RÉGRESSIONS, DÉSACCORDS ET ACQUIS : COMMENT LE DIALOGUE PAYS SERT DE RÉVÉLATEUR DES SUCCÈS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE, MAIS ÉGALEMENT DES TENSIONS ET DES PROGRÈS NÉCESSAIRES
Author:
Christelle Boulanger
Article Type:Article Number: 4
Les 12 organisations interrogées dans le cadre de groupes focaux organisés par Aidspan dressent un bilan mitigé du processus d’élaboration des subventions
RÉSUMÉ Résumé: alors que le cycle de renouvellement des subventions est bien avancé, Aidspan a dressé le bilan de la participation de la société civile avec 12 OSC de la région Afrique de l’ouest et du centre qui ont participé à plusieurs groupes focaux. Toutes ont reconnu les progrès en matière d’inclusion et de préparation du dialogue pays, mais ont souligné les défis grandissants d’une cohésion de la société civile mise à mal par la compétition pour les ressources, et la difficulté à montrer leur complémentarité vis-à-vis du ministère de la santé.
La majorité des demandes de financement a été présentée lors des 7 premiers mois de l’année 2021, et le TRP a tiré les leçons de la deuxième fenêtre. Dans un document qui devrait être disponible sous peu, il s’inquiète notamment du nombre décroissant de bénéficiaires principaux venus de la société civile des pays récipiendaires. Et avertit qu’un financement insuffisant pour les acteurs de la société civile hypothéquera la pérennité des principaux programmes et de la prestation de services.
Face à ce constat, Aidspan a organisé une série de groupes focaux réunissant des organisations de la société civile, afin de recueillir leur témoignage et le bilan qu’elles dressent du processus actuel de renouvellement des financements, rendu particulier par la présence de la Covid. Ces groupes focaux ont réuni 12 organisations de la société civile d’Afrique de l’ouest et du centre, et provenant de 7 pays : le Burkina Faso, le Cameroun, la RDC, le Gabon, le Niger, le Tchad, le Bénin. 3 sont sous-bénéficiaires, 3 l’ont été par le passé, 2 siègent dans le CCM de leur pays.
Des acquis importants
10 des 12 organisations interrogées ont participé au processus de dialogue pays et estiment que sa qualité est satisfaisante, au regard de la prise en compte de leur parole et de leurs priorités. Dans 4 pays, des processus de « dialogue communautaire » préparatoires ou simultanés à l’élaboration de la demande ont été conduits, en région ou en capitale, et ont donné lieu à des rapports qui ont été remis aux membre du comité de rédaction de la demande de financement. Parmi les exemples intéressants cités figure notamment la Plateforme Démocratie Sanitaire et Implication Citoyenne (DES ICI Niger), qui regroupe les organisations de la société civile actives dans le domaine de la santé. Grâce à ce mécanisme préexistant, des rencontres de concertation sur les sujets considérés par les acteurs comme prioritaires : la gouvernance, l’accès aux services, le suivi budgétaire. Des réunions en amont et à mi-parcours ont été organisées, et la Présidente du conseil d’administration du Réseau Nigérien des Populations Clés (RENIPOC) a été invitée à rejoindre le comité de rédaction de la demande de financement. Au Cameroun également, la société civile est bien rôdée et des consultations se sont tenues dans 10 régions. Un rapport a été remis au comité de rédaction, qui identifiait les priorités pour les groupes clés concernés (directement consultés) et les OSC : les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes, les travailleuses du sexe, les usagers de drogues par voie intraveineuse, les détenus, les populations mobiles et les personnes handicapées.
Autre acquis important : certaines activités ne sont plus discutées et font désormais l’objet d’un consensus comme le suivi à base communautaire ou les soins différenciés (en particulier le dépistage). La plupart des pays de la région disposent aujourd’hui d’un système de suivi de la prestation de services en particulier ceux du VIH, au travers de dispositifs comme les observatoires de l’accès aux soins, les plateformes de suivi de la société civile, ou les mécanismes de remontée des plaintes de patients. Ceux qui n’en n’ont pas l’ont planifié dans la prochaine subvention, comme au Mali, au Sénégal, en Guinée Bissau et au Congo Brazzaville. De même, le dépistage différencié, et la dispensation communautaire des ARV sont des activités aujourd’hui acquises, et pour lesquelles on fait appel aux compétences des organisations de la société civile.
