Le partenariat entre le Fonds mondial et Heineken continue de faire la une
Author:
David Garmaise
Article Type:Article Number: 4
Selon un Ʃditorial dans The Lancet, Peter Sands doit trouver un Ʃquilibre entre sa passion du secteur privƩ et le respect du pluralisme de la communautƩ de la santƩ mondiale
RĆSUMĆ Le partenariat du Fonds mondial avec Heineken reste un sujet brĆ»lant et Peter Sands, le Directeur exĆ©cutif du Fonds mondial, est en premiĆØre ligne du dĆ©bat. Cet article fait le point sur les derniers commentaires en date.
Le partenariat Fonds mondial/Heineken continue de faire des remous, et le Directeur exĆ©cutif du Fonds mondial, Peter Sands, sāest vu entraĆ®nĆ© dans le tourbillon.
Dans un profil de M. Sands, paru le 10Ā mars dans The Lancet, Pamela Das cite ce dernier affirmant quāil se concentrera sur Ā«Ā lāefficacitĆ© interne de lāorganisation, et recherchera des partenariats susceptibles de renforcer les capacitĆ©s existantes, par exemple pour contribuer Ć faire face aux difficultĆ©s liĆ©es Ć la logistique et Ć lāapprovisionnement, en vue dāatteindre les populations clĆ©s et de rĆ©duire le nombre de nouvelles infections.
M. Sands a poursuivi en ces termesĀ :
Ā«Ā La communautĆ© de la santĆ© mondiale doit faire participer le secteur privĆ© plutĆ“t plus que moins. Et elle doit le faire plus efficacement que par le passĆ©. Car si nous voulons rĆ©ellement rĆ©aliser les objectifs de dĆ©veloppement durable et mettre en place des systĆØmes de santĆ© plus rĆ©sistants, nous devons nous associer au secteur privĆ© pour mettre Ć profit ses ressources et ses capacitĆ©s dāinnovation.
Le partenariat nāest pas synonyme dāadhĆ©sion aveugle, et selon mon expĆ©rience, les meilleurs partenariats combinent collaboration et volontĆ© de remettre en question et dāĆŖtre remis en question. Jāai Ć©coutĆ© attentivement les prĆ©occupations exprimĆ©es Ć propos des partenariats avec des sociĆ©tĆ©s du secteur privĆ©, et je suis dāaccord pour dire que les bĆ©nĆ©fices de tout partenariat… doivent ĆŖtre soupesĆ©s par rapport aux risques, et je suis prĆŖt Ć Ć©couter diffĆ©rentes perspectives et Ć ouvrir un dialogue sur ces compromis.Ā Ā»
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Dans un Ć©ditorial du Lancet Ć©galement paru le 10Ā mars, on peut lire ceciĀ : Ā«Ā En lāespace de quelques semaines Ć peine, la rĆ©putation du nouveau Directeur exĆ©cutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, Peter Sands, est passĆ©e de figure respectĆ©e Ć irresponsable, selon certaines voix critiques.Ā Ā»
Dans une rubrique parue dans un numĆ©ro de novembre dernier du Lancet, le rĆ©dacteur en chef, Richard Horton, avait rĆ©servĆ© un accueil inconditionnel Ć M. Sands, louant sa Ā«Ā crĆ©dibilitĆ©Ā Ā» et sa Ā«Ā vision nouvelle et rafraĆ®chissanteĀ Ā».
Dans son Ć©ditorial, The Lancet sāexprimait ainsiĀ : Ā«Ā M. Sands a ÅuvrĆ© assidĆ»ment Ć convaincre les gouvernements de prendre les coĆ»ts Ć©conomiques des maladies infectieuses plus au sĆ©rieux. Son expĆ©rience passĆ©e Ć la tĆŖte de Standard Chartered donnait encore plus de force Ć ses arguments. Puis Heineken a fait les gros titres.Ā Ā»
Selon The Lancet, la rĆ©action de M. Sands aux critiques sāest avĆ©rĆ©e solide. Ā«Ā Il reconnaĆ®t que la communautĆ© de la santĆ© mondiale au sens large est sceptique quant Ć la valeur de partenariats avec des sociĆ©tĆ©s comme Heineken. Il est prĆŖt Ć Ć©couter les critiques. Mais dans le mĆŖme temps, il assume pleinement sa position concernant lāengagement avec le secteur privĆ©. Les partenariats avec le monde des affaires seront sa raison dāĆŖtre, ce qui le dĆ©finira.Ā Ā»
Ā«Ā M. Sands adopte une stratĆ©gie de perturbation constructive au Fonds mondialĀ Ā», pouvait-on lire dans The Lancet. Ā«Ā Un tel bouleversement est bienvenu. Le Fonds mondial a besoin dāune nouvelle Ć©nergie et dāun renouveau des pensĆ©es.Ā Ā» The Lancet ajoutait cependantĀ :
Ā«Ā SāaliĆ©ner de larges pans de la communautĆ© de la santĆ© mondiale, avec laquelle le Fonds mondial devrait forger des alliances productives, est une erreur. M. Sands doit suivre des cours de rattrapage en diplomatie appliquĆ©e Ć la santĆ© mondiale et trouver un Ć©quilibre entre sa passion du secteur privĆ© et le respect du pluralisme de la communautĆ© de la santĆ© mondiale. La diversitĆ© de la santĆ© mondiale est une force pour le Fonds mondial. Il convient dāen tirer parti, pas de la dĆ©sestimer.Ā Ā»
Le 13Ā mars, Peter Sands a rĆ©agi sur TwitterĀ :
Ma passion va Ć lāimpact, pas au secteur privĆ© en soi. Et le fait dāĆ©largir lāengagement avec les acteurs du secteur privĆ© nāaugmente-t-il pas la diversitĆ© et le pluralisme dans la santĆ© mondialeĀ ?
