SIDA ET PROSTITUTION AU KENYA : DES MOYENS DÉRISOIRES CONTRE LES TABOUS ET LA PEUR
Author:
Stéphanie Braquehais
Article Type:Article Number: 2
Dans la région la plus affectée par le VIH au Kenya, deux ONG sous-récipiendaires du Fonds mondial tentent, avec des moyens limités, de gagner la confiance et protéger les nombreuses travailleuses du
RÉSUMÉ Dans la région la plus affectée par le VIH au Kenya, deux ONG sous-récipiendaires du Fonds mondial tentent, avec des moyens limités, de gagner la confiance et protéger les nombreuses travailleuses du sexe, groupe le plus largement exposé aux risques de transmission de la maladie.
A Kisii, près du lac Victoria, dans l’ouest du Kenya, à deux pas du quartier de la prostitution, un ensemble de 14 chambres d’une dizaine de mètres carrés, contenant chacune un lit, est utilisé par plusieurs dizaines de travailleuses
Des travailleuses du sexe dans un “programme de bien-être”
du centre de dépistage volontaire et d’accompagnement de Kisumu
du sexe. Ensemble, les femmes s’organisent pour collecter le loyer et, surtout, elles se sentent plus en sécurité. “Ici, c’est mieux que la rue, affirme une des locataires. Il n’y a pas les mêmes risques et si un client ne paie pas, ou se montre violent, on peut faire pression sur lui, car nous sommes nombreuses.”
Les risques encourus par les travailleuses du sexe dépendent en partie de la manière dont elles sont regroupées, entre celles qui sont basées dans la rue, dans les boîtes de nuit, celles qui ont déjà un réseau de clients qu’elles reçoivent à la maison ou encore les groupes de femmes qui s’unissent pour louer des chambres à plusieurs.
Dans la rue, le viol est une menace permanente. Faith Omolo est âgée de 30 ans et a quatre enfants. Elle a été diagnostiquée séropositive en 2007. Fin décembre, elle attendait des clients potentiels au bord de la route à Kisumu. “Un policier m’a apostrophée pour me demander ce que je faisais là. Je lui ai dit que je travaillais. Pour toute réponse, il m’a violée, sans préservatif et sans que ses collègues ne disent rien. Comment voulez-vous que je porte plainte à la police, puisque le violeur est lui-même policier ? Je n’avais que mes yeux pour pleurer.”
Une travailleuse du sexe fréquente une clinique mobile à Nairobi
Rares sont celles, en effet, qui osent entamer une procédure judiciaire. “Nous préférons nous taire, car nous avons peur d’être mal reçues par la police ou dans les hôpitaux publics, confie Dorcus, 27 ans. Nous avons nos droits, mais ils ne sont pas reconnus et nous risquons de ne pas être entendues”.
‘Nous savons que nous ne les atteignons pas.’
Face à la difficulté de venir en aide à ces femmes marginalisées, les moyens mis en place avec l’aide du Fonds mondial semblent très réduits. A Kisii et Kisumu, deux sous-récipiendaires de la Croix-Rouge kényane, LVCT et IRDO, font appel à un petit nombre d’éducatrices, elles-mêmes travailleuses du sexe, pour la sensibilisation et la prévention du sida. Celles-ci rencontrent leurs “cibles” plusieurs fois par semaine pour distribuer des préservatifs, des lubrifiants et donner des conseils sur le type de relation sexuelle et le préservatif. En contrepartie, elles reçoivent un dédommagement d’un peu plus de 20 dollars par mois.
“En tant qu’éducatrice, vous êtes censée être un modèle à suivre, raconte Silvia Auma Abwao, éducatrice âgée de 32 ans, recrutée par LVCT, sous-récipiendaire de la Croix-Rouge à Kisumu. On donne des conseils. Mais quand on se retrouve dans le même bar à chasser les mêmes clients, à être en concurrence, c’est difficile. On aimerait bien avoir les moyens de passer plus de temps avec elles et de diminuer le travail du sexe.”
Un homme homosexuel séropositif se fait mesurer sa tension artérielle dans un centre de dépistage volontaire et d’accompagnement psychologique de la Croix-Rouge kényane financé par le Fonds mondial
“Nous voyons beaucoup de travailleuses du sexe dans les zones périurbaines ou rurales et nous savons que nous ne les atteignons pas”, ajoute sa collègue Margaret Makori, âgée de 35 ans et éducatrice depuis 3 ans. “Nous devons cibler 1826 travailleuses du sexe dans quatre districts avec seulement cinq éducatrices, ce n’est pas suffisant. Nous voudrions pouvoir former plus d’éducatrices”, estime pour sa part, Irene Moraa chef du programme des populations les plus exposées au risque du sida à LVCT.
Même son de cloche à Kisii, où IRDO compte 20 éducatrices pour 1000 travailleuses du sexe. “Une étude de Nascop (ndlr Programme de contrôle des maladies sexuellement transmissibles du ministère de la Santé) a révélé que les travailleuses du sexe étaient au nombre de 4063 dans la zone que nous sommes censés couvrir, affirme Gordon Okello, clinicien. Nous devrions donc élargir notre cible et augmenter le nombre d’éducatrices”.
Photos de Phil Moore