La politique de sauvegarde additionnelle du Fonds mondial : Une arme à double tranchant pour les portefeuilles à haut risque
Author:
Samuel Muniu
Article Type:Article Number: 7
L'article examine la politique de sauvegarde additionnelle (PSA) du Fonds mondial, mise en œuvre en 2004 pour protéger les fonds des donateurs dans les pays à haut risque qui gèrent des subventions pour le VIH, la tuberculose et le paludisme. Si l'PSA a permis d'assurer la prestation de services dans des environnements instables, elle a suscité des inquiétudes quant à la réduction de l'appropriation locale et de l'autonomie dans la mise en œuvre des programmes. Un rapport consultatif du Bureau de l'inspecteur général appelle à des stratégies de sortie plus claires et à une meilleure communication sur les implications de la politique. L'article souligne la nécessité de réformes visant à renforcer le pouvoir des acteurs nationaux et à garantir que l'PSA ne soit qu'une solution temporaire et non permanente.
Dans le cadre de sa mission de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, qui s’étend sur deux décennies, le Fonds mondial a dû relever d’immenses défis pour concilier le contrôle des subventions et l’efficacité de la mise en œuvre des programmes. . Le PSA vise à protéger les fonds des donateurs dans les pays confrontés à des risques financiers, de gouvernance et opérationnels importants. Un récent rapport consultatif du Bureau de l’inspecteur général (BIG), commandé par le groupe de l’Afrique orientale et australe et le groupe de l’Afrique occidentale et centrale, les plus concernés par cette politique, jette un nouvel éclairage sur l’évolution de le PSA, son impact profond sur les portefeuilles du Fonds mondial et les défis qu’elle pose à la fois au Fonds mondial et à ses partenaires locaux.
Objectif du PSA : protéger les investissements du Fonds mondial dans les contextes à haut risque
Le PSA est déclenché lorsque les systèmes de gestion des subventions du Fonds mondial d’un pays sont jugés incapables de garantir la responsabilité et la transparence. Il permet au Fonds mondial d’intervenir directement dans la sélection des récipiendaires principaux (RP) et des sous-récipiendaires (SR), un rôle généralement géré par les instances de coordination nationales (ICN). Cette politique est conçue comme un « dernier recours », invoqué en cas de risques élevés liés à la corruption, à la mauvaise utilisation des fonds ou à la faiblesse des capacités de mise en œuvre des systèmes nationaux.
Cet examen du PSA n’était pas un exercice de routine, mais a été spécifiquement demandé par deux groupes d’intérêt africains affectés de manière disproportionnée par la politique. Ces deux groupes se sont inquiétés des effets à long terme le PSA sur l’appropriation locale, la stratégie de non-exit, l’autonomie de mise en œuvre et la stigmatisation associée au fait d’être soumis à la politique. Ces préoccupations ont incité le Secrétariat du Fonds mondial et le BIG à entamer des discussions et à entreprendre un examen indépendant de l’application de la politique et à formuler des recommandations réalisables en vue de son amélioration.
Le champ d’application de l’ASP
En août 2024, 29 portefeuilles répartis dans cinq régions étaient soumis au PSA, la majorité étant concentrée en Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC). Des pays comme la République démocratique du Congo, le Tchad, le Niger et la Guinée sont soumis au PSA depuis plus de dix ans. Le PSA représente plus d’un tiers des investissements du Fonds mondial versés au cours du cycle de subvention 6 (CS6). Par exemple, 53 % de tous les décaissements liés au paludisme dans le cadre du 6e cycle de subvention ont été consacrés aux portefeuilles du PSA, ce qui souligne l’importance des enjeux financiers.
Figure 1 : Quelques pays soumis au PSA
Ces portefeuilles représentent plus de 1,2 milliard de personnes, dont beaucoup vivent dans des États fragiles ou touchés par des conflits. Les pays relevant du PSA, comme la Guinée-Bissau, le Sud-Soudan et le Zimbabwe, sont parmi les plus mal classés dans les indices de gouvernance mondiale, notamment l’indice d’efficacité gouvernementale de la Banque mondiale et l’indice de perception de la corruption de Transparency International. Ces pays supportent également une part importante de la charge de morbidité mondiale, représentant 54 % des cas de paludisme, 24 % des cas de tuberculose et 18 % des cas d’infection par le VIH dans le monde.
L’impact de l’ASP : Renforcer le contrôle, mais à quel prix ?
Bien que le PSA soit loué pour sa capacité à préserver les fonds et à garantir la continuité des services dans des environnements instables, il est souvent perçu comme excessivement punitif par les pays bénéficiaires. Non seulement le PSA transfère le contrôle de la gestion des subventions des entités nationales vers les organisations internationales, mais elle impose également des charges administratives et financières supplémentaires au Fonds mondial lui-même.
Par exemple, seulement 29 % des dépenses totales des subventions dans les pays du PSA sont gérées par des ministères ou des agences nationales, contre 75 % dans les portefeuilles hors PSA Dans de nombreux portefeuilles du PSA, les récipiendaires principaux (RP) internationaux, tels que les agences des Nations Unies ou les ONG internationales, ont pris en charge la majeure partie des responsabilités de gestion des subventions. Ce recours à des bénéficiaires principaux externes entraîne des coûts indirects plus élevés. Les PR nationaux consacrent généralement environ 17 % de leur budget aux coûts indirects, contre 26 % pour les agences des Nations unies et 22 % pour les organisations internationales non gouvernementale (OING) en raison des dépenses plus élevées liées au personnel, à la sécurité et à la logistique. Malheureusement, ces coûts supplémentaires sont prélevés sur l’enveloppe nationale du Fonds mondial allouée à la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme.
Le rapport souligne que si ces relations publiques internationales contribuent à maintenir la responsabilité et la continuité, elles créent également une dépendance, en particulier dans des pays comme le Tchad, le Sud-Soudan et la Guinée-Bissau. Les parties prenantes locales ont indiqué qu’elles se sentaient mises à l’écart des principales décisions de mise en œuvre, ce qui affaiblit l’appropriation nationale des programmes. En Guinée-Bissau, par exemple, les responsables de programmes locaux ont exprimé leur frustration d’être exclus des décisions concernant les campagnes de prévention du paludisme et se sont sentis déconnectés des responsabilités en matière de rapports financiers, qui sont cruciales pour le maintien des infrastructures sanitaires locales.
Un rapport du BIG sur l’expérience de l’Angola avec le PSA révèle des défis similaires. Le pays est devenu une cible du PSA en 2019. Un audit réalisé en 2019 a révélé des problèmes systémiques, notamment une mauvaise gestion financière, des lacunes en matière de supervision et des ruptures de stock répétées de produits de santé essentiels. En réponse, le Fonds mondial a mis en œuvre du PSA, en transférant le contrôle de ses investissements au niveau provincial et en faisant appel à des organisations internationales telles que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour gérer des aspects clés de la mise en œuvre des programmes de santé. Si ce changement était nécessaire pour maintenir des services de santé essentiels dans deux provinces fortement touchées, le rapport du BIG a mis en lumière de nouveaux défis. La mauvaise coordination entre les autorités sanitaires provinciales et nationales a retardé la planification des achats et la distribution de produits essentiels. Le système de santé angolais, en particulier au niveau provincial, s’est heurté à la faiblesse des infrastructures et à l’insuffisance de l’expertise technique pour faire face aux responsabilités accrues dans le cadre du PSA.
Ces problèmes de coordination ne sont pas propres à l’Angola. Des problèmes similaires ont été identifiés dans d’autres pays PSA, où la politique est appliquée comme une solution temporaire à des structures de gouvernance faibles. , tels que l’UE, se sont retirés en raison de l’instabilité politique. Toutefois, en Angola comme au Burundi, la forte dépendance à l’égard des entités internationales a entravé le renforcement des capacités locales – une dépendance qui, selon les avertissements du BIG, doit être prise en compte dans l’ensemble des portefeuilles du PSA.
Lacunes en matière de communication et absence de stratégies de sortie
L’absence de critères de sortie clairs est une préoccupation importante soulevée par les pays soumis au PSA. Le rapport du BIG révèle qu’en août 2024, seuls 10 des 23 portefeuilles de l’ICN avaient reçu des critères de sortie, ce qui signifie que la plupart des pays soumis au PSA ne disposent pas d’une feuille de route claire pour reprendre le contrôle de la gestion de leurs subventions. Ce manque de transparence a conduit certaines parties prenantes à comparer le PSA à une « condamnation à perpétuité », avec peu d’espoir de revenir à des processus normaux de supervision des subventions.
Figure 2 : Portefeuilles soumis au PSA
Par exemple, au Nigéria – où le PSA a été invoquée en 2016 en raison d’une mauvaise gestion financière et de structures de gouvernance faibles – les responsables locaux de la mise en œuvre ont dû lutter contre la perception que le PSA resterait en place indéfiniment. Bien que le Nigéria ait réalisé des progrès significatifs dans la lutte contre les risques sous-jacents, comme l’amélioration de la couverture du traitement de la tuberculose de 31 % entre 2019 et 2022, le PSA reste en place sans orientation claire sur ce qui doit être fait pour en sortir.
Le rapport du BIG relève également des incohérences dans la manière dont le Fonds mondial communique avec les pays sur les risques et les raisons d’invoquer le PSA. Certains portefeuilles, comme celui du Pakistan, ont bénéficié d’explications détaillées et d’un dialogue continu de la part du Secrétariat du Fonds mondial, tandis que d’autres, comme ceux du Liberia et de la Mauritanie, ont fait état de lacunes en matière de communication, ce qui a entraîné une certaine confusion quant aux implications et aux objectifs de la politique.
Préserver la prestation de services dans un contexte de crise politique
Malgré ces défis, le PSA s’est avéré efficace pour maintenir la prestation de services dans les environnements les plus difficiles. Dans des pays comme le Burundi et la Côte d’Ivoire, où les troubles politiques et l’instabilité économique ont menacé la poursuite des programmes de santé, l’invocation de le PSA par le Fonds mondial a permis la fourniture ininterrompue de services essentiels.
Au Burundi, le PSA a été invoquée en 2016 à la suite d’une crise politique qui a conduit la plupart des donateurs internationaux à suspendre l’aide financière directe au gouvernement. Le Fonds mondial a toutefois continué à financer les programmes de lutte contre le paludisme, le VIH et la tuberculose en collaborant avec le PNUD en tant que RP. De même, lors de la crise postélectorale de 2011 en Côte d’Ivoire, les mesures du PSA ont permis d’assurer la continuité des programmes de traitement du VIH malgré les sanctions généralisées et le gel des comptes nationaux du pays.
Toutefois, le recours aux agences des Nations unies n’a pas toujours permis de renforcer les capacités des institutions nationales. Un rapport du BIG sur les subventions du Fonds mondial au Tchad a révélé que le PNUD, le PR depuis 2009, n’a pas réussi à mettre en œuvre efficacement les subventions dans le cadre du PSA. Malgré l’élaboration d’un solide plan de renforcement des capacités pour 2021-2024, le PNUD a réalisé moins de 20 % des activités prévues, laissant 70 % des tâches clés, d’une valeur de 4,9 millions d’euros, inachevées. Cette situation reflète les échecs précédents, avec des taux d’exécution de seulement 60 % en 2017-2018 et 30 % en 2019-2020. La faiblesse de la supervision, la lenteur des approbations et les retards de personnel ont entravé les progrès, laissant des domaines essentiels comme la collecte de données et les prévisions sous-développés, malgré certaines mises à jour des systèmes.
