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Démasquer les injustices systémiques : le racisme, le colonialisme et le fardeau inégal de la santé mondiale
OFM Edition 165

Démasquer les injustices systémiques : le racisme, le colonialisme et le fardeau inégal de la santé mondiale

Author:

Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 3

Le monde de la santé mondiale, souvent loué à juste titre pour ses nobles intentions et ses interventions qui sauvent des vies, recèle une face hideuse : l'hydre persistante du racisme, du colonialisme et des asymétries de pouvoir qui perpétue les inégalités et entrave les progrès. À l’occasion du Mois de l’histoire des noir(e)s célébré récemment dans de nombreux pays occidentaux, cet article se penche sur ces problèmes structurels de l'écosystème de la santé mondiale, en explorant comment ils continuent de façonner les résultats en matière de santé dans le monde entier.

Contexte

 

L’image d’un médecin blanc vêtu d’une blouse chirurgicale immaculée, sauvant des vies dans un village africain isolé, a longtemps dominé le récit de la santé mondiale. Bien que cette image ait une part de vérité, elle masque souvent les complexités et les injustices plus profondes qui continuent à affecter l’écosystème de la santé mondiale. En réalité, la lutte pour l’équité en matière de santé dans le monde est étroitement liée à des questions de racisme, de colonialisme, de privilèges et d’asymétries de pouvoir. Pour vraiment comprendre et relever les défis auxquels nous sommes confrontés, nous devons démanteler la façade et affronter l’ombre qui se cache en dessous.

 

Les échos et cicatrices du colonialisme

 

L’héritage du colonialisme jette une longue ombre sur la santé mondiale. L’exploitation et l’extraction des ressources à l’époque coloniale ont non seulement appauvri de nombreuses régions, mais aussi perturbé les systèmes de santé indigènes et les connaissances traditionnelles. Les puissances coloniales ont souvent imposé leurs propres pratiques médicales, sans tenir compte des contextes et des besoins locaux. Il en est résulté un système dans lequel la médecine occidentale est devenue l’étalon-or, tandis que les pratiques traditionnelles étaient marginalisées et jugées “inférieures” ou rétrogrades.

 

Les conséquences de cette situation se font encore sentir aujourd’hui. Le manque de services de santé culturellement appropriés, associé au coût élevé des médicaments occidentaux, empêche de nombreuses communautés d’accéder à des soins adéquats. C’est particulièrement vrai pour les groupes marginalisés, qui sont souvent victimes de discrimination et d’exclusion au sein des systèmes de santé « classiques ».

 

Par ailleurs, la recherche médicale est quelques fois menée sans le consentement éclairé ni l’implication de la communauté. À titre d’exemple, on peut citer les essais d’un médicament réalisés en 1996 au Nigeria sous prétexte d’une action humanitaire pendant une épidémie de méningite et rougeole, ainsi que les tristement célèbres expériences de Tuskegee aux États-Unis, où des hommes noirs ont été infectés à leur insu par la syphilis, ont révélé un mépris flagrant envers la vie des communautés marginalisées. De telles pratiques d’exploitation persisteraient aujourd’hui sous différentes formes, ciblant des populations vulnérables dans les pays en développement. Les sociétés pharmaceutiques privilégient souvent les profits au détriment de la vie et l’accessibilité financière de ces populations.

 

La couleur du privilège et de la représentation

 

Bien que les organisations internationales entendent en permanence œuvrer en faveur de l’équité en matière de santé mondiale, leurs structures peuvent, de manière involontaire ou inhérente au système, perpétuer les inégalités. L’allocation des ressources, la représentation et le pouvoir de décision reflètent souvent des déséquilibres historiques, ce qui entrave la mise en place de pratiques de santé mondiale justes, inclusives, efficaces et adaptées à la singularité des différents contextes culturels.

 

Exemple : La sous-représentation des pays à revenu faible et intermédiaire dans les principaux organes décisionnels contribue à l’élaboration de politiques qui risquent de ne pas répondre de manière adéquate aux divers besoins de santé de la population mondiale. Un important rapport publié en 2022 par le Global Health 50/50 a révélé que dans une écrasante majorité les postes de direction dans les organisations internationales de santé étaient occupés par des personnes, en l’occurrence des hommes originaires de pays du Nord global.

 

Figure 1 : Aperçu de 2014 sièges de Conseil d’administration dans 146 organisations

Source : Rapport 2022 de Global Health 50/50

 

 

Figure 2 : 15 nationalités les plus fréquentes parmi les membres du Conseil d’administration de 146 organisations impliquées dans le domaine de la santé mondiale.

Source : Rapport 2022 de Global Health 50/50

Et le Fonds mondial ?

