FINANCEMENT NATIONAL DURABLE DE LA LUTTE CONTRE LA TUBERCULOSE : UNE RÉALITÉ EN EUROPE DE L’EST ?
Author:
Sveta McGill
Article Type:Article Number: 6
RÉSUMÉ Pour les pays d'Europe orientale et d'Asie centrale (EOAC), région la plus durement touchée du monde par la tuberculose multirésistante (TB-MR), la perte d'éligibilité au financement du Fonds mondial est une mauvaise nouvelle.
Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a lancé en 2014 son nouveau modèle de financement qui vise à réaffecter ses ressources des pays à revenu intermédiaire vers les pays les plus durement touchés par les maladies et les moins à même de payer. Pour les pays d’Europe orientale et d’Asie centrale (EOAC), région la plus durement touchée du monde par la tuberculose multirésistante (TB-MR), une perte d’éligibilité au financement du Fonds mondial est une mauvaise nouvelle.
Depuis sa création en 2002, le Fonds mondial est un donateur important et un partenaire de premier plan dans le soutien aux programmes de lutte contre le VIH et la tuberculose au sein de la région EOAC. Les investissements du Fonds mondial ont aidé les pays à créer un environnement propice et à renforcer leurs systèmes de santé et leurs systèmes communautaires pour permettre à la région de réaliser des progrès notables dans la lutte contre ces maladies. En particulier, le Fonds a soutenu avec ferveur (tant sur le plan administratif que financier) les organisations de la société civile (OSC) de la région EOAC qui mettent en œuvre des programmes financés par le Fonds.
Ainsi, les militants de la lutte contre la tuberculose et les OSC savent parfaitement que c’est essentiellement le travail qu’ils accomplissent au sein des communautés vulnérables qui sera le plus durement touché par un retrait éventuel du Fonds – et, plus inquiétant encore, ils savent que cela contribuera à la propagation de la maladie.
Un récent projet de recherche piloté par RESULTS UK (http://www.results.org.uk) et Global Health Advocates France (http://www.ghadvocates.eu) pour le compte de la Coalition européenne contre la tuberculose (http://www.tbcoalition.eu/) montre que les acteurs de terrain s’interrogent sur la suffisance des fonds publics consacrés à la lutte contre la tuberculose lorsque le retrait du Fonds deviendra effectif :
« Pour notre pays, le retrait du Fonds mondial est impossible dans la mesure où le gouvernement ne saura pas couvrir les besoins en services de lutte contre la tuberculose encore aujourd’hui financés par le Fonds mondial » (répondant du Kirghizstan)
Si les répondants s’accordent à reconnaître combien il est important pour l’ensemble des acteurs de se préparer au retrait progressif du soutien du Fonds, il faudra néanmoins surmonter certains obstacles considérables afin d’en faciliter le processus. La plupart des personnes interrogées, représentant un large éventail d’acteurs et d’OSC impliqués dans la lutte contre la tuberculose au sein de la région EOAC, ont répondu négativement à la question de savoir si les pays comptaient accroître le financement national de la lutte contre la maladie. Le plus souvent, il est proposé que les dépenses publiques consacrées à la lutte contre la tuberculose soient limitées par les restrictions budgétaires et autres priorités de financement public.
Le travail des OSC parmi les populations difficiles à atteindre est perçu comme étant le domaine d’activité qui sera le plus durement touché lorsque le retrait des donateurs deviendra effectif :
« Sans les services d’orientation et de motivation actuellement fournis par les OSC, les patients (notamment ceux qui sont atteints de tuberculose multirésistante et de tuberculose ultrarésistante) n’auront pas accès au traitement antituberculeux dont ils ont besoin. Ainsi, leur adhérence au traitement sera faible et le nombre de nouveaux cas de tuberculose enregistrés diminuera, dans la mesure où les OSC ne seront pas en mesure de poursuivre leur action comme avant, lorsqu’elles étaient financées par le Fonds mondial » (répondant du Kirghizstan)
La transition vers le financement public risque en outre d’affecter défavorablement la plupart des programmes déjà financés par le Fonds mondial (réduction des risques, prostituées, homosexuels et certains aspects relatifs aux activités en milieu carcéral, entre autres). Tout porte à croire que ces activités, généralement mises en œuvre par des OSC, ne seront probablement pas financées par les gouvernements nationaux.
