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Le projet « VIHeillir » : Une initiative pour un vieillissement en bonne santé avec le VIH
OFM Edition 169

Le projet « VIHeillir » : Une initiative pour un vieillissement en bonne santé avec le VIH

Author:

Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 4

Cet article explore le Projet VIHeillir en cours au Cameroun et au Sénégal. En adoptant une approche holistique et intégrée des soins, ce projet vise à améliorer significativement la qualité de vie des personnes âgées vivant avec le VIH, contribuant ainsi à un vieillissement en bonne santé. Adopter les perspectives offertes par le Projet VIHeillir permettrait au Fonds mondial de réaffirmer sa détermination à lutter pour ce qui compte véritablement : la vie et la dignité de chaque être humain, indépendamment de son âge ou de sa condition. C'est la conclusion à laquelle nous parvenons.

Introduction

 

Soutenu par L’Initiative/Expertise-France, le Projet VIHeillir est une initiative innovante lancée en 2020 dans le but d’améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) âgées de 50 ans et plus. Ce projet s’inscrit dans un contexte où le VIH continue de représenter une menace majeure pour la santé publique en Afrique subsaharienne. La population cible, souvent négligée dans les programmes de prévention et de traitement, fait face à des défis uniques nécessitant des interventions spécifiques. Mené conjointement au Cameroun et au Sénégal, ce projet vise précisément à optimiser la prise en charge médicale et psychosociale de cette population souvent négligée, en s’attaquant non seulement au VIH, mais aussi aux comorbidités fréquentes chez les patients âgés.

 

Contexte et justification

 

Les rares statistiques disponibles indiquent qu’au Cameroun environ 4,8% de femmes âgées de 50-64 ans vivent avec le VIH, tandis qu’au Sénégal, les 50 ans et plus représentent en 2022 plus du tiers des 31 637 personnes traitées. Certaines le sont depuis plus de 20 ans. Ce succès paradoxal est sans doute lié à l’accès aux antirétroviraux (ARV).

 

La longévité liée à l’accès aux ARV

 

En effet, en tant que première génération à bénéficier de traitements efficaces après une lutte acharnée pour le transfert des thérapies antirétrovirales des pays du Nord vers ceux du Sud à la fin des années 1990, les personnes âgées vivant avec le VIH (PAVVIH) se retrouvent aujourd’hui confrontées à de nouveaux défis sanitaires. Alors qu’ils ont réussi à surmonter l’infection par le VIH grâce à un accès enfin obtenu à des soins appropriés, ils doivent maintenant affronter des comorbidités telles que le diabète, l’hypertension artérielle, les lésions précancéreuses du col de l’utérus chez la femme et les hépatites B et C. Ces affections, qui surviennent avec l’âge ou comme conséquences à long terme des traitements antirétroviraux, se greffent à leur statut séropositif. Malheureusement, ils manquent cruellement de ressources économiques pour gérer ces conditions additionnelles, aggravant ainsi leur état de santé général et rendant leur survie quotidienne encore plus précaire.

 

La précarité économique

 

En Afrique subsaharienne, la majorité des personnes âgées voient leurs ressources économiques diminuer considérablement après avoir arrêté de travailler. Au Sénégal, par exemple, seulement 24 % des personnes de plus de 60 ans ont une pension de retraite, souvent modeste. Les veuves, en particulier celles issues de mariages polygames, reçoivent des pensions encore plus faibles. Les personnes qui travaillaient dans le secteur informel et n’ont plus de revenu sont contraintes de déménager vers la périphérie urbaine pour trouver des loyers moins chers. Les PAVVIH tentent de travailler aussi longtemps que possible pour maintenir leur autonomie économique, mais elles font face à un déclassement économique et à une précarité croissante, ce qui a un impact sur leur santé physique et mentale. De plus, leurs dépenses de santé augmentent, car une partie des coûts des soins liés au VIH et aux comorbidités susmentionnées sont à leur charge. Au Cameroun, Ange-Merveille (âgée de 54 ans) qui s’occupe toute seule de plusieurs enfants avec un revenu de 70.000 FCFA (environ 117$ US) par mois révélait en avril 2023 au micro de Radio France internationale qu’elle dépense : « 5 000 FCFA pour les médicaments du diabète et l’hypertension. Pour la consultation du cardiologue, ça coûte 3 000 FCFA. Je ne mets pas le coût du transport parce que les déplacements, je ne peux pas imaginer combien ça peut donner. Si les médecins avaient la possibilité de prendre ces problèmes cardiaques et tout sur place, ça nous avantagerait sur beaucoup de choses ».

