Le Kenya achète avec succès ses produits de santé sans passer par le mécanisme d’achat groupé du Fonds mondial
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L’autorité de fournitures médicales obtient des prix concurrentiels souvent inférieurs aux moyennes internationales
RÉSUMÉ L’Agence de fournitures médicales du Kenya (KEMSA) est l’organe gouvernemental habilité à acheter et distribuer les produits de santé financés par le Fonds mondial. Elle obtient des prix compétitifs par rapport au mécanisme d’achat groupé du Fonds mondial, connaît rarement des ruptures de stock de produits de santé et les commandes sont livrées dans les délais. Cet article montre comment – dans certains cas – les procédures indépendantes d’achat d’un pays, si elles sont bien gérées, peuvent être tout aussi efficaces que le mécanisme d’achat groupé du Fonds mondial.
L’Agence de fournitures médicales du Kenya (KEMSA) achète et distribue avec succès des produits financés par les pouvoirs publics, le Fonds mondial et d’autres donateurs. Les prix qu’elle obtient sont compétitifs par rapport aux prix obtenus par le mécanisme d’achat groupé du Fonds mondial, les ruptures de stock sont rares, les produits sont livrés dans les délais et les stocks sont gérés comme il se doit à tous les stades de la chaîne d’approvisionnement. Les cadres juridiques et institutionnels robustes, les modalités d’achat solides et les partenariats stratégiques sont des facteurs importants de la réussite de la KEMSA.
Le Kenya est l’un des rares pays africains dont l’agence publique d’achat (KEMSA) achète les fournitures médicales financées avec le soutien du Fonds mondial directement au nom du récipiendaire principal étatique (le Trésor public). L’Éthiopie, le Rwanda et l’Afrique du Sud sont trois des autres pays qui font de même. La KEMSA est chargée par la loi d’acheter, stocker et distribuer les médicaments et autres fournitures médicales destinés aux programmes publics de santé comme les programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme et les programmes de santé reproductive.
La plupart des autres pays africains ont recours au mécanisme d’achat groupé du Fonds mondial, une initiative créée en 2009 en vue de rassembler les commandes et de négocier de meilleurs prix pour les pays bénéficiaires de financements du Fonds. À l’heure actuelle, plus de 60 pays utilisent ce mécanisme pour leurs achats de produits financés par le Fonds mondial. Le recours au mécanisme d’achat groupé est essentiellement volontaire. Toutefois, le Fonds mondial peut exiger d’un pays qu’il utilise ce mécanisme si la capacité d’achat du récipiendaire principal est inadéquate ou si celui-ci opère dans un « contexte d’intervention difficile ».
Cet article décrit comment la KEMSA réalise ses achats de produits financés par le Fonds mondial et les facteurs qui ont contribué à sa réussite à cet égard. Les informations proviennent de publications de la KEMSA, de documents de subvention disponibles en ligne et d’un entretien avec M. John Kabuchi, responsable des achats de la KEMSA pour les programmes financés par les donateurs.
Procédure d’achat de la KEMSA
L’achat de produits financés par le Fonds mondial se fait en collaboration entre la KEMSA, le Trésor public (l’équivalent du ministère des finances), le ministère de la santé et ses différents programmes de lutte contre les maladies, à savoir le programme national de lutte contre le sida et les infections sexuellement transmissibles, le programme national de lutte contre le la tuberculose, la lèpre et les maladies pulmonaires et le programme national de lutte contre le paludisme. Les programmes sélectionnent et quantifient annuellement les produits de santé pour les différentes maladies et prévoient les besoins pour les quatre années à venir, avec l’appui de la KEMSA. Un mécanisme robuste de projection et de suivi régulier de la demande détermine le calendrier d’achat de la KEMSA.
La procédure d’achat comporte les étapes importantes suivantes :
Appels d’offres et soumissions. La KEMSA commence par publier un appel d’offres international ouvert – dans 95 pour cent des cas – dans lequel elle invite les fabricants locaux et internationaux présélectionnés par l’OMS à soumettre une offre. L’évaluation des offres et la sélection des fournisseurs sont des procédures rigoureuses et transparentes assurées par une équipe de la KEMSA et du ministère de la santé en conformité avec les exigences légales en matière d’achats publics. M. Kabuchi nous a expliqué que la sélection repose sur trois critères principaux : un critère juridique – il s’agit de savoir si le fournisseur répond aux exigences légales du pays –, un critère technique – le fournisseur a-t-il la capacité nécessaire pour fabriquer et livrer les produits au pays – et un critère commercial – prix et conditions de livraison.
Assurance qualité. Le fournisseur envoie un échantillon de produits de santé à la KEMSA, qui vérifie les spécifications et exigences convenues. La qualité de l’échantillon est testée dans les laboratoires de la KEMSA et dans des laboratoires indépendants présélectionnés par l’OMS. Lorsqu’il ressort de ces tests que l’échantillon est satisfaisant, la KEMSA place sa commande pour des quantités spécifiques de chaque produit.
