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L’intégration de l’approche genre en santé mondiale : effet de mode, bonne conscience ou réelle préoccupation ?
OFM Edition 176

L’intégration de l’approche genre en santé mondiale : effet de mode, bonne conscience ou réelle préoccupation ?

Author:

Ekelru Jessica et Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 4

Cet article explore les enjeux de l'intégration de l'approche genre dans les politiques de santé mondiale, soulignant que si cette intégration peut représenter un outil puissant pour améliorer l’accès équitable aux soins, elle est souvent perçue comme une réponse à des pressions institutionnelles plus que comme une conviction réelle. Cette dynamique conduit parfois à des initiatives superficielles déconnectées des réalités locales, limitant l’efficacité des interventions et, dans certains cas, réduisant même leur impact. En conclusion, l'article appelle à un engagement authentique et durable envers l’approche genre, fondé sur des données rigoureuses et une implication des communautés, pour que celle-ci soit réellement au service de la santé mondiale.

Contexte

 

La santé mondiale s’est transformée en profondeur au cours des dernières décennies. Avec des priorités allant de la lutte contre les épidémies aux programmes d’accès universel aux soins de santé, le secteur a progressivement adopté des perspectives plus larges, comme l’approche basée sur le genre, destinée à répondre aux disparités en santé entre hommes et femmes. Cependant, l’intégration de cette approche fait encore débat : est-ce un simple effet de mode, une manifestation de bonne conscience institutionnelle ou bien une préoccupation légitime ancrée dans une volonté d’améliorer la santé de tous, toutes et de tous les genres ? Pour les organisations comme le Fonds mondial, ce questionnement doit être permanent, car il guide non seulement les choix stratégiques, mais conditionne également l’impact des interventions sur le terrain.

 

 

Comprendre l’approche genre : un cadre nécessaire, mais complexe

 

L’approche genre en santé mondiale s’appuie sur le principe que les rôles et les attentes sociétales vis-à-vis des genres influencent significativement la santé des individus. Au-delà des seules différences biologiques, des facteurs sociaux et économiques façonnent l’accès aux soins, l’exposition aux risques et les comportements de santé des individus. Par exemple, les femmes et les jeunes filles sont souvent plus vulnérables aux violences sexuelles et aux maladies infectieuses dans certaines régions (Figure 1), ce qui affecte directement leur bien-être physique et mental.

 

Figure 1 : Répartitions de nouvelles infections au VIH en 2023

 

 

Le diagramme ci-dessus illustre deux réalités convergentes :

  1. Répartition des nouvelles infections au VIH en 2023 : Le graphique circulaire montre que, dans le monde entier, 44 % des nouvelles infections concernent les femmes et les filles, tandis qu’en Afrique subsaharienne, cette proportion s’élève à 62 %. Dans toutes les autres régions, 73 % des nouvelles infections concernent les hommes et les garçons.
  2. Infections hebdomadaires chez les adolescentes et jeunes femmes : Le graphique en barres illustre qu’en 2023, chaque semaine, environ 4 000 adolescentes et jeunes femmes (15-24 ans) contractaient le VIH dans le monde, dont 3 100 en Afrique subsaharienne.

 

Ces représentations permettent de mieux comprendre l’impact différencié des nouvelles infections au VIH selon le sexe.

 

Cela dit, pour saisir davantage pourquoi cette approche est devenue centrale dans la santé mondiale, il est utile de revenir sur ses fondements. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres agences internationales, comme ONU Femmes (Figure 2), ont depuis longtemps souligné les inégalités systémiques en matière de santé entre les genres, appelant à une prise en compte de celles-ci pour améliorer les résultats sanitaires.

