Promouvoir l’efficacité durable des dépenses de santé : Perspectives de l’Inde, des Philippines et du Rwanda
Author:
Samuel Muniu
Article Type:Article Number: 6
Cet article examine les discussions sur le financement durable de la santé lors d'un événement du Fonds mondial qui s'est tenu à Genève, en Suisse, du 3 au 5 juillet 2024. Les dirigeants de 14 pays se sont réunis pour renforcer l'engagement national et faire progresser les systèmes de gestion des finances publiques. L'Inde, les Philippines et le Rwanda ont mis l'accent sur l'optimisation des dépenses publiques, la clarification des procédures de passation de marchés, comme le marché électronique du gouvernement indien, et la mobilisation du soutien du Fonds mondial pour améliorer la gestion des finances publiques et le financement de la santé.
Du 3 au 5 juillet 2024, le Fonds mondial a réuni des dirigeants de 14 pays pour renforcer l’engagement national et faire progresser les systèmes de gestion des finances publiques (GFP) et le financement durable de la santé. Des dirigeants du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de l’Éthiopie, de la Guinée, de l’Inde, de l’Indonésie, de la Jamaïque, du Lesotho, du Malawi, des Philippines, du Rwanda, de la Tanzanie et de la Gambie se sont réunis pour partager leurs stratégies et leurs points de vue. Une table ronde a été consacrée à la promotion de dépenses de santé efficientes et efficaces, avec des contributions notables de l’Inde, des Philippines et du Rwanda (figure 1). Les discussions ont mis en lumière les progrès de l’Inde dans l’optimisation des dépenses et la réduction de la dépendance à l’égard de l’aide extérieure, ainsi que son utilisation du portail Government e-Marketplace (GEM) pour rationaliser les achats. Le Rwanda a montré comment il a intégré efficacement le soutien du Fonds mondial dans ses systèmes de gestion des finances publiques afin d’améliorer l’efficacité. Les Philippines ont discuté de leur approche de la décentralisation des responsabilités fiscales et de la coordination stratégique des donateurs afin de garantir la flexibilité et la responsabilité dans le financement de la santé. Ces discussions ont mis en évidence un engagement collectif à construire des systèmes de santé résilients face aux défis mondiaux.
Figure 1 : Les panélistes discutent de la durabilité et de l’efficacité des dépenses de santé
De gauche à droite : Bayu Teja Muliawan, conseiller principal du ministre indonésien de la santé, Niño Raymond B. Alvina, sous-secrétaire de l’OCI, ministère des finances des Philippines, Marcel Mukeshimana, comptable général du Rwanda, et Chandan Mittal, contrôleur général adjoint des comptes, expert principal du système de gestion des finances publiques, ministère des finances de l’Inde.
L’importance de la gestion des finances publiques
La gestion des finances publiques (GFP) est essentielle à l’efficacité des opérations gouvernementales, car elle fournit un cadre pour la gestion des ressources sous le contrôle du ministère des finances. Elle implique la collecte, l’affectation, la dépense et le suivi des fonds publics. La GFP comprend la budgétisation, les marchés publics, les audits et la collecte des recettes. Une GFP transparente et responsable est essentielle à la réforme de la gouvernance, à la fourniture de services publics de qualité et au maintien de conditions économiques et sociales équitables et durables dans un pays. Pour les cycles de financement des subventions du Fonds mondial, la GFP garantit la transparence, la responsabilité et l’efficacité de l’utilisation des ressources financières. Pour en savoir plus sur la GFP et le parcours du Fonds mondial en vue de son adoption, consultez notre précédent article intitulé « Renforcer la gouvernance de la santé mondiale : le rôle de l’accélérateur de gestion des finances publiques ».
Optimisation des dépenses publiques en Inde
Chandan Mittal, contrôleur général adjoint des comptes et expert en chef de la gestion des finances publiques au ministère des finances de l’Inde, a partagé des idées précieuses sur l’amélioration des dépenses publiques et la réduction de la dépendance à l’égard de l’aide extérieure. Il a évoqué les principaux défis et les solutions innovantes en matière de gestion des finances publiques.