Dès réception d’un envoi des fournisseurs, la KEMSA place tous les produits en quarantaine et procède à un deuxième contrôle de la qualité, mais cette fois sur des échantillons pris au hasard. Lorsque la qualité est appropriée, les produits sont libérés et peuvent être distribués. Cette procédure est généralement rapide et ne retarde pas la distribution des produits.
Distribution. La KEMSA est responsable de la livraison des produits de santé à tous les établissements publics de santé. Afin de faciliter la distribution, elle a divisé le pays en trois régions et confié le « dernier kilomètre » de distribution à des entreprises de transport/logistique. Elle a également passé un contrat avec un service de messagerie pour faire face aux urgences. Les entreprises sous contrat sont payées lorsque la livraison complète et à temps aux établissements de santé est confirmée.
La KEMSA procède à des contrôles supplémentaires sur des échantillons de produits de santé livrés aux établissements de santé afin de vérifier qu’ils sont de bonne qualité, sûrs et efficaces.
Trois facteurs importants contribuent à la réussite de la KEMSA
Les cadres juridiques et institutionnels robustes, les modalités d’achat solides et les partenariats stratégiques sont trois facteurs importants de la réussite de la KEMSA. Lorsque le Fonds mondial a commencé à investir au Kenya en 2003, il a constaté que la KEMSA, qui était à l’époque un département du ministère de la santé, ne disposait pas de capacités adéquates pour assurer les achats et la gestion des chaînes d’approvisionnement. Un consortium composé de quatre institutions – la KEMSA, l’Agence allemande pour la coopération internationale (GIZ), John Snow International et Crown Agents – a été mis sur pied pour assurer temporairement les achats de produits financés par l’État et par le Fonds mondial.
En 2005, la KEMSA, sous une nouvelle structure de gestion, a commencé à intégrer les 11 chaînes d’approvisionnement parallèles qui étaient actives à l’époque. En 2010, le Fonds mondial a réévalué la capacité de la KEMSA à se charger des achats de produits financés par lui et l’a estimée adéquate. Aujourd’hui, la KEMSA achète, stocke et distribue les produits de santé pour le compte du gouvernement, du Fonds mondial et d’autres partenaires stratégiques, dont USAID, l’UNICEF, le Programme alimentaire mondial, la Banque mondiale et l’Agence danoise de développement international (Danida). Selon les estimations, la KEMSA reçoit 80 millions de dollars par an pour les achats de produits de santé soutenus par le Fonds mondial.
Cadres juridiques et institutionnels robustes
La KEMSA a connu une période de croissance lorsqu’elle a acquis son indépendance du ministère de la santé, après quoi elle a été aux prises avec les structures et systèmes institutionnels dans ses efforts pour réaliser son plein potentiel. Ainsi, en 2007, le ministère de la santé n’avait toujours pas transféré entièrement la responsabilité des achats et de l’approvisionnement en fournitures médicales à la KEMSA. En 2009, le conseil d’administration, dysfonctionnel, a été démantelé et un nouveau conseil a été mis en place selon le principe de gestion en fonction des résultats.
EN 2013, le Parlement a adopté une loi relative à la KEMSA, qui octroyait à celle-ci le statut d’« autorité légale » et la dotait d’une structure de gouvernance solide et d’un pouvoir financier suffisant. Sur le plan financier, la KEMSA reçoit des fonds du budget du ministère de la santé pour desservir les établissements publics, mais elle est également autorisée à créer une division offrant des services commerciaux concurrentiels au public kényan. Auparavant, la KEMSA disposait uniquement des financements du ministère de la santé.
La loi autorise la KEMSA à établir un réseau d’installations de stockage, de conditionnement et de distribution, à conclure des partenariats stratégiques et à aider les gouvernements locaux à établir et maintenir des systèmes de chaîne d’approvisionnement. La KEMSA a notamment investi dans les technologies de l’information et de la communication et dans des systèmes et structures d’entreposage modernes. Elle possède actuellement deux entrepôts dans la capitale, Nairobi, et huit autres à travers le pays.
La KEMSA a entièrement automatisé ses processus au moyen de logiciels de gestion intégrés (ERP), qui lui permettent notamment de suivre la distribution des fournitures à l’aide de systèmes de localisation GPS. Les logiciels ERP permettent également aux établissements de santé de communiquer les données relatives à leur consommation et de placer des commandes d’achat instantanées par le système d’information de gestion logistique (SIGL) développé en interne.
La KEMSA approvisionne l’ensemble des 47 comtés du Kenya en fournitures médicales, desservant ainsi les plus de 6 000 établissements publics de santé du pays, ainsi que des établissements de santé confessionnels et privés. L’UNICEF estime à 95 pour cent et 80 pour cent respectivement la disponibilité des produits de programmes spécifiques et des médicaments essentiels aux établissements de santé.
