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Cartographie des dispositifs de protection et d’accompagnement juridique des populations clés et vulnérables dans les pays d’Afrique francophone.
OFM Edition 145

Cartographie des dispositifs de protection et d’accompagnement juridique des populations clés et vulnérables dans les pays d’Afrique francophone.

Author:

Christian Djoko

Article Type:
COMMENTAIRE

Article Number: 6

Cet article est un compte rendu d’une importante étude commandée l’OFM/AIDSPAN et le RAMÉ, et dont l’objectif était d’établir une cartographie des dispositifs de protection et d’accompagnement juridique des populations clés et vulnérables dans les pays d’Afrique francophone.

Contexte

L’un des sujets qui émerge fortement des dernières rencontres présentielles et virtuelles des organisations de la société civile (OSC) de personnes vivant avec le VIH (PvVIH) et de populations clés (PC) concerne la protection juridique des groupes vulnérables face aux abus et aux violations des droits humains. Le dernier évènement en date est celui du Niger, où une professionnelle du sexe séropositive a été arrêtée et conduite en prison sans que l’association qui la suit n’ait pu agir pour garantir le respect de ses droits. D’autres cas de rejet familial, de violence envers des professionnel(le)s du sexe ou des jeunes personnes homosexuelles ont été relevés au Mali par le Réseau National des Populations clés (RENAPOC). Tous ces exemples ont rappelé l’importance de disposer de mécanismes de réponse bien huilés et suffisamment financés pour répondre aux situations urgentes qui requièrent une protection et/ou un accompagnement juridique spécifique.

 

Un petit groupe de travail s’est mis en place, qui regroupe des OSC d’Afrique de l’Ouest et du centre, afin de réfléchir à ce qu’un mécanisme de défense des victimes de violence et de discrimination/violation de leurs droits pourrait apporter. Les membres ont pour certains partagé leurs expériences et l’on note des situations très hétérogènes selon les pays : alors que dans certains pays, des dispositifs sont fonctionnels et constituent une source d’inspiration, dans d’autres en revanche, rien n’existe pour l’instant. Mais vu la récurrence des cas, et dans le contexte du nouveau cycle de financement du Fonds mondial (cycle de subvention 7), il était urgent de réfléchir pour proposer des dispositifs adaptés aux contextes et aux besoins, en s’inspirant des modèles existants, de leur fonctionnalité et des défis qu’ils rencontrent. C’est dans ce contexte que l’OFM/AIDSPAN et le Réseau d’Accès aux Médicaments Éssentiels (RAMÉ) ont commandé une étude dont l’objectif général était d’établir une cartographie des dispositifs de protection et d’accompagnement juridique des populations clés et vulnérables dans les pays d’Afrique francophone. De façon spécifique, il s’agissait au cœur de cette étude – dont la réalisation a été rendue possible grâce à un appui financier de l’Initiative/Expertise-France -, de :

OS1 : établir, de manière participative, une méthodologie de cartographie des mécanismes de protection et d’aide juridique en AOC.

OS2 : décrire les spécificités de chaque mécanisme, et dresser, si possible, une typologie des dispositifs en place.

OS3 : établir les conditions requises pour l’établissement de chaque type de dispositif, et présenter les leçons apprises.

 

Les résultats de cette importante étude ont été présentés le 23 mars 2023 au cours d’un webinaire organisé conjointement par l’OFM et la Plateforme Régionale Afrique francophone de communication et de coordination de la société civile et communautés sur le Fonds mondial (PRF).

 

Avant de nous appesantir sur les constations et les résultats, il convient de mettre en relief quelques considérations méthodologiques ayant présidé à la rédaction de l’étude par l’équipe d’experts/consultants dédiée à la tâche.

 

Méthodologie

  • L’étude s’est concentrée sur l’existence ou non de mécanismes de protection et/ou d’accompagnement des populations cibles que sont les porteurs ou malades de VIH-Sida, tuberculose, paludisme ; LGBTQI+, utilisateurs-trices de drogues injectables, populations carcérales, travailleurs-euses du sexe et victimes de violences basées sur le genre (VBG).
  • Elle s’est intéressée aussi au niveau de fonctionnalité desdits mécanismes, aux conditions ou critères d’accès et de réussite de tels mécanismes ainsi que les difficultés rencontrées dans leur mise en œuvre.
  • L’étude n’utilise pas des données officielles émanant des gouvernements, mais se base essentiellement sur les informations collectées auprès des acteurs non-étatiques.

 

Constatations/résultats

Relativement aux constatations, voici ce qu’il en ressort :

  • Les mécanismes étatiques dans les pays cibles sont rarement cartographiés et la prise en chargée y est en général limitée ou ineffective. Lorsqu’effective, l’offre de services étatiques, surtout dans des pays réprimant une ou des catégories de populations clés, est centrée sur le volet médical via des centres de santé communautaire et/ou des numéros verts. Elle s’étend parfois au volet psychosocial et à l’aide juridique.
  • La prise en charge se fonde sur un(e) loi/plan/programme national encadrant le ou les catégories cibles et met en place une agence définissant la politique nationale et servant de cadre pour les projets pertinents en la matière.
  • Les plans stratégiques nationaux de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme prennent en compte les populations clés y compris dans les pays où elles font l’objet de répression/criminalisation.
  •  Il existe des mécanismes étatiques de protection des populations cibles consistant notamment en la prise en charge ou en des réponses surtout médicales ciblant majoritairement les PvVIH.
  •  Les mécanismes étatiques de promotion et de protection des droits humains de certains pays ont explicitement dans leur mandat de veiller au respect des droits des groupes vulnérables, notamment les PVVIH (Mali), et de présenter dans leurs rapports annuels les activités de sensibilisation et de protection à cet égard (Togo 2021).
  • Plusieurs pays de la région ont mis en place des Institutions Nationales des Droits de l’Homme (INDH) sous des appellations diverses comme Comités, conseils ou commissions Nationales des Droits de l’Homme (CNDH) ayant pour mandat de recevoir gratuitement les plaintes émanant des individus sans discrimination et d’entreprendre des enquêtes.
  • Malheureusement, il n’existe pas de données sur les cas reçus et traités émanant de Populations Cibles.
  • À côté des INDH, il existe des institutions et mécanismes spécifiques en charge des VBG qui prévoient des solutions d’assistance et de réhabilitation.
  • Les plans stratégiques nationaux de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme prennent en compte les populations clés y compris dans les pays où elles font l’objet de répression/criminalisation.
  •  Il existe des mécanismes étatiques de protection des populations cibles consistant notamment en la prise en charge ou en des réponses surtout médicales ciblant majoritairement les PvVIH.
  • Existence de cartographie des dispositifs non-étatiques existants selon les catégories de personnes cibles avec des systèmes d’alerte précoce et de réponse. Lesdits systèmes s’appuient souvent sur les pairs éducateurs et/ou des organisations à base communautaire et/ou des points focaux pour une prise en charge protéiforme (médicale, psychosociale, juridique, judiciaire, économique) dont les conditions d’accès sont minimales.
  • Ces dispositifs sont hébergés par des organisations de la société civile nationale qui semblent être plus connus et utilisés notamment en RCA, au Cameroun, au Niger, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Guinée, au Madagascar, au Tchad. 75% des répondants ont indiqué qu’il existe une cartographie des mécanismes non-étatiques de protection des populations cibles. Selon eux, la prise en charge/réponse y serait effective à 83%, en grande partie psychosociale et judiciaire (75%) et cible en majorité les PvVIH (83%).

 

 

Défis multiples et hétérogènes

Ces différentes constatations sont grosses de nombreux défis qu’il faudra surmonter. Énumérons ici quelques défis en question.

  • Les mécanismes demeurent largement limités dans le temps et l’espace et ne couvrent pas en général l’ensemble des territoires nationaux. La prise en charge est souvent limitée aux grandes villes.
  • L’ensemble des mécanismes connaissent des difficultés en matière financière et de ressources humaines. Les acteurs étatiques et non-étatiques recourent presque aux mêmes bailleurs ou partenaires techniques et financiers (Fonds mondial, PEPFAR, COC Netherlands, Expertise France, PNUD, ONUFEMMES, ONUSIDA, UE, USAID) pour financer leurs mécanismes; créant ainsi une concurrence entre ces deux acteurs.
  • Il se pose un problème de disponibilité, d’accessibilité (informationnelle, économique, physique et non discriminatoire), des services offerts par les mécanismes tant étatiques que non-étatiques lorsqu’on analyse les dispositifs existants: définition de critères et de conditionnalités; insuffisance de vulgarisation; méconnaissance du mécanisme et les lourdeurs administratives ; les pesanteurs socioculturelles ;
  • L’impact de la crise sécuritaire et de l’instabilité politique constituent un autre facteur aggravant des difficultés de nos jours, surtout dans les pays du Sahel.
  • Les personnes LGBTIQ+ ont peur de recourir aux services sécuritaire et juridique mis en place par l’État et les ‘HSH’ + TS subissent des situations de stigmatisation et discrimination qui entravent leur accès à la protection sociale.
  • Les acteurs de promotion et de défense des droits des personnes vulnérables encourent d’énormes risques dans les pays où l’homosexualité, l’utilisation de drogues, le travail de sexe sont réprimés: Accusations de promotion de l’immoralité ; risques de poursuite judiciaire (Togo) ; harcèlement administratif se manifestant par le retrait ou le non-renouvellement d’agrément et/ou autorisation d’exercer (Cameroun) ; risque d’attaques des bureaux, agressions physiques, sexuelles, verbales, les atteintes à l’intégrité de la personne connue comme défenseur des personnes vulnérables comme les LGBTIQ+ (Mali) ; harcèlement des intervenants plaidant pour les cas, étiquetages et risques de poursuites judiciaires (Burundi) ; répression au Sénégal, Burundi, Guinée, etc.

 

Cela dit, nonobstant les difficultés et les défis susmentionnés, il existe néanmoins de bonnes pratiques qu’il convient de mettre en exergue.

 

Bonnes pratiques

  • Existence d’un certain niveau d’interactions entre les acteurs étatiques et non étatiques dans des pays même où les PC font l’objet de répression. Cela permet non seulement de créer des passerelles de collaboration, de complémentarité, mais aussi d’accroitre les possibilités d’accès aux mécanismes par les populations lorsque l’un ou l’autre des mécanismes n’est pas disponible ou que les PC ont des craintes, doutes pour accéder à l’un des mécanismes.
  • Existence de systèmes d’alerte précoce, surtout à travers des lignes de communication gratuites (numéros verts) constitue une opportunité pour les PC de prévenir ou de dénoncer des cas de violations, mais aussi de bénéficier de prise en charge dans des pays où subsistent des pesanteurs socioculturelles et des pratiques qui empêchent l’accès aux mécanismes. Les numéros verts permettent aussi de lever la barrière financière qui pourrait empêcher l’accès à l’information sur les services disponibles et susceptibles d’être offerts.
  • Existence d’institutions hybrides telles que les INDH comprenant des acteurs étatiques et acteurs de la société civile permet de surpasser les clivages et tabous pour offrir une protection non-discriminatoire aux PC, surtout dans des pays où les droits des LGBTQ+, les TS ne sont pas acceptés vu que pour l’essentiel, ces institutions ont un mandat axé sur les droits humains et sont habilitées à recevoir et instruire des plaintes provenant de tous les individus.
  • Synergie d’action et renforcement de la collaboration entre OSC au Cameroun travaillant sur les droits des minorités sexuelles, notamment les LGBTQ+. C’est le cas de la Plateforme UNITY qui a pour mission principale de renforcer l’efficience du plaidoyer à adresser en direction des institutions nationales, voire internationales, afin de conférer plus de visibilité aux organisations de défense des personnes LGBTQ+ au Cameroun. La plateforme sert également à mutualiser les connaissances pour permettre aux associations œuvrant pour les mêmes causes de pouvoir mieux se connaître.
  • Prise en charge holistique des populations clés, notamment les victimes de VBG à travers la coordination des OSC membres de la plateforme UNITY au Cameroun: La documentation, l’investigation à la prise en charge médicale (consultations, examens, soins, traitement, fourniture de médicaments), à l’assistance psychologique (conseils, évaluation de la santé psychologique, consultations psychologiques et rendez-vous de suivi), l’assistance sociale (fourniture d’un moyen de subsistance, aide à la recherche d’emploi, admission dans un logement temporaire si nécessaire), l’assistance juridique (conseils juridiques, aide à la rédaction et au dépôt d’une plainte) fournies par une ou plusieurs organisations de la plateforme.
  • L’adoption de lois dépénalisant les relations sexuelles entre personnes de même sexe constitue une avancée du droit positif des États comme c’est le cas au Gabon et contribue à améliorer l’accès aux mécanismes de protection.

 

L’étude s’achève par une série de recommandations de nature favoriser la mise en place ou la garantie effective des dispositifs de protection et d’accompagnement juridique des populations clés et vulnérables dans les pays d’Afrique francophone.

 

Recommandations et perspectives

À l’égard des États :

  • Mettre à disposition des fonds d’assistance aux victimes de violations/ mettre à disposition des fonds (bout en bout) pour l’accompagnement des victimes ;
  • Renforcer les capacités des organes étatiques en charge de la protection des droits humains et la lutte contre la discrimination (CNDH, Médiateur de la République) afin de mieux prendre en charge des allégations de violations des humains notamment à l’encontre des PC.
  • Promouvoir une meilleure collaboration (lorsque possible notamment dans les pays où les PC ne sont pas réprimées) avec les dispositifs non-étatiques pour une meilleure protection des populations cibles victimes de VDH.

 

À l’égard des bailleurs de fonds, notamment le Fonds Mondial :

  • Renforcer continuellement les capacités techniques et financières des associations des populations clés;
  • Mener des études pays sur les données en matière de prise en charge réelle des PC par les mécanismes de protection afin de disposer de base de données plus fiables ou de référence ; toute chose qui pourrait aider aux actions de plaidoyer;
  • Promouvoir un financement plus intégré et holistique des initiatives étatiques et non-étatiques afin de rendre les mécanismes complémentaires et accessibles au plus grand nombre;
  • Susciter une adhésion des autorités nationales et locales au sein des États en faveur de l’effectivité des mécanismes ;
  • Renforcer les capacités des acteurs en matière de sécurité (physique et numérique) et mettre en place des mécanismes de protection à cet effet eu égard au contexte sécuritaire qui prévaut dans les pays du Sahel et de l’environnement hostile dans lequel évoluent les acteurs et les populations cibles.

 

À l’égard des OSC et ONG de protection des populations cibles :

  • Plaider pour la création ou l’approvisionnement de lignes budgétaires par les États pour faciliter l’opérationnalisation et l’accessibilité des mécanismes étatiques ;
  • Renforcer la promotion des droits humains en particulier des minorités sexuelles;
  • Renforcer la synergie d’actions entre les acteurs de la société civile;
  • Susciter une mise à l’échelle des interventions en allant vers les localités en dehors des capitales et grandes villes;
  • Revoir le paquet d’activités de l’assistance juridique disponible à travers la couverture de l’assistance juridique à tout le territoire national, la mise en place de parajuristes issus des communautés cibles dans chaque ville, la vulgarisation des outils de collecte.

 

Au demeurant, cette étude peut nourrir utilement la rédaction des notes conceptuelles, des plans stratégiques nationaux et des demandes de financement (pour les fenêtres encore ouvertes) dans le cadre du Cycle de subvention 7 du Fonds mondial. Cela est d’autant plus vrai que l’objet de cette étude entre en résonance forte avec un des objectifs majeurs de la Stratégie 2023-2028 du Fonds mondial, à savoir : « Maximiser l’équité en matière de santé, l’égalité de genre et les droits humains ».

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