Défis et innovations en matière de gestion des finances publiques
Mittal a mis l’accent sur les défis majeurs qui se posent en matière de dépenses publiques, en particulier dans le domaine des marchés publics. Il a souligné qu’une mauvaise interprétation des lignes directrices a entraîné des complications inutiles. « Le ministère des finances a publié des lignes directrices sur les marchés publics, mais les unités chargées de la mise en œuvre les ont surinterprétées, ce qui a créé de la confusion et de la rigidité », a-t-il expliqué. Cela a conduit à des appels d’offres répétés et à des échecs.
Sous la houlette de l’actuel ministre des finances, l’Inde a clarifié les procédures de passation de marchés en les assortissant d’études de cas et d’exemples clairs, ce qui a permis d’accélérer le processus d’appel d’offres. M. Mittal a fait remarquer que « nos procédures d’appel d’offres se sont accélérées grâce à cela ». L’une des clarifications a porté sur les discussions préalables à l’appel d’offres, qui étaient devenues taboues. « Les discussions préalables aux appels d’offres n’ont pas été interdites en Inde. Ce changement a amélioré l’efficacité des procédures d’appel d’offres », a-t-il ajouté.
Pour améliorer encore l’efficacité des achats, l’Inde a mis au point le portail GEM, qui a révolutionné les marchés publics. « Aujourd’hui, tout ce que nous voulons acheter par l’intermédiaire du portail, en tant que fonctionnaires, nous le faisons en toute tranquillité parce que nous l’avons fait par l’intermédiaire du GEM », a fait remarquer M. Mittal. La transparence du portail GEM, avec ses journaux et ses horodatages, garantit la responsabilité et réduit la complexité des procédures.
Lutte contre le gaspillage
Mittal a également souligné que le manque de clarté des spécifications techniques et l’absence de produits standard entraînent des dépenses inutiles. Pour y remédier, l’Inde développe des solutions centrales de gestion des stocks et des actifs. Le portail GEM contribue à réduire les dépenses inutiles en fournissant des informations détaillées sur tous les marchés publics.
Mittal a souligné l’importance de la transparence budgétaire pour optimiser les dépenses. « Il est nécessaire d’aller à un niveau granulaire des postes de dépenses », a-t-il expliqué. En analysant les dépenses en détail et en encourageant la collaboration entre les organisations, le gouvernement peut améliorer l’efficacité des dépenses publiques.
Rationalisation de la fiscalité
La réforme fiscale est cruciale pour l’efficacité fiscale et la croissance économique. M. Mittal a fait part de son expérience de la réforme fiscale en Inde, en mettant l’accent sur la simplification, l’ajustement des taux d’imposition, l’indexation sur l’inflation et l’affectation des recettes.
- Simplification de la structure fiscale
L’Inde a adopté un système fiscal plus simple et unitaire afin de réduire la charge administrative pesant sur les contribuables et d’améliorer le respect des règles. « Nous avons simplifié les multiples niveaux ou structures d’imposition et les avons rendus unitaires », a expliqué M. Mittal.
- Adaptation des taux d’imposition
Reconnaissant que les taux d’imposition étaient dépassés, l’Inde a procédé à des ajustements significatifs pour les aligner sur les conditions économiques actuelles. « Nous avons ajusté les taux parce que cela fait des décennies que les taux d’imposition n’ont pas été revus », a indiqué M. Mittal.
- Indexation sur l’inflation
La valeur réelle des recettes fiscales est maintenue en Inde. « Nous l’avons indexée sur l’inflation », a déclaré M. Mittal, ce qui garantit que le système fiscal s’adapte à l’évolution des conditions économiques.
- Affectation du produit des recettes
L’Inde a affecté le produit des réformes fiscales à des dépenses publiques spécifiques, améliorant ainsi la transparence et la responsabilité. « Nous avons affecté ou cantonné les recettes générées », a souligné M. Mittal.
Promouvoir les startups et le financement mixte
L’Inde explore le financement mixte et la promotion des startups dans le cadre de sa stratégie financière. « Le financement mixte utilise des capitaux commerciaux ou concessionnels provenant d’organisations publiques ou philanthropiques pour financer l’esprit d’entreprise et l’innovation », explique M. Mittal. Des succès ont déjà été observés dans les domaines de la santé et de la biotechnologie.
La voie du Rwanda vers un financement durable de la santé
Marcel Mukeshimana, le comptable général du Rwanda, a mis l’accent sur deux impératifs clés pour des dépenses publiques efficaces : la cohérence des politiques et la consolidation fiscale. Ses réflexions offrent une feuille de route pour aligner les politiques fiscales sur les priorités nationales, en particulier dans le secteur de la santé, afin de garantir des solutions durables. Il a fait l’éloge du Fonds mondial pour son rôle essentiel dans le financement et l’amélioration des systèmes de gestion des finances publiques du Rwanda, soulignant l’importance des partenariats internationaux et des stratégies durables à mesure que les financements extérieurs diminuent.
Cohérence des politiques et financement du secteur de la santé
Mukeshimana a souligné l’importance d’aligner les politiques fiscales et les cadres de planification sur la vision et les priorités du pays. « Le premier impératif est la cohérence des politiques », a-t-il déclaré, en insistant sur la nécessité d’investir de manière proactive dans les infrastructures et les systèmes de santé afin de prévenir les crises futures. L’approche ne doit pas seulement permettre de relever les défis immédiats, mais aussi de construire un système de santé résilient, capable de faire face aux menaces futures.
Consolidation fiscale pour une utilisation efficace des ressources
L’assainissement budgétaire joue un rôle essentiel pour garantir une utilisation efficace de ressources limitées. Mukeshimana a souligné la nécessité d’augmenter les recettes non seulement en augmentant les impôts, mais aussi en élargissant la base des contribuables. Avec des subventions réduites, le Rwanda doit envisager des investissements stratégiques pour créer des opportunités de marché et mettre en œuvre des politiques de contrôle solides et les meilleures pratiques de gestion des finances publiques. Il a plaidé pour le passage du contrôle des entrées au contrôle des sorties dans le cadre comptable.
Automatisation et intégration des systèmes de santé et des systèmes financiers
Mukeshimana a souligné le rôle de l’automatisation dans l’amélioration de l’efficacité et du contrôle des dépenses. « L’automatisation ne signifie pas seulement couvrir la gestion des finances publiques avec le système intégré d’information et de gestion financière (IFMIS) ; elle nécessite une automatisation de bout en bout », a-t-il expliqué. L’intégration des systèmes cliniques et financiers est particulièrement importante pour éliminer les inefficacités. Il a illustré son propos en donnant l’exemple de prescriptions médicales entraînant des paiements d’assurance inutiles en raison de l’inefficacité des systèmes cliniques, soulignant ainsi la nécessité d’une interopérabilité entre ces systèmes.
Le rôle du Fonds mondial dans le renforcement des systèmes financiers au Rwanda
Mukeshimana a exprimé sa profonde gratitude pour les contributions du Fonds mondial aux systèmes financiers et de santé publique du Rwanda. Il a noté que l’intégration des ressources du Fonds mondial dans le système national a permis au système de gestion des finances publiques du Rwanda d’atteindre la maturité. En s’appuyant sur les systèmes nationaux existants, le Rwanda a minimisé les dépenses redondantes, ce qui a permis de consacrer davantage de fonds à des initiatives ayant un impact. Malgré ces succès, il a reconnu les défis posés par la diminution des ressources et a souligné l’importance de conserver du personnel qualifié dans les domaines de la gestion des finances publiques et de la santé.
Mukeshimana a également souligné la nécessité d’un soutien continu aux systèmes de la GFP dans les différents secteurs, plaidant pour que les partenaires de développement soutiennent les initiatives de la GFP afin de pérenniser leurs investissements. Il a indiqué que les initiatives régionales et continentales étaient essentielles pour réaliser des progrès durables, en soulignant l’impact plus large d’un soutien ciblé.
Élargir l’assiette fiscale et tirer parti des administrations infranationales aux Philippines
Niño Raymond B. Alvina, officier responsable (OIC) sous-secrétaire au ministère des finances des Philippines, a souligné l’importance d’établir des bases de référence et d’élargir l’assiette fiscale. Il a fait remarquer que la capacité à mesurer ce qui doit être amélioré est cruciale pour éviter des plans ou des stratégies erronés. M. Alvina a également souligné le rôle essentiel des gouvernements infranationaux dans le financement des interventions sanitaires, en insistant sur l’importance de la décentralisation fiscale.
Une approche stratégique de la gestion fiscale et du financement de la santé
Alvina a présenté une approche visant à améliorer le financement de la santé grâce à une meilleure gestion fiscale et à une planification stratégique. Il a souligné l’importance de bases de référence claires, de structures fiscales créatives, de responsabilités fiscales décentralisées et d’un effet de levier sur les finances extérieures. Se référant aux efforts des Philippines, il a mis l’accent sur la flexibilité, le renforcement des capacités, la coordination des donateurs et la responsabilité.