Des défis à surmonter
Cependant, les organisations consultées ont cité de nombreux défis qui continuent d’émailler leur participation, plus particulièrement dans un contexte de compétition pour les ressources.
L’inclusivité du processus dans son entier est relative
Si toutes les organisations (ou presque) ont été associées au dialogue pays, il est clair que ces dernières sont écartées du processus dès que la demande de financement est achevée. La majorité des organisations a reconnu qu’elles n’étaient pas en mesure de citer ce que contient véritablement la subvention, puisque les arbitrages continuent et s’achèvent lors du développement de la subvention (le grant making), auquelle elles ne sont plus associées. Celui-ci se résume le plus souvent à une négociation entre les bénéficiaires principaux (BP), l’Agent local du Fonds (LFA) et l’équipe pays du Fonds mondial. Dans le meilleur des cas, le CCM est présent (en la personne du secrétaire permanent) mais il est rare qu’il assiste à toute la négociation qui dure entre 15 jours ou 3 semaines. Même si le CCM doit signer la subvention et donner son accord sur les arbitrages finaux, ces derniers ont été ficelés bien en amont de la présentation en assemblée générale, sans que ses membres n’aient connaissance des tenants et des aboutissants de ces tractations. Les organisations interrogées regrettent que les arbitrages concernant les activités communautaires retenues soient faits sans elles, parfois sans discussion stratégique, cassant la logique des interventions telle qu’elles avaient été discutées lors de l’élaboration de la demande de financement. Des activités disparates sont retenues, dotées de budget sous-estimés, par des acteurs qui ne connaissent pas toujours les enjeux qui lui sont associés.
La compétition pour les financements est rude
S’il est vrai que les enveloppes octroyées aux pays d’Afrique de l’ouest et du centre ont connu une augmentation substantielle (jusqu’à 70% d’augmentation pour certaines), cette dernière concerne surtout la composante paludisme (dans laquelle la participation des organisations de la société civile est récente et souvent circonscrite au dénombrement des ménages et à la distribution des moustiquaires). Par ailleurs, l’augmentation importante des cibles pour les patients VIH et TB a entraîné mécaniquement une hausse substantielle des coûts des intrants, qui représentent partout entre 50 et 70% de l’enveloppe allouée. A cela s’ajoutent les frais de gestion des BP (élevés lorsque ces derniers sont des organisations internationale), ce qui réserve aux activités communautaires (dépistage différentié, maintien dans le soin, information, sensibilisation, suivi basé sur la communauté, …) des enveloppes réduites. De ce fait, les OSC se retrouvent en concurrence, ce qui fragmente le paysage de la société civile dans de nombreux pays. Les participants du Burkina Faso, du Cameroun et de la RDC ont exprimé leur inquiétude face à un effritement de la cohésion qui nuit à la société civile dans son entier.
Une complémentarité toujours difficile avec le secteur public
Depuis 2011, le Fonds mondial a reconnu le principe de dualité dans la gestion des financements, qui donne la possibilité au pays de choisir un bénéficiaire principal de la société civile. C’est le cas dans certains pays comme la Côte d’Ivoire où l’Alliance Côte d’Ivoire est le bénéficiaire principal des activités communautaires de la TB et du VIH, du Burkina Faso avec IPC, du Mali qui a récemment choisi ARCAD Santé PLUS comme BP communautaire, de PLAN Sénégal et Guinée… Cependant, et alors que les performances de ces organisations sont globalement bonnes (parfois meilleures que les organisations internationales ou les BP du secteur public), les organisations doivent se battre pour accéder ou se maintenir dans cette position. Au Burkina Faso, alors que le BP communautaire (IPC) jouissait d’une note A2 (meilleure que celle du ministère B2), il n’a pas été reconduit en première intention par le CCM et il a fallu l’intervention du Fonds mondial pour le processus soit relancé. Au Nigéria, le CCM a préféré une organisation internationale FHI360, vierge d’expérience en matière de collaboration avec les populations clés à l’organisation locale déjà en place et performante, la Society for Family Health (SFH). Au Kenya, c’est le CCM qui a souhaité ne retenir qu’un BP communautaire pour les 3 subventions une organisation internationale l’AMREF. La compétition pour les ressources, et la conviction de nombreux acteurs étatiques que la société civile ne devrait pas mettre en œuvre des activités de santé essentielles, considérées comme régaliennes par les ministères de la santé, mettent en péril le choix d’un BP communautaire.