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Le 2Ā mars, Ć GenĆØve, la Directrice exĆ©cutive par intĆ©rim du Fonds mondial, Marijke Wijnroks, a rencontrĆ© des reprĆ©sentants dāIOGT International, de lāAlliance mondiale sur les politiques en matiĆØre dāalcool (Global Alcohol Policy Alliance) et de lāAlliance sur les maladies non transmissibles (NCD Alliance), les trois organisations qui sāĆ©taient opposĆ©es au partenariat avec Heineken dans une lettre ouverte envoyĆ©e au Fonds mondial le 1erĀ fĆ©vrier (voir lāarticle de lāOFM).
Ā«Ā Les reprĆ©sentants de la sociĆ©tĆ© civile prĆ©sents Ć la rĆ©union se sont fĆ©licitĆ©s de la nature franche et constructive des discussions et de lāouverture du Fonds mondial concernant la rĆ©vision de ses critĆØres et des procĆ©dures de vĆ©rification prĆ©alable relatifs aux partenariats compte tenu des prĆ©occupations et des preuves avancĆ©esĀ Ā», Ć©crivait lāAlliance sur les MNT le 9Ā mars dans un billet sur son site Web. Ā«Ā Le Fonds mondial sāest Ć©galement montrĆ© intĆ©ressĆ© Ć participer Ć un dialogue sur les dĆ©terminants commerciaux et les partenariats compatibles (ou non) parmi les organismes de santĆ© mondiale et de dĆ©veloppement et les organisations internationales.Ā Ā»
Ā«Ā Nous sommes dĆ©terminĆ©s Ć aider le Fonds mondial Ć la fois Ć rĆ©diger de meilleures directives dāĆ©valuation des risques et Ć sāattaquer Ć lāalcool en tant que facteur de risque majeur pour les personnes et les communautĆ©s touchĆ©es par la tuberculose et le sidaĀ Ā», a dĆ©clarĆ© Kristina Sperkova, prĆ©sidente internationale dāIOGT International.
Dans son billet, lāAlliance sur les MNT indiquaitĀ : Ā«Ā Les commentaires du nouveau Directeur exĆ©cutif Peter Sands dans les jours qui ont suivi la rĆ©unionĀ Ā» ā se rĆ©fĆ©rant au profil dressĆ© par Pamela Das dans The Lancet ā Ā«Ā montrent quāil ne tient pas suffisamment compte des prĆ©occupations exprimĆ©es dans le secteur de la santĆ© et du dĆ©veloppement Ć propos du partenariat avec une industrie de produits nocifs, en particulier en ce qui concerne les bĆ©nĆ©fices quāen tirent ces entreprises, par exemple en termes dāapprobation implicite et dāaccĆØs aux dĆ©cideurs de haut niveau.Ā Ā»
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Dans un article paru le 15Ā mars sur le site Web de National Public Radio aux Ćtats-Unis, Seth Faison, directeur de la communication au Fonds mondial, a rĆ©pondu aux critiques sur le partenariat.
M. Faison y explique que le Fonds mondial doit sāĆ©loigner du statu quo si nous voulons atteindre les objectifs dāĆ©limination du sida, de la tuberculose et du paludisme dans le monde dāici 2030. Et dāaprĆØs lui, Heineken peut lāaider Ć atteindre ces cibles ambitieuses. Ā«Ā Plus prĆ©cisĆ©mentĀ Ā», ajoute-t-il, Ā«Ā Heineken peut nous faire bĆ©nĆ©ficier de son expĆ©rience en matiĆØre de prĆ©vision de la demande et de contrĆ“le de qualitĆ© durant lāexpĆ©dition, de gestion des donnĆ©es et de logistique de la chaĆ®ne dāapprovisionnement. Ce qui importe, cāest de faire parvenir les mĆ©dicaments essentiels et autres fournitures sanitaires lĆ oĆ¹ et quand on en a besoinĀ Ā».
Jason Beaubien, auteur de lāarticle, mentionne un programme mis sur pied par le Fonds mondial en association avec Coca-Cola, baptisĆ©Ā projet Last Mile, trĆØs similaire au partenariat avec Heineken. Le projet Last Mile offre un soutien logistique dans le cadre de la distribution de mĆ©dicaments et de fournitures mĆ©dicales en Afrique.