 

Au-delà de ces aspects économiques, le contexte de stigmatisation contre les personnes vivant avec le VIH qui prévaut encore au Cameroun et au Sénégal vulnérabilise les PAVVIH.

 

Le poids de la stigmatisation

 

En effet, au moment du diagnostic, certaines personnes choisissent de se confier à leurs proches, tels que leur conjoint, la personne qui les accompagne aux consultations médicales ou celle qui finance leurs soins. Cependant, peu révèlent leur statut à d’autres par la suite. La peur du jugement moral concernant les circonstances de la contamination est la principale raison pour laquelle les gens gardent leur statut secret. Les femmes âgées vivant avec le VIH, souvent veuves en raison du décès de leur conjoint dû au VIH, subissent une pression sociale pour se remarier. Cependant, elles craignent que leur nouveau conjoint ne révèle leur maladie. Les enfants des personnes vivant avec le VIH sont également peu informés, même à l’âge adulte. Certains gardent le silence sur leur maladie, tandis que d’autres n’en parlent jamais à leurs enfants.

 

Cependant, l’apparition d’incapacités fonctionnelles (cécité, difficultés à se déplacer, etc.) nécessitant une aide pour les activités quotidiennes (prise des médicaments ou trajets pour les consultations) oblige à revoir ces choix. La révélation de la maladie a des effets variés. Au mieux, elle permet de clarifier un non-dit et susciter de la sollicitude et du soutien de la part des proches. Mais dans certains cas, elle ravive des conflits anciens et provoque des accusations de dissimulation, ajoutant ainsi un fardeau émotionnel supplémentaire pour les PAVVIH.

 

Plus largement, les personnes âgées vivant avec le VIH au Cameroun doivent souvent naviguer entre plusieurs services de soins pour la prise en charge des comorbidités. Cette fragmentation des services de santé complique considérablement leur parcours de soin (perte d’information entre les différents prestataires de soins, charge administrative et logistique accrue, risque de désengagement thérapeutique, etc.) et compromet l’efficacité globale des interventions médicales.

 

Dans ce contexte, les objectifs assignés au Projet VIHeillir, porté par l’Institut Bouisson Bertrand et mis en œuvre au Cameroun en partenariat avec le CNLS et l’association Positive Generation, ainsi qu’au Sénégal en collaboration avec le CNLS, la DLSI (La Division de lutte contre le SIDA et les infections Sexuellement Transmissibles) et les associations de PVVIH, sont multiples et diversifiés.

 

Objectifs et activités principales du Projet

 

Le Projet VIHeillir s’articule autour de trois axes principaux :

  1. Améliorer la prise en charge médicale des PVVIH âgées: intégrer la prise en charge des cinq comorbidités prioritaires (diabète, hypertension artérielle, lésions précancéreuses du col de l’utérus chez la femme et hépatites B et C) dans les consultations de routine VIH.
  2. Renforcer les approches psychosociales: offrir un soutien psychologique et social individualisé aux PVVIH âgées, en tenant compte des défis spécifiques liés à leur âge, à leur statut VIH et à leur contexte socio-économique.
  3. Promouvoir une meilleure qualité de vie: favoriser l’adoption de modes de vie sains, l’accès aux services de protection sociale et l’implication des PVVIH âgées dans la vie communautaire.

 

Les principales activités du projet incluent :

  • Dépistage et prise en charge des comorbidités chez les PVVIH âgées
  • Mise en place de consultations médicales spécialisées
  • Séances d’éducation thérapeutique et de conseil
  • Soutien psychologique individuel et en groupe
  • Aide à l’accès aux services sociaux
  • Appui aux initiatives d’autoprise en charge et de solidarité communautaire

 

Le projet VIHeillir a enregistré 1590 personnes âgées de 50 ans et plus vivant avec le VIH entre juin 2021 et mars 2023 au Cameroun et au Sénégal (Figure 1). Les participant(e)s sont majoritairement des femmes d’environ 59 ans, avec une durée médiane de traitement antirétroviral de 12 ans. Des activités communautaires ont été organisées, bénéficiant à plus de 1300 personnes âgées, incluant des dépistages et préventions pour diverses comorbidités. Les activités sociales, ludiques et sportives ont permis de réduire l’isolement social et d’améliorer la santé mentale des participant(e)s.

 

Figure 1 : Première cohorte du projet

 

Ces premiers résultats encourageants ont conduit à la transition vers la phase II du projet. En avril 2024, à Yaoundé (Cameroun), L’Initiative a lancé cette deuxième phase avec pour objectifs d’étendre les services de santé décentralisés pour un suivi plus proche et personnalisé des patients, de renforcer le plaidoyer et le suivi à long terme des comorbidités ciblées, et de produire des données essentielles pour la prise de décision au niveau national.

 

Leçons tirées et perspectives

 

Les personnes de 50 ans et plus constituent une population souvent négligée dans les programmes de prévention et de traitement du Fonds mondial en Afrique, probablement en raison de leur faible pourcentage relatif par rapport au taux de prévalence général. Toutefois, si nous considérons que les efforts actuels pour la prise en charge des individus âgés de 15 à 49 ans, qui représentent actuellement la plus forte prévalence, conduiront à une augmentation de l’espérance de vie de ces patient(e)s, il devient impératif que le Fonds mondial prenne au sérieux les bonnes pratiques et les leçons tirées du Projet VIHeillir.

 

En fait, les leçons que l’on peut d’ores et déjà tirer du “Projet VIHeillir” soulignent toutes l’importance de décloisonner la prise en charge de PAVVIH, et ce pour plusieurs évidentes qu’il convient cependant de préciser.

 

Premièrement, l’intégration des soins permet de centraliser les services, facilitant ainsi l’accès aux traitements et réduisant le temps et les coûts de déplacement pour les patients souvent limités par des problèmes de mobilité et de ressources financières.

 

Deuxièmement, une approche intégrée ou holistique favorise une meilleure coordination entre les différents prestataires de soins, ce qui est crucial pour la gestion des comorbidités complexes et souvent interconnectées. Cela permet également une harmonisation des protocoles de traitement, réduisant les risques d’interactions médicamenteuses et de soins redondants ou contradictoires.

 

Troisièmement, la centralisation des services de santé contribue à la création d’un dossier médical unique et complet pour chaque patient, facilitant ainsi le suivi longitudinal et l’évaluation globale de leur état de santé.

 

Quatrièmement, l’intégration des soins répond aux défis structurels des systèmes de santé camerounais, en optimisant l’utilisation des ressources humaines et matérielles limitées, et en favorisant une formation continue et spécialisée des professionnels de santé sur les besoins spécifiques des personnes âgées vivant avec le VIH. Enfin, décloisonner la prise en charge permet de renforcer les programmes de sensibilisation et de prévention au sein des communautés, en impliquant davantage les patient(e)s dans leur propre parcours de santé et en réduisant la stigmatisation associée au VIH et aux comorbidités.

 

En adoptant cette approche à une échelle nationale, le Cameroun, le Sénégal, et plus largement l’ensemble des pays africains, peuvent améliorer de manière significative les résultats de santé pour les PAVVIH. Cette stratégie permettrait d’offrir des soins plus accessibles, continus et centrés sur le patient, tout en renforçant globalement leurs systèmes de santé.

 

Conclusion

 

Lors de la septième reconstitution des ressources du Fonds mondial, le slogan « Lutter pour ce qui compte » résonnait profondément. La vie des PAVVIH compte aussi. Elles méritent non seulement de vivre, mais surtout de vivre dans la dignité, avec un accès équitable à des soins de qualité. Le Projet VIHeillir illustre cet engagement en action, démontrant qu’une approche intégrée et ciblée peut améliorer de manière significative la qualité de vie et les résultats de santé pour les PAVVIH. En fournissant des soins holistiques qui incluent la gestion des comorbidités et le soutien psychosocial, il répond à des besoins complexes qui sont souvent ignorés dans les stratégies de santé publique actuelles.

 

Ainsi, en veillant à ce que les personnes âgées vivant avec le VIH reçoivent une attention adéquate et des soins appropriés tout au long de leur vie, l’écosystème institutionnel du Fonds mondial (Instances de coordination nationales, Comités, Conseil d’administration, circonscriptions, bailleurs de fonds, etc.) réaffirmerait que chaque vie compte et que la lutte contre le VIH doit être inclusive à tous les âges. Mieux encore, il renforcerait durablement ses programmes et garantirait que les progrès réalisés dans la lutte contre le VIH bénéficient à toutes les générations, aujourd’hui et demain.

 

 

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