Les défis des programmes de santé soutenus par le Fonds mondial en Afrique : Contraintes financières, obstacles politiques et juridiques et lacunes en matière de renforcement des capacités
Author:
Samuel Muniu
Article Type:Article Number: 6
Dans cet article, nous nous penchons sur les défis communs auxquels sont confrontés les programmes de santé en Côte d'Ivoire, en Éthiopie, au Ghana et en Ouganda, tels qu'ils ressortent des rapports d'audit du Bureau de l'inspecteur général publiés en décembre 2023. La discussion porte sur trois domaines principaux : les limitations financières, les obstacles politiques et juridiques, et les lacunes en matière de renforcement des capacités. Ces défis entravent collectivement les efforts de lutte contre les maladies prévalentes telles que le paludisme, le sida, la tuberculose et d'autres menaces pour la santé publique dans ces pays.
Contexte
Le Bureau de l’Inspecteur général (BIG) du Fonds mondial a publié des rapports d’audit en décembre 2023, mettant en évidence des défis communs dans les programmes de santé en Côte d’Ivoire, en Éthiopie, au Ghana et en Ouganda. Ces défis comprennent une faible utilisation des interventions sanitaires, des problèmes de qualité et de gestion des données, ainsi que des obstacles au niveau des achats et de la chaîne d’approvisionnement. Notre article intitulé ” Défis communs aux programmes de santé africains : Utilisation, gestion des données et problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement” traite des trois premiers défis. Nous nous concentrons ici sur les limitations financières, les obstacles politiques et juridiques et les lacunes en matière de renforcement des capacités. Ces obstacles entravent collectivement les efforts de lutte contre le paludisme, le sida et la tuberculose. Pour les surmonter, les gouvernements, les donateurs et les parties prenantes doivent collaborer afin de renforcer les systèmes de santé et d’améliorer les résultats sanitaires.
Limites financières et de mobilisation des ressources
Le financement gouvernemental limité, les retards dans le décaissement des fonds et la forte dépendance à l’égard des donateurs externes représentent des défis financiers importants pour les programmes de santé dans de nombreux pays africains. Ces obstacles entravent l’extension des interventions, l’achat de produits essentiels et la mise en œuvre de politiques et de programmes de santé, ce qui, en fin de compte, a un impact sur la fourniture de services de santé à la population.
En Côte d’Ivoire, le déblocage insuffisant et tardif des fonds gouvernementaux pour l’acquisition de produits de santé entraîne de fréquentes pénuries de médicaments et de fournitures médicales essentielles. Malgré les engagements pris pour l’achat de médicaments de première intention contre la tuberculose et la couverture des besoins de santé liés au VIH, le financement réel est insuffisant, ce qui entraîne des lacunes dans la fourniture de soins de santé essentiels.
De même, l’Ouganda est confronté à des obstacles dans l’exécution des subventions en raison d’une gestion inadéquate des sous-récipiendaires. Les retards dans l’attribution des contrats, le déblocage des fonds et la soumission tardive des rapports de responsabilité entravent l’administration financière et la supervision des programmes, en particulier dans le cadre des efforts de lutte contre le paludisme.
Le Ghana subit des revers dans ses demandes de financement pour des biens financés au niveau national, exacerbés par des processus de passation de marchés prolongés et des pressions économiques. Malgré les engagements de cofinancement, seule une fraction des biens requis est achetée, ce qui entraîne des pénuries dans les établissements de santé et compromet la prestation de services.
Les difficultés de l’Éthiopie découlent de la désignation tardive des zones de conflit comme contextes d’intervention difficiles, ce qui entraîne des interruptions des services de santé pour les patients atteints du VIH, de la tuberculose et du paludisme dans les zones touchées. Malgré des politiques opérationnelles pour gérer de tels scénarios, les contraintes de ressources et les retards bureaucratiques empêchent une intervention opportune et exacerbent les problèmes de santé dans ces régions.
Obstacles liés aux politiques et aux cadres juridiques
Les contraintes politiques, les cadres juridiques et les facteurs socioculturels constituent souvent des obstacles importants qui entravent l’accès des populations marginalisées aux services de santé, exacerbant les disparités sanitaires et sapant les efforts de santé publique. Dans plusieurs pays africains, dont la Côte d’Ivoire, l’Ouganda, le Ghana et l’Éthiopie, les lois discriminatoires, la stigmatisation et les violations des droits de l’homme entravent la prestation de services de santé essentiels et la mise en œuvre de programmes pour des populations clés telles que les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), les travailleuses du sexe (TSF) et les personnes vivant avec le VIH/Sida (PVVIH).
En Côte d’Ivoire, l’inefficacité des efforts de prévention du paludisme, en particulier la campagne de distribution de masse de moustiquaires imprégnées d’insecticide à longue durée d’action (MILD), a conduit à une augmentation des cas de paludisme malgré les tentatives de les réduire. Le pays n’a pas atteint son objectif d’augmenter l’utilisation des MILD de 50 % à 80 % entre 2016 et 2020 en raison d’activités de communication critiques négligées pour promouvoir l’utilisation des MILD et d’une faible couverture du traitement préventif intermittent (TPI) pour les femmes enceintes, ce qui met en évidence des problèmes systémiques dans la mise en œuvre du programme et l’accès aux services préventifs.
L’Ouganda est confronté à des difficultés dans la mise en œuvre des interventions de prévention du VIH pour les populations clés, telles que les HSH, en raison de l’adoption de la loi anti-homosexualité et des retards dans la mise en œuvre des programmes. Les contextes juridiques et politiques contribuent aux obstacles en matière de droits humains, entravant les progrès dans la réduction du VIH parmi les groupes vulnérables et perpétuant la stigmatisation et la discrimination, marginalisant davantage ces populations et entravant leur accès aux services de soins de santé essentiels.
De même, le Ghana est confronté à des lacunes dans sa riposte au VIH parmi les populations clés, à un financement gouvernemental limité et à une dépendance à l’égard d’études et de propositions législatives dépassées, ce qui conduit à la marginalisation et à la criminalisation des populations clés et a un impact négatif sur leur accès aux services de soins de santé.
En Éthiopie, les programmes de lutte contre le VIH ne ciblent pas tous les sous-groupes de populations clés, et les recommandations visant à inclure les HSH et les transsexuels n’ont pas encore été mises en œuvre. La stigmatisation et la discrimination fondées sur la religion, les facteurs sociaux et culturels entravent encore davantage les programmes destinés aux populations clés, soulignant le besoin urgent de réforme politique, de protection juridique des groupes marginalisés et de promotion de services de soins de santé inclusifs qui respectent les droits humains et la dignité.
Renforcement des capacités et coordination
Des capacités institutionnelles limitées, une formation insuffisante et des lacunes en matière de coordination entre les partenaires chargés de la mise en œuvre et les sous-récipiendaires constituent des obstacles importants à l’efficacité des programmes de santé dans divers pays d’Afrique. Ces problèmes entravent la prestation des soins de santé et empêchent la réalisation des objectifs de santé publique. Pour y remédier, il est essentiel d’améliorer les initiatives de renforcement des capacités, les mécanismes de coordination et la collaboration entre les parties prenantes.
En Côte d’Ivoire, des défis tels que la capacité limitée en personnel et les retards dans les achats ont entraîné une faible absorption des fonds de subvention pour les programmes de santé, en particulier dans des domaines tels que les systèmes résilients et durables pour la santé (RSSH) et le mécanisme de réponse au COVID-19 (C19RM). Ces défis soulignent l’importance de renforcer les capacités institutionnelles et d’améliorer les processus d’approvisionnement afin de garantir une utilisation efficace des ressources et une mise en œuvre effective des programmes.
De même, l’Ouganda est confronté à des problèmes de retard dans les campagnes de distribution de masse et à des lacunes dans les programmes de prévention et de traitement, ce qui exacerbe les efforts de lutte contre des maladies telles que le paludisme. Le manque de formation et de coordination entre les partenaires de mise en œuvre contribue à ces difficultés, soulignant la nécessité d’améliorer le renforcement des capacités et la collaboration entre les parties prenantes afin d’accroître l’efficacité des programmes.
Le Ghana est confronté à des lacunes dans la gestion des données au niveau infranational, notamment des erreurs dans les contrôles de validation des données et des déficiences dans la gestion et la supervision des données. Ces problèmes entravent l’efficacité du suivi et de l’évaluation des programmes et empêchent d’évaluer avec précision l’impact des interventions sanitaires. Le renforcement des systèmes de gestion des données et la formation du personnel impliqué dans la collecte et l’analyse des données sont essentiels pour relever ces défis et améliorer le suivi et l’évaluation des programmes.
En Éthiopie, les déficiences du système de gestion financière entraînent des risques de perte des informations financières relatives aux subventions et de manque de fiabilité des rapports. L’utilisation de logiciels de comptabilité sans licence et l’absence de politiques pour l’acquisition et la maintenance de l’infrastructure informatique ne font qu’exacerber ces problèmes. Il est essentiel d’investir dans le renforcement des capacités de gestion financière et d’établir des politiques et des procédures solides pour l’acquisition et la maintenance de l’infrastructure informatique afin de remédier à ces lacunes et de garantir l’exactitude et la fiabilité des rapports financiers.
La voie à suivre
Pour relever les défis en matière de soins de santé dans les pays africains, il faut une stratégie globale. L’un des aspects essentiels consiste à donner la priorité à la mobilisation des ressources nationales et à allouer des fonds suffisants aux soins de santé. Il s’agit non seulement d’augmenter les dépenses globales de santé, mais aussi de garantir une utilisation efficace et transparente des fonds. L’amélioration de la gestion financière et des mécanismes de contrôle est cruciale pour la responsabilisation et l’allocation efficace des ressources. En outre, la diversification des sources de financement par la collaboration avec le secteur privé et l’utilisation de mécanismes de financement innovants peuvent contribuer à un financement durable des soins de santé. En réduisant leur dépendance à l’égard de l’aide extérieure, les pays peuvent exercer un plus grand contrôle sur leurs systèmes de santé et renforcer leur résistance aux fluctuations des financements internationaux.
En outre, pour surmonter les obstacles liés aux politiques et aux cadres juridiques, il est nécessaire d’adopter une approche à multiples facettes. Il s’agit notamment de plaider en faveur d’une réforme politique visant à éliminer les lois discriminatoires, de fournir une protection juridique aux groupes marginalisés et de promouvoir des services de soins de santé ouverts à tous et tenant compte des facteurs socioculturels. Les efforts visant à réduire la stigmatisation et la discrimination, à améliorer l’accès aux services de santé et à responsabiliser les populations marginalisées sont essentiels pour obtenir des résultats sanitaires équitables et faire progresser les objectifs de santé publique dans les pays africains.
Enfin, pour surmonter les difficultés liées aux capacités institutionnelles limitées et aux lacunes en matière de coordination, il faut investir dans le développement de la main-d’œuvre, clarifier les rôles et promouvoir la collaboration multisectorielle. La mise en œuvre de ces stratégies peut renforcer l’efficacité et la viabilité des programmes et, partant, améliorer l’accès à des soins de santé de qualité pour tous les citoyen(ne)s.