Établir des bases de référence et des priorités
Alvina a souligné la nécessité de comprendre les mesures de référence pour élaborer des stratégies d’amélioration du financement de la santé. « Si nous ne pouvons pas mesurer ce que nous devons améliorer, nous risquons de nous tromper de plan ou de stratégie, » a-t-il déclaré. Il a insisté sur la nécessité de déterminer l’espace fiscal disponible dans le pays et de l’aligner sur les priorités du gouvernement, en particulier pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD).
Élargissement de l’assiette fiscale
Alvina a suggéré d’explorer les moyens d’élargir l’assiette fiscale et d’améliorer l’efficacité fiscale. « Lorsque nous avons conçu et adopté la même loi fiscale en 2012, il existait déjà des droits d’accises sur le tabac et l’alcool. Puis est venue la taxe supplémentaire sur les boissons sucrées », a-t-il fait remarquer. Il a proposé des options telles que l’élargissement de l’assiette fiscale, l’ajustement des taux d’imposition et l’amélioration de l’efficacité grâce à la numérisation et à l’amélioration de l’administration fiscale.
Rôle des gouvernements nationaux et infranationaux
Alvina a souligné le rôle crucial des gouvernements nationaux et infranationaux dans le financement de la santé. Il a fait remarquer que la décentralisation fiscale permet aux gouvernements locaux de générer des revenus et de concevoir des droits et des taxes sur les services de santé. Se référant à la loi philippine sur les soins de santé universels, il a déclaré : « Elle a permis la création de fonds de santé spéciaux pour les gouvernements locaux afin d’accroître le soutien financier à la santé. »
Alvina a souligné l’importance d’aligner les priorités nationales sur celles des donateurs. « Nous devons définir les priorités, et pas seulement celles du pays, mais aussi celles des donateurs », a-t-il expliqué.
Alvina a conclu : « Il faudra peut-être un certain temps avant de voir les résultats, mais il s’agit d’un processus itératif ». Il a souligné l’importance du leadership et de l’engagement dans la législation, la mise en œuvre des politiques et le suivi pour garantir des progrès durables.
Transformer les défis en opportunités
Alvina a commencé son intervention en déclarant : « Il est important que lorsque nous reconnaissons les défis, nous les transformions en opportunités ». Il a insisté sur le besoin de flexibilité dans le cadre réglementaire et sur les réformes en cours pour résoudre les problèmes de passation de marchés. Il a souligné le défi que représente la pénurie de capacités et de main-d’œuvre, en particulier dans la gestion des subventions et du soutien des donateurs, et a insisté sur l’importance d’un dialogue régulier avec les donateurs et les partenaires de développement.
Garantir l’obligation de rendre compte et des pratiques d’audit efficaces
Alvina a souligné l’importance des conseils des organes de contrôle tels que l’auditeur général et la commission d’audit. « Il est important que nous soyons guidés par l’auditeur général ou par la commission d’audit, dans le cas des Philippines », a-t-il déclaré, afin de garantir la responsabilité dans la mise en œuvre des projets de santé.
Conclusion
Le forum du Fonds mondial a souligné le rôle essentiel d’une gestion efficace des finances publiques dans la mise en place d’un financement durable de la santé. L’Inde a présenté une approche largement centriste, qui a suscité des réactions négatives en raison de l’empiètement sur les pouvoirs des États et sur leur part de revenus. D’autre part, les Philippines ont appelé à la dévolution des pouvoirs aux gouvernements infranationaux et locaux. Dans le même temps, elles ont souligné l’importance de la cohérence des mesures et de l’administration fiscale, ainsi que de la prise en compte des priorités des donateurs et des priorités locales/nationales dans la planification. Le Rwanda a reconnu sa dépendance à l’égard du soutien du Fonds mondial et la nécessité de créer de nouveaux blocs interrégionaux et intercontinentaux pour aller de l’avant. Mais toutes ces approches se déploient dans un paysage politique tendu où les Initiatives pour la Santé Mondiale (ISM) sont davantage tenues pour responsables de l’inégalité croissante au cœur de leur architecture financière mondiale. Pour que les pays deviennent des exemples, il faut que les initiatives mondiales en matière de santé fassent de même.