Subscribe To Our Newsletter
Abonnez-vous à notre bulletin
Pourquoi les questions non résolues mineront l’impact des futures subventions NFM4
OFM Edition 140

Pourquoi les questions non résolues mineront l’impact des futures subventions NFM4

Author:

Aidspan

Article Type:
COMMENTAIRE

Article Number: 3

Quatre sujets à aborder dans les futures demandes de financement car ils plombent la mise en œuvre et limitent l'impact

RÉSUMÉ L'allocation des fonds pour le prochain cycle est en cours. Les pays attendent avec impatience les lettres d'allocation. Mais nous savons tous aussi que nous traînons derrière nous les mêmes problèmes non résolus, les mêmes processus contre-productifs de cycle en cycle qui entravent nos performances, étouffent notre innovation et empêchent les progrès attendus. Cet article se penche sur 4 de ces défis, dans une liste non exhaustive de questions que nous devons régler si nous prétendons obtenir un plus grand impact.

La répartition des enveloppes pour le prochain cycle de financement est en cours. Les pays attendent impatiemment la lettre d’allocation, qui leur communiquera des informations sur le montant accordé, la répartition proposée entre les trois maladies, le processus d’élaboration des demandes de financement et les mesures de mise en œuvre.

Du fait que de la reconstitution des ressources qui s’est avérée incomplète, beaucoup craignent que les montants des prochaines subventions ne baissent drastiquement, alors même que partout, la mise à l’échelle des interventions doit avoir lieu pour se rapprocher le plus possible de l’ODD en 2030 : éliminer les trois pandémies.

Comme à l’accoutumée, le mot d’ordre du Fonds mondial sera de « maximiser l’impact des subventions », et maintenant «d’ aller à l’essentiel ». La question du rapport coût-bénéfice (value for money en anglais) est au centre de la discussion, nous sommes collectivement appelés à la responsabilité dans le choix stratégique des activités qui auront le plus grand impact, et à collectivement préserver ce qui a été durement obtenu au terme de 20 ans de lutte.

Les résultats décevants de la reconstitution des ressources ont mis en évidence le fait que les ressources ne sont pas infinies et que c’est peut-être la dernière fois que nous disposons de 15,6 milliards de dollars grâce aux donateurs qui font confiance au Fonds mondial.

Mais nous savons également tous que nous traînons, de cycle en cycle, les mêmes questions non résolues, les mêmes processus contreproductifs, qui grèvent notre performance, bâillonnent notre innovation et empêchent les progrès attendus. Malgré cela nous allons de l’avant, et prévoyons de faire la même chose encore et encore, tout en attendant des résultats différents… sommes-nous devenus fous ?

Un processus d’élaboration des subventions trop court et trop normé, qui bride l’innovation

Le premier obstacle à l’obtention d’un impact est le manque d’innovation dans les subventions qui comprennent des interventions de longue date dont nous savons qu’elles ont peu ou pas d’impact sur les indicateurs. Cela est principalement dû à trois facteurs : le cadre modulaire du Fonds mondial, le manque de partage des interventions réussies et le manque de solutions originales et audacieuses.

Les documents du NFM4, à l’instar de ce qui existait auparavant, sont à nouveau directifs dans la manière de guider les candidats. Le cadre modulaire, qui propose des interventions prédéfinies, est à la fois une bonne source d’inspiration, et un piège dans lequel tombent la plupart des équipes de rédaction. En effet, mal utilisé, il est un « catalogue », une « liste de course » vide de sens, où les interventions ne sont ni adaptées ni articulées entre elles. Les équipes les plus malignes prennent le temps de réfléchir et d’adapter les propositions à leur contexte, mais bien souvent, par manque de temps et d’inspiration, le cadre modulaire se substitue aux nécessaires discussions que les acteurs doivent mener sur leurs besoins, les interventions existantes et ce qu’il reste à faire. Dans de trop nombreux cas, les modules et les interventions sont choisies en amont des discussions, dès le début du processus, et l’on oblige les parties prenantes à travailler dans un cadre trop étroit qui obère l’innovation.

L’autre élément qui empêche l’innovation concerne la difficulté de proposer des nouveautés dès le processus d’élaboration des demandes de financement, et surtout, la difficulté de les budgétiser. En effet, il y a 2 manières principales de proposer des activités innovantes (l’innovation étant ici définie comme l’introduction de nouveaux sujets ou de nouveaux modus operandi) :

