Le rapport “Aid for the war on drugs” de Harm Reduction International appelle à un changement de cap dans la lutte contre la drogue.
Author:
Christian Djoko
Article Type:Article Number: 7
Cet article présente le récent rapport de l'ONG Harm Reduction International intitulé "Aid for the war on drugs". Le rapport souligne qu'en dépit des preuves en faveur d'une approche de la politique antidrogue fondée sur la santé et les droits humains, une grande partie du financement international est allouée à des régimes antidrogue punitifs et préjudiciables. Il appelle à un changement dans l'allocation des ressources, à la décolonisation de la politique de lutte contre la drogue et des flux de financement associés. Il demande également des réparations pour les dommages causés par les politiques punitives de lutte contre la drogue et la reconstruction des communautés détruites. Enfin, il appelle les gouvernements et les donateurs à se désengager des réponses punitives injustes et à investir dans la communauté, la santé et la justice, y compris la réduction des risques.
Une approche punitive, coloniale et raciste inefficace
D’emblée, le rapport met en évidence les graves conséquences de la guerre mondiale contre la drogue, notamment l’incarcération de masse, les prisons surpeuplées, les condamnations à mort, les opérations policières meurtrières et la destruction des moyens de subsistance des paysans pauvres par des méthodes d’éradication forcée. Il met en lumière les violations des droits liées aux programmes de traitement forcé, à la discrimination et aux obstacles à l’accès aux soins de santé, qui touchent particulièrement les communautés pauvres, marginalisées et racialisées du monde entier. Malgré les nombreuses preuves et la reconnaissance internationale de ces effets négatifs, des fonds internationaux importants continuent d’être alloués à des activités punitives de contrôle des drogues, négligeant les approches de réduction des risques qui promeuvent la santé publique et les droits humains.
Depuis 1971, les États-Unis ont dépensé plus de mille milliards de dollars dans leur guerre contre la drogue, avec un financement annuel de plus de 1,1 milliard USD en 2021, principalement dirigé par la Drug Enforcement Administration (DEA) et le département d’État. Les pays européens sont également d’importants contributeurs financiers, consacrant jusqu’à 0,5 % de leur PIB à la lutte contre la drogue, selon un rapport du Conseil de l’Europe de 2017.
Source: “Aid for the war on drugs” (Rapport HRI)
Plus largement, selon les données les plus récentes, plus de 930 millions USD d’aide ont été alloués à des projets de “lutte contre les stupéfiants” entre 2012 et 2021, les principaux donateurs étant les États-Unis, l’Union européenne, le Japon et le Royaume-Uni. Sur ces dépenses, au moins 68 millions d’USD sont allés à des pays appliquant la peine de mort pour des délits liés à la drogue. Cette situation fait craindre que l’aide n’ait soutenu des régimes qui exécutent des personnes. Si certains donateurs ont réduit leurs dépenses d’aide, d’autres, comme les États-Unis, les ont considérablement augmentées en 2021. Cette analyse met en évidence la manière dont l’aide financière a soutenu des approches contraires aux objectifs de développement mondiaux, particulièrement préjudiciables aux communautés pauvres et marginalisées. En d’autres termes, bien que l’aide financière soit destinée à aider les communautés défavorisées, les régimes punitifs de contrôle des drogues, comme le montrent des preuves concluantes, les affectent de manière disproportionnée. Par conséquent, ces régimes ne s’alignent pas sur des budgets de développement substantiels mais limités. Les puissances mondiales, notamment les États-Unis, utilisent la politique en matière de drogues pour renforcer leur contrôle sur d’autres populations, perpétuant ainsi une dynamique raciste et coloniale.
Source: “Aid for the war on drugs” (Rapport HRI)
Ces investissements soulèvent des questions quant à l’efficacité et à l’impact de ces approches, soulignant le besoin impératif de réévaluer les politiques de lutte contre la drogue en faveur d’approches plus factuelles et respectueuses des droits humains. Cela est d’autant plus vrai que les dépenses substantielles consacrées à la répression, à la surveillance et à l’incarcération de masse peuvent exercer une pression considérable sur des budgets publics limités, détournant des ressources qui pourraient être utilisées plus efficacement. Le rapport souligne que les donateurs ont à la fois la possibilité et la responsabilité de réorienter leurs investissements vers des efforts de réduction des risques fondés sur des données probantes et axés sur la santé mondiale et les droits humains. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui gère un système de notification des pays créanciers (SNPC) et à laquelle les donateurs doivent rendre compte de leurs dépenses, a également un rôle à jouer en veillant à ce que les pays révèlent et réorientent les fondements matériels et financiers de la lutte antidrogue punitive. Les preuves sont là. Ce rapport en donne un aperçu en synthétisant les recherches sur les flux financiers internationaux consacrés au contrôle punitif des drogues, en analysant les données sur l’aide publique au développement (APD) consacrée à la “lutte contre les stupéfiants” et en révélant des dépenses souvent liées à des activités de maintien de l’ordre plutôt qu’à des activités de développement international.
Au terme de son enquête, le rapport propose une série de recommandations spécifiquement adressées à certains acteurs de la lutte mondiale contre la drogue. Nous les présentons ici dans leur intégralité.
Recommandations
Les donateurs internationaux devraient :
- Cesser d’utiliser l’argent de leurs budgets d’aide limités (censés contribuer à l’éradication de la pauvreté et à la réalisation des objectifs de développement mondiaux) pour des activités de “contrôle des stupéfiants”;
- Se désengager des régimes punitifs et prohibitionnistes de contrôle des drogues et faire preuve d’une plus grande transparence quant aux dépenses qu’ils consacrent aux activités liées à la drogue, y compris la réduction des risques (quelle que soit la ligne budgétaire d’où provient l’argent);
- Investir dans des initiatives de réduction des risques fondées sur des données probantes et axées sur la santé et les droits humains, qui s’alignent sur les engagements mondiaux en matière de développement et autres.
La société civile et les journalistes doivent :
- Exiger une plus grande transparence dans la manière dont l’argent de l’aide est dépensé;
- Mener des enquêtes plus approfondies sur la manière dont l’argent a été dépensé pour le “contrôle des stupéfiants” dans différents pays (y compris la manière dont il a été justifié, les résultats revendiqués et tout impact direct ou indirect susceptible d’avoir compromis d’autres objectifs ou les règles de l’aide).
Les contribuables des pays donateurs devraient :
- Exiger l’intégrité et la transparence des dépenses internationales de leurs gouvernements, y compris celles provenant de budgets d’aide limités;
- Exiger que les budgets publics soient consacrés à des mesures fondées sur des données probantes, axées sur la santé publique et les droits humains.
L’OCDE devrait :
- Solliciter et écouter les conseils des experts en matière de santé et de droits humains, ainsi que des personnes qui consomment des drogues, pour savoir s’il faut retirer la “lutte contre les stupéfiants” de la liste des catégories de dépenses éligibles à l’aide;
- Réaliser et publier un examen approfondi de l’ensemble de l’aide consacrée à la “lutte contre les stupéfiants” jusqu’à présent, afin de déterminer si certaines dépenses n’ont pas respecté les orientations relatives à cette catégorie et si les donateurs ont invoqué la sécurité nationale ou d’autres justifications pour ne pas divulguer les détails des projets financés;
- Accroître la transparence de toutes les dépenses d’aide actuelles et antérieures, en facilitant l’accès aux données et aux détails des projets, ce qui facilitera l’obligation de rendre des comptes.
Les gouvernements devraient :
- Décriminaliser la consommation et la possession de drogues et soutenir la réduction des risques pour les personnes qui consomment des drogues et, en attendant, promouvoir des alternatives à l’incarcération fondées sur des preuves et axées sur la santé et les droits humains;
- Évaluer de manière critique leurs propres dépenses en matière de lutte contre la drogue, se désengager de la lutte punitive contre la drogue et investir dans des programmes de réduction des risques fondés sur des données probantes;
- Impliquer de manière significative les communautés et la société civile dans la prise de décision financière et le suivi de toutes les politiques liées à la drogue.
Le rapport souligne que pour décoloniser la politique antidrogue et promouvoir des approches fondées sur la santé et les droits humains, il est nécessaire que tout le monde prenne des mesures et examine les données afin de mettre un terme à l’orientation punitive qui est devenue la marque de fabrique de la lutte antidrogue.