Le retrait progressif du soutien financier du Fonds mondial peut également entraîner une augmentation des taux de prévalence du VIH et de la tuberculose, et les pays bénéficiaires risqueraient d’être « punis pour leurs succès » :
« Si vous avez investi dans un pays, que vous vous êtes efforcés de maintenir à un niveau relativement faible les taux de prévalence du VIH et de la tuberculose, et que vous supprimez le financement, cette perte peut entraîner une augmentation de 5 % du taux de prévalence parmi l’ensemble de la population. Vous perdez les investissements réalisés antérieurement. Les pays ayant déjà enregistré des résultats notables sont pénalisés par leur succès » (un expert indépendant)
Selon certains participants, la transition vers une nouvelle démarche de financement pour lutter contre la tuberculose peut avoir une incidence sur la qualité des médicaments antituberculeux :
« En Ouzbékistan, une organisation étatique est chargée de l’achat centralisé des médicaments antituberculeux. Le retrait des donateurs et le rôle accru de l’Etat peuvent conduire à une redistribution des sphères d’influence pour guider les achats de médicaments antituberculeux. L’Etat s’attachera à économiser de l’argent en achetant moins cher de plus grandes quantités de médicaments de moins bonne qualité. Il sera par ailleurs difficile de contrôler leur qualité par rapport aux normes internationales. Le manque d’efficacité des contrôles de qualité et le retrait des donateurs internationaux pourraient aboutir à la mise en place de nouvelles procédures de passation de marchés non transparentes dans le pays » (répondant d’Ouzbékistan)
Il est manifestement nécessaire d’aider les pays à réaliser une analyse des lacunes du financement de la lutte contre la tuberculose, mais aussi de les aider systématiquement à élaborer leur propre plan de transition du financement avant le retrait du soutien du Fonds mondial. Si la perspective d’une transition vers un financement national a toujours été à l’ordre du jour, la plupart des pays ne disposent pas de véritables mécanismes de transition. Le dialogue national doit désormais être plus actif, être plus vigoureusement soutenu par les donateurs et impliquer des groupes chargés de la mise en œuvre des programmes du Fonds mondial ainsi qu’un large éventail d’intervenants à l’échelon national. Le soutien des donateurs à la planification de la phase de transition du financement de la lutte contre la tuberculose est crucial pour garantir l’efficacité de ce processus.
Les participants ont également estimé que les institutions européennes pourraient jouer un rôle beaucoup plus important afin d’influencer et d’atténuer les conséquences du retrait progressif des donateurs. Si l’on s’accorde généralement à reconnaître que le rôle de l’UE n’était pas clair dans la région EOAC, les institutions européennes doivent démontrer qu’elles sont à même d’élaborer des politiques cohérentes et d’adopter une approche progressive et durable afin de devenir des acteurs régionaux plus efficaces capables d’influer sur le processus d’élaboration des politiques. Le contrôle sur l’utilisation des dépenses de l’UE au sein de la région EOAC doit être renforcé :
« L’UE a effectivement un rôle à jouer, mais celui-ci n’est pas tout à fait clair. L’UE ne déploie pas suffisamment d’efforts. Les belles paroles de l’UE devraient s’accompagner de gestes concrets. Elle devrait intervenir davantage mais également faire usage de son influence politique et utiliser ses instruments financiers pour assurer la transition des financements vers les gouvernements nationaux » (un expert indépendant)
Au niveau de la gouvernance, l’adoption d’une approche multidisciplinaire et l’implication des communautés touchées par la maladie dans le processus décisionnel devraient demeurer une priorité pour poser les bases d’un soutien à la fois national et international en faveur de la lutte contre la tuberculose. Un financement doit être fourni pour le soutien institutionnel des réseaux de plaidoyer sur la tuberculose et d’autres coalitions régionales qui représenteraient les intérêts des patients et des communautés affectés par l’épidémie de tuberculose.
Il est intéressant de constater que les résultats de l’étude menée par RESULTS, GHA et TBEC concordent avec les points de vue exprimés par Michel D. Kazatchkine, ancien directeur exécutif du Fonds mondial aujourd’hui Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour le VIH/sida en Europe orientale et Asie centrale, dans son récent blog sur le site Huffington Post :
« Bien que les nouvelles technologies soient aujourd’hui utilisées pour établir des diagnostics et tester la sensibilité / résistance aux médicaments antituberculeux, le fait est que moins de 50 pour cent des nouveaux cas estimés de tuberculose multirésistante sont diagnostiqués dans la région. Et seulement la moitié (ou moins) des patients nécessitant un traitement sont effectivement traités et guéris. Ceux qui ne reçoivent aucun traitement restent contagieux et meurent. Nous sommes face à une véritable crise que nous ne devons plus négliger ».
La tuberculose a atteint un stade critique dans la région EOAC. Il s’agit d’une crise sanitaire que l’on ne peut plus feindre d’ignorer. Le billet de Kazatchkine se termine par l’espoir que ce problème suscite un jour toute l’attention qu’il mérite dans les forums internationaux, comme à l’occasion de la 45ème Conférence mondiale de l’Union sur la santé respiratoire qui s’est tenue à Barcelone.
Sveta McGill est chargée de la promotion de la santé à Results UK. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l’auteur.