Cette rude compétition est également dénoncée par certaines OSC avec les organisations internationales : bien que ces dernières soient coûteuses et pas toujours plus performantes, elles sont privilégiées dans de nombreux contextes. Car il est plus simple pour le Fonds mondial et son écosystème (agent local du Fonds, agence fiduciaire) de traiter avec des structures internationales, aux procédures bien rôdées, capables de recruter du personnel qualifié en raison de leurs grilles de salaire attractives, leurs capacités logistiques (importantes au vu des quantités importantes d’achat, de stockage et de distribution d’intrants médicaux). Ainsi, et bien que la gestion des subventions par des entités étrangères soit considérée comme provisoire, on assiste encore dans des pays pourtant solides au renouvellement continuel d’organisations onusiennes ou internationales, aux dépens notamment d’organisations locales moins robustes certes, mais plus légitimes. L’absence d’exigence réelle du Fonds mondial pour que se mettent en place de vraies stratégies de renforcement des compétences des acteurs locaux perpétue ce système, d’autant plus qu’il refuse la plupart du temps de couvrir les frais de structure des sous-bénéficiaires locaux, alors que rien dans leurs procédures ne l’interdit. Or on sait combien ce soutien est crucial pour de petites structures qui souhaitent grandir et se pérenniser.
Les progrès qui restent à faire
D’abord, les organisations notent que leur participation dans le champs de la tuberculose et du paludisme est encore limitée. La DOT communautaire, ou encore l’implication des OSC dans l’éducation et la prise en charge des cas de paludisme dans la communauté se développe lentement. De bons exemples en RDC ont montré que la prise en charge communautaire du paludisme chez les enfants avait entraîné des taux de guérison importants, de même que l’association des OSC dans le dénombrement des ménages au Cameroun facilite le processus de distribution des moustiquaires de manière plus équitable et transparente. Mais contrairement aux OSC du VIH, qui ont bénéficié de beaucoup de renforcement de la part du Fonds mondial et des partenaires du nord, en particulier français pour les OSC d’Afrique francophone (Sidaction, Aides, L’Initiative ont accompagné leur structuration), celles intervenant dans la TB et le paludisme sont encore fragiles et doivent être accompagnées, comme l’ont demandé les organisations tchadiennes et camerounaises qui agissent dans le champ du paludisme.
Ensuite, des schémas de complémentarité entre l’action du ministère de la santé au travers de la santé communautaire et celle des OSC doivent être trouvés. La structuration de la santé communautaire, déployée au travers des relais ou agents de santé, semble la solution privilégiée par les acteurs publics, aux dépens des organisations qui pratiquent le conseil psychosocial et la paire éducation. Une forme de compétition s’installe entre les 2 secteurs, ce qui engage le ministère à mettre de côté les acteurs des OSC et à ne pas les renforcer. Alors que leur travail, notamment dans la lutte contre le VIH et la TB, est complémentaire, pour lutter contre les discriminations, et assurer le suivi des patients pour augmenter l’observance, et l’accès aux populations clés qui rencontrent des difficultés dans l’accès à l’information et aux services. Les participants de presque tous les pays représentés (Burkina Faso, Niger, Bénin, Cameroun) ont souligné leurs difficultés à se faire entendre face à un secteur public en pleine progression, ce qui pose la question de leur pérenité lorsque le Fonds mondial ne sera plus là pour les financer et les défendre.
Conclusion
La cohésion des organisations de la société civile dans un contexte de compétition pour les ressources est, selon les participants de ces enquêtes, l’un des sujets brûlants auquel il faut s’attaquer rapidement. Car face à une nette tendance de réserver une part croissante des subventions à l’achat des médicaments et des intrants comme les moustiquaires imprégnées ou les tests rapides, les sommes disponibles pour les activités de soins, de lutte contre les discriminations et d’accompagnement se réduisent drastiquement, et elles sont d’abord confiées aux ministères de la santé. La survie de la société civile, et de son engagement dépend de cette capacité à se renouveler dans ce contexte et à s’unir pour renforcer son action.