de la société civile et la coordination des programmes. La structure et le leadership des ICN varient d’un pays à l’autre, tout comme la motivation des acteurs qui, malgré une participation souvent bénévole, restent engagés. Un consensus a émergé sur la nécessité de renforcer les capacités des organisations de la société civile et d’améliorer la coordination des programmes entre différents ministères et partenaires.
Cette session a mis en lumière les défis et les avancées dans la coordination et le leadership pour la mise en œuvre des subventions du Fonds mondial. Les expériences partagées par le Ghana, le Bénin et le Nigeria, combinées aux contributions du RAME, ont mis en lumière l’importance cruciale d’une gouvernance efficiente, de l’implication active de la société civile et de la nécessité d’une coordination renforcée entre tous les acteurs engagés.
Conclusion
La réunion de Dakar s’est achevée sur une note optimiste, marquée par un engagement renforcé en faveur de systèmes de santé plus robustes et inclusifs. Les plans d’action et les recommandations élaborés lors de cette rencontre constituent une feuille de route essentielle pour l’amélioration continue de la santé en Afrique de l’Ouest et du Centre. Ces plans soulignent l’importance vitale de la collaboration, de l’innovation, et de l’adaptation aux besoins et aux réalités spécifiques de chaque pays dans la lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme.