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Les conclusions du processus de l’Avenir des initiatives pour la santé mondiale (Agenda de Lusaka) : Que peut-on en espérer ?
OFM Edition 165

Les conclusions du processus de l’Avenir des initiatives pour la santé mondiale (Agenda de Lusaka) : Que peut-on en espérer ?

Author:

Ida Hakizinka et Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 4

Le 12 décembre 2023 marque le lancement de l'Agenda de Lusaka, qui établit les bases d'une action concertée visant à soutenir ces transformations. Il propose un plan d'action en faveur d'une vision commune à long terme des systèmes de santé financés au niveau national, ainsi que d'une Couverture Sanitaire Universelle (CSU) qui ne laisse personne de côté. Pour atteindre ces objectifs, l’Agenda propose cinq changements majeurs. Cet article propose une présentation, non sans évaluation critique, de ces changements. L’idéal réussira-t-il le test de la réalité?

Qu’est-ce que l’Agenda de Lusaka?

 

Le paysage mondial du financement de la santé est dense et souvent complexe à appréhender. Une multitude d’acteurs interviennent, des gouvernements nationaux aux organisations internationales en passant par les organismes philanthropiques et les entreprises privées. Chacun de ces acteurs a ses propres objectifs, priorités et mécanismes de financement, ce qui crée un écheveau parfois difficile à démêler pour ceux qui cherchent à comprendre le fonctionnement global du système de santé. De plus, les politiques et les stratégies de financement évoluent constamment en réponse aux changements démographiques, économiques et politiques, ajoutant ainsi une autre couche de complexité à cet environnement déjà dense.

 

Figure 1 : Un aperçu des canaux financiers entre les 19 organisations sélectionnées et d’autres organisations clés (ONG locales, ministère des finances).  

Source: Cailhol, J., Gilson, L. & Lehmann, U. A decade of aid coordination in post-conflict Burundi’s health sector. Global Health 15, 25 (2019)

 

En conséquence, naviguer dans ce paysage requiert une compréhension approfondie et une analyse minutieuse pour identifier les lacunes, les opportunités et les défis afin de garantir un financement adéquat et équitable pour la santé à l’échelle mondiale. C’est dans ce contexte qu’intervient l’Agenda de Lusaka.

 

Cette initiative internationale vise à propulser les Initiatives pour la Santé Mondiale (ISM) et l’écosystème de la santé au sens large vers une vision de systèmes de santé financés au niveau national et de couverture sanitaire universelle (CSU). Issu d’un dialogue multipartite, marqué par le Dialogue de Wilton comme moment charnière (voir la liste des IMS, pays partenaires de mise en œuvre, bailleurs de fonds, OSC participants ici), et conduisant au processus de l’Avenir des Initiatives pour la santé mondiale (FGHI en anglais), l’Agenda de Lusaka a été officiellement lancé le 12 décembre 2023, à l’occasion de la Journée de la Couverture Sanitaire Universelle.

 

Les discussions ont principalement porté sur les ISM nationales telles que Gavi, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et le GFF, mais ont également inclus d’autres acteurs clés tels que la CEPI, Unitaid et FIND. Des représentants des bailleurs de fonds, des gouvernements, des organisations de santé mondiale, de la société civile et de la recherche ont participé pour garantir une approche alignée et cohérente. L’Agenda consigne un consensus autour de plusieurs changements pour l’évolution à long terme des ISM.

 

Figure 2 : Processus ayant conduit à l’Agenda de Lusaka et suite

Source : Programme d’alignement mondial et impact sur les pays

 

Les changements préconisés

 

L’Agenda de Lusaka recommande cinq changements principaux :

  1. Renforcer la contribution aux soins de santé primaires (SSP) en consolidant concrètement les systèmes de santé : Les ISM sont censés apporter une contribution plus importante aux soins de santé primaires en renforçant efficacement les systèmes de santé. Il s’agit d’améliorer l’accès aux services essentiels, de promouvoir les mesures préventives et de garantir des soins de proximité.

 

  1. Servir de catalyseur en faveur du financement national et durable des services de santé et des fonctions de santé publique : ce qui peut renforcer la durabilité et réduire la dépendance à l’égard des sources de financement extérieures.

 

  1. Renforcer les démarches conjointes pour atteindre l’équité des résultats en matière de santé : en veillant à ce que les services de santé soient distribués équitablement et atteignent les populations marginalisées.

 

  1. Assurer la cohérence stratégique et opérationnelle : ce qui permet de rationaliser les efforts et les ressources en vue d’atteindre des objectifs communs en matière de santé.

 

  1. Coordonner les approches concernant les produits, la recherche et le développement (R&D), ainsi que la fabrication régionale, afin de remédier aux défaillances du marché et des politiques liées à la santé mondiale : en encourageant l’innovation et les progrès dans la prestation des soins de santé.

 

Cette perspective implique une transition significative dans la manière dont les interventions en matière de santé sont conçues et mises en œuvre :

  1. Les pays chargés de la mise en œuvre prennent un rôle de plus en plus proactif dans l’identification des priorités en matière d’interventions équitables, essentielles et rentables. Ceci est basé sur leur capacité et leurs ressources financières propres.

