LA RÉUNION DES DÉLÉGATIONS AFRICAINES À ADDIS ABEBA A FOURNI L’OCCASION DE DISCUTER DES DIFFICULTÉS QUI ÉMAILLENT LA MISE EN ŒUVRE DES SUBVENTIONS
Author:
Christelle Boulanger
Article Type:Article Number: 6
Le nouveau paradigme du Fonds mondial, ou comment recentrer l’attention sur la mise en œuvre, plutôt que sur l’absence de risques
RÉSUMÉ En réaction au rapport du BIG, le Secrétariat a pris des mesures et lancé une initiative pour accélérer la riposte dans la région de l'Afrique occidentale et centrale, dont l'objectif général est d'améliorer les résultats du programme grâce à une absorption accrue, à un financement efficace du programme de santé, à une meilleure collaboration des parties prenantes et à une amélioration de l’impact des investissements effectués. Des évaluations pays sont en cours afin de donner des informations précises sur ces sujets, et réorienter potentiellement les subventions actuelles ou les prochaines.
Le Fonds mondial l’avait annoncé dès le mois de juillet lors de la rencontre des délégations d’Afrique de l’ouest et du centre à Saly : il souhaitait profiter de l’occasion offerte par la publication du Rapport par le Bureau de l’Inspecteur Général (BIG) pour interroger ses pratiques. Aucune conclusion du rapport ne contenait de nouveauté, et la discussion autour des procédures de plus en plus contraignantes mises en œuvre par le Secrétariat a débuté il y a plus de 3 ans, lors d’une rencontre tenue à l’été 2016 à Abidjan. Il avait alors été accordé que les partenaires travailleraient conjointement pour lever les goulots d’étranglement qui empêchaient la mise en œuvre des subventions (ITP); et il avait été demandé au Fonds mondial de réfléchir à un assouplissement de ses règles, qui provoquent également des ralentissements dans la mise en œuvre.
3 ans et un cycle et demie plus tard, ce rapport du BIG vient confirmer ce constat, et invite à repenser le dispositif afin de rééquilibrer les rapports de force, de replacer les ministères (de la santé et des finances en particulier) des pays récipiendaires au centre des discussions comme il se doit (le Fonds mondial s’aligne sur les stratégies pays et finance les gaps) et de s’interroger finalement sur les vrais enjeux : la gouvernance des subventions, le leadership et la vision des ministères des pays récipiendaires et leur capacité à être force de proposition dans la recherche de modèle de partenariat.
La méthodologie employée
En réaction au rapport du BIG, le Secrétariat a pris des mesures et lancé une initiative pour accélérer la riposte dans la région de l’Afrique occidentale et centrale, dont l’objectif général est d’améliorer les résultats du programme grâce à une absorption accrue, à un financement efficace du programme de santé, à une meilleure collaboration des parties prenantes et à une amélioration de l’impact des investissements effectués.
Pour faire de cette approche un succès, l’initiative s’appuie sur un dialogue pays par pays avec les gouvernements, les responsables de la mise en œuvre dans le pays, les partenaires techniques et d’autres parties prenantes, afin d’élaborer des plans d’action spécifiques, pratiques et hiérarchisés pour améliorer la mise en œuvre axée sur les résultats, avec des responsabilités claires dans chaque pays.
Les conclusions de ces examens par pays devraient constituer la base des prochaines actions, susceptibles d’être mises en œuvre dans le cycle en cours, mais également lors du prochain cycle de mise en œuvre. Cela va de pair avec un examen et un suivi plus étroit de la mise en œuvre des politiques du secrétariat et un partenariat renouvelé pour convenir de voies à suivre pour surmonter les défis des systèmes de santé.
Une équipe multidisciplinaire a été formée au sein du Fonds mondial. Elle est composée de la cheffe d’équipe régionale AO, du gestionnaire de portefeuille spécialisé dans les contextes d’intervention difficile, du gestionnaire de portefeuille senior actuellement responsable du Tchad et d’une spécialiste RSS dans les pays d’Afrique de l’ouest et du centre, ancienne conseiller régional pour la santé mondiale. Cette équipe est chargée d’affiner le diagnostic du BIG par le biais de visites dans les 18 pays concernés, selon une méthodologie incluant les principaux axes d’analyse: gouvernance, modalités de mise en œuvre, gestion financière, financement national accru, systèmes de gestion de la performance. Une analyse spécifique des procédures et de leur application dans les centres d’excellence a été ajoutée.
En outre, et conformément à leur engagement envers le Conseil du Fonds mondial de mai 2019, les équipes du Secrétariat examinent les conditions qui ont conduit certains pays à être classés dans la catégorie des contextes d’intervention difficile. Ils analysent les risques, mais aussi les performances programmatiques et financières, ainsi que l’écosystème de partenariat. La méthodologie a également été empruntée à l’examen par les pairs, car le gestionnaire de portefeuille du pays concerné par la visite n’est pas directement impliqué dans l’examen, ce qui a permis de porter un nouveau regard sur le pays. Il a également permis aux acteurs nationaux d’interagir avec de nouveaux interlocuteurs du Fonds mondial et des gestionnaires de portefeuille du pays en question et d’interagir avec leurs collègues, ce qui crée une analyse transversale et un échange d’expériences. À la fin de l’analyse, le Secrétariat, ainsi que les pays, devraient être en mesure de hiérarchiser les domaines sur lesquels se concentrer afin de supprimer les goulets d’étranglement, de travailler à la simplification des processus et d’obtenir un impact plus important. Les visites dans les pays sont prévues jusqu’en avril ou mai 2020. Une priorité a été donnée aux pays qui soumettront leurs nouvelles notes conceptuelles dans le premier guichet, fin mars.
Focus sur les contextes d’intervention difficile
La politique CID devait permettre de créer des opportunités pour assouplir la gestion des subventions dans ces pays et chercher des « modus operandi » qui sortent de l’ordinaire, en réponse à des situations d’urgence ou de grande fragilité des systèmes de santé. En réalité, peu d’arrangements ont été trouvés et les évaluations pays sont actuellement menées par le Fonds mondial devraient également permettre de:
• Simplifier les processus: identifier les domaines dans lesquels les procédures de mise en œuvre, les exigences en matière de rapportage et de vérification pourraient être encore simplifiées dans les environnements fragiles et les situations d’urgence prolongées ;
• S’attaquer aux goulots d’étranglement opérationnels: identifier les mesures d’assouplissement dans la mise en œuvre et la révision du programme susceptibles d’accroître encore l’efficacité et la performance du programme dans des environnements fragiles et instables ;
• Renforcer les capacités: identifier les mécanismes et les cadres de partenariat pour renforcer davantage les capacités du ministère de la santé et des programmes nationaux dans les environnements fragiles ;
• Créer des partenariats innovants: identifier et cartographier les partenaires non traditionnels et pertinents susceptibles de soutenir davantage la prestation de services et la chaîne d’approvisionnement dans les zones peu accessibles et peu sûres ;
La gouvernance, le nerf de la guerre
Bien que la gouvernance ne représente que l’un des 5 axes d’analyse, force est de reconnaitre que cette gouvernance, bonne, mauvaise ou acceptable, conditionne le reste des résultats et de la performance recherchée.
La question de l’alignement des stratégies mises en place par le Fonds mondial avec les autres bailleurs afin de participer à une meilleure harmonisation du système est un point clé de la bonne gouvernance. Prenons l’exemple de la rémunération basée sur les résultats, sa mise en place déstructure souvent le ministère en offrant des conditions de travail bien supérieures à celles établies habituellement, et dans des proportions qui changent selon le bailleur (en RDC par exemple les primes versées au personnel de santé et les critères conduisant au cadre performance ne sont pas harmonisés entre le Fonds mondial et Pepfar). C’est aussi l’une des difficultés rencontrées par les Unités de Gestion de Projets (UGP) qui gèrent les subventions du Fonds mondial et parfois celles de GAVI, et qui sèment des précédents insoutenbles en matière de salaire, avantages et méthode d’évaluation de la performance. On peut considérer que ce modèle est efficace, et qu’il contribue à diffuser une culture de la redevabilité et de l’efficacité dans le ministère. Mais il crée également des inégalités criantes et n’est pas souvent pérenne pour des raisons évidentes. Ces doubles standards, qui écartèlent les ministères et les fragilisent, sont bien liés au mode de gouvernance qui doit remettre le ministère au centre du pilotage.