 

Figure 2 : Gros plan (2024) sur l’égalité des sexes à travers les Objectifs de développement durable

 

Dans ce contexte, le Fonds mondial contre le VIH, la tuberculose et le paludisme s’est également emparé du sujet, intégrant une approche genre dans nombre de ses programmes. La Note d’information technique : Égalité des genres pour la période d’allocation 2023-2025, publiée le 25 janvier 2023, constitue à ce titre un référentiel précieux pour l’élaboration des demandes de financement auprès du Fonds mondial. Mais si l’intégration de cette approche est théoriquement convaincante, les réalisations concrètes, elles, suscitent des questions.

 

L’effet de mode : une injonction contemporaine à prendre le genre en compte

 

L’intégration de l’approche genre dans les programmes de santé mondiale est souvent perçue par de nombreux acteurs et actrices du secteur comme une réponse aux tendances actuelles plutôt qu’une conviction enracinée dans les besoins réels des populations concernées. Lors de nos missions de terrain ou de nos échanges avec des acteurs et actrices institutionnels et communautaires engagés dans l’écosystème de la santé mondiale — et particulièrement avec ceux et celles impliqués dans le Fonds mondial — nombreux sont celles et ceux qui nous ont confié percevoir l’« approche genre » comme une sorte de passe-partout, un “joker” permettant uniquement d’accéder aux financements importants. Plusieurs interlocuteurs, notamment des femmes, ont également exprimé un profond malaise face à cette instrumentalisation du genre, expliquant que : « On met en avant la sensibilité au genre pour débloquer des fonds, mais une fois le financement obtenu, on n’en entend plus parler. Les rapports de reddition sont parfois arrangés pour inclure des données fictives sur le genre et donner l’illusion d’une prise en compte réelle. » Une autre a témoigné en ces termes : « Christian, l’approche genre, c’est de la comédie. Une façade progressiste sans impact réel. Dans notre organisation, nous avons peut-être la parité en termes de nombre d’employés, mais jette un coup d’œil à qui touche les plus gros salaires ou occupe les postes de direction ».

 

 

En fait, les agences internationales de financement de la santé ainsi que les organisations de mise en œuvre subissent une pression croissante pour démontrer leur adoption des « bonnes pratiques ». Cette exigence émane des donateurs, qui demandent des approches inclusives, une attention renforcée aux droits humains et une intégration de l’égalité des genres comme critère de qualité dans les interventions.

 

 

Cette dynamique de conformité a toutefois des conséquences significatives. Lorsque l’approche genre est intégrée pour répondre à des exigences plutôt que pour répondre à des besoins réels, elle se traduit quelques fois par des interventions superficielles, sans lien réel avec les dynamiques du terrain. On peut alors observer une multiplication de rapports mentionnant le « genre » sans pour autant inclure d’actions concrètes qui favorisent l’égalité des genres. Cette instrumentalisation réduit l’efficacité de la démarche et, dans certains cas, risque même de dégrader les résultats de santé.

 

 

La bonne conscience institutionnelle : une façade pour le progrès ?

 

Au-delà de l’effet de mode, certains voient dans l’approche genre ce que nous appellerons une « bonne conscience institutionnelle », où les actrices et acteurs internationaux de la santé mondiale utilisent cette question pour afficher des valeurs progressistes. L’adoption d’un vocabulaire « genré » dans les politiques de santé et les programmes de communication devient un gage de conformité aux standards contemporains, sans pour autant que les actions qui en découlent répondent aux défis profonds liés aux inégalités de genre.

 

 

Cette posture se traduit fréquemment par une gestion inadaptée de la question du genre et, dans certains cas, par un manque de compréhension des contextes locaux. Dans des programmes de santé reproductive en Afrique de l’Ouest, par exemple, des initiatives visant à autonomiser les femmes ont été mises en place sans intégrer les dynamiques familiales et communautaires locales, essentielles dans la prise de décision concernant la santé. Une responsable de programme témoigne : « Nous avons introduit des formations pour renforcer l’accès des femmes aux services de planification familiale, mais sans tenir compte du rôle des époux et des leaders communautaires, nous avons constaté une faible participation. » Cette déconnexion entre l’approche institutionnelle et la réalité locale a contribué à limiter l’appropriation des programmes par les bénéficiaires, et, par conséquent, leur impact. Cet également contre ce type d’écueil que nous met en garde Armelle Nyobè dans un article au titre évocateur « La santé des femmes : au-delà des évidences ».