 

  1. Les bailleurs de fonds délèguent davantage la responsabilité de la mise en œuvre aux pays bénéficiaires, démontrant une plus grande tolérance au risque et acceptant des résultats plus globaux en termes de santé publique, en mettant l’accent sur les soins de santé primaires.

 

  1. Les ISM soutiennent les pays dans cette transition en mettant l’accent sur la durabilité, en adoptant une approche opérationnelle plus flexible pour répondre à l’évolution des capacités nationales, et en garantissant que leurs investissements complètent les financements nationaux et autres sources de financement externes.

 

Pour les rédacteurs de l’Agenda, cette approche vise à renforcer l’appropriation nationale des programmes de santé, à accroître l’efficacité des interventions et à favoriser une utilisation plus efficiente des ressources disponibles, tout en favorisant une plus grande responsabilisation des acteurs nationaux et internationaux impliqués dans le domaine de la santé.

 

Le calendrier de mise en œuvre des recommandations de l’Agenda

 

Ces changements reflètent l’évolution du contexte mondial de la santé, marqué par des priorités de financement changeantes, des réductions potentielles du financement des donateurs et la nécessité pour les pays de travailler différemment pour faire face à diverses questions liées à la santé, telles que les épidémies, le changement climatique, les contraintes économiques et l’évolution de l’épidémiologie. En mettant l’accent sur ces changements et en fixant des priorités à court terme pour catalyser les actions en ce sens, l’Agenda de Lusaka fournit la feuille de route pour une action coordonnée visant à soutenir ces changements et à se rapprocher d’une vision de systèmes de santé financés au niveau national et d’une CSU.

 

Le calendrier de mise en œuvre des recommandations prévoit l’engagement d’ISM dans les pays pionniers afin de mettre en évidence les différents niveaux de maturité des systèmes. Ce calendrier établit un cadre pour le travail et la supervision conjoints, la simplification des processus de subvention et la transparence des flux financiers afin de créer un système de financement de la santé efficace qui ait un impact, en particulier en période de ressources limitées. Enfin, l’Agenda souligne l’importance d’efforts unis et collectifs de la part de tous les groupes de parties prenantes pour réaliser ces changements, étayés par une responsabilité mutuelle.

 

Figure 3 : Afin de rendre opérationnels ces changements et ces actions à court terme, l’Agenda de Lusaka lance un appel à l’action à toutes les parties prenantes impliquées dans le leadership national

 

Les concepteurs et auteurs de cet Agenda mettent en avant l’idée que leur objectif n’est pas de consolider ou de modifier les mandats existants, mais plutôt de promouvoir des changements spécifiques à long terme que chaque ISM devrait favoriser de manière autonome afin de mieux soutenir les pays. Cependant, à ce stade, aucune preuve ne permet de confirmer cette hypothèse. Il existe même quelques motifs de doutes raisonnables.

 

Enjeux et défis

 

Si l’Agenda représente une étape indispensable vers un avenir plus équitable et plus durable pour la santé mondiale, un examen plus approfondi révèle des questions et des défis importants qui requièrent notre attention.

 

Modification de la dynamique du pouvoir : Un objectif louable, mais réalisable à quel point ?

 

Le cœur de l’Agenda de Lusaka réside dans son appel à un changement de paradigme. Il met l’accent sur l’abandon des programmes verticaux pilotés par les donateurs au profit d’un paysage des ISM caractérisé par l’appropriation par les pays, le partage du leadership et des approches spécifiques au contexte. Il s’agit là d’un changement bienvenu, qui résonne profondément avec les inquiétudes suscitées par les approches paternalistes du passé, lesquelles ont souvent relégué les pays bénéficiaires à des rôles passifs. Toutefois, la concrétisation de cette aspiration n’est-elle pas un vœu pieux et exagérément naïf ? Les donateurs traditionnels sont-ils réellement disposés à céder le contrôle ? Les pays bénéficiaires seront-ils dotés des capacités financières et techniques nécessaires pour prendre les rênes ?

 

Premièrement, le démantèlement des structures de pouvoir bien établies au sein de l’architecture mondiale de financement de la santé n’est pas une mince affaire. Certains bailleurs de fonds établis exercent une influence considérable et leur volonté de céder le contrôle reste à démontrer. Des incitations concrètes doivent être créées pour encourager une évolution vers des modèles de financement flexibles et à long terme qui donnent la priorité aux plans de santé nationaux plutôt qu’à des agendas préétablis.

 

Deuxièmement, le renforcement de l’appropriation par les pays dépend de la solidité des systèmes de santé dans les pays bénéficiaires. De nombreux pays en développement ne disposent pas des infrastructures, des ressources humaines (d’ailleurs, on ne retrouve aucune mention des termes « ressources humaines » dans l’Agenda) et des capacités financières nécessaires pour mener et gérer efficacement leurs priorités en matière de santé. Il incombe aux ISM de fournir un soutien ciblé au renforcement des capacités, en veillant à ce que les pays bénéficiaires possèdent l’expertise technique et les structures de gouvernance nécessaires pour diriger leur propre destin en matière de santé.

