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Augmenter le financement intérieur de la santé en Afrique : Enjeux et nécessité
OFM Edition 151

Augmenter le financement intérieur de la santé en Afrique : Enjeux et nécessité

Author:

Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 5

Cet article met en lumière la nécessité pour les États africains de construire des systèmes de santé résilients et pérennes essentiellement, voire entièrement tributaires des financements intérieurs. Il y va de leur intérêt bien compris.

Avec 1,3 milliard d’habitant(e)s, soit 17 % de la population mondiale, le continent détient la charge de morbidité la plus élevée au monde. 25% des malades de la planète, toutes pathologies confondues, sont africains. Dans un document publié en 2019, intitulé A Heavy Burden: The Productivity Cost of Illness in Africa (le lourd fardeau du coût de la maladie pour la productivité en Afrique), l’OMS estime à 2.400 milliards de dollars internationaux par an la perte de productivité due aux maladies et épidémies qui frappent la population des 47 pays de la région Afrique, soit 630 millions d’années de vie active perdues.

 

Le même Rapport révèle que 14 millions d’Africain(e)s basculent chaque année dans la pauvreté à cause des dépenses en santé en constante augmentation. « Avec une centaine d’urgences sanitaires par an, les coûts explosent pour les Africains, dont les paiements directs par habitant sont passés de 15 dollars en 1995 à 38 dollars en 2014 ». Le moins que l’on puisse dire c’est que la facture économique d’une santé défaillante est extrêmement salée pour l’immense majorité des populations pauvres et vulnérables du continent.

 

L’absence d’une politique panafricaine du médicament participe également de cette situation désastreuse. Alors que le marché du médicament s’élève à près de 1,2 milliard de dollars, le continent ne produit que 3% des médicaments consommés par ses habitant(e)s. Bien plus encore, la quasi-totalité (99%) des vaccins administrés en Afrique provient de l’extérieur. À cela s’ajoute le niveau de prévalence très élevé de faux médicaments. Cette prévalence représente en moyenne 20% à 40% des médicaments en circulation.

 

Plus largement, l’Afrique est malade de son système de santé. À Abuja en 2001, les pays africains

S’étaient engagés via la Déclaration d’Abuja à consacrer au moins 15% de leur budget annuel à l’amélioration du secteur de la santé. Or, seuls deux pays en 2018 avaient atteint cet objectif au cours d’une année donnée. Le Nigéria, pays hôte de la fameuse déclaration, n’a consacré que 4,1% de ses dépenses totales en santé. De 2001 à 2015, « les dépenses publiques en santé, en proportion de l’ensemble des dépenses, ont [même] diminué dans 21 pays africains ».

 

Ce sous-financement chronique du système de santé en Afrique en général et en Afrique de l’Ouest et du Centre en particulier a nécessairement un impact majeur sur la performance dudit système. Comme on peut le constater en parcourant le tableau ci-dessous, si la couverture des soins prénataux de quatrième ligne varie de 40 à 90 %, il n’en demeure pas moins le financement intérieur est faible, tout comme les ressources humaines dans le domaine de la santé, les laboratoires, les données et les systèmes de chaîne d’approvisionnement – ce qui se traduit par une disponibilité et une prestation médiocres des services.

 

 

Dans ce contexte, l’émergence de la pandémie de Covid-19 n’aura fait qu’exacerber une situation déjà délétère.

 

La Covid-19 a mis en évidence le sous-investissement et par la même occasion, la vulnérabilité des systèmes de santé en Afrique.

En fait, tout en mettant à nu les inégalités sanitaires mondiales, « le chacun pour soi médical », le nationalisme vaccinal, la pandémie Covid-19 a également permis de redécouvrir la faiblesse criarde des systèmes de santé africains. Entre les pays riches et les pays pauvres, entre les pays qui étaient en mesure d’acheter ou de produire les vaccins, les médicaments ou le matériel médical et ceux qui avaient des ressources extrêmement limitées, le fossé était énorme. Loin d’être considérés comme un bien public mondial, les vaccins contre la Covid-19 ont été distribués selon la loi du plus offrant. Les pays riches ont procédé à l’achat anticipé de quantités de doses excédant largement ce qui était nécessaire pour vacciner leur population entière. À titre d’exemple, le Canada a acheté des stocks équivalents à 9,6 doses par citoyen. Ces accords commerciaux entre l’industrie pharmaceutique et les pays riches ont exercé une pression à la hausse sur les prix des vaccins et réduit par ce fait même le nombre de doses auxquelles les autres nations, en l’occurrence les pays pauvres, pouvaient prétendre.

 

« S’il est admis que les pays ont une responsabilité morale prioritaire envers leurs propres populations, ceci ne les exempte pas […] du devoir de ne pas nuire aux efforts des autres pays et à leur capacité de remplir leur responsabilité envers leurs propres populations ».

Commission éthique de la science et de la technologie du Québec.
Source : https://www.ethique.gouv.qc.ca/fr/actualites/ethique-hebdo/eh-2021-03-25/?fbclid=IwAR3Vs_fZzVuZfJYc5VW0W1r6DfNl2xUM0qRcMUOaNnXk5ZB3bbRHjClZrkc
https://www.cncd.be/covid-19-enjeu-brevets-vaccins-omc-pays-developpement

 

À un moment donné de la crise, la quasi-totalité des pays africains dépendait des livraisons de vaccins distribués dans le cadre du programme Covax. L’Inde et l’Afrique du Sud ont milité en vain pour une dérogation temporaire aux règles de l’OMC afin d’accélérer la production et l’accessibilité des vaccins aux pays pauvres ou à revenus modestes. En février 2021, « sept pays concentraient 80 % des doses administrées dans le monde, tandis que près de 130 pays n’en avaient encore administré aucune ».

 

Une telle disparité interpelle autant qu’elle invite à l’action. Laquelle? S’il y a bien une chose que la pandémie nous a (re)appris, c’est la nécessité pour le continent africain de sortir de sa dépendance, de ses attentes démesurées à l’égard de la solidarité internationale pour s’engager progressivement, mais résolument vers le financement accru et indépendant de ses propres systèmes de santé. Pour ce faire, les gouvernants doivent avant tout cesser de percevoir les allocations en santé comme des gouffres financiers ou des dépenses optionnelles que l’on se plairait à sabrer lorsque vient le temps de financer des projets de prestige. La santé constitue un des secteurs névralgiques et indispensables dans lesquels l’Afrique doit investir si elle veut s’affranchir de la dépendance qui structure encore, à bien des égards, l’aide humanitaire et les relations Nord/Sud. L’ampleur des conséquences des prochaines crises dépendra des investissements actuels dans ce secteur. « Le sage ne s’afflige jamais des maux présents, mais emploie le présent pour
prévenir d’autres », disait Shakespeare.

 

Les investissements du Fonds mondial et le cofinancement

Relativement aux VIH, à la tuberculose et le paludisme, le Fonds mondial invite au titre de sa Stratégie 2023-2028 les États à investir dans le renforcement des systèmes de santé.

 

 

Pour le Fonds mondial, il est plus que jamais primordial d’investir dans des systèmes de santé résilients et pérennes pour la santé (SSRP). Les systèmes de surveillance des maladies, les réseaux de laboratoires, les chaînes d’approvisionnement et les agents de santé communautaires sont essentiels pour vaincre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Très concrètement, les orientations stratégiques du Fonds mondial pour la période d’allocation 2023-2025 suggèrent aux États admissibles aux financements du Fonds d’investir de façon prioritaire dans les SSRP. Le but est :

  1. Renforcer les services de santé de qualité intégrés et centrés sur les personnes pour améliorer les résultats en matière de VIH, de tuberculose et de paludisme.
  2. Assurer l’alignement sur les “approches critiques” pour la gestion des produits de santé, les laboratoires et les systèmes de ressources humaines pour la santé (RHS).
  3. Contribuer à la préparation aux pandémies en renforçant les systèmes de laboratoire, de surveillance, de ressources humaines, de gestion des produits de santé et d’oxygène médical.
  4. Améliorer la mesure du SSRP en utilisant le cadre modulaire révisé (modules, interventions, indicateurs et mesures de suivi du plan de travail).
  5. Tenir compte de la protection contre l’exploitation sexuelle, les abus et le harcèlement (PSEAH) et de la protection des enfants (voir la note d’orientation).

 

Le Fonds mondial a vocation à disparaître comme le soulignais encore récemment le président français, Emmanuel Macron lors de son allocution en septembre 2022 à New York dans le cadre de la Conférence de la septième reconstitution des ressources. Ainsi, au titre de sa Politique de pérennité, de transition et de cofinancement, le Fonds mondial entend entre autres aider les pays à s’affranchir progressivement des subventions en vue de renforcer leur capacité à financer et à gérer eux-mêmes les programmes de lutte contre ces maladies. Voici quelques points clés de cette Politique :

  • Additionnalité ou complémentarité des ressources : La Politique suit le principe de complémentarité des ressources du Fonds mondial, ce qui signifie que les pays doivent mobiliser des ressources supplémentaires pour compléter les subventions du Fonds mondial.
  • Planification : La Politique encourage les pays à planifier pour les futurs défis de la pérennité, y compris la transition, bien avant qu’ils ne se produisent.
  • Cofinancement : La Politique encourage les pays à cofinancer les programmes de lutte contre ces maladies, ce qui signifie qu’ils doivent contribuer financièrement à ces programmes.
  • Renforcement des systèmes de santé : La Politique encourage les pays à renforcer leurs systèmes de santé pour qu’ils soient en mesure de gérer eux-mêmes les programmes de lutte contre ces maladies.
  • Évaluation : La Politique prévoit une évaluation régulière des progrès réalisés par les pays dans la mise en œuvre de la Politique.

 

Les enjeux et défis liés au cofinancement sont multiples. Ceux-ci ont souvent retenu notre attention. Vous pouvez lire nos articles récents sur le sujet ici et ici. En attendant, on retiendra également que la Politique de pérennité, de transition et cofinancement du Fonds mondial envisage le cofinancement tant sous l’ange des exigences que des mesures d’encouragement. Ainsi, « pour accéder à la somme que le Fonds mondial leur alloue, les pays doivent démontrer une hausse progressive des dépenses publiques de santé et une prise en charge graduelle des principaux coûts des programmes, notamment de ceux que le Fonds mondial soutient ». Très concrètement, ils doivent contribuer à hauteur de 15% au moins de leur allocation.

 

Plus largement, le Fonds mondial encourage les États bénéficiaires de ses subventions à développer des systèmes de santé résilients et pérennes, résolument adossé à un financement intérieur. C’est un objectif louable. Il est souhaitable que le Fonds mondial disparaisse parce que les maladies auront été vaincues en tant que menaces de santé publique, mais surtout parce que les États, en l’occurrence africains, auront développé de véritables SSRP.

 

La tâche est immense, voire insurmontable, pourraient objecter certains. En effet, il ne faut surtout pas se faire d’illusion sur le travail herculéen que requiert la réalisation d’une telle perspective. La détérioration des conditions économiques mondiales, l’augmentation de l’inflation, de la pauvreté, des pénuries alimentaires et les inquiétudes liées au surendettement pourraient même servir d’alibi à certains États pour réduire les dépenses en santé. Toutefois, il importe de rappeler que le budget alloué à la santé ne doit jamais être perçu comme une dépense, mais toujours comme un investissement. Tous.tes les économistes s’accordent à dire qu’une société en santé, un système de santé robuste constituent des gages d’un développement économique et humain durable. Si vous en doutez, relisez ce qu’en dit le rapport de l’OMS (A Heavy Burden: The Productivity Cost of Illness in Africa) mentionné à l’entame de cet article.

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