« Le quart pour la prévention » : Une étude révèle l’insuffisance des investissements du Fonds mondial dans la prévention du VIH en Afrique
Author:
Gemma Oberth
Article Type:Article Number: 2
Sur 15 pays africains, 15 % seulement des programmes de subventions du cycle de financement 2014/2016 ont été consacrés à la prévention du VIH
RÉSUMÉ Selon les estimations de l’ONUSIDA, éliminer le sida d’ici 2030 coûtera environ 25 milliards de dollars par an. Un quart de ce montant (26 %) est nécessaire pour la prévention du VIH. Il ressort d’une nouvelle étude de l’ICASO (Conseil international des ONG de lutte contre le sida) et de l’EANNASO (Réseaux nationaux d’Afrique orientale d’organisations de lutte contre le sida) que les investissements actuels du Fonds mondial en matière de prévention du VIH en Afrique sont en deçà de cette référence. Sur 15 pays africains, le pourcentage des subventions de lutte contre le VIH et de lutte conjointe contre le VIH et la tuberculose du cycle de financement 2014/2016 consacré à la prévention du virus est de 15 pour cent.
Un nouveau document de travail publié par l’ICASO et l’EANNASO suggère que le Fonds mondial n’investit peut-être pas assez dans la prévention du VIH en Afrique pour atteindre ses cibles.
Dans sa nouvelle stratégie, le Fonds mondial a fixé d’ambitieuses nouvelles cibles en matière de prévention du VIH. Il vise une réduction de 38 % des nouvelles infections sur la période 2015/2022, avec notamment une baisse de 58 % de l’incidence du VIH chez les adolescentes et les jeunes femmes de 15 à 24 ans (voir l’article de l’OFM).
Le document de travail présente les besoins en ressources aux fins de la prévention du VIH en termes d’estimations mondiales. Selon la modélisation de l’ONUSIDA, en finir avec le sida d’ici 2030 coûtera environ 25 milliards de dollars par an, un quart de ce montant (26 %) devant être consacré à la prévention du VIH.
Le document expose la réalité de la prévention du VIH, à savoir que les investissements réalisés sont en deçà de la référence du « quart pour la prévention », en conséquence de quoi les progrès en matière de prévention du VIH sont au point mort. De fait, depuis 2010, le nombre de nouvelles infections à VIH chez les adultes est resté inchangé à 1,9 million de nouvelles infections annuelles à l’échelle mondiale, selon les estimations.
La recherche s’inscrit par ailleurs dans le contexte du suivi de la récente réunion d’experts sur la mise en œuvre accélérée de la prévention du VIH dans 15 pays d’Afrique orientale et australe, qui s’est tenue les 23 et 24 mars 2017 à Victoria Falls, au Zimbabwe. Lors de cette réunion, la Directrice exécutive par intérim du Fonds mondial, Marijke Wijnroks, avait présenté un appel à l’action en matière de prévention du VIH. Un des principaux objectifs de la réunion était d’explorer les possibilités d’augmentation des investissements destinés à la prévention du VIH dans la région d’Afrique orientale et australe, notamment par le biais des demandes de financement auprès du Fonds mondial pour le cycle de financement 2017/2019.
À l’appui du plaidoyer en faveur de l’augmentation des investissements au cours du cycle de financement 2017/2019, les chercheurs de l’ICASO et de l’EANNASO ont entrepris de déterminer le montant des investissements actuels du Fonds mondial dans la prévention du VIH dans un échantillon de 25 pays africains durant le cycle de financement 2014/2016.
Ils ont consulté les demandes de financement (ou « notes conceptuelles », comme on les appelait à l’époque) de 23 pays, et les accords de subvention signés de 15 pays. Certains documents n’avaient pas été rendus publics.
Sur les 23 demandes de financement examinées, une moyenne de 16 % du financement total sollicité était consacrée à la prévention du VIH (voir la Figure 1). La plus grande demande de fonds pour la prévention du VIH (proportionnellement) est celle de Maurice, se situant à 67 % des fonds sollicités. Le Mozambique et le Swaziland sont quant à eux les deux pays qui ont demandé le moins de crédits aux fins de la prévention du VIH, ayant tous deux affecté 3 % de leur demande aux interventions dans ce domaine. Les auteurs soulignent toutefois que le PEPFAR est un important investisseur dans la prévention du VIH dans ces deux pays, ce qui veut dire que le déficit à combler par le Fonds mondial dans ces pays était peut-être moindre.
Figure 1 : Proportion des demandes de financement VIH et VIH/TB
consacrée aux interventions de prévention du VIH (cycle de financement 2014/2016)
Sur les 15 accords de subvention signés examinés, une moyenne de 15 % du financement total investi était consacrée à la prévention du VIH (voir la Figure 2), soit un peu moins des 16 % demandés. Seuls deux pays – le Botswana et le Libéria – ont consacré au moins 26 % du budget de leur subvention du Fonds mondial aux interventions de prévention du VIH. La subvention du Libéria est celle qui comportait la plus grande proportion de financement consacrée à la prévention du VIH – 38 % – et celle du Mozambique la plus petite (4 %).