Recommandations d’amélioration : Nécessité de plans de sortie plus proactifs
L’avis du BIG présente plusieurs recommandations clés visant à améliorer l’efficacité du PSA tout en atténuant ses effets négatifs. Le rapport souligne la nécessité d’élaborer et de communiquer des critères de sortie spécifiques et mesurables pour tous les pays soumis au PSA. En définissant clairement la voie à suivre, les pays peuvent travailler à l’amélioration de leurs systèmes financiers et de gouvernance avec un objectif tangible en tête.
En outre, le Fonds mondial est invité à renforcer ses initiatives de renforcement des capacités pour les entités nationales. Bien que le renforcement des capacités ait été un aspect essentiel du PSA, sa mise en œuvre a souvent été incohérente et inefficace. Le BIG suggère que le Fonds mondial adopte une approche plus systématique du développement des capacités locales, afin de permettre aux pays de reprendre le contrôle de leurs responsabilités en matière de gestion des subventions.
Une autre recommandation essentielle est que le Secrétariat du Fonds mondial améliore sa communication avec les pays bénéficiaires. En favorisant un dialogue plus transparent et plus régulier sur le statut du PSA, les risques et les prochaines étapes, le Secrétariat peut réduire la stigmatisation associée au fait d’être placé sous le PSA et établir des relations plus solides avec les gouvernements locaux et les responsables de la mise en œuvre.
Réponse du Secrétariat du Fonds mondial et actions futures
En réponse aux conclusions du BIG, le Secrétariat du Fonds mondial prend des mesures décisives pour combler les lacunes du PSA. L’organisation élabore actuellement des plans de sortie et de transition pour les pays relevant du PSA, en mettant l’accent sur la durabilité. Ces plans comprendront des points de référence et des échéances spécifiques pour aider les pays à quitter le statut du PSA une fois qu’ils auront atteint les normes requises.
Le Secrétariat renforce également la gouvernance interne afin d’améliorer le contrôle et la coordination et investit dans des programmes de renforcement des capacités afin d’aider les systèmes nationaux à gérer les fonds de subvention de manière indépendante et efficace.
Dans le cadre de ce processus, le Fonds mondial s’est engagé à mettre en place des cadres de gestion des risques complets, adaptés aux conditions spécifiques de chaque pays. Ces cadres amélioreront le suivi et l’évaluation, ce qui permettra d’atténuer rapidement les risques financiers et programmatiques et de garantir une utilisation efficace des subventions.
En outre, le Fonds mondial renforce sa collaboration avec les acteurs locaux. Il entend travailler plus étroitement avec les gouvernements nationaux, la société civile et d’autres partenaires pour renforcer les structures de gouvernance et améliorer la transparence dans la gestion des subventions.
Conclusion
Alors que le Fonds mondial se tourne vers l’avenir, le PSA reste un outil puissant pour gérer les risques dans des environnements à forts enjeux. Toutefois, son succès à long terme dépend de la recherche d’un juste équilibre entre la sauvegarde des fonds et l’autonomisation des parties prenantes nationales. Les pays ont besoin de stratégies de sortie claires, d’un soutien solide au renforcement des capacités et de processus de communication transparents pour s’assurer que le PSA reste une solution temporaire et non permanente.
Le rapport du BIG souligne que si le PSA a protégé les investissements du Fonds mondial et assuré la prestation de services dans les pays à haut risque, des réformes sont nécessaires pour éviter d’entraver l’appropriation locale ou de créer une dépendance à l’égard des RP internationaux. À l’avenir, le Fonds mondial doit veiller à ce que le PSA soit conforme à son objectif initial : servir de garde-fou temporaire permettant aux pays de reprendre le contrôle de leurs programmes de santé et de gérer leurs ressources de manière durable. Il est essentiel que les pays prennent l’initiative de gérer ces fonds afin d’en assurer la viabilité à long terme et d’accroître le financement national. Sans être impliqués dans les processus décisionnels, comment les pays peuvent-ils renforcer leurs efforts de financement interne ?