 

 

Un autre exemple au Cameroun montre comment, dans le cadre d’un programme sur la santé mentale des jeunes, les efforts d’intégration du genre se sont heurtés à des structures sociales complexes, où les perceptions traditionnelles de la masculinité empêchaient les garçons de rechercher un soutien psychologique. Malgré la sensibilisation aux enjeux de genre, peu de ressources ont été consacrées à l’inclusion des hommes et des garçons dans les discussions. « On parlait de genre, mais de manière unilatérale : c’était essentiellement pour les filles », confie un membre de l’équipe locale. Cette approche partielle a renforcé la stigmatisation des jeunes hommes, rendant l’intervention inefficace auprès de ce groupe.

 

 

Soyons clairs : ce n’est pas la pertinence de l’approche genre qui est remise en question, mais bien ses usages abusifs et instrumentalisés. Lorsqu’elle est intégrée de façon réfléchie et mise en œuvre avec rigueur, cette approche représente un levier puissant pour promouvoir une santé mondiale plus inclusive et équitable. En réalité, les programmes et systèmes de santé qui ignorent ou négligent les besoins spécifiques des femmes et des minorités de genre sont voués à l’échec, car ils passent à côté de facteurs déterminants pour la réussite et la durabilité des interventions.

 

 

L’intégration du genre, un défi permanent à relever

 

L’intégration de l’approche genre en santé mondiale est loin d’être une tâche simple, et des défis subsistent. En premier lieu, le manque de données genrées est une limite importante. Dans de nombreux contextes, les données de santé sont collectées sans distinction de genre, ce qui entrave l’identification des besoins spécifiques et l’évaluation de l’impact des programmes. Ensuite, les résistances culturelles et les obstacles politiques peuvent également freiner les efforts de certains programmes, notamment lorsque les discussions autour du genre sont perçues comme des importations étrangères. Ces défis soulignent l’importance d’une approche véritablement contextuelle et inclusive.

 

 

Les perspectives pour l’intégration de l’approche genre en santé mondiale reposent sur plusieurs axes. D’abord, les organisations de santé doivent renforcer la collecte de données genrées et l’analyse des résultats par genre pour mieux identifier les écarts et ajuster leurs interventions. Ensuite, la formation des agents de santé et des responsables des politiques à la prise en compte des dynamiques de genre est essentielle pour garantir une compréhension partagée et des actions cohérentes. En outre, l’implication des communautés locales dans la définition des besoins et des réponses en santé constitue un pilier indispensable pour que l’approche genre soit acceptée et efficace.

 

 

Enfin, les partenaires techniques et financiers (PTF) doivent adopter des normes rigoureuses et exercer une vigilance accrue pour s’assurer que les projets et organisations qu’ils financent intègrent véritablement une approche sensible au genre à chaque étape du processus, de la conception initiale jusqu’à la reddition des comptes. Cela implique non seulement de s’assurer que les objectifs et indicateurs de performance incluent des dimensions de genre claires et mesurables, mais aussi de vérifier que les méthodologies et les stratégies d’intervention répondent aux besoins spécifiques des genres de manière équitable et contextuellement appropriée. Les PTF doivent également exiger une transparence dans les rapports d’évaluation, en insistant sur des données désagrégées et sur des mécanismes concrets permettant d’ajuster les interventions en fonction des disparités observées. Cette exigence d’intégration du genre doit ainsi aller au-delà de simples déclarations d’intention, en s’appuyant sur des preuves tangibles démontrant un engagement réel en faveur de l’égalité des genres dans les résultats et les impacts des programmes soutenus.

 

 

 

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