Les Observatoires sont reconnus et respectés, ce qui constitue une réelle source de satisfaction
Author:
Christelle Boulanger, Simon Kabore
Article Type:Article Number: 5
« Mais nous risquons de perdre notre caractère communautaire et notre militantisme», déclare Simon Kabore
Les systèmes de suivi pilotés par la communauté ont été mis en place il y a plusieurs années par des organisations locales de la société civile en réponse aux dysfonctionnements des systèmes de santé. Des progrès ont été enregistrés en termes de réduction de la fréquence des ruptures de stock, d'augmentation du financement national ou d'amélioration de la qualité des soins. Les OSC ont réussi à se positionner sur le plan politique et à influencer les ministères de la santé grâce à leur propre mécanisme de production de données. Néanmoins, il est nécessaire de veiller à ce que ces mécanismes conservent leur autonomie et leur réactivité, surtout lorsque les financements des partenaires deviennent plus exigeants et plus rigides. Nous avons interviewé Simon Kabore.
- Vous avez évalué les résultats de l’Observatoire UCOP+. Quelles sont vos principales conclusions?
Tout d’abord, L’Union Congolaise des Organisations des PvVIH (UCOP+) en République Démocratique du Congo (RDC) s’est positionnée comme un partenaire influent du Ministère de la Santé (MS) et des programmes, participant aux discussions en apportant des données justificatives et non des suppositions ou des points de vue singuliers. La société civile dispose de son propre mécanisme de production de données, et les données collectées et analysées sont utilisées pour juger de l’efficacité des techniciens du ministère de la santé. Cette approche renforce la position technique et l’influence de la société civile.
Deuxièmement, l’Observatoire a résolu des problèmes liés à l’accès aux traitements, en tirant la sonnette d’alarme et en trouvant des solutions avant que les patients ne soient excessivement affectés. Mais, malgré son expertise technique et ses ressources, l’UCOP+ a eu peu d’impact sur les problèmes structurels tels que le sous-financement du système de santé, la mauvaise organisation des services et les problèmes de gouvernance. En RDC, les médicaments antirétroviraux (ARV) et les services liés au VIH sont théoriquement gratuits, mais dans la pratique, la majorité des centres de santé sont privés et pratiquent le recouvrement des coûts. L’UCOP+ n’a aucun contrôle sur ce problème, car le gouvernement ne subventionne pas les établissements de santé, ce qui constitue un déficit structurel compliqué à gérer. Nous devons donc renforcer l’aspect politique en combinant les efforts d’autres acteurs de la société civile pour créer un rapport de force qui poussera le gouvernement à investir davantage dans les soins de santé. L’Observatoire ne doit pas être un simple “bureau” qui collecte des données et effectue des analyses; en plus de sa fonction technique, il doit encourager activement l’amélioration des soins de santé.
- Quelles leçons pouvez-vous tirer de votre vision globale des différents types de mécanismes de suivi communautaire, et des résultats obtenus en plus de 10 ans?
Au fil des années, nous avons assisté à une prolifération des systèmes de suivi communautaire, mais, globalement, parmi les approches utilisées, j’observe deux grandes tendances:
- L’approche “collaborative” dans laquelle les observatoires coopèrent avec les autorités du Ministère de la santé pour la collecte et l’analyse des données, et le partage de ces données pour la validation des rapports. Ils ont des accords avec les services de santé, ils interrogent les prestataires et valident les données avec le ministère de la santé.
- L’approche “provocatrice” et conflictuelle, dans laquelle l’Observatoire joue un rôle de surveillance; ses collecteurs de données ne sont pas connus du ministère de la santé, ils mènent des enquêtes et des recherches et produisent des données et des analyses que les Observatoires ne partagent pas avec les autorités sous leur forme brute. Les autorités ne prennent connaissance des données que lorsque les rapports sont rendus publics.
Lorsque j’effectue des missions d’assistance technique sur ce sujet, je recommande l’approche collaborative pour plusieurs raisons:
- La démocratie n’est pas suffisamment développée dans nos pays, dans le sens d’une prise en compte de l’avis des citoyen(ne)s lors des prises de décision; la pression sur les autorités ne fonctionne donc pas systématiquement.
- Les citoyen(ne)s n’ont pas les moyens d’interpeller les autorités et de faire bouger les choses. Les manifestations et les articles de journaux ne donnent pas de résultats et les autorités refusent de coopérer.
C’est la raison pour laquelle l’approche collaborative est risquée: nous devons toujours penser aux intérêts des patient(e)s, mais parfois certains systèmes mettent trop l’accent sur la collaboration pour obtenir l’accès aux données et le financement des bailleurs de fonds.
Au départ, nous n’avons pas suivi de modèle particulier, adaptant notre approche et nos outils au fur et à mesure des circonstances. Puis les partenaires financiers se sont intéressés aux Observatoires et nous ont donné les moyens de mener à bien nos activités, mais cette situation a créé une certaine rigidité. Notre réactivité et notre adaptabilité ont été réduites, de même que notre autonomie, car les partenaires ont une vision et des attentes précises, avec leurs propres outils et cadres de performance. Nous risquons de perdre notre caractère communautaire et de militantisme, étant donné le risque de perte de financement en cas de mauvaise coopération avec le ministère. Le financement d’Expertise France était flexible, avec un dialogue direct avec le bailleur de fonds, mais avec le Fonds mondial l’approche est complexe, car le soutien à l’Observatoire est inclus dans la subvention, avec des systèmes de gestion bureaucratiques.
- L’observatoire du RAME (Réseau d’Accès aux Médicaments Essentiels) a fait l’objet d’une évaluation cette année. Quel bilan dressez-vous de vos 15 années d’expérience au Burkina Faso, en Guinée et au Niger?
Notre Observatoire a été récemment évalué et, globalement, l’évaluation a montré qu’il était pertinent et utile pour pallier certains dysfonctionnements. L’évaluation a mis en évidence un niveau d’influence insuffisant et de faibles capacités de gestion et de coordination pour les trois programmes nationaux. Mais elle a également souligné que nous avions accompli des progrès considérables grâce à notre plaidoyer : aujourd’hui, notre succès est attesté par l’inscription au budget national d’une ligne pour l’achat de traitements contre le VIH. Nous avons été au cœur du débat sur la gratuité des traitements, nous avons contribué à l’équipement des centres et à la résolution de nombreux problèmes de rupture de stock. Dans les trois pays, les ruptures de stock sont moins fréquentes, même si nous n’avons pas d’influence structurelle sur le système. Les trois Observatoires continuent de fonctionner après l’arrêt des financements d’Expertise France, et nous avons mobilisé d’autres ressources, telles que les subventions du Fonds mondial. Les Observatoires sont reconnus et respectés, ce qui constitue une réelle satisfaction.