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L’ALLOCATION DE LA RESPONSABILITÉ
OFM Edition 76

L’ALLOCATION DE LA RESPONSABILITÉ

Author:

Jesse B. Bump

Article Type:
COMMENTAIRE

Article Number: 4

L’obligation suprême est envers les personnes et les communautés – pas les pays

RÉSUMÉ Jesse Boardman Bump, membre du Conseil d’administration d’Aidspan, se penche sur les procédures d’allocation de fonds et d’autres ressources, à la veille de la 40e réunion du Conseil d’administration du Fonds mondial, qui se tient à Genève les 14 et 15 novembre 2018. Les allocations sont un des sujets qui devraient être abordés à la réunion, avant que le Fonds mondial modifie sa politique d’allocation en 2019.

Qui vit ? Qui meurt ? Qui est responsable ? Lors de leur 40e réunion, à laquelle ils aborderont probablement le cycle d’allocation 2020/2022, les membres du Conseil d’administration du Fonds mondial préfèreront sans aucun doute la première de ces questions. Quoi qu’il en soit, ils n’auront pas la tâche facile. L’allocation est un domaine où les intentions sont transformées en action, le long d’un fil rare reliant la rhétorique inclusive en décisions de rationnement difficiles qui accordent la priorité à certains besoins et en ignorent d’autres. Tout au long de l’existence du Fonds mondial, les discussions sur l’allocation des ressources ont essayé de prévoir la conversion de ces ressources en mesures préventives, curatives ou thérapeutiques réduisant directement la charge de morbidité. La recherche de l’efficacité dans l’allocation est souvent présentée comme une question de maximisation du nombre de personnes qui vivent et de minimisation du nombre de personnes qui meurent. Cette conceptualisation distrait de la troisième question, mais en réalité la responsabilité est la principale question au cœur de l’allocation.

L’allocation commence avec la responsabilité déterminante du Fonds mondial de s’attaquer au VIH/sida, à la tuberculose et au paludisme. Cette mission était motivée par des arguments sur les droits, à l’image de l’approche défendue par les communautés d’homosexuels de New York et San Francisco dans les premiers temps de l’épidémie de VIH. Le militantisme en faveur des personnes vivant avec le VIH par les personnes vivant avec le VIH a transformé une condition individuelle stigmatisée, dénigrée, en un pari collectif, enthousiaste et audacieux visant à faire du droit à la santé une réalité à l’échelle mondiale. Dans le contexte des trois maladies et d’un centrage financier, le Fonds mondial a été fondé comme expression institutionnelle de cette ambitieuse responsabilité : assurer l’accès à des traitements et services nécessaires de toute urgence pour des millions de personnes dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

Sous le système d’allocation initial, les procédures du Fonds mondial auraient été plus reconnaissables pour les militants dont il épousait le mouvement. Les fonds étaient alloués en fonction de la qualité des propositions et durant les premières années, les ressources disponibles étaient suffisantes pour soutenir toutes les propositions jugées adéquates. Mais au fil du temps, les procédures d’allocation se sont éloignées de cet idéal pour différentes raison, dont des ressources plus limitées, une plus grande appréciation de l’énormité de l’objectif initial et la crainte que l’élargissement puisse menacer les programmes existants sous certaines conditions. Tous ces facteurs annonçaient des opérations de rationnement plus difficiles.

Les pratiques actuelles d’allocation reposent sur un barème, lequel était censé rendre la procédure plus cohérente et plus équitable. Toutefois, cette démarche éclipse également l’impératif original fondé sur les droits de fournir toutes les interventions requises à toutes les personnes qui en ont besoin. Au regard de cette norme, la procédure d’allocation n’est pas tant la question de savoir qui obtiendra quoi qu’un exercice de décharge de la responsabilité du Fonds mondial et de gestion de ce qui reste. Il y a des moments où le Fonds mondial peut, à raison, décliner une partie de la responsabilité, mais au titre de ses principes fondateurs, il se doit de considérer ces circonstances avec précaution et de les justifier rigoureusement. Par ailleurs, le Fonds mondial doit réfléchir à la manière dont il peut plaider en faveur des personnes dans le besoin, même s’il décide de ne pas fournir de ressources financières.

Chaque élément du barème d’allocation actuel comporte des questions de responsabilité qu’il y a lieu d’examiner. Afin de clarifier cette proposition et ses conséquences, cet article offre quatre exemples, à commencer par la quantification de la charge de morbidité. Pour le VIH, celle-ci est calculée en fonction du nombre de personnes infectées, avec quelques ajustements liés à la difficulté de parvenir aux populations clés. Pour le paludisme, c’est le nombre de cas qui est utilisé, avec un ajustement en fonction de l’incidence et de la mortalité, telles que communiquées dans les données de l’an 2000. Aucune de ces deux mesures ne tient compte de la dynamique que suppose l’introduction ou l’élargissement de programmes, qui requièrent généralement davantage de ressources que le maintien d’un programme. Pour obtenir un tableau plus précis, il est nécessaire de tenir compte des tendances à la fois en termes d’incidence et de capacité de riposte. En ne prenant pas en compte cette variation, la procédure d’allocation retire la responsabilité de la mise à l’échelle du Fonds mondial, sans pour autant l’attribuer clairement à quelqu’un d’autre.