Lāarticle cite Erika Linnander, responsable technique principale au Global Health Leadership Institute de lāUniversitĆ© Yale, selon laquelle Ā«Ā lāidĆ©e que le projet Last Mile consiste Ć charger des mĆ©dicaments dans des camions de Coca-Cola ou Ć placer des prĆ©servatifs dans les caisses de Coca-Cola est fausse, ce nāest pas vraiment de cela quāil sāagitĀ Ā». Selon Mme Linnander, le projet Last Mile vise Ć transfĆ©rer les connaissances institutionnelles dāune entreprise du secteur privĆ©, Coca-Cola, au secteur public de huit pays africains. Elle donne lāexemple des responsables de la chaĆ®ne dāapprovisionnement de Coca-Cola en Afrique du Sud, qui ont aidĆ© le ministĆØre de la SantĆ© Ć mettre en place un nouveau rĆ©seau de distribution des mĆ©dicaments contre le VIH. Lāobjectif Ć©tait de permettre aux patients dāenlever leurs mĆ©dicaments dĆ©livrĆ©s par le gouvernement dans des lieux plus pratiques, comme des bureaux de poste ou des pharmacies privĆ©es.
Ā«Ā Or, cāest justement Ć Ć§a que Coca-Cola excelleĀ Ā», ajoute Mme Linnander. Ā«Ā Lāentreprise est en contact avec un nombre infini de kiosques dans tout le pays, et achemine ses produits vers toutes sortes de points de vente. Alors elle a aidĆ© Ć la planification stratĆ©gique pour faire parvenir vos produits, ces mĆ©dicaments, Ć dāautres points dāenlĆØvement.Ā Ā»
Mme Linnander a rĆ©digĆ© des Ć©valuations du projet Last Mile. Selon elle, Heineken apporterait probablement une expĆ©rience similaire en matiĆØre de logistique dans le cadre du partenariat avec le Fonds mondial. Elle ajoute que le partenariat avec Coca-Cola a lui aussi parfois suscitĆ© la controverse. Certaines personnalitĆ©s politiques locales remettaient en cause les motifs de Coca-Cola et le caractĆØre appropriĆ© du programme. Coca-Cola a attirĆ© les critiques de responsables de la santĆ© publique dans de nombreuses rĆ©gions du monde, qui lāaccusent de contribuer au problĆØme Ć©mergent du diabĆØte.
Mme Linnander dit avoir elle-mĆŖme beaucoup rĆ©flĆ©chi Ć la question. Ā«Ā Vous savez, je travaille dans un dĆ©partement de santĆ© mondiale. Je pense quāil est utile dāĆŖtre transparent quant aux bĆ©nĆ©fices commerciaux potentiels pour Coca-Cola, principalement en termes de rĆ©putation, dāimage de marque et de considĆ©rations de ce genre. Sāil sāagissait dāune intervention dans le domaine de la nutrition, je crois que jāaurais un point de vue trĆØs diffĆ©rent et que cela me mettrait trĆØs mal Ć lāaise. Mais ce projet [Last Mile] concerne principalement les chaĆ®nes dāapprovisionnement.Ā Ā»
Dans lāarticle de NPR, M. Beaubien cite John Norris, chercheur principal au Center for American Progress, selon lequel ces associations peuvent ĆŖtre difficiles dāun point de vue politique. NĆ©anmoins, M. Norris soutient que les dĆ©fenseurs de la santĆ© mondiale seraient plus avisĆ©s de dialoguer avec lāindustrie de la biĆØre que de dĆ©clarer Heineken trop nuisible pour pouvoir envisager un tel partenariat.
Ā«Ā Bon nombre dāorganismes philanthropiques aujourdāhui tout Ć fait acceptĆ©s ont Ć©tĆ© mis sur pied par des barons voleurs qui ont construit leur fortune en ayant recours Ć des mĆ©thodes pas trĆØs catholiquesĀ Ā», affirme M. Norris. Ā«Ā Je peux certainement comprendre un grief lĆ©gitime de la part de la communautĆ© qui lutte contre les maladies non transmissibles, inquiĆØte dāun partenariat entre une sociĆ©tĆ© qui vend des boissons alcoolisĆ©es et le Fonds mondial. Mais, vous savez, nous vivons dans un monde tellement interconnectĆ©, nous devons trouver des maniĆØres dāavoir les entreprises de notre cĆ“tĆ©.Ā Ā»
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Entre-temps, lāInstitut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR) a annoncĆ© un partenariat avec Anheuser-Busch InBev, le plus grand producteur de biĆØre du monde. Les deux organisations prĆ©voient de collaborer pour amĆ©liorer la sĆ©curitĆ© routiĆØre.
Note de la rĆ©dactionĀ : Signalons en passant que Peter Sands a tweetĆ© que son premier jour de travail en qualitĆ© de Directeur exĆ©cutif du Fonds mondial fut le 4 mars 2018.