Autre question fondamentale liée à la gouvernance dans la gestion des fonds cette fois : comment assurer transparence et responsabilité dans les fonds utilisés, alors que l’OMS même estime que près de 50% des fonds investis dans le domaine de la santé ne sont pas efficaces. Cette efficience, qui passe entre autre par une meilleure priorisation des besoins et des choix qui promeuvent l’alignement et l’intégration des stratégies de dépistage et de traitement, ne peut se faire sans une bonne gouvernance des subventions. Autre sujet d’actualité : le financement du système de santé par l’apport du fonds domestiques, alors que la part moyenne des budgets investis dans la santé en AOC ne dépasse pas 6% ?
On le voit, tous ces sujets relèvent de la gouvernance et constituent le système de santé au sens de l’OMS. C’est pourquoi une meilleur réponse à es défis passe par des stratégues de renforcement des systèmes de santé plus volontariste et efficace. Tout le défi réside alors dans l’intégration au prochain cycle de financement de ces priorités.
La volonté partagée de replacer les pays récipiendaires au centre du débat
Cette volonté est partagée par tous les acteurs présents à Addis Abeba : délégations des Instances de Coordination Nationale (ICN), ministres (du Tchad et de Sao Tome et Principe) mais également les équipes d Fonds mondial et son Président du conseil d’Administration Donald Kaberuka. Dans un échange simple et franc avec la salle, monsieur Kaberuka est revenu sur les responsabilités conjointes entre le Fonds mondial et les pays récipiendaires. Dans le premier cas, le Secrétariat doit questionner l’inflation des procédures et des mesures de sauvegarde qui ont contribué à rendre la mise en œuvre des subventions lente et complexe, en particulier dans les pays les plus fragiles appelés, de manière d’ailleurs peu heureuse, contextes d’intervention difficile. Le Président a reconnu que cette évolution visant à sécuriser la bonne utilisation des fonds a imposé un mode de relation déséquilibré, dans lequel le Fonds mondial impose et sanctionne, sans que le pays récipiendaire ne soit invité à proposer ses propres mesures de mise en œuvre. Mais il a également appelé les délégations présentes à changer de discours, et a pris a de nombreuses reprises l’exemple du Rwanda. A abandonner l’idée que les PTF décident à leur place et qu’ils imposent leurs règles, comme si les ministères de la santé n’étaient plus que de simples récipiendaires. Il a appelé les pays africains à plus de leadership, de sens des responsabilités et de redevabilité en matière d’utilisation des fonds et de résultats pour les populations. Et surtout, à plus de proactivité et d’inventivité dans les solutions apportées à des situations difficiles mais pas insurmontables.
Conclusion
Le mercredi 13 novembre, une session préliminaire du Conseil d’administration a été organisée afin d’informer à la fois les délégations et le Secrétariat des décisions prises concernant le suivi du rapport du BIG. Les conclusions préliminaires sur les deux premières visites de pays ont été partagées par les collègues sénégalais et guinéens et des exemples supplémentaires de simplification des mesures de mise en œuvre ont été donnés par le Secrétaire permanent du Tchad. Cela a soulevé de nombreuses questions et remarques de la part des délégations, qui suivent de près l’initiative, en particulier les délégations africaines. Certaines préoccupations ont été soulevées dans la méthodologie, en particulier l’implication des acteurs nationaux et leur participation à ce «processus d’évaluation» qui ne devrait pas être un exercice descendant. Nombre d’entre eux ont déjà effectué des analyses pour identifier les principaux goulots d’étranglement et souhaiteraient les partager avec les équipes de revue.
Le calendrier prévisionnel des visités a également suscité des questions, car il ne permettra pas à tous les pays de disposer des résultats de l’évaluation à temps pour l’intégration des résultats dans les nouvelles notes conceptuelles.
C’est à coup sûr un moment critique pour la région d’AOC, qui doit se saisir l’occasion offerte par le nouveau cycle et de l’intention du Secrétariat de revoir ses procédures et ses mesures de gestion des risques. Lors de la session consacrée à ce sujet, la délégation française a fait une déclaration prometteuse, proposant de revoir les mesures de gestion des risques, précisant que “le risque opérationnel de ne pas répondre aux besoins des patients” sera toujours supérieur au risque financier. De toute évidence, les planètes sont alignées pour que les pays de la région d’AOC assument un leadership renforcé et travaillent à mieux s’approprier les subventions, décident des mesures de simplification nécessaires pour une meilleure mise en œuvre des activités et animent le partenariat entre acteurs à la recherche de solutions innovantes et adaptées aux défis des systèmes de santé de la région.