  • S’inspirer de ce qui a été mis en place ailleurs et qui a démontré sa plus-value. Dans ce cas, il faut savoir ce qui se fait ailleurs, disposer de l’information suffisante pour réfléchir aux conditions de l’adaptation de la démarche, connaître les coûts associés et les acteurs devant être impliqués afin de pouvoir démontrer que l’intervention est faisable, qu’elle a des chances de réussir, et évaluer le coût de manière précise dans le budget de la demande. Or, les passerelles permettant ce partage d’expérience sont peu nombreuses, le Fonds mondial n’est pas une organisation apprenante où la gestion de la connaissance est mise en valeur, il est donc difficile que cette information circule entre les programmes des différents pays. Ce sont finalement les consultants qui parfois, transmettent ces expériences d’un pays à l’autre. Mais comme le temps est compté pour observer ce que font les autres, et que la littérature scientifique est peu accessible, en particulier aux acteurs francophones, de nombreux pays ratent des occasions de reproduire ce qui fonctionne ailleurs. Un exemple est le temps perdu à introduire la prophylaxie pré-exposition (PreP), dont on sait qu’elle donne des résultats satisfaisants, mais qui, au cours de la NFM3, a encore soulevé de nombreuses questions au point qu’elle a été introduite en tant que “pilote” alors que les preuves de sa valeur ajoutée étaient déjà disponibles.
  • L’autre manière de faire « entrer » l’innovation dans les subventions est de faire un « pari » programmatique, mélange savant de leçons apprises d’interventions antérieures peu satisfaisantes, de lectures de ce qui marche ailleurs, et de tentative de changer de paradigme pour réussir. Un secteur dans lequel cette innovation est nécessaire est celui de la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant dans les pays d’Afrique de l’Ouest et du centre. Les résultats sont désastreux, comme l’a rappelé le 2 décembre dernier le Dr Geres Ahognon le directeur du réseau EVA (Enfants et VIH en Afrique)  « Vous avez à peine 35 % de dépistés, 35 % sous traitement et 27 % qui ont une suppression de la charge virale, preuve qu’il y a soit un problème au niveau du médicament soit qu’il n’est pas efficace ou est mal pris ». Par ailleurs, la question de la santé néonatale dans la même région se pose avec la même acuité : au même rythme que le taux de natalité, la croissance de la mortalité infantile, due à principalement deux facteurs : l’asphyxie et les infections. L’équipe d’anthropologue de l’IRD a bien démontré comment des disciplines telles que l’anthropologie, la sociologie et l’andragogie sont nécessaires pour comprendre comment des gestes simples permettant de sauver les enfants ne sont pas pratiqués. Mélanger les sciences sociales à la santé, chercher des interventions transversales qui allient les services de vaccination (eux aussi en déshérence avec une baisse dramatique de la vaccination de routine en 2021 et 2022), les services de maternité, avec ceux de la lutte contre les pandémies, et les communautés, prennent alors tout leur sens. Ceci devrait être soutenu par un programme ambitieux de formation et d’accompagnement du personnel des centres de santé afin de garantir qu’une qualité minimale de soins soit fournie aux mères et aux nouveau-nés.

En raison du manque de temps pour décrire l’innovation lors de l’élaboration de la demande de financement, de l’incapacité de chiffrer l’innovation et de l’hésitation à promouvoir de nouvelles interventions qui risquent d’échouer, les demandes de financement manquent d’approches nouvelles et audacieuses qui pourraient véritablement changer la donne.

Le serpent de mer de la rémunération des ressources humaines médicales et paramédicales

Les règles du Fonds mondial sont claires : les fonctionnaires des ministères recevant un salaire, il n’est pas possible de les rémunérer, et l’octroi de primes est soumis à des exceptions décrites dans le manuel opérationnel. Les raisons sont simples à comprendre : ne pas créer un système de double financement, ou de motivation qui soit contreproductif à termes puisqu’il habitue le personnel à travailler avec des ressources qui ne seront pas pérennes dès le retrait de la subvention du Fonds mondial.

Dans le même temps, on regrette la faible quantité de ressources humaines disponibles et bien formées dans les systèmes de santé des pays en développement, et l’on s’interroge sur la décence de leur demander parfois de gros efforts pour un salaire que l’on sait, dans le meilleur des cas faible, et dans d’autres même impayé. Nous sommes tous conscients que ce système de gestion des ressources humaines en santé est exsangue ou inexistant, trop peu financé par les États et dysfonctionnel car très fragmenté (chaque partenaire verse des primes sa guise sans respecter un barème, le Fonds mondial tente d’éviter les doublons dans ses subventions, mais il est difficile de savoir ce que versent les autres bailleurs).

