Les fonds alloués pour la lutte contre la tuberculose en Afrique francophone restent largement insuffisants. Entretien avec Gisèle Takaléa
Author:
Christian Djoko
Article Type:Article Number: 7
Cet article présente une interview avec Gisèle Takaléa présidente du Collectif des Organisations de Lutte contre la Tuberculose et les Maladies Respiratoires en Côte d'Ivoire (COLTMR-CI) et du point focal pour le Hub d'Apprentissage du Fonds Mondial. L'entretien aborde en profondeur divers enjeux de la lutte contre la tuberculose en Afrique, en général et en Côte-d’Ivoire.
À l’occasion de la réunion régionale intitulée « Faire progresser la communauté, les droits et le genre pour une riposte équitable à la tuberculose en Afrique francophone », tenue à Yaoundé, Cameroun, du 11 au 13 juin 2024, la militante Gisèle Takaléa, nous a accordé une entrevue approfondie.
- Parlez-nous brièvement de vous et de votre organisation
Je suis Takaléa Gisèle, sociologue de formation et engagée dans la lutte contre le Sida, la Tuberculose et le paludisme depuis plus de vingt ans. Actuellement, je préside le Collectif des Organisations de Lutte contre la Tuberculose et les Maladies Respiratoires en Côte d’Ivoire (COLTMR-CI) et je suis le point focal pour le Hub d’Apprentissage Régional Afrique francophone du Fonds Mondial et la Dynamique de la Réponse d’Afrique Francophone sur la TB (DRAF-TB). En outre, je suis la vice-présidente de la Plateforme des réseaux et faitières de lutte contre le Sida et les autres pandémies.
Le COLTMR-CI, créé le 27 avril 2007, réunit plus de 44 organisations membres réparties sur l’ensemble du territoire national. Notre vision est d’aboutir à une Côte d’Ivoire où personne ne souffre de la tuberculose et où le genre et les droits des personnes sont respectés. La mission de COLTMR-CI est de mobiliser des ressources au profit des ONG membres pour améliorer la qualité de vie des personnes infectées et affectées par la tuberculose et la co-infection TB/VIH. Nous plaidons pour l’implémentation des interventions communautaires de lutte contre la tuberculose dans les Centres de Diagnostic et de Traitement (CDT) et les autres services de santé. Nous travaillons également à renforcer les capacités des organisations membres et à promouvoir les droits humains pour réduire les barrières d’accès aux soins pour toutes et tous.
- Quel est l’état des lieux de la tuberculose dans votre pays?
L’incidence de la tuberculose en Côte d’Ivoire est de 123 cas pour 100 000 habitants. Le taux de succès thérapeutique atteint 87%, tandis que le taux de perdus de vue s’élève à 3% et le taux de décès à 7%. La contribution communautaire dans la lutte contre cette maladie est notable, représentant 37%.
- Quels étaient le sens et l’importance de votre présence à la réunion « Faire progresser la communauté, les droits et le genre pour une riposte équitable à la tuberculose en Afrique francophone » qui s’est déroulée du 11 au 13 juin 2024 à Yaoundé au Cameroun ?
En matière de lutte contre la tuberculose, nos communautés sont confrontées à de nombreux défis liés aux barrières d’accès aux soins. Notre présence à cette réunion représente une occasion précieuse de partager nos expériences et de développer une vision commune pour faire progresser la lutte contre la tuberculose dans nos différents pays.
- La réunion portait sur l’approche basée sur la Communauté, les Droits et le genre (CRG). Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontée dans la riposte contre cette maladie ?
Malgré les efforts entrepris par nos pays avec le soutien des partenaires au développement, tels que l’utilisation de l’outil moléculaire pour le dépistage, l’identification de risques supplémentaires comme le diabète et la malnutrition, ainsi que l’amélioration des traitements préventifs, les résultats en matière de lutte contre la tuberculose restent en deçà des cibles mondiales. Ces résultats sont particulièrement faibles en termes de notification, de traitement et de coûts catastrophiques, et sont entravés par les barrières des droits humains qui empêchent l’accès aux soins.
En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, nous visons à :
- Atteindre un taux de succès thérapeutique de 90 % ;
- Dépister 35 000 nouveaux cas de tuberculose ;
- Réduire le taux de perdus de vue à 1 % ;
- Diminuer les barrières d’accès aux soins en adoptant les approches CRG (Communauté, Droits et Genre) et CLM (Community-Led Monitoring) avec des outils comme OneImpact.
- Comment intégrez-vous cette approche dans vous actions ou programmes de lutte contre la tuberculose ?
Compte tenu des difficultés liées aux barrières d’accès aux soins que nous avons mentionnées précédemment, nous pensons que l’approche CRG (Communauté, Droits et Genre) représente une formidable opportunité pour nos communautés et nos États afin de renforcer le système sanitaire.
Comment intégrez vous cette approche dans nos actions et programmes ?
Tout d’abord, cette approche nous a permis de mener une étude dont le rapport sera bientôt approuvé, et un plan d’action sera élaboré pour la mise en œuvre des activités découlant de ses résultats. Nos programmes adopteront ces activités sur le terrain pour apporter des solutions aux questions de stigmatisation et de discrimination soulevées par l’étude.
Quelles sont les opportunités offertes par une telle approche ?
L’approche CRG nous fournit des preuves tangibles à travers l’étude, ce qui nous permet de mieux aborder les questions soulevées. Elle nous offre également un cadre solide pour développer des interventions ciblées et efficaces, favorisant ainsi un accès plus équitable aux soins de santé pour tous. En intégrant ces éléments dans nos programmes, nous pouvons espérer un impact significatif sur la lutte contre la tuberculose et sur l’amélioration de la qualité de vie des personnes touchées par cette maladie.
- Quelles sont les leçons apprises au cours de la réunion de Yaoundé? Qu’avez-vous retenu?
La première leçon apprise est que les pays francophones ont compris que c’est ensemble que nous pouvons éradiquer la tuberculose. La solidarité régionale est cruciale pour mener une lutte efficace contre cette maladie.
La deuxième leçon est qu’il est impératif de briser les barrières liées au genre et aux droits humains. Une approche inclusive et équitable est essentielle pour garantir que chaque individu, indépendamment de son sexe ou de ses droits fondamentaux, ait accès aux soins nécessaires.
La troisième leçon est que les règles de défense des droits en lien avec la tuberculose doivent évoluer. Ces questions doivent être portées non seulement par la communauté, mais surtout par les parlementaires. Il est donc nécessaire de renforcer les caucus group TB, afin de mobiliser un soutien politique solide et de garantir que les politiques de santé publique reflètent les besoins et les droits des personnes touchées par la tuberculose.
- Comment est-ce que Challenge Facility for Civil Society Round 12 vous aide dans la réalisation de vos missions et activités?
L’une de nos missions essentielles est le renforcement des capacités de nos membres. L’identification des besoins des patients est une priorité pour nous, et l’amélioration des services de soins est une question cruciale. Le Challenge Facility for Civil Society nous permet de former nos membres, en particulier les anciens patients tuberculeux, qui jouent un rôle vital dans la sensibilisation, l’adhérence aux traitements antituberculeux et le plaidoyer.
De plus, l’outil OneImpact nous permettra d’identifier les barrières à l’accès aux soins des patients, ce qui nous aidera à cibler nos efforts pour éliminer ces obstacles et garantir que tous les patients reçoivent les soins dont ils ont besoin.
- Quel message aimeriez-vous transmettre aux communautés, aux partenaires techniques et financiers, aux gestionnaires de programmes et aux décideurs politiques concernant l’importance de la lutte contre la tuberculose et l’approche CRG ?
À la communauté, nous réaffirmons notre engagement à lutter contre la tuberculose. Nous demandons qu’elle accueille favorablement les agents de santé communautaire (ASC) qui se rendent chez eux pour apporter un soutien psychologique, aidant ainsi à surmonter les difficultés liées à l’observance du traitement. La tuberculose est une maladie qui se guérit en six mois lorsque le traitement est suivi correctement.
Aux partenaires techniques et financiers, nous plaidons pour une réévaluation de la dotation attribuée à la tuberculose pour les prochains cycles du Fonds Mondial, car les statistiques actuelles montrent un écart préoccupant.
Aux gestionnaires de programmes, nous, la société civile à travers les ONG, sommes à vos côtés. Notre objectif est de vous soutenir dans vos efforts pour soigner et guérir les patients, afin d’éradiquer cette pandémie de nos pays.
Aux décideurs politiques, nous demandons de mobiliser davantage de ressources domestiques pour la lutte contre les pandémies et de soutenir les ONG qui accomplissent un travail considérable au sein des communautés.
- Y a-t-il une question que vous auriez souhaité aborder, mais qui n’a pas été posée au cours de cet entretien? Si oui, nous vous invitons à y répondre librement.
Nous observons que les fonds alloués aux pays pour la lutte contre la tuberculose restent largement insuffisants. Il est crucial de remédier à cette situation pour améliorer les résultats de santé dans la lutte contre cette maladie.
Merci.