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Renforcer le leadership des femmes pour mieux lutter contre le paludisme au Cameroun
OFM Edition 156

Renforcer le leadership des femmes pour mieux lutter contre le paludisme au Cameroun

Author:

Laetitia Tonye Loè

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 4

Partie I : les liens entre prévalence du paludisme et autonomisation des femmes au Cameroun

L’étude Malaria Behaviour Survey (MBS) menée dans deux régions du Cameroun en 2019 a permis de comprendre les déterminants comportementaux de la prévention et la prise en charge du paludisme auprès des populations. L’étude révèle également des liens forts entre l’autonomisation des femmes et l'efficacité des politiques de lutte contre le paludisme. Ces résultats ouvrent la porte à une discussion plus large sur l’engagement politique des gouvernements et bailleurs de fonds en matière d’égalité des genres et de développement durable.

Les retards dans l’autonomisation des femmes constituent des barrières à l’efficacité des programmes de lutte contre plusieurs maladies endémiques, notamment le paludisme. Le paludisme est une maladie mortelle qui continue de faire des ravages dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, y compris le Cameroun. Selon le Ministre de la Santé camerounais, en 2022, le paludisme a représenté près de 3 327 381 cas pour 2481 décès dont majoritairement des enfants de moins de 5 ans. Les résultats de l’étude intitulée Malaria Behavior Survey (MBS) menée au Cameroun en 2019 par Breakthrough ACTION (programme de John Hopkins Center for Communication Programs) dans deux régions du Cameroun, sur financements de US Agency for International Development (USAID) et en collaboration avec le Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP) du Cameroun apportent des perspectives intéressantes. Cet article s’appuie sur les résultats de cette étude. Il relève les liens entre la lutte contre le paludisme et l’autonomisation des femmes camerounaises d’une part et d’autre part, il met en exergue les perspectives apportées par la mise à l’échelle de l’étude au niveau national, ainsi que les facteurs qui influencent l’autonomisation des femmes et leur impact sur les politiques de santé publique au Cameroun.

 

Une étude à grande échelle

 

Bien que le gouvernement camerounais ait mis en place des politiques et des programmes visant à lutter contre le paludisme, il reste encore beaucoup à faire pour réduire son taux de prévalence. L’objectif de MBS mené dans les régions du Nord et de l’Extrême Nord du Cameroun était double. Premièrement, fournir une meilleure compréhension du contexte sociodémographique et des normes sociales associées à la prévention et la prise en charge du paludisme au Cameroun. Deuxièmement, déterminer l’orientation et les approches de conduite du changement social appropriées pour définir des programmes plus efficaces de lutte contre le paludisme. Lors d’un entretien qu’il nous a accordé, le Dr. Joël Ateba le Secrétaire Permanent du Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP) du Cameroun a soulevé l’importance des études comme MBS. Selon lui, « les études de cette échelle et orientées vers les comportements dans le cadre de la lutte contre le paludisme sont rares ». Il a poursuivi plus loin en expliquant les raisons qui ont motivé le projet d’élargissement de l’étude. Les spécificités socio-culturelles des régions du Nord et de l’Extrême Nord du Cameroun diffèrent tellement de celles des huit autres régions que les résultats ne pouvaient pas être « généralisés au reste du pays ». Ces différences ont imposé la nécessité d’élargir l’étude afin de comprendre les phénomènes qui se produisent dans les autres régions afin  d’y apporter des réponses adéquates et spécifiques. Le travail de collaboration entre le PNLP et Breakthrough Action a permis de mobiliser les fonds nécessaires auprès du Fonds Mondial pour l’implémentation de MBS dans les autres régions du pays.

 

Principaux résultats en matière de genre 

 

MBS a révélé plusieurs questions liées à l’autonomisation et au leadership des femmes dans les zones de l’étude. En matière d’accès à l’information, dans la région du Nord, seulement 28% de femmes ont hebdomadairement accès à la radio contre 49% d’hommes, et 31% de femmes contre 70% d’hommes dans l’Extrême Nord. La question de l’accès à l’information est primordiale, car l’information est centrale dans la lutte contre le paludisme. Les médias de masse restent largement utilisés au cours des campagnes de sensibilisation et de promotion de la santé. Ils sont utilisés comme outils pour renforcer les connaissances des populations, et les aider à prévenir le paludisme et ses effets néfastes. L’accès à la radio et aux médias de façon générale peut permettre aux femmes d’apprendre à reconnaître les symptômes de paludisme dès leur apparition, d’être informées des campagnes de distribution de moustiquaires, ou de traitement préventif saisonnier du paludisme.

 

En matière de santé sexuelle et reproductive, les défis sont tout aussi importants. L’accès à la bonne information : À peu près la moitié des personnes interrogées dans les deux régions (46,6% au Nord, 50,6% à l’Extrême-Nord) savait qu’une femme devait commencer les soins prénataux au moment où elle apprend qu’elle est enceinte ou au cours du premier trimestre. Conséquemment, seulement 43% de femmes dans le Nord et 45% dans l’Extrême Nord ont déclaré avoir reçu au moins trois doses de traitement préventif intermittent du paludisme chez la femme enceinte durant leur dernière grossesse.

