FEMMES ET VIH EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Author:
Christian Djoko
Article Type:Article Number: 3
RĆSUMĆ Le prĆ©sent article met en lumiĆØre les facteurs socio-politiques qui exposent de faƧon disproportionnĆ©e les femmes et les jeunes filles au VIH en Afrique (centrale et de lāOuest) et rappelle quelques solutions existantes pour sortir de cette pandĆ©mie particuliĆØrement fĆ©minicide.
Issue dāun milieu social dĆ©favorisĆ©, ChaĆÆdana est une jeune katamalanasienne sĆ©ropositive dĆ©cĆ©dĆ©e en 2015 Ć lāĆ¢ge de 19 ans. En dĆ©pit de ses brillants rĆ©sultats scolaires, elle a Ć©tĆ© contrainte trois ans avant son dĆ©cĆØs dāabandonner ses Ć©tudes, de renoncer Ć sa relation amoureuse pour Ć©pouser un homme – de 20 ans son ainĆ©- quāelle connaissait Ć peine. Ce mariage forcĆ© fĆ»t un moment extrĆŖmement douloureux pour ChaĆÆdama. Ce dāautant plus que quelques mois aprĆØs la cĆ©lĆ©bration du mariage, ChaĆÆdana constata les infidĆ©litĆ©s rĆ©pĆ©tĆ©es de son conjoint. Pire encore, elle faisait face Ć la violence conjugale. Kamga, son conjoint, nāhĆ©sitait pas Ć la frapper pour un oui ou pour un non. Cette atmosphĆØre de violence empĆŖchait ChaĆÆdana dāexiger de lui des rapports sexuels protĆ©gĆ©s. Cāest ainsi quāĆ lāĆ¢ge de 18 ans, lors des premiers examens relatifs Ć sa grossesse, elle dĆ©couvrit quāelle Ć©tait sĆ©ropositive. InquiĆØte et apeurĆ©e par les prĆ©jugĆ©s, la discrimination et la stigmatisation qui pesaient sur les femmes sĆ©ropositives dans sa communautĆ©, ChaĆÆdana dĆ©cida de ne rĆ©vĆ©ler son statut sĆ©rologique Ć personne. La mĆ©connaissance de ses droits et lāabsence des services juridiques et para juridiques communautaires achevaient de la dĆ©semparer. Elle fit Ć©galement lāimpasse sur le traitement antirĆ©troviral de peur dāattirer les soupƧons de son conjoint. Mais un mois avant la date prĆ©vue pour son accouchement, une agente de santĆ© de lāhĆ“pital dans lequel ChaĆÆdana se rendait rĆ©guliĆØrement pour le suivi de sa grossesse rĆ©vĆ©la son statut sĆ©rologique Ć quelques rĆ©sidents du quartier. En lāespace de quelques jours, la nouvelle se rependit comme une trainĆ©e de poudre. Et lorsque Kamga apprit la nouvelle, il accusa ChaĆÆdana de lāavoir infectĆ©. TerrorisĆ©e par les mots et les coups de son conjoint, elle se sauva un matin pour aller rejoindre ses parents au village. Mais lāoasis dāespĆ©rance qui lāhabitait au moment de franchir le seuil de la maison parentale fĆ»t immĆ©diatement assĆ©chĆ©. Sans jamais manquer de lui rappeler quāaucun mariage nāĆ©tait exempte de problĆØmes, ses parents lui ordonnĆØrent de retourner chez son mari. Quelques jours aprĆØs son retour, ChaĆÆdana (et le fÅtus) trouva la mort aprĆØs avoir Ć©tĆ© battue une Ć©niĆØme fois.
Lāhistoire de ChaĆÆdana est une fiction mĆ©thodologique qui rend cependant compte de la fin tragique Ć laquelle est exposĆ©e quotidiennementĀ une part importante de femmes et jeunes filles africaines.
Alors qu’elles ne reprĆ©sentent que 10Ā % de la population subsaharienne, les adolescentes et les jeunes femmes (Ć¢gĆ©es de 15 Ć 24 ans) constituaient 25Ā % des infections par le VIH en 2020 selon ONUSIDA.
SourceĀ :Ā https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/2021-global-aids-update_fr.pdfĀ (p. 26).
La situation est encore plus alarmante en Afrique centrale et de lāOuest. Toujours en 2020, les femmes et les jeunes filles (Ć¢gĆ©es de 15 Ć 49 ans) de ces deux rĆ©gions reprĆ©sentaient 65% des nouvelles infections au VIH. Fait majeurĀ : la frĆ©quence des infections au VIH chez les jeunes femmes de 15 Ć 24 ans est supĆ©rieure de 60% Ć celle observĆ©e chez les jeunes hommes du mĆŖme Ć¢ge.