 

Au sein de cet écosystème complexe, le Fonds mondial est régulièrement cité comme un exemple à suivre, malgré des opportunités d’amélioration encore importantes. Selon le Rapport 2022 du Global Health 50/50 (p. 39), le Fonds mondial se distingue en tant qu’organisation hautement performante, ayant obtenu une note de 6 ou 7 sur 10 dans l’évaluation de 37 organisations. Cette reconnaissance souligne les avancées significatives réalisées par le Fonds mondial dans la mise en œuvre de ses missions.

 

Un exemple éloquent de cette performance réside dans la composition du Conseil d’administration du Fonds mondial, composé de 20 membres votant(e)s, affichant une représentation équilibrée entre les responsables de la mise en œuvre et les donateurs. Précisons que l’Afrique qui bénéficie en très grande partie de l’appui du partenariat financier milite actuellement pour au moins une place supplémentaire au Conseil d’administration du Fonds mondial.

 

De plus, ce Conseil affiche une diversité appréciable, tant au niveau du genre que de la provenance Nord/Sud. Cependant, une attention particulière est nécessaire au niveau du comité de direction, où parmi les 13 membres et l’inspectrice générale, 3 proviennent de pays du Sud global. Cette asymétrie souligne l’importance de renforcer la représentativité des voix issues des régions moins privilégiées et qui concentrent les pays affichant les charges de morbidité les plus élevées pour chacune des trois maladies.

 

Au-delà des instances dirigeantes, une interrogation légitime s’oriente également vers la composition des équipes opérationnelles du Fonds mondial. Les données détaillées sur les pourcentages de différentes nationalités parmi les 1300 employé(e)s du Fonds mondial sont indisponibles. L’analyse de cette composition nationale permettrait une meilleure compréhension de la répartition géographique des expertises et contribuerait à garantir une représentation équitable (diversité et inclusion) des perspectives mondiales dans les processus décisionnels du Fonds mondial dont le siège est, comme pour la quasi-totalité des organisations mondiales, situé en Occident.

 

Figure 3 : Les organisations de l’échantillon ont principalement leur siège social dans des pays à hauts revenus

 

L’absence de représentation et de diversité, ainsi que la dynamique mondiale de pouvoir qui l’accompagne, ne se limitent pas uniquement aux organisations internationales. Cela se manifeste également dans les inégalités épistémiques et les disparités raciales en matière de financement de la recherche entre le Nord et le Sud, et surtout au sein des pays riches, créant des déséquilibres entre les chercheur(e)s blanc.hes et non-blanc.hes. En effet, une étude réalisée en Grande-Bretagne en 2020 a révélé que les chercheurs noirs et issus de minorités ethniques sont confrontés à des obstacles importants en matière de financement, de publication et d’avancement de carrière par rapport à leurs homologues blancs. Cette situation perpétue un cycle d’exclusion et mine le potentiel des diverses perspectives à contribuer à de meilleurs résultats en matière de santé.

 

Figure 4: Les chercheur(e)s issu(e)s de minorités ethniques sont confronté(e)s à un système injuste par rapport aux chercheur(e)s blanc.hes.

Source: Racism, equity and inclusion in research funding

 

Le coût des asymétries de pouvoir

 

Comme on vient de le montrer, l’écosystème actuel de la santé mondiale est dominé par des institutions et des structures de financement largement contrôlées par l’Occident. Les déséquilibres de pouvoir et les privilèges dans cette hiérarchie mondiale de la santé créent une dynamique “donateur-bénéficiaire”, dans laquelle les décisions relatives aux priorités de recherche, aux interventions et à l’allocation des ressources sont souvent prises sans que les communautés les plus touchées par les problèmes de santé mondiale n’aient leur mot à dire. Les pays à hauts revenus exercent pour ainsi dire une influence très souvent disproportionnée, renforçant un paysage sanitaire mondial où les puissants dictent l’Agenda de la santé mondiale. Cela peut conduire à négliger des maladies qui touchent de manière disproportionnée les pays à revenu faible ou intermédiaire, comme les maladies tropicales négligées (MTN). Constituées d’un ensemble varié de 20 maladies, ces affections ne reçoivent qu’une portion minime du financement mondial de la santé, malgré leur impact sur plus d’un milliard de personnes dans le monde, dont 400 millions en Afrique.

 

D’après une étude menée en 2022 dans le cadre du projet spécial élargi de l’OMS Afrique visant l’élimination des maladies tropicales négligées, près de 99 millions de personnes originaires de 26 pays africains courent le risque, cette année, de se voir privées d’accès à un traitement contre des affections telles que la filariose lymphatique, l’onchocercose, les géohelminthiases et la schistosomiase. Plus largement, les maladies tropicales négligées imposent un lourd fardeau socio-économique et éducatif aux patient(e)s et familles qui en sont affecté(e)s. Selon une étude de l’OMS visant à justifier la poursuite des investissements dans l’éradication de ces maladies, les pertes de revenu des ménages liées aux dépenses de santé et aux emplois perdus en raison de ces affections sont estimées à un minimum de 33 milliards de dollars américains par an. À titre illustratif, la trypanosomiase humaine africaine en République démocratique du Congo engendre des coûts qui représentent plus de 40 % du revenu annuel des ménages touchés au sein d’une communauté rurale typique. De même, jusqu’à 75 % des foyers affectés par la leishmaniose viscérale au Bangladesh, en Inde, au Népal et au Soudan font face à des difficultés financières pour accéder au diagnostic et au traitement, même lorsque les tests et les médicaments sont théoriquement gratuits.