 

L’ autonomie décisionnelle des femmes est également un facteur important en matière de prise en charge des cas de paludisme chez les enfants en bas âge. Selon l’étude, parmi les personnes interrogées, seulement 33% dans le Nord et  57% dans l’Extrême Nord ont rapidement emmené leurs enfants fébriles dans un centre de santé ou chez un agent de santé communautaire lors des derniers cas de paludisme. Ces statistiques révèlent le poids des normes sociales qui contribuent à la morbidité du paludisme. En effet, même si ces femmes constataient précocement les symptômes du paludisme et les identifiaient comme tels, elles ne pouvaient pas agir. Elles avaient besoin de l’autorisation de leurs maris pour se rendre avec les enfants dans un centre de santé ou un hôpital.

 

Enfin, la dépendance économique des femmes ne joue pas en faveur de la lutte contre le paludisme. Dans la situation décrite plus haut, quand bien même la femme pourrait décider de se rendre au centre de santé de son propre chef, les ressources financières dont elle dispose sont généralement insuffisantes. La majorité des femmes, en milieu rural notamment, n’ont pas les moyens pour couvrir les frais de transport jusqu’au centre de santé le plus proche, les frais de consultations ou encore l’achat d’un traitement complet (la gratuité du traitement contre le paludisme pour les enfants de moins de cinq ans n’est pas toujours effective). Par ailleurs, les ressources financières sont souvent contrôlées exclusivement par les hommes/époux, aussi bien lorsqu’elles sont générées par les femmes elles-mêmes que par ces derniers.

 

Perspectives et politiques de santé

 

Le Fonds Mondial travaille en étroite collaboration avec les gouvernements et les organisations locales pour promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes dans tous les aspects de la lutte contre le paludisme. Le ministère de la Santé du Cameroun a également mis en œuvre le Plan National de Développement Sanitaire 2016-2020 qui prévoyait la mise en place d’un système de santé sensible au genre et la promotion de la participation active des femmes dans les processus de prise de décision.  L’implémentation du MBS apporte une compréhension supplémentaire des barrières comportementales qui favorisent la prévalence et la morbidité du paludisme. MBS met en exergue des liens clairs entre l’autonomisation des femmes et la lutte contre le paludisme. MBS et son implémentation sont donc une opportunité pour le PNLP et ses partenaires, de bâtir des stratégies d’intervention encore plus efficaces, en tenant en compte le rôle majeur des femmes. Les résultats du MBS dans le Nord et l’Extrême-Nord révèlent des réalités qu’on observe dans d’autres régions du pays même si elles semblent plus prononcées ici. L’implémentation de l’étude au niveau national permettra de mieux saisir leur ampleur et d’ajuster les programmes de lutte contre le paludisme.

 

Pour lutter efficacement contre le paludisme, il est également important de révéler le caractère systémique des problématiques liées à l’égalité des genres. En effet, tous les constats établis plus haut sont liés. L’accès à l’information est conditionné par la capacité à pouvoir acheter un téléphone ou une radio. La capacité à prendre des décisions informées en matière de santé est liée à la capacité à avoir accès à l’information. Tous ces facteurs renvoyant à des questions telles que la scolarisation des filles ou le mariage précoce et forcé et les modèles mentaux qui soutiennent ces inégalités dans le cas du Cameroun.

 

Dans un contexte où la question des droits des femmes reste encore secondaire, voire inexistante, dans les discussions politiques, MBS révèle le caractère transversal et stratégique de l’objectif de développement durable numéro cinq : Réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles.  D’autres questions émergent alors et nécessitent l’attention des bailleurs de fonds, des gouvernements ainsi que des actrices et acteurs de la société civile. Quelle est la place des organisations de femmes dans la mise en œuvre des politiques de santé publique? À quel stade les expertises en matière de genre et inclusion doivent-elles être prises en compte pour créer des programmes transformatifs? Un engagement politique plus fort du Fonds Mondial en matière d’autonomisation des femmes peut-il contribuer significativement à faire évoluer ou changer certaines normes sociales qui renforcent la morbidité du paludisme? Pourra-t-on vaincre le paludisme sans autonomiser les femmes vivant en Afrique subsaharienne et au Cameroun en particulier? En attendant l’implémentation de MBS dans les huit autres régions du Cameroun, les efforts des différents acteurs et les plateformes de collaborations mises en place sont à saluer. Les résultats de MBS peuvent déjà appuyer des actions de plaidoyer auprès des acteurs clés.

 

Sources:

Survey on the Determinants of Behaviors Related to Malaria Cameroun (June 2020), Johns Hopkins Center for Communication Programs

 

https://www.cameroon-tribune.cm/article.html/56807/fr.html/lutte-contre-le-paludisme-encore-du

 

https://www.theglobalfund.org/media/5720/core_gender_infonote_fr.pdf

 

https://www.minsante.cm/site/?q=fr/content/plan-national-de-d%C3%A9veloppement-sanitaire-pnds-2016-2020

 

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