Figure 2 : Proportion des accords de subvention signés VIH et VIH/TB
consacrée aux interventions de prévention du VIH (cycle de financement 2014/2016)
Selon le document de travail, l’analyse des demandes de financement vise tant les montants relatifs à la prévention du VIH dans les limites de la somme allouée qu’au-delà de celle-ci. Cela contribue peut-être à expliquer pourquoi le nombre de pays ayant demandé « le quart pour la prévention » est tellement plus élevé que le nombre de pays ayant atteint ce niveau de financement dans les accords signés. Il convient toutefois de noter qu’en moyenne, la proportion consacrée à la prévention du VIH dans les demandes de financement (16 %) et dans les accords de subvention proprement dits (15 %) est pratiquement identique.
Les auteurs attirent l’attention sur les niveaux particulièrement bas d’investissements dans la prévention du VIH au sein des populations clés.
« Sous-investir dans la prévention nuit aux communautés confrontées à des taux disproportionnés de nouvelles infections », selon Mary Ann Torres, Directrice exécutive de l’ICASO. « C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les adolescentes et les jeunes femmes, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les personnes transgenres, les professionnels du sexe, les consommateurs de drogues, les populations autochtones et les personnes en détention. »
L’analyse révèle que 3 % à peine des subventions au titre de la lutte contre le VIH et de la lutte conjointe contre le VIH et la tuberculose de 15 pays africains sont consacrés à la prévention du virus chez les professionnels du sexe, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les personnes transgenres et les consommateurs de drogues injectables. Pour le cycle de financement en cours (2017-2019), le Fonds mondial espère voir 39 % des investissements des subventions VIH et VIH/TB consacrés aux programmes ciblant les populations clés (voir l’article de l’OFM). Il s’agit d’un indicateur clé de résultat servant à mesurer la réussite de la stratégie institutionnelle du Fonds mondial. Des efforts concertés de plaidoyer seront nécessaires pour augmenter les dépenses consacrées aux populations clés de telle manière que le Fonds mondial atteigne cette cible.
Le document de travail illustre certains de ces écarts. Ainsi, les adolescentes sud-africaines sont huit fois plus à risque de contracter le VIH que leurs homologues masculins. En Éthiopie, la prévalence du virus parmi les professionnels du sexe est de 24,3 %, soit plus de 16 fois la moyenne nationale de 1,5 % chez les adultes.
Le document s’inquiète également de ce que les investissements du Fonds mondial dans la prévention du VIH semblent diminuer avec le temps. D’après le rapport 2012 sur les résultats du Fonds mondial, les dépenses totales engagées de 2002 à 2011 au titre de la prévention du VIH dans le cadre de ses subventions représentent 30 % des dépenses totales relatives à la lutte contre le VIH, soit deux fois plus que la proportion qui ressort de la présente étude. Les auteurs soulignent le fait que toute comparaison entre les dépenses passées et présentes en matière de prévention du VIH doit tenir compte du fait que des millions de personnes de plus requièrent aujourd’hui un traitement antirétroviral soutenu, et que ces traitements sont en grande partie achetés au travers des subventions du Fonds mondial.
Entre autres recommandations, le document invite les pays à absorber de plus en plus les aspects critiques de leur riposte au VIH – en particulier le traitement antirétroviral – dans les programmes financés au moyen de ressources nationales. Cela permettra au Fonds mondial d’investir davantage dans les interventions de prévention du virus, aux fins d’atteindre les cibles des indicateurs clés de résultats relatifs à la prévention du VIH.
Le document recommande par ailleurs de tirer parti des possibilités liées aux financements à effet catalyseur, notamment aux fonds de contrepartie, qui sont une nouvelle manière d’augmenter les investissements du Fonds mondial dans la prévention du VIH. Aidspan a publié dans des numéros antérieurs des articles sur les financements à effet catalyseur, disponibles ici, ici et ici. En ce qui concerne les fonds de contrepartie, les 50 millions de dollars réservés aux programmes visant les populations clés et les 55 millions de dollars mis de côté pour les programmes de lutte contre le VIH ciblant les adolescentes et les jeunes femmes sont des occasions cruciales d’augmenter les dépenses de prévention au sein de ces groupes.
« Il est absolument vital de maintenir le plaidoyer communautaire en faveur des investissements dans la prévention du VIH », affirme Olive Mumba, Directrice exécutive de l’EANNASO. « Nos résultats montrent qu’aujourd’hui, plus que jamais, nous devons investir dans les communautés pour redynamiser l’ordre du jour en matière de prévention ».
Le Conseil de coordination du programme ONUSIDA s’est réuni la semaine dernière à Genève. La troisième journée de réunion (29 juin 2017) devait être consacrée au segment thématique « Prévention du VIH pour 2020 : un partenariat mondial pour la prestation ». Le document de travail de l’ICASO et de l’EANNASO, qui faisait partie de la note contextuelle préparée pour le Conseil de coordination du programme, a été distribué dans le cadre du segment thématique.
Gemma Oberth est l’auteur principal de ce document de travail, qu’elle a préparé en sa qualité de conseillère politique auprès de l’ICASO.