SourceĀ :Ā https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/2021-response-to-hiv-in-western-central-africa_fr.pdfĀ (p. 3 et p. 6)
Le VIH sāĆ©panouie Ć lāombre des inĆ©galitĆ©s et de la violence basĆ©e sur le genre.
La collecte continue et sans cesse affinĆ©e des donnĆ©es statistiques a permis de constater que lāexposition accrue et disproportionnĆ©e des femmes au VIH est due Ć une convergence de plusieurs facteursĀ : lāinĆ©galitĆ© des genres, la subordination Ć©conomique et politique des femmes, la violence basĆ©e sur le genre (VBG), les lois et politiques punitives, les pratiques abusives des forces de lāordre, la persistance de certaines normes sexospĆ©cifiques (croyances religieuses, pratiques culturelles, etc.) discriminatoires et stigmatisantes. Les Ć©carts dans la riposte au VIH, les infections qui en rĆ©sultent et le taux de mortalitĆ© par les maladies opportunistes suivent trĆØs souvent la ligne de faille des VBG et des inĆ©galitĆ©s hommes-femmes.
Dans certains pays africains, jusquāĆ 45 % des adolescentes dĆ©clarent que leur premiĆØre expĆ©rience sexuelle a Ć©tĆ© forcĆ©e (https://www.unwomen.org/fr/what-we-do/hiv-and-aids/facts-and-figures). Ć lāinstar de ChaĆÆdana, nombreuses sont ces femmes et jeunes filles qui ne peuvent nĆ©gocier des relations sexuelles sans risque avec leurs partenaires, ni dĆ©cider de faƧon libre et autonome de lāusage dāun contraceptif. MariĆ©es pour la plupart avant leur dix-huitiĆØme anniversaire (https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/global-partnership-hiv-stigma-discrimination_fr.pdfĀ , p. 9), celles-ci ne disposent que dāun accĆØs trĆØs restreint aux informations de prĆ©vention du VIH. Ć lāĆ©chelle continentale, sur 10 adolescentes et jeunes femmes de 15 Ć 24 ans, seulement 3 dāentre elles ont des connaissances complĆØtes et exactes sur le VIH. Or, Ć en croire ONU-FEMMESĀ :
Ā« Le manque dāinformations sur la prĆ©vention du VIH et lāimpossibilitĆ© dāutiliser de telles informations dans le cadre de relations sexuelles, y compris dans le contexte du mariage, compromettent la capacitĆ© des femmes Ć nĆ©gocier le port dāun prĆ©servatif et Ć sāengager dans des pratiques sexuelles plus sĆ»res Ā». |
Cāest dans lāoptique de lutter contre de telles injustices systĆ©miques que le Fonds mondial Ć lancer lāinitiativeĀ : Ā«Ā Lever les obstaclesĀ Ā». Il sāagit de verser Ā«Ā des fonds de contrepartie Ć effet catalyseur et [de fournir] un soutien technique pour stimuler le dĆ©veloppement et la mise en Åuvre de programmes nationaux de lutte contre les injustices qui continuent de nuire aux avancĆ©es dans lāĆ©radication du VIH, de la tuberculose et du paludisme Ā» (p. 2). En dĆ©pit de nombreux obstacles liĆ©s notamment Ć la Covid-19, lāinitiative semble tenir la promesse de fleurs. Le Rapport dāĆ©valuation Ć mi-parcours de lāinitiative constitue dĆ©jĆ une puissante boussole et un prĆ©cieux rĆ©pertoire de pratiques inspirantes.
Les vies des femmes comptent
Puisant dans les donnĆ©es recueillies dans les 20 pays dans lesquels lāinitiative est menĆ©e, le Rapport montre que le succĆØs de la lutte contre le VIH passe nĆ©cessairement par une dĆ©fense plus importante des droits humains. Il sāagit trĆØs concrĆØtement de lutter contre la stigmatisation et la discrimination, ainsi que contre les autres obstacles juridiques et sociaux et barriĆØres liĆ©es aux droits et au genre, qui rendent les populations clĆ©s et les empĆŖchent dāaccĆ©der aux services de prĆ©vention, de traitement, de soins contre le VIH (p. 6.).
Le Rapport prĆ©sente Ć©galement dāautres mesures intĆ©ressantes pour sortir de cette spirale particuliĆØrement meurtriĆØre pour les femmes et les jeunes filles.
Associer les concernƩes.
Lāinitiative Ā«Ā Lever les obstacleĀ Ā» montre quāil y a un gain dāefficacitĆ© chaque fois que lāon Ā«Ā autonomise les personnes vivant avec le VIH et la tuberculose, les survivants de la tuberculose et dāautres populations clĆ©s, en les mobilisant Ć titre dāassistants juridiques pairs et pour assurