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UN ENTRETIEN AVEC JESSE BOARDMAN BUMP
OFM Edition 114

UN ENTRETIEN AVEC JESSE BOARDMAN BUMP

Author:

Arlette Campbell White

Article Type:
Interview

Article Number: 5

Ā« Les membres du conseil d'administration d'Aidspan ont toujours Ć©tĆ© motivĆ©s par un sens aigu de l'Ć©quitĆ© Ā»

RƉSUMƉ Jesse Bump, l'un des membres du conseil d'administration d'Aidspan les plus rĆ©cents, nous explique comment sa passion pour la recherche et la justice s'est transformĆ©e en santĆ© publique mondiale.

Jesse B. Bump est l’un des membres du conseil d’administration d’Aidspan les plus rĆ©cents, rĆ“le qu’il cumule avec celui de directeur exĆ©cutif duĀ Takemi Program in International Health, de chargĆ© de cours en politique de santĆ© mondiale au dĆ©partement de santĆ© mondiale et de population de l’Ć©cole de santĆ© publique T.H. Chan de l’UniversitĆ© Harvard et de membre du Bergen Center for Ethics and Priority Setting de l’UniversitĆ© de Bergen. Il est titulaire d’un Artium Baccalaureatum (AB) en astronomie et en histoire de l’Amherst College, d’un doctorat (PhD) en histoire des sciences, de la mĆ©decine et de la technologie de l’universitĆ© Johns Hopkins et d’un master en santĆ© publique (MPH) de l’universitĆ© Harvard.

 

Jesse, qu’est-ce qui vous fait sortir du lit le matin (Ć  part le cafĆ©) ?

Au lycĆ©e et Ć  l’universitĆ©, j’ai toujours Ć©tĆ© fascinĆ© par la science, la recherche, le monde universitaire et tout ce qui attirait un esprit curieux. Je m’intĆ©ressais vraiment Ć  l’ordre du monde, tant naturel que social. J’ai d’abord Ć©tudiĆ© la physique, puis je suis passĆ©e Ć  l’astronomie (qui est de la physique appliquĆ©e), car je voulais comprendre la formation de l’univers et les rĆØgles qui rĆ©gissent son mouvement. J’ai Ć©galement Ć©tudiĆ© l’histoire, car je voulais comprendre pourquoi la richesse, le pouvoir et les opportunitĆ©s Ć©taient rĆ©partis de maniĆØre si inĆ©gale. Du cĆ“tĆ© de l’astronomie, il y avait beaucoup de rĆ©ponses convaincantes, mais du cĆ“tĆ© de l’histoire, il n’y avait qu’une explication partielle, et pas grand-chose qui semblait juste ou raisonnable. J’ai donc conjuguĆ© ces intĆ©rĆŖts personnels Ć Ā  mon travail, et j’ai commencĆ© Ć  me demander comment la connaissance se dĆ©veloppe et comment elle peut ĆŖtre utilisĆ©e pour le dĆ©veloppement et, dans une progression logique, pour la santĆ©.

J’ai grandi dans le Vermont rural et je me suis toujours intĆ©ressĆ© Ć  la justice et Ć  la violation de ces principes dans l’esclavage, la colonisation et d’autres processus historiques majeurs. C’est Ć  partir de lĆ  que j’ai commencĆ© Ć  m’intĆ©resser plus spĆ©cifiquement Ć  la santĆ©, estimant qu’en matiĆØre de santĆ©, il est Ć©thiquement plus sĆ»r de prĆ©sumer que la plupart des gens en veulent davantage. Dans de nombreux domaines du dĆ©veloppement, les gens doivent dĆ©cider eux-mĆŖmes de ce qu’ils veulent, par exemple s’ils veulent des zones de pĆŖche ou une centrale Ć©lectrique. Je ne saurais deviner pas ce que les gens veulent. Mais, en ce qui concerne la santĆ©, si quelqu’un a le paludisme, vous pouvez supposer qu’il veut un traitement, et si les gens sont exposĆ©s au risque paludique, ils veulent des actions de prĆ©vention.

Cela vous a conduit Ơ la santƩ mondiale : parlez-nous de vos recherches.

L’objectif gĆ©nĆ©ral de mes recherches est d’analyser l’Ć©volution des idĆ©es et des institutions qui favorisent de meilleures performances sociĆ©tales en matiĆØre de santĆ©. J’ai Ć©tudiĆ© les possibilitĆ©s uniques de mettre en place des systĆØmes de santĆ© et de faire progresser les protections sociales qui se prĆ©sentent pendant et aprĆØs les perturbations gĆ©nĆ©ralisĆ©es dues aux Ć©pidĆ©mies, Ć  la colonisation, aux conflits, Ć  l’industrialisation, Ć  la mondialisation et Ć  d’autres processus. J’utilise des perspectives historiques et d’Ć©conomie politique pour Ć©tudier comment et quand les sociĆ©tĆ©s dĆ©veloppent des moyens de comprendre et de gĆ©rer les plus grandes menaces pour la vie et les moyens de subsistance. La recherche chevauche de nombreuses disciplines et tire parti d’une recherche historique approfondie avec des thĆ©ories et des mĆ©thodes de sciences sociales pour produire des stratĆ©gies pour le prĆ©sent et l’avenir. Ces rĆ©flexions sont liĆ©es Ć  mon travail sur l’Ć©thique Ć  plusieurs niveaux. Un grand nombre des problĆØmes que nous rencontrons dans les pays Ć  revenu faible ou intermĆ©diaire ont Ć©tĆ© causĆ©s par le colonialisme et les facteurs fondamentaux n’ont jamais Ć©tĆ© abordĆ©s.

Et du niveau mondial au niveau national ?

Eh bien, au niveau national, nous examinons comment les gouvernements, les citoyens et le secteur privĆ© s’organisent autour d’objectifs de santĆ©, notamment la protection de l’environnement, les rĆ©ponses aux Ć©pidĆ©mies, la surveillance des maladies, la couverture sanitaire universelle et les institutions de santĆ© publique connexes. Et, pour en revenir au niveau mondial, j’ai Ć©tudiĆ© le dĆ©veloppement des organisations internationales, analysĆ© leur Ć©conomie politique et tentĆ© de faire avancer la lutte pour les rendre plus Ć©quitables, plus responsables et plus efficaces. J’ai collaborĆ© avec des institutions de premier plan pour aborder certaines des questions les plus importantes en matiĆØre de santĆ© mondiale, notamment la conception de mĆ©thodes plus Ć©quitables pour fixer les prioritĆ©s et allouer les ressources, l’Ć©laboration de stratĆ©gies pour gĆ©rer l’Ć©conomie politique de la rĆ©forme de la santĆ© et la navigation dans les politiques de crĆ©ation d’institutions de santĆ© publique. J’ai eu la chance de travailler sur des projets de recherche vraiment passionnants qui ont gĆ©nĆ©rĆ© des solutions dans de nombreux domaines ciblĆ©s, tels que la lutte contre le tabac, les maladies diarrhĆ©iques, l’onchocercose, la syphilis congĆ©nitale et la gouvernance de la nutrition.

Comment vous ĆŖtes-vous retrouvĆ© au conseil d’administration d’Aidspan ?

Il y a trois ou quatre ans, certains de mes collĆØgues Ć  GenĆØve m’ont proposĆ© de siĆ©ger au conseil et je dois dire que cela m’a beaucoup plu. Aidspan fournit de l’information, des analyses, de la formation et du renforcement des capacitĆ©s pour aider les gouvernements et les autres parties prenantes Ć  tirer le meilleur parti du Fonds mondial. J’apprĆ©cie l’orientation analytique d’Aidspan et j’apprĆ©cie sa culture. Aidspan est basĆ©e au Kenya et est dirigĆ©e et gĆ©rĆ©e par des Africains. L’emplacement et le leadership permettent Ć  Aidspan de se rapprocher des expĆ©riences et des points de vue des pays que le Fonds mondial soutient, ce qui accroĆ®t son efficacitĆ© et sa lĆ©gitimitĆ©. Dans l’ensemble, Aidspan fournit un service public essentiel en favorisant une gouvernance plus transparente et plus efficace en matiĆØre de santĆ©.

ƀ cause de la COVID-19, Aidspan a perdu l’un de ses principaux donateurs…

Oui, l’impact immĆ©diat de la COVID-19 n’est pas encore clair, mais il est certain que nous verrons une variation dans la volontĆ© des donateurs de soutenir des activitĆ©s externes, Ć©tant donnĆ© que les Ć©conomies des pays donateurs elles-mĆŖmes ont Ć©tĆ© touchĆ©es par la pandĆ©mie. Jusqu’Ć  prĆ©sent, Aidspan a rĆ©ussi Ć  attirer des fonds, mais avec la COVID-19, les donateurs sont Ć  court d’argent.

L’environnement Ć©conomique est dĆ©sormais “dĆ©flationniste” (hausse des impĆ“ts et baisse des dĆ©penses), ce qui influence bien sĆ»r les bailleurs. Mais je suis persuadĆ© que si Aidspan continue d’ĆŖtre performant, nous serons en mesure de combler le dĆ©ficit.

Comment finanƧons-nous l’aide au dĆ©veloppement ?

Actuellement, le secteur de la santĆ© mondiale est financĆ© principalement par deux sources : les organisations caritatives telles que les organismes donateurs et les grandes ONG, et les initiatives Ć  motivation commerciale liĆ©es aux produits ou aux marchĆ©s. Le secteur privĆ© souhaite souvent financer la santĆ© mondiale comme un moyen important de protĆ©ger ses intĆ©rĆŖts ou de vendre des produits. Une grande partie de ces sources passe par le Fonds mondial et, Ć©tant donnĆ© que les deux sont liĆ©s aux mĆŖmes pressions Ć©conomiques, ils seront toujours vulnĆ©rables aux variations. Ce mode de financement est imprĆ©visible et non durable. Nous avons besoin d’une solution plus permanente basĆ©e sur la fermetĆ© et la redistribution, et non sur la charitĆ© facultative ou l’intĆ©rĆŖt commercial.

Les impĆ“ts et les taxes Ā sont bien sĆ»r un moyen, au moins au niveau national, de financer notre systĆØme de santĆ© et de soutenir les efforts de dĆ©veloppement international de son pays en matiĆØre de santĆ©.

Pourriez-vous rĆ©flĆ©chir Ć  la mobilisation des ressources nationales, Ć  la sĆ©curitĆ© sanitaire mondiale ou Ć  d’autres idĆ©es actuellement en vogue ?

La “mobilisation des ressources nationales” (MRN) est le terme utilisĆ© pour dĆ©signer l’argent que les donateurs veulent voir investi par les pays dans des. Ce terme soulĆØve beaucoup de questions pour moi. ƀ premiĆØre vue, la MRN signifie la collecte ordinaire de revenus au niveau national, ou plus simplement, une forme d’imposition. C’est l’essence mĆŖme des Ɖtats modernes : les citoyens acceptent de payer des impĆ“ts et les Ɖtats fournissent divers services, y compris dans le domaine de la santĆ©. Les donateurs n’ont pas de rĆ“le Ć©vident Ć  jouer dans cette relation tant que les citoyens et leurs gouvernements ne conviennent pas qu’ils veulent une certaine consultation. Mais ce que la MRN semble ĆŖtre dans la pratique, c’est un moyen pour les donateurs d’amener les pays Ć  payer pour ce que les donateurs veulent. Je pense que c’est vraiment problĆ©matique. De mĆŖme, la sĆ©curitĆ© sanitaire mondiale est un terme que les donateurs ont utilisĆ© pour mettre l’accent sur une partie Ć©troite de la santĆ© publique liĆ©e aux maladies infectieuses. Je sais qu’il est gĆ©nĆ©ralement accompagnĆ© d’un langage large, mais il se concentre sur la dĆ©tection et la surveillance des maladies infectieuses du point de vue des donateurs plutĆ“t que sur la santĆ© publique du point de vue du citoyen. La gestion de l’eau, des Ć©gouts, de l’assainissement et des relations fiscales que je viens de mentionner n’est pas mis en avant, mĆŖme si c’est lĆ  que tous les pays riches ont commencĆ© leurs propres progrĆØs en matiĆØre de santĆ© publique. Au lieu de soutenir ces activitĆ©s de base pour un progrĆØs durable en matiĆØre de santĆ© publique, de nombreuses idĆ©es sur la santĆ© mondiale pervertissent en fait la relation entre le citoyen et l’Ɖtat en affirmant les prioritĆ©s des Ć©trangers et en rĆ©orientant les recettes fiscales nationales vers des choses auxquelles les citoyens ne se sont pas explicitement engagĆ©s.

Et pour l’avenir d’Aidspan ?

COVID-19 a ouvert une discussion sur les nouvelles pandĆ©mies. Va-t-elle (COVID-19) disparaĆ®tre ? Y en aura-t-il d’autres ? L’avenir d’Aidspan est liĆ© Ć  celui du Fonds mondial ; le Fonds mondial doit maintenant rĆ©flĆ©chir Ć  la maniĆØre dont il fixe ses propres prioritĆ©s. Il a trois maladies depuis le dĆ©but, mais la COVID-19 montre que nous avons besoin d’une certaine flexibilitĆ©. Cela nĆ©cessiterait une discussion Ć  l’Ć©chelle mondiale, mais on pourrait imaginer que les gens suggĆØrent les cinq principales maladies mesurĆ©es par la mortalitĆ©, ou peut-ĆŖtre inclure les menaces Ć©mergentes. Nous savons que les maladies non transmissibles sont les principales causes de dĆ©cĆØs dans de nombreux pays, et qu’elles continuent d’augmenter. Et il existe d’autres menaces nouvelles qui pourraient entraĆ®ner un changement dans la santĆ© mondiale. Cela modifiera-t-il l’orientation du Fonds mondial ? Si cela se produit, la mission d’Aidspan devra Ć©galement changer, et en attendant, c’est un sujet que nous pouvons faire avancer avec nos intervenants.

En l’Ć©tat actuel des choses et dans un avenir prĆ©visible, le monde aura toujours besoin de plaidoyer en faveur de la santĆ©, de renforcement des capacitĆ©s, d’analyse des politiques, d’information et de recherche, et de conseils : cela ne changera PAS et, tant que ce sera le cas, il y aura toujours des efforts internationaux pour rĆ©pondre Ć  ces besoins. Lorsque les pays deviendront totalement autonomes, ils n’auront plus besoin d’aide et le Fonds mondial ne sera plus nĆ©cessaire.

L’avenir d’Aidspan rĆ©side dans la poursuite des fonctions d’analyse et de renforcement des capacitĆ©s comme avant – mais peut-ĆŖtre pas pour les mĆŖmes maladies.

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