 

Financer l’avenir : aligner les intérêts ? Oui, mais l’argent suivra-t-il la rhétorique ?

 

La recherche d’une architecture de financement de la santé mondiale plus cohérente, équitable et efficace est au cœur de l’Agenda. Ce dernier envisage la mise en place d’un système où les flux de financement sont harmonisés en fonction des priorités nationales, ainsi qu’une collaboration accrue entre les principales institutions de santé. Cette vision est à saluer et son accomplissement est plus crucial que jamais. Ceci est particulièrement nécessaire pour les prestataires de soins de santé des pays africains qui se retrouvent souvent confrontés à une multitude de processus de candidature, d’évaluations et de systèmes de responsabilité différents entre ces organisations ou ISM.

 

Cependant, un certain scepticisme subsiste. Ce n’est pas la première tentative de mise en place de tels processus d’alignement, et nombre d’entre eux ont échoué.

 

Figure 4 : Un survol rapide des initiatives antérieures à l’Agenda de Lusaka

 

De plus, l’initiative doit être considérée dans le contexte de la pression croissante sur les finances publiques des pays donateurs et des économies importantes déjà réalisées dans la coopération internationale. Si cet Agenda n’est en fin de compte qu’un moyen d’atténuer les programmes d’austérité au détriment d’autres initiatives en matière de santé, son impact global sur la santé mondiale pourrait être extrêmement.

 

En outre, le document souligne le rôle crucial de la mobilisation des ressources nationales dans la réalisation de la CSU. Il s’agit là d’une vérité indéniable. Toutefois, la voie à suivre pour accroître le financement national reste floue. En Afrique par exemple, la Déclaration d’Abuja (2001), dans laquelle les gouvernements se sont engagés à consacrer 15 % de leur budget national à la santé, a fixé des objectifs que la majorité des pays africains n’ont pas encore atteints. Même quand le PIB des pays africains se porte bien, cela ne se traduit pas systématiquement par une augmentation des dépenses publiques en santé. À titre d’exemple, entre 2001 et 2015, les dépenses publiques en santé, en pourcentage du total des dépenses, ont baissé dans 21 pays africains.

 

De nombreux pays en développement sont confrontés à des systèmes de collecte d’impôts faibles et à des ressources économiques limitées. L’Agenda doit être accompagné de stratégies concrètes visant à renforcer la mobilisation des ressources nationales, éventuellement par le biais de mécanismes de financement innovants tels que les échanges de dettes ou les prélèvements sur les transactions financières internationales. En outre, la communauté internationale doit respecter son engagement d’augmenter l’aide publique au développement (APD) dans le domaine de la santé, en particulier pour les pays à faible revenu.

 

Responsabilité, transparence et inclusion

 

Le succès de l’Agenda de Lusaka repose sur des mécanismes de responsabilité solides. Le document souligne la nécessité d’une responsabilité mutuelle entre toutes les parties prenantes – donateurs, pays bénéficiaires, organisations de la société civile (OSC) et des communautés. Toutefois, les détails sur la manière dont cette responsabilité sera mise en œuvre sont rares.

 

Malgré la feuille de route détaillée présentée dans le document concernant les “prochaines étapes”, de nombreuses interrogations subsistent quant au rôle principal des entités gouvernementales dans la concrétisation de l’Agenda de Lusaka. Trouver un juste équilibre entre l’implication du gouvernement et l’espace dévolu aux organisations de la société civile (OSC) et aux communautés représente toujours un défi majeur.

 

Des critères de référence clairs et mesurables doivent être établis pour suivre les progrès accomplis dans les changements convenus. Des mécanismes d’information transparents sont essentiels pour garantir que tous les acteurs soient tenus responsables de leurs engagements. En outre, la promotion d’une culture de partage de données ouvertes est cruciale pour une prise de décision éclairée et une correction de trajectoire le cas échéant.

 

Conclusion : Pessimisme de la raison ou optimisme de la volonté?

 

L’Agenda de Lusaka n’est pas dénué d’intérêt. Il nous oblige à affronter les limites du système actuel et l’échec probable des objectifs mondiaux de santé 2030. Toutefois, la concrétisation de cette « perspective nouvelle » qu’il préconise exige d’aller au-delà de la rhétorique pour élaborer des plans d’action concrets assortis d’étapes mesurables. En réalité, le véritable défi réside dans sa mise en œuvre. Somme toute, seul l’avenir pourra nous dire s’il inaugure une nouvelle ère de collaboration et s’il donne aux pays, en particulier africains, les moyens de réaliser l’objectif de santé universelle pour tous leurs citoyen(en)s.

 

Si le passé peut parfois nourrir un sentiment pessimiste, la nécessité d’agir nous appelle à cultiver un optimisme volontaire. En d’autres termes, malgré les incertitudes quant aux chances de succès de cette initiative, nous ne devons en aucun cas nous résigner. Des vies de millions de personnes sont en jeu.

 

 

 

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