La loi autorise par ailleurs la KEMSA à recruter, selon une procédure concurrentielle, du personnel qualifié pour diriger et gérer ses opérations. À ce jour, quelques postes haut placés de la direction et du conseil d’administration de la KEMSA sont vacants ; bien que des fonctionnaires assument ces fonctions à titre intérimaire, de telles lacunes retardent les décisions stratégiques et ont une incidence négative sur la planification à long terme. D’après M. Kabuchi, les systèmes et structures institutionnels robustes de la KEMSA minimisent l’impact de ces lacunes.
Modalités d’achat robustes
La procédure d’appels d’offres ouverts et les énormes volumes de commandes permettent à la KEMSA de négocier des prix compétitifs. (Le Kenya compte quelque 48 millions d’habitants, dont environ 1 million sont sous traitement antirétroviral.) La KEMSA a économisé plus de 13 millions de dollars dans le cadre des subventions du Fonds mondial au niveau des achats d’antirétroviraux, de tests de diagnostic rapide et de combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine en 2016.
Afin d’assurer la fluidité du processus d’achat, la KEMSA adopte une approche à deux volets. Premièrement, elle se concentre sur les fournisseurs sous contrat : elle les forme aux exigences juridiques relatives aux processus d’achats publics au Kenya, à la conformité en matière d’impôt et de douanes, et insiste sur des délais de livraison appropriés et des quantités de stock appropriées. Deuxièmement, elle se centre sur les processus et la rapidité dans le pays. Par exemple, le Fonds mondial exige des pays bénéficiaires d’exempter de taxes les produits achetés avec ses crédits. La KEMSA a obtenu du Trésor public une dérogation générale pour les fournitures achetées au titre des subventions du Fonds mondial. Ensuite, concernant les expéditions individuelles, elle demande et obtient des dérogations spécifiques pour chaque commande. M. Kabuchi nous a expliqué que les dérogations spécifiques sont approuvées administrativement aux niveaux inférieurs de la direction du Trésor public, et prennent donc beaucoup moins de temps.
Ainsi, dans la pratique, lorsque la KEMSA attend un envoi de médicaments par transport aérien, elle demande et obtient des dérogations spécifiques basées sur la dérogation générale existante auprès du Trésor public. Cette dérogation spécifique est généralement traitée endéans une semaine. Ensuite, la KEMSA transmet la dérogation au fabricant environ une semaine avant l’expédition des produits de santé. À son arrivée, l’envoi peut donc être traité rapidement et ne reste pas bloqué au port d’entrée.
Partenariats stratégiques
Plusieurs partenaires internationaux ont soutenu la croissance et le renforcement des capacités de la KEMSA à assurer les achats et la distribution des fournitures médicales. USAID, Danida, la KfW allemande, la Banque mondiale et l’UNICEF comptent parmi ces partenaires. Le soutien au renforcement de la KEMSA a pris la forme d’assistance technique ou financière. L’UNICEF estime à quelque 900 millions de dollars le montant que la KEMSA a reçu des partenaires internationaux entre 2010 et 2017.
En 2015, USAID a accordé à la KEMSA un contrat de cinq ans d’une valeur de 650 millions de dollars – son plus gros contrat bilatéral – en vue de renforcer le système de gestion de la chaîne d’approvisionnement des produits de lutte contre le VIH et le sida (produits pharmaceutiques, fournitures, produits alimentaires, réactifs et matériel de laboratoire) et d’appuyer le stockage et la distribution de certains produits liés à la planification familiale, à l’alimentation et au paludisme.
Conclusion
La KEMSA est devenue experte dans l’achat de produits de santé et la gestion des systèmes d’approvisionnement dans la région, expérience dont d’autres pays peuvent bénéficier. Sa réussite est la preuve qu’un pays peut mettre en place ses propres systèmes en vue d’acheter et distribuer les produits de santé de manière efficace, avec les structures juridiques et de gouvernance appropriées ainsi que les partenariats stratégiques adéquats. Une appropriation ferme du processus de transformation par le pays semble être le principal facteur de réussite.
Le deuxième objectif de la stratégie actuelle du Fonds mondial recommande le renforcement des capacités des processus en matière d’achat et de chaîne d’approvisionnement dans le pays, afin de relever les défis récurrents dans ce domaine. Le Fonds mondial devrait inciter tous les pays maîtres d’œuvre à développer ces capacités.
Sources :
Site Web de la KEMSA : http://www.kemsa.co.ke/
Étude de cas de l’UNICEF : La KEMSA après le transfert des responsabilités : pérennité financière à travers une stratégie de chaîne d’approvisionnement fortement axée sur les ressources humaines et le leadership https://www.technet-21.org/iscstrengthening/media/attachments/2017/11/06/51497-1—unicef-national-capacity-development—kenya—web.pdf