Des années durant, le Fonds mondial – et d’autres – ont considéré le revenu national brut par habitant comme une indication de la capacité à payer, mais dans la pratique, il est utilisé pour déterminer la responsabilité de payer, en partant du principe que les pays aux revenus plus élevés peuvent satisfaire aux besoins de leur population, et le font. Sans ressasser les nombreux et bien connus problèmes de mesure liés au RNB par habitant, la question opérationnelle est la suivante : quelle est la responsabilité du Fonds mondial à l’égard des personnes touchées par une ou plusieurs des trois maladies contre lesquelles il lutte, indépendamment du revenu du pays où elles vivent ?

Le Fonds mondial a de nombreuses occasions d’aider les personnes à obtenir les services dont elles ont besoin, même lorsqu’il est plus judicieux de concentrer ailleurs les ressources financières. Il pourrait plaidoyer avec les gouvernements, offrir des conseils à la société civile ou élargir l’accès aux mécanismes d’achat groupé, pour ne citer que trois options. Ces options, et d’autres, sont cruciales à la survie de nombreuses personnes dans les pays dont les revenus réels (ou calculés) s’élèvent au-dessus des seuils d’admissibilité du Fonds mondial.

De même, la responsabilité d’assurer l’accès exige une plus grande souplesse au niveau des modalités d’allocation et de partenariat, ce qui pourrait enrayer la montée du VIH en Russie malgré le fait que le revenu national est ostensiblement trop élevé, ou faire face à l’épidémie de tuberculose en Corée du Nord, où le Fonds mondial a cessé ses opérations, citant des problèmes de transparence et de gestion des risques. Ces deux cas représentent des catastrophes humanitaires d’une ampleur effrayante et de portée mondiale – précisément le scénario qui a motivé la création du Fonds mondial.

Une question similaire se pose autour du plafonnement des sommes allouées aux pays, qui limite la responsabilité du Fonds mondial si les groupes touchés sont importants, comme on peut s’y attendre dans des pays fortement peuplés comme le Nigeria ou l’Inde. Des plafonnements similaires par maladie sont défavorables pour les personnes affectées par des charges de morbidité concentrées, comme c’est le cas du paludisme en République démocratique du Congo. Quelle logique justifie ces limites ? En particulier lorsque les frontières nationales ont été tracées par des colonisateurs abusifs, il semble d’autant plus injuste de punir davantage encore les personnes confinées au sein de ces frontières au motif que leurs besoins sont soit trop importants en termes absolus soit trop importants dans le contexte d’une maladie donnée. Revenir au plus grand sens de la responsabilité envers toutes les victimes des trois maladies révèle l’abjecte inégalité de ces plafonds.

Enfin, le barème d’allocation du Fonds mondial est en outre sujet à des ajustements qualitatifs non transparents, ce qui soulève le scénario troublant des révisions à la baisse. Les contextes de charge de morbidité élevée, encore plus désavantagés par des pouvoirs publics qui ne peuvent ou ne veulent pas aider peuvent se retrouver avec des ressources minimales. Cette décision peut en partie être justifiée par la perspective que les ressources ne soient pas converties en santé. Mais encore une fois, il s’agit de faire passer la responsabilité du Fonds mondial à un gouvernement dont on s’attend à ce qu’il manque à ses obligations. Comment la procédure d’allocation peut-elle mieux protéger les droits de ces citoyens ?

Comme le montrent ces exemples, le débat sur l’allocation des ressources repose sur une détermination sous-jacente de responsabilité. La raison d’être du Fonds mondial est de servir d’ultime garant de l’accès pour toute personne touchée par le VIH/sida, la tuberculose ou le paludisme. Dès lors, le Conseil d’administration doit avoir une justification des plus solides pour refuser son assistance lorsque celle-ci est indéniablement nécessaire. Il ne s’agit pas des variables précises ou des coefficients utilisés pour les pondérer ; il s’agit de savoir si les membres du Conseil d’administration peuvent avoir confiance dans le raisonnement derrière chaque décision négative. Chaque fois qu’ils n’accordent pas un plein soutien, ils doivent compléter la phrase sans équivoque :

« Nous ne vous aiderons pas parce que… ».

Est-il acceptable de refuser l’accès aux traitements contre le VIH aux migrants marginalisés « parce que vous êtes en Russie, pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure » ? Peut-on défendre la décision de refuser les traitements antituberculeux aux Nord-Coréens « parce que vous vivez sous un régime autocratique incapable de gérer seul une situation d’urgence complexe » ? Ou peut-on justifier de réduire le soutien au traitement antipaludique et à la lutte contre le paludisme en République démocratique du Congo « parce que vous ne voulons pas dépasser 10 pour cent de notre budget consacré au paludisme dans un seul pays » ? À chaque fois qu’une telle réponse met mal à l’aise, prenez la bonne décision – trouvez une manière de garantir l’accès à tous ceux qui en ont besoin.

Jesse B. Bump, docteur et titulaire d’une maîtrise en santé publique, est le Directeur exécutif du Programme Takemi de santé internationale et Professeur de politique de santé mondiale au département de la santé mondiale et de la population à l’école de santé publique T.H. Chan de Harvard. Il est par ailleurs membre du Conseil d’administration d’Aidspan. Bump@hsph.harvard.edu @JesseBump

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