La précarité des conditions des ressources humaines explique en partie la tenue des très nombreux ateliers et la conduite des missions, ce que reconnaissent volontiers les collègues fonctionnaires. Au lieu d’aider les ministères à réformer la gestion des RHS, notamment la gestion des compétences, la formation initiale et continue, le déploiement, la rémunération et les primes, on continue à détourner l’attention de ce problème majeur. Il en résulte que des millions de dollars sont dépensés pour des activités à l’impact discutable. Les membres du Comité d’examen technique (TRP en anglais) ont déclaré dans leur Revue des demande de financement soumises en 2020-2021 que : « dans les contextes d’intervention difficiles, qui présentent des lacunes importantes en matière de ressources humaines en santé, le Fonds mondial peut envisager des demandes bien justifiées de contributions plus élevées et limitées dans le temps pour les salaires, les incitations et les formations, ce qui, par exemple, aiderait à assurer une mise en œuvre efficace du programme et à maintenir les gains du programme tout en laissant du temps pour la transition planifiée de la responsabilité au gouvernement ».

Car le renforcement des capacités des personnels de la santé est un sujet sur lequel il faut urgemment se pencher. Mettre fin à toutes les formations de quelques jours, dont on ne mesure ni la qualité ni le contenu, ni l’impact en termes d’acquisition de connaissances et de compétences, et l’évolution des pratiques des personnes formées. L’organisation d’ateliers est devenue une industrie à part entière, avec des coûts unitaires unifiés entre bailleurs, des services d’hôtellerie, des location de salles et de traiteur, des perdiems et des frais de transport. Au cours de l’élaboration de la demande de financement NFM3, les membres du TRP ont demandé à certains pays de dresser la liste de tous les événements de formation prévus, et la liste était incroyablement longue. Leur conclusion était claire : « les candidats doivent examiner d’un œil plus critique leur investissement global dans la formation : bien que le TRP soutienne le renforcement des capacités, il est préoccupé par le nombre de demandes de formation qui ne répondent pas aux besoins sous-jacents, ou par la raison pour laquelle la formation précédente était apparemment inefficace et non institutionnalisée ».

Cependant, par manque d’expertise en matière d’ingénierie de formation et de renforcement des capacités, les demandes de financement comportent peu de « solutions d’andragogie », peu d’approches de compagnonnage, de mentorat, d’accompagnement au changement dans le cadre de l’introduction de nouvelles interventions ou tout simplement de méthodes de gestion nouvelles. Il n’existe en général pas de « ligne de base » des compétences (et la plupart des ministères ne disposent pas d’un référentiel de compétences, de fiches de poste à jour par compétences, ni d’outil d’évaluation efficace) qui serve de référence pour évaluer les progrès dans l’acquisition de savoirs et de savoir-faire. Or, il s’agit d’un capital immatériel stratégique, bien loin des résultats tangibles réclamés par le Fonds mondial. Mais on sait aujourd’hui qu’aucun renforcement du système ne peut être conduit sans un renforcement des capacités des ressources humaines. De bons exemples existent, comme le CARPESS développé par l’Institut Technologique D’anvers (ITM) pour former les cadres du ministère de la santé du Maroc. Aujourd’hui accrédité par l’Office Régionale MENA de l’OMS, ce Certificat mixait des approches classiques d’apprentissage avec des méthodologies de mentorat individuel, des study tours dans des pays européens et un travail de fin de certificat utile dans le cadre de leurs fonctions. Il répondait à une évaluation initiale des besoins menée avec le ministère et a été développé selon les modalités choisies par le ministère. Cette expérience pourrait être reproduite et répondrait sûrement aux intérêts des ressources sanitaires.

Les tradipraticiens et les accoucheuses traditionnelles

La réponse aux problèmes de santé rencontrés par la population ne peut ignorer le poids des acteurs traditionnels, qui sont le plus souvent le premier recours de la population. Des études de l’Organisation Mondiale de la Santé ont montré que 80% des patients qui ont un problème de santé s’adressent d’abord à un praticien traditionnel, recourent à l’automédication (notamment l’achat de médicaments sur le marché), et le recours à un centre de santé vient beaucoup plus tard. Cette décision sur le recours aux soins, étudiées par des enquêtes CAP (Connaissances, Attitudes, Pratiques), dépend de facteurs complexes et interconnectés : la perception de la maladie et son lien avec la magie, la confiance placée dans les acteurs traditionnels membres de la communauté, la confiance placée dans les institutions sanitaires pour régler un problème de santé, ou encore le coût que cette démarche engendre, en particulier dans les zones rurales où le déplacement prend plusieurs heures et coûte cher. Le tradipraticien est considéré comme le dépositaire du savoir ancestral qu’il a pour mission de répandre dans la société. Le recours à lui résulte aussi bien de la science qu’il possède ou est censé posséder que du sentiment qu’a la société de passer par cet intermédiaire utile pour obtenir l’opinion des ancêtres.

Les acteurs communautaires tels que les organisations à base communautaire en sont conscients et ils sont plus disposés à collaborer avec les guérisseurs traditionnels, notamment pour la notification des nouveaux cas de tuberculose. L’examen thématique de la PTME dans huit pays montre que les accoucheuses traditionnelles (AT) sont peu impliquées lorsqu’il s’agit de contribuer à l’information et au dépistage du VIH chez la mère et que les services en établissement manquent l’occasion d’interagir avec les AT, ce qui contribue à l’échec de l’utilisation des normes sociales de manière positive et à la réticence de certaines mères à se faire dépister et traiter.

L’une des raisons de cette ” ignorance ” est le manque de supervision et de relations formelles entre le système de santé formel et les acteurs traditionnels. Certains pays d’Afrique francophone ont donné un cadre légal à la pratique de la médecine traditionnelle, ce qui se traduit par l’existence d’un texte juridique réglementant cette pratique. C’est le cas du Burkina Faso, de la République centrafricaine, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée équatoriale, du Mali et du Niger. Même si un cadre similaire est encore controversé dans des pays comme le Cameroun ou le Sénégal, en règle générale, il semble que la difficulté réside plutôt dans le choix des mécanismes les plus appropriés pour réglementer l’activité que dans un rejet de l’activité elle-même.

Et la discussion s’étend, bien sûr, au rôle joué par les accoucheuses traditionnelles dont la pratique est réglementée par l’OMS depuis 1992 dans la Déclaration conjointe OMS/FNUAP/UNICEF sur les accoucheuses traditionnelles. Des expériences documentées ont montré que leur participation à plusieurs tâches et leur inclusion dans le système formel constituent un pont indispensable entre les femmes enceintes et le système de santé formel. Au Malawi, grâce à la formation et à la supervision des accoucheuses traditionnelles, un plus grand nombre de femmes enceintes ont été orientées vers des établissements de santé, et le rôle central joué par ces femmes dans le suivi des bébés avant et après l’accouchement a eu un effet très positif. Au Rwanda, le programme de formation des accoucheuses traditionnelles a contribué à faire baisser la mortalité maternelle de 750 à 290 décès pour 100 000 entre 2008 et 2021. Dans le cadre de la lutte contre la transmission mère-enfant du VIH (TME) ou pour le suivi de la chimioprophylaxie du paludisme chez les femmes enceintes, la collaboration avec les accoucheuses traditionnelles (formation, équipement, supervision, mise en place de relations formelles avec les centres de santé) est un atout majeur qui pourrait améliorer l’atteinte des indicateurs.

Les procédures trop complexes et la nécessaire souplesse pour travailler dans des environnements complexes et changeants

Enfin, cette discussion est devenue récurrente et le serpent de mer du Fonds mondial : comment simplifier les procédures d’engagement et de justification des dépenses, afin de gagner du temps, et de mettre en œuvre des interventions pertinentes et souples ? Dans les pays en développement, où les activités en zone rurale restent importantes, et où la tradition demeure orale, les manuels de procédures de trois-cents pages, les procédures de passation de marchés qui prennent des mois, les reprogrammations qui mobilisent les acteurs pendant 1 à 2 trimestres, sont autant d’obstacles que l’on pourrait éviter. Les acteurs de mise en œuvre du système de santé le reconnaissent sans en être fiers : les financements du Fonds mondial sont ceux qu’ils utilisent en dernier, car ils demandent un effort de procédures trop important, et les conséquences si les dépenses sont jugées inéligibles sont graves puisqu’il faut rembourser. Dans le doute, ils préfèrent s’abstenir et travailler avec des partenaires plus souples et moins pointilleux. Les bénéficiaires principaux de ces pays s’agacent des discussions qui tournent autour des procédures et pas autour de l’essentiel : l’impact.
Quand cessera-t-on de se cacher une réalité que nous connaissons tous ? Les procédures de planification, d’engagement, de justification, de reprogrammation sont trop lourdes. La mise en place des agences fiscales, loin de simplifier les processus et de renforcer les acteurs de mise en œuvre, crée encore plus de confusion, de frustration et de blocage dans la mise en œuvre. Entre coût inéligible et risque opérationnel et réputationnel de services qui n’arrivent jamais aux patients, il faut choisir, de manière responsable mais claire.

Car le plus paradoxal est d’entendre les professionnels du Secrétariat se plaindre de la lenteur de la mise en œuvre et s’étonner des blocages, quand ces derniers sont le produit de procédures exigées par eux ou leur pourvoyeur de services comme les agents fiscaux. D’une certaine manière, le Fonds mondial a créé un monstre. Il suffit de regarder les 400 pages du manuel opérationnel (uniquement disponible en anglais, et que nous avons critiqué à plusieurs reprises dans les pages du GFO), qui grossit et se complexifie de cycle en cycle.

Il est grand temps de changer de méthode, si l’on souhaite que les subventions octroyées au pays pour le prochain cycle obtiennent l’impact attendu.

Leave a Reply

Your email address will not be published.

Aidspan

Categories*

Loading
Aidspan

Categories*

Loading