 

Ce déséquilibre dans les priorités des initiatives pour la santé mondiale est souvent exacerbé par une insuffisance criante du financement domestique de la santé par les États du Sud (responsabilité coupable des dirigeants locaux), ainsi que par les motivations lucratives des sociétés pharmaceutiques. Ces dernières accordent la priorité au développement de médicaments pour les maladies prévalant dans les pays riches. Exemple : L’inégalité d’accès aux médicaments et vaccins essentiels. La pandémie de COVID-19 a une fois de plus mis en évidence de manière frappante ce problème. L’accès initial aux vaccins a été privilégié pour les pays riches, assurant ainsi leur approvisionnement en vaccins, alors que de nombreux pays africains ont lutté en vain pour obtenir des doses suffisantes, ce qui a entraîné des millions de décès évitables.

 

Soulignons enfin que le racisme, lié au colonialisme, exacerbe également ces inégalités mortifères, et ce, depuis longtemps. Les préjugés fondés sur la race, l’ethnicité et la nationalité influencent en effet l’accès aux soins de santé, le traitement et les priorités de la recherche. Les communautés noires et brunes sont souvent victimes de discrimination dans les établissements de santé, ce qui entraîne des erreurs de diagnostic, des retards de traitement et de moins bons résultats en matière de santé. Comme le souligne dans une récente tribune, Winnie Byanyima, la Directrice exécutive d’ONUSIDA :

 

On dit souvent que les maladies ne font pas de discrimination. Cependant, lorsque nous examinons les effets des crises sanitaires, il est clair que les Africains, les personnes d’ascendance africaine et les autres groupes racialisés sont plus durement touchés, en raison de la nature systémique du racisme. Le racisme n’est pas seulement mortel lorsque les gens ne peuvent plus respirer à cause des violences policières. Le racisme est mortel lorsque des personnes rendent leur dernier souffle à cause de la violence des politiques, y compris des politiques mondiales et nationales qui empêchent les gens d’obtenir les médicaments ou les soins qui pourraient leur sauver la vie. La nécessité de s’attaquer aux inégalités raciales en matière de santé est mondiale.

Tout ce qui précède souligne la nécessité urgente de démanteler le racisme systémique dans les dans l’écosystème de la santé mondiale et dans de nombreux systèmes de santé nationaux.

 

Le statu quo n’est pas une option

 

Pour s’attaquer aux problèmes profondément ancrés du racisme, du colonialisme et des asymétries de pouvoir dans le domaine de la santé mondiale, il faut adopter une approche sur plusieurs fronts. Tout d’abord, nous devons reconnaître les injustices historiques et actuelles qui ont façonné le paysage actuel. Cela implique de démonter le discours du sauveur blanc et de reconnaître l’expertise et les connaissances des communautés les plus touchées par les disparités en matière de santé.

 

Deuxièmement, nous devons investir dans la constitution d’un personnel de santé mondial plus diversifié et plus équitable. Il s’agit notamment de soutenir les chercheurs et les professionnels de la santé des pays à revenus faibles et moyens, de promouvoir des soins culturellement compétents et de garantir l’égalité d’accès aux opportunités et aux ressources.

 

Troisièmement, l’agenda mondial de la santé doit être démocratisé, avec une plus grande représentation et participation des communautés les plus touchées par les problèmes de santé. Cela signifie qu’il faut modifier la dynamique du pouvoir. Il est essentiel de faire entendre la voix et l’expertise des personnes les plus touchées par les problèmes de santé mondiale. La recherche et le développement de programmes menés par les communautés peuvent garantir la pertinence et l’efficacité des interventions sur le plan culturel.

 

Quatrièmement, il faut instaurer l’équité dans la représentation. L’augmentation de la diversité dans les postes de direction et les équipes de recherche au sein des organisations de santé mondiale est essentielle pour garantir des solutions inclusives et efficaces.

 

Conclusion

 

La lutte pour l’équité en matière de santé mondiale ne se limite pas à la fourniture de soins médicaux ; il s’agit de démanteler les structures d’injustice raciale et coloniale qui perpétuent les disparités en matière de santé. En reconnaissant l’ombre, en affrontant ses racines et en travaillant à un avenir plus équitable, nous pouvons construire un véritable écosystème de la santé mondiale plus juste et plus inclusif qui ne laisse personne de côté.

 

 

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