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PAS DE RÉPONSE EFFICACE À COVID-19 EN AFRIQUE SANS L’IMPLICATION DES ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE.
OFM Edition 98

PAS DE RÉPONSE EFFICACE À COVID-19 EN AFRIQUE SANS L’IMPLICATION DES ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE.

Author:

Christelle Boulanger

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 2

La pandémie d'Ebola a montré que les communautés doivent être impliquées dans les solutions locales à toute pandémie

RÉSUMÉ Les discussions qui ont lieu actuellement pour élaborer des plans d'atténuation du COVID-19 portent sur les mesures médicales et préventives les plus urgentes pour empêcher la propagation de l'épidémie dans les pays. Néanmoins, les leçons tirées d'Ebola montrent que la lutte contre COVID-19 produira de nombreux défis économiques, culturels et sociaux supplémentaires qui doivent être relevés par une série d'acteurs, parmi lesquels les organisations de la société civile jouent un rôle clé.

Lorsque l’on pense aux épidémies récentes en Afrique, c’est bien entendu Ebola qui nous vient à l’esprit. Par son caractère virulent, son absence de vaccin et de traitement, mais aussi par son caractère choquant pour les populations des pays touchés, elle a marqué les esprits. S’il y a bien une chose que nous avons apprise à cours de cet épisode, c’est le caractère indispensable de la multidisciplinarité des acteurs qui se sont unis pour combattre l’épidémie. Comme l’explique le professeur Philippe Sansonetti, chercheur en microbiologie, « C’est probablement la première maladie où les interventions sur le terrain ont autant impliqué des médecins, des épidémiologistes que des sociologues et des anthropologues. Ce qui a permis d’identifier très précisément les zones et les sources de contamination. En particulier les événements funéraires, les situations de regroupements traditionnels qui, peut-être, seraient passés inaperçus dans d’autres circonstances ».

image

Source : WHO Africa Dashboard,

 

Alors que le continent africain est désormais touché par l’épidémie Covid 19, qui a déjà infecté plus de 4000 personnes et causé la mort d’une centaine d’entre elles, il est frappant de constater que les leçons apprises dans la crise Ebola ne semblent pas guider la plupart des discussions dans les ministères et chez les bailleurs, principalement focalisés sur la réponse médicale. Les défis du système de santé sont évidents : on peut raisonnablement imaginer que les capacités en matière de gestion des urgences, de coordination des soins intensifs, de nombre de personnels soignants, et d’équipements sont insuffisants. Ils le sont dans les pays aux systèmes de santé apparemment les plus performants ; Et la crise dans ces pays n’est pas encore finie.

Mais au-delà du défi pour les systèmes de santé, dont on sait qu’ils ne pourront pas répondre en cas de diffusion du Covid, les leçons d’Ebola nous apprennent également des choses sur des sujets aussi prioritaires que la protection des soignants, les limites des approches biomédicales qui créent une vive tension sociale entre populations et services de soins, le rôle des médias et la difficulté de communiquer de manière adaptée et efficace, la confiance relative dans le système de santé. A tout cela s’ajoutent des questions liées à la continuité des soins pour les patients chroniques, dont on sait qu’ils sont les premières victimes de ces phénomènes épidémiques.

La protection du personnel soignant

En Europe, le personnel soignant paie un lourd tribut dans la lutte contre le Covid 19 : en Italie, 4824 professionnels ont été infectés en date du 24 mars, 5400 en Espagne (ce qui représente 14% des infections totales), en France l’AP-HP annonçait 600 contaminations la semaine dernière. En cause, la virulence de la transmission, mais également l’insuffisance des mesures de protection des soignants : trop peu de masques qui doivent être recyclés, plus de double protection, écrans faciaux introuvables… .

