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Il est temps de reconnaître que nous ignorons comment nous préparer à faire face aux pandémies.  –
OFM Edition 140

Il est temps de reconnaître que nous ignorons comment nous préparer à faire face aux pandémies. –

Author:

Quentin Batréau* & Daniel Townsend**

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 5

RÉSUMÉ Face au regain d'attention de la communauté mondiale de la santé vis-à-vis de la prévention, de la préparation et de la riposte aux pandémies, le présent article explore les insuffisances des indices actuels qui sont utilisés pour mesurer l'état de préparation des pays. En s'inspirant des leçons tirées de l'épidémie de VIH, nous proposons une méthode permettant d'améliorer ces indices en les axant davantage sur les communautés.

La pandémie de COVID-19 a mis en évidence le manque de préparation aux pandémies à l’échelle mondiale. Malgré des mesures drastiques, le confinement n’a pas fonctionné et des millions de personnes ont perdu la vie. Notre meilleur indicateur de mesure des décès liés à la pandémie COVID-19 est celui de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avec ses données sur la surmortalité. Cette mesure est imparfaite car elle ne porte que sur les années 2020 et 2021 alors que la pandémie est toujours en cours à la fin de l’année 2022, mais elle donne au moins un chiffre: 14,9 millions de décès causés par la COVID-19 aussi bien directement qu’indirectement.

Gardez ce chiffre à l’esprit tout au long de la reflexion qui suit sur les sujets arides que sont les indicateurs et les mesures. Tel est l’enjeu. Mais ce n’est pas le seul enjeu. En effet, ce chiffre ne rend compte que d’une fraction de l’impact de la maladie, sans tenir compte des dommages à court et à long terme que représentent l’isolement, la pauvreté et les opportunités perdues à cause de la pandémie, le retard pris par les enfants dans leur éducation et l’aggravation du déséquilibre entre les sexes dans le monde. Ces aspects ne sont pas moins importants, mais sont plus difficiles à évaluer et à quantifier. 14,9 millions, c’est le nombre de personnes qui ont payé de leur vie notre incapacité collective à stopper la COVID-19 dans sa course. Lorsque nous parlons de la pandémie, nous ne pouvons oublier que nous parlons du haut d’un amas de tombes.

Longtemps avant la pandémie, nombreux étaient ceux qui tiraient la sonnette d’alarme au sujet de la vulnérabilité du monde à l’émergence de nouveaux agents pathogènes. Au cours des vingt dernières années, les cas de SRAS, de H1N1, de MERS et d’Ebola ont attiré l’attention sur la nécessité de se préparer à faire face aux pandémies, du moins dans la communauté scientifique et dans certains cercles politiques. Au début de l’année 2020, le consensus exprimé dans  le principal rapport du Groupe indépendant sur la préparation et la riposte aux pandémies (IPPPR) consistait en ce que le monde, dans l’ensemble, n’était pas prêt, que nous n’avions pas tiré suffisamment de leçons de nos expériences en matière de lutte contre les pandémies et que nous nous exposions à un “énorme choc” qui pourrait survenir dans un avenir proche.

 

Évaluation de la vulnérabilité aux menaces sanitaires

L’on pourrait ainsi être tenté de penser que l’apparition de la COVID-19, l’échec du confinement et la riposte inadéquate ont validé ces premiers outils de surveillance. Mais, comme le montre le rapport de l’IPPPR, la réalité est plus complexe: si les déclarations au sujet de la vulnérabilité étaient correctes dans leurs aspects généraux, elles étaient erronées dans les détails. En effet, si le monde dans son ensemble était décrit comme vulnérable, certains pays étaient considérés comme plus sensibles que d’autres. Deux outils essentiels ont été mis au point pour évaluer l’état de préparation d’un pays face aux menaces sanitaires: l’évaluation externe conjointe  (EEJ) et l’ indice de sécurité sanitaire mondiale (SSM).

 

Deux outils mondiaux d’évaluation de la résilience nationale aux menaces sanitaires

Les deux outils ont été élaborés par des experts du domaine et reposent sur des hypothèses réalistes.

L’EEJ est une évaluation concertée volontaire portant sur 19 domaines techniques. Elle est principalement utilisée pour évaluer et valider la capacité d’un pays à prévenir et à faire face aux menaces et aux urgences publiques et mondiales. Elle a été élaborée par l’OMS à la suite de l’évaluation décennale de son Règlement sanitaire international  (RSI) en 2015. Il en ressort qu’une certaine forme d’évaluation indépendante des capacités nationales serait bénéfique pour renforcer la capacité des pays à s’arrimer au RSI. Il s’agit d’un outil de suivi administratif dont le but premier est de fournir aux gouvernements un cadre leur permettant d’identifier les lacunes dans leurs capacités. Parce qu’il est inscrit dans la Constitution de l’OMS, il est à la disposition de nombreux pays.

L’indice SSM est un outil développé conjointement par l’Initiative contre la menace nucléaire, le Center for Health Security, la Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health et l’Economist’s Intelligence Unit. Sa première édition a été lancée en 2019 et a pour objectif explicite de combler certaines des lacunes laissées par l’EEJ afin de fournir une évaluation plus complète et plus fiable de l’état de préparation d’un pays. Il utilise des données accessibles au public et a été mis à la disposition de la plupart des pays lors de ses deux éditions (2019 et 2021).

Les scores de l’EEJ et l’indice SSM semblent avoir été bien perçus comme des outils de mesure de la préparation aux pandémies. L’une des différences majeures est que le SSM est disponible pour presque tous les pays. En revanche, l’EEJ n’est disponible que pour environ quatre-vingt-dix pays, avec une couverture régionale inégale – en particulier, les pays d’Amérique latine et centrale et d’Europe sont sous-représentés. Cette différence mise à part, les deux outils s’accordent sur les domaines nécessitant le plus d’investissements.  Ils ont tous deux été utilisés pour argumenter la nécessité de consacrer des fonds beaucoup plus importants à la préparation aux pandémies, car le monde était, dans l’ensemble, insuffisamment préparé. La COVID-19, la première “vraie” pandémie depuis le VIH, a permis  tester les deux outils de mesure.

 

Aucun des deux outils n’a fourni un résultat satisfaisant

L’IPPPR a constaté dans son premier rapport  que les scores EEJ et l’indice SSM ne permettaient pas de prédire les taux de décès liés à la COVID-19, évaluation partagée par les  équipes  et les chercheurs de l’OMS, et reflétée dans  le rapport 2021 sur l’indice SSM. Certains de ces premiers résultats étaient imparfaits parce qu’ils utilisaient des données potentiellement biaisées par rapport à l’EEJ et au SSM; en effet, les pays les mieux équipés pourraient déclarer un nombre plus élevé de cas et de décès liés à la COVID-19 en raison de leur capacité de dépistage supérieure et non en raison d’un nombre plus élevé de cas ou de décès. Les données sur la surmortalité contournent certains de ces problèmes et fournissent un test plus robuste des scores EEJ et de l’indice SSM. Les auteurs ont utilisé les données de l’OMS sur la surmortalité, le score de l’indice SSM pour 184 pays et le score EEJ pour 84 pays dans leurs calculs. Aucun n’a permis de prédire les effets de la COVID-19 malgré leur caractère exhaustif. Il est utile d’aborder les deux indices de manière distincte pour discuter de l’importance de ces résultats.

Premièrement, l’EEJ. Cet outil n’a pas été conçu comme un indicateur global de la préparation aux pandémies mais comme un outil de suivi de la mise en œuvre du RSI. Si le RSI est perçu comme fournissant un certain niveau de protection contre les pathogènes émergents, alors, la faiblesse de l’impact des scores de l’EEJ et des effets de la COVID-19 est inquiétante. Le consensus porte sur le fait que le RSI doit être révisé, que notre boîte à outils réglementaire mondiale a besoin d’être élargie; le processus est en cours et cela explique le travail de l’OMS relatif à l’élaboration d’un traité sur les pandémies . En fait, l’EEJ est un outil imparfait qui a été utilisé pour évaluer la préparation aux pandémies principalement parce qu’à cette époque, il existait peu d’alternatives viables de portée comparable.

L’indice SSM, quant à lui, a été créé comme un instrument d’évaluation censé avoir un caractère prédictif. Les auteurs, conscients de ce problème, ont abordé la question dans leur rapport 2021 comme suit: « L’indice SSM, comme d’autres modèles, doit être considéré non pas comme une mesure prédictive, mais comme une évaluation permettant de comprendre les capacités existantes des pays en matière de prévention et de détection des épidémies ainsi que de riposte à celles-ci, qu’elles soient délibérées, accidentelles ou d’origine naturelle ». En d’autres termes, selon les auteurs, leur méthode est fiable, mais un mauvais leadership politique a contribué aux faibles performances des pays les mieux classés, notamment les États-Unis.

Cette évaluation est faussée pour deux raisons. Premièrement, si les États-Unis apparaissent comme une anomalie, ils ne sont pas responsables de la sous-performance globale de l’indice. Les données montrent que le problème ne réside pas dans quelques cas lointains où l’état de préparation des pays a été occulté par un leadership peu avisé. Au contraire, il existe une déconnexion presque totale entre les scores de l’indice SSM et la surmortalité liée à la COVID-19 – certains pays bien classés ont obtenu d’excellents résultats (Israël, Japon, Nouvelle-Zélande), d’autres ont enregistré des résultats terribles (Arménie, Bulgarie), d’autres encore ont obtenu des résultats satisfaisants (Australie, Canada), et toutes les valeurs intermédiaires. Et le problème ne se limite pas aux pays ayant obtenu un score élevé; une fois de plus, parmi les pays ayant obtenu un score moyen par rapport à l’indice SSM, l’Indonésie et la Turquie ont obtenu de mauvais résultats, tandis que le Bhoutan et le Vietnam ont déjoué les pronostics.

L’attention ne doit pas se concentrer uniquement sur quelques exemples de ripostes bâclées, telles que celles du Brésil ou des États-Unis; d’autres ont tout autant échoué, mais de façon moins spectaculaire (cas de l’Inde), et de petits miracles sont passés inaperçus (Laos, Sri Lanka). Deuxièmement, la résilience des bureaucraties face aux autorités politiques n’est pas plus difficile à prendre en compte que bon nombre d’aspects de la préparation aux pandémies figurant dans les indices.  S’il est prouvé de manière historique que le comportement des dirigeants d’un pays détermine essentiellement le sort de ce dernier face à une nouvelle infection – pour rendre les choses claires, il faudra procéder à des démonstrations – toute mesure de préparation aux pandémies doit fournir des explications plutôt que de jeter l’éponge en ignorant les menaces sanitaires futures.

Quelle est donc la prochaine étape?

Nous pensons que, dans leur forme actuelle, l’EEJ et le SSM doivent être retirés en tant qu’indicateurs de l’état de préparation des pays à faire face aux menaces sanitaires mondiales. À tout le moins, ils ne doivent pas être utilisés par les bailleurs de fonds mondiaux comme guides pour l’investissement dans la préparation aux pandémies, puisqu’ils ne vont clairement pas dans la bonne direction. Il ne s’agit pas ici d’une accusation contre les auteurs de ces outils. L’EEJ et le SSM sont tous deux fondés sur une expertise et des hypothèses raisonnables. Et pourtant, parfois, la connaissance et la raison sont supplantées par la réalité.

Comment procéder à présent? Nous avons toujours besoin d’investir dans la préparation aux pandémies. La COVID-19 n’a pas disparu, et nous assistons à la propagation d’autres agents pathogènes inquiétants. Le temps est compté, et nous avons de ce fait besoin d’outils qui nous indiquent comment et où investir. Le défi consiste en ce que, à notre connaissance, il n’existe pas de substitut évident et éprouvé à l’EEJ et au SSM – ce qui explique en grande partie la raison pour laquelle beaucoup se rabattent sur ces indices. Et pourquoi pas, me direz-vous? Des outils imparfaits ne valent-ils pas mieux que rien? La réponse, qui devrait être évidente, est que l’analogie avec un outil est totalement inappropriée. Il ne s’agit pas d’outils imparfaits, mais d’outils dont l’inutilité a été démontrée. Nous devons les abandonner parce que nous ne devons pas traiter la COVID-19 avec de l’Ivermectine, largement vantée pour le traitement de la COVID-19 – en fait, ni ce produit, ni ces outils ne fonctionnent.

Nous devons donc trouver une alternative. Les indices mondiaux ne peuvent pas être considérés comme prédictifs car la préparation aux pandémies a quelque chose de fondamentalement local. Il se peut aussi que les indices soient tout simplement décalés, qu’ils mettent trop l’accent sur ceci ou pas assez sur cela sur une échelle assez large pour les rendre inutiles. Quel que soit ce que nous trouverons, cela pourra être utile et permettre d’améliorer nos chances contre le prochain pathogène – mais nous devons effectuer des recherches et prêter attention aux résultats.

Tout ceci est bien beau, mais que se passerait-il si vous disposiez de 1,4 milliard de dollars à dépenser pour la préparation et la riposte aux pandémies dans des délais serrés? Tout d’abord, une partie de ce financement devrait être consacrée à la recherche – ce type de recherche n’est pas coûteux tout compte fait. Deuxièmement, une fois de plus, n’utilisez pas l’EEJ comme base pour élaborer votre théorie du changement et vos indicateurs de performance essentiels. Troisièmement, si les délais ne peuvent être modifiés, il convient de prioriser les investissements à double usage. Si nous ne sommes pas sûrs du type d’investissement qui permettra d’améliorer la préparation aux pandémies, nous pouvons au moins nous assurer que l’argent n’est pas gaspillé en le plaçant là où il fait une différence dans la lutte contre les menaces actuelles: renforcement des systèmes de santé, promotion de la fabrication locale ou soutien aux agents de santé communautaires.

Pour conclure, nous souhaitons vous faire part de nos réflexions sur la manière de trouver de meilleurs indicateurs de préparation d’un pays aux pandémies. En tirant les leçons de l’épidémie de VIH, nous savons qu’une grande partie de l’expertise sur l’état du système de santé, la confiance des populations en leur gouvernement et la volonté de se conformer aux directives sanitaires ne remonte pas jusqu’aux statistiques nationales. Nous passerons à côté d’informations cruciales pour enrayer les pandémies si nous ne travaillons pas avec les groupes communautaires en vue de cocréer des connaissances. Nos travaux futurs dans ce domaine, et les articles qui suivront, tenteront de déterminer comment cette approche peut être mise à l’échelle et contribuer à mieux mesurer la préparation aux pandémies.

* Quentin Batreau, PhD, est le responsable de la communication et du plaidoyer du GFAN, basé à Fidji.  Quentin peut être joint à l’adresse suivante: Quentin@globalfundadvocatesnetwork.org

**Daniel Townsend, PhD (c) est le point focal de la délégation des ONG des pays développés au Conseil d’administration du Fonds mondial. Il est basé à Berlin, en Allemagne.

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