Lors du dernier épisode Ebola entre 2014 et 2016, 891 personnels soignants sont décédés du virus sur les 10.000 personnes décédées, soit 9% du total. On se souvient des disputes importantes et longues sur les tenues et les protections utilisées pour prendre en charge les malades. Sans rentrer dans ce long débat, il est clair que la protection des soignants, déjà peu nombreux, ainsi que celle des acteurs communautaires qui seront impliqués dans les activités que nous décrirons plus loin est essentielle. Ces acteurs ont systématiquement été oubliés lors de la réponse à Ebola, niant leur rôle important dans les activités de sensibilisation et de prévention, leurs besoins en matière de protection, de soutien psychologique et social.

Nous ignorons si aujourd’hui, dans les évaluations des besoins faites par les ministères de la santé, ces besoins ont été pris en compte et si les personnels des organisations communautaires peuvent compter sur la protection qui sera mise en place pour le personnel sanitaire.

Les approches bio sécuritaires et leurs limites

Les pays qui sont parvenus à répondre rapidement à l’épidémie du Covid 19 ont appliqué les mêmes stratégies : tester de manière systématique et à grande échelle la population en isolant très rapidement les cas positifs, et l’application de mesures de confinement. On a observé la difficulté des français, des italiens ou des américains à respecter les consignes de prévention dès leur mise en place : distanciation sociale, puis confinement. Et tout cela alors que les sources d’informations sur les modes de transmission, la reconnaissance des symptômes, les gestes à adopter… étaient largement accessibles et compréhensibles par tous.

Le travail socio-anthropologique effectué au moment de la crise Ebola a bien montré à quel point les approches bio-sécuritaires, fondées sur le savoir médical, et la diffusion d’informations par les canaux traditionnels n’étaient pas efficaces. La réinterprétation locale des décisions nationales et des orientations internationales de l’OMS a contrarié ces plans, à tel point que les interventions des personnels soignants et des agents communautaires ont rencontré de fortes résistances de la population et des refus de soins. Parmi les mesures les plus impopulaires : l’isolement des malades qu’on ne revoit pas toujours vivant, l’évacuation des corps et l’impossibilité d’organiser des funérailles, les désinfections autoritaires et aux yeux de tout le quartier des logements de personnes contaminées, le dépistage obligatoire lié à l’étude de la chaine de transmission…

Alice Desclaux décrit bien comment on demande alors, et de manière bien tardive, aux anthropologues de se déployer, et « de comprendre les perceptions et attitudes des populations, d’identifier les leaders d’opinion et des « alliés » pour la communication, de suggérer des messages adaptés, et de soutenir la constitution de comités locaux de lutte contre Ebola dans le but de faciliter le déploiement des interventions sanitaires et de favoriser la participation communautaire à la riposte (…). Ce travail, spécifique des configurations microsociales à l’échelle locale, exige un investissement rapide avant que les tensions sociales ne dégénèrent en conflits, important au vu du grand nombre de sites concernés ».

N’est-ce pas également le rôle des communautés de faire remonter les besoins, d’adapter les discours importés du milieu médical, et de soutenir des démarches d’appropriation locale ?

 

La confiance dans le système de santé

Un autre facteur clés de la lutte contre les épidémies vient de la confiance que la population place dans son système de santé, et dans les consignes données par les autorités politiques. Ce qui se joue dépasse bien le simple cadre de l’épidémie, et renvoie à bien d’autres sujets, parmi lesquels :

  • le souvenir de la gestion d’autres crises, quelles qu’elles soient : sanitaires, sécuritaires ou face à un désastre naturel, et la manière dont les pouvoirs publics en place les ont gérées. Ont-ils été transparents et honnêtes ? Ont-ils pris en compte les besoins réels de la population et l’ont-ils protégée ? Ont-ils mis ne place les dispositifs nécessaires pour anticiper des crises futures ?
  • la confiance dans le système de santé « biomédical » : les écrits des socio-anthropologues ont bien montré comment, en parallèle des recherches sur les déterminants de la transmission du virus Ebola, des interprétations populaires fondées sur des référentiel « ethniques » voyaient le jour et conditionnaient les comportements des populations, en particulier en milieu rural. Il est à craindre que dans le cas du Covid, en l’absence d’une bonne connaissance des représentations liées à ce virus importé d’Asie, puis d’Europe au travers de voyageurs, des interprétations soient possibles. Déjà, des écrits ont circulé sur les réseaux sociaux, qui mettaient en cause les intérêts chinois sur le continent africain et voyaient dans le virus une traduction de la volonté du géant asiatique d’affaiblir le continent pour de future négociations.
  • Enfin, cela dépend bien entendu de l’efficacité du système de santé à répondre aux besoins des patients. On sait que la première réponse cherchée, en particulier dans les zones rurales, mais pas uniquement, l’est auprès des tradipraticiens. En cause, la mauvaise qualité des services médicaux dans les formations sanitaires, auxquels s’ajoute le plus souvent des coûts exorbitants à payer pour le patient, qui règle parfois plus de la moitié de la facture. Tout cela provoque une brèche dans la confiance que les populations accordent aux services de santé du système formel.

 

 

Les conséquences bien au-delà de l’épidémie elle-même

On le voit d’ores et déjà, une crise sanitaire comme celle que nous traversons aujourd’hui met en péril tous les fondements de la société, au-delà des vies perdues. D’une part, c’est tout le système économique qui se grippe, économie qui dans les pays de la région fonctionne en partie de manière informelle. Les solutions telles que le télétravail, mais également toute l’économie numérique liée aux achats en ligne sont impensables à grande échelle et inaccessibles au plus grand nombre. Toutes les mesures visant au confinement, couvre-feu et fermetures de lieux de regroupements imposent l’arrêt partiel ou complet des activités de la majorité de la population du continent africain. Dans des pays où l’argent liquide se gagne presque au jour le jour, et où tout un chacun acquiert les produits vendus sur le marché en petite quantité, l’approvisionnement en cas de confinement sera l’un des principaux défis. Très vite, il est à craindre que les couches les plus vulnérables ne soient plus approvisionnées et ne soient encore appauvries.

Cette situation, à laquelle s’ajoutera l’inquiétude de la propagation du Covid 19, sont propices au désordre social qui est visible dans certaines villes européennes. Les force de police et parfois l’armée sont mises à contribution pour faire respecter le confinement, et ces images ont fait dire à certains journalistes qu’il fallait être vigilant concernant nos libertés fondamentales. Le confinement, la distanciation sociale, et le caractère volatile du Covid 19 entraînent une série de réactions inattendues et propices à remettre en question la cohésion sociale. Car certains plus que d’autres auront accès aux tests de dépistage, d’autres seront soignés dans les meilleurs conditions, qui sera le moins affecté par une logistique du confinement qui, de fait, requiert des moyens technologiques, de l’argent liquide, et des économies dont les professionnels pour qui l’activité va cesser (en réalité 95% de l’économie informelle telles que les restaurants, les cafés, les services non indispensables) ne disposeront pas.

 

Réflexion sur le rôle de la société civile dans la crise du Covid 19

L’objectif de cet article n’est pas d’égrener les problèmes auxquels les pays africains vont se retrouver confrontés dans les jours qui viennent. Les images de ce qu’il se passe en Europe et aux Etats-Unis ont fait le tour du monde, et chacun se demande comment anticiper le mieux possible.

Ce qui me frappe cependant, c’est le peu de prise en compte de la société civile dans cette gestion de crise. Il suffit de lire les déclarations des principaux bailleurs, partenaires techniques et financiers,  ministères et gouvernements, pour voir que le principal sujet reste biomédical, comme si l’on pouvait analyser la situation des populations en cloisonnant leurs problèmes : leur santé, leurs moyens de survie, leur sécurité … nous commettons encore et encore la même erreur : ne pas demander aux populations, et à son tissu social le plus organisé, les organisations de la société civile, quels sont leurs besoins et comment concilier au mieux des impératifs sanitaires (gestes de protection et de prévention et confinement) avec une réalité économique, culturelle et sociale qui produit ses propres contraintes. Or, il est urgent de travailler avec les communautés, et d’imaginer une réponse locale, qui vienne des communautés elles-mêmes, afin de ne pas sombrer dans la crise.

Dans ses communications régulières sur le Covid 19, le Fonds mondial, qui s’est par ailleurs montré remarquablement flexible et rapide dans sa réponse au Covid, ne cite pratiquement jamais les OSC. Les principales activités que le Fonds mondial accepte de financer couvrent bien entendu l’approvisionnement, les systèmes de laboratoire, les équipements de protection du personnel soignant, et des agents de santé communautaire. Mais il n’est nulle part fait mention des OSC qui, pour certaines d’entre elles fournissent des services aux patients (dépistage et traitement), et dans d’autres cas, sont des relais importants dans la sensibilisation, la lutte contre la discrimination, la mobilisation communautaire et la veille sur la qualité et la disponibilité des services.

Les organisations de la société civile, si elles sont aidées par des organisations solides (comme Médecins sans Frontières, Action Contre la Faim, la Croix Rouge, Alima), et un pouvoir en place pour renforcer la logistique, seront en mesure de répondre aux besoins en approvisionnement dans les quartiers et dans les villages. Elles sont également capables de mettre en place des réseaux d’entraide, d’informations et d’éducation aux gestes les plus essentiels (tout en assurant l’accès à l’eau et au savon).

Les organisations engagées dans la lutte contre les épidémies connaissent déjà les patients les plus à risque. On sait qu’en plus des victimes du Covid 19, de nombreux patients sont à risque de voir leur traitement interrompu pour de multiples raisons : ruptures de stock dans les pharmacies (le pays a fermé ses frontières terrestres et aériennes, les stocks sont donc difficilement renouvelables), désertion des formations sanitaires par le personnel de santé qui ne se sent pas protégé ou qui sera atteint par le virus, difficulté des patients à parcourir de longues distances en l’absence de transports publics ou de taxis,… . Là encore, un système de renouvellement des ordonnances pour une durée de 6 mois (si les stocks le permettent), et la distribution des traitements contre le VIH et la tuberculose par les organisations communautaires est une bonne option. En ce qui concerne la lutte contre le paludisme, les CPS doivent débuter, et les activités telles que les pulvérisations intra-domiciliaires doivent continuer, il est urgent de réfléchir à la manière de protéger les équipes.

Enfin, c’est bien à la société civile de relayer l’Etat pour réduire la fracture sociale qui va inévitablement se creuser entre ceux qui ont les moyens de résister aux mesures de confinement et les autres, entre les villes et les campagnes, entre ceux qui savent lire et ont accès aux informations et ceux qui ne l’ont pas. On ne se méfie jamais assez des traces laissées par ces crises : en Europe, on craint l’après Covid 19, des plaintes devant les juridictions pénales pleuvent contre les membres du gouvernement français, les partis politiques se déchirent après une union qui aura duré à peine 3 semaines, les spécialistes et les scientifiques expriment leurs désaccords publiquement, … Il faudra attendre des mois voire des années pour mesurer toute l’ampleur de cette crise. En Guinée, les anthropologues ont observé les phénomènes de discrimination et de rejet social des patients atteints par le virus, leurs difficultés de retour dans les villages pour lesquelles il a fallu développer des rituels spécifiques de « réintégration sociale », les conséquences psychosociales pour les familles…

C’est pourquoi il est important d’associer dès les premiers débats sur la stratégie de riposte au Covid 19 les OSC. Elles doivent être partie prenante du comité de riposte du ministère de la santé, mais également des autres ministères. Elle doit faire l’objet de l’attention des bailleurs qui peuvent mettre à leur disposition des fonds pour mettre en œuvre les activités de sensibilisation, d’information, de prévention, de distributions de denrées et de traitements, ainsi que de lien social. Le Fonds mondial, dont l’engagement aux côtés de la société civile est ancien et a porté ses fruits avec la création des plateformes société civile, peut et doit donner l’exemple, en finançant ces activités, en mettant à disposition des OSC sa force de plaidoyer pour les aider à s’imposer comme un acteur clé de la réponse nationale dans les pays africains, et pour engager le reste des bailleurs de la santé (Gavi, Fondation Bill et Melinda Gates, Banque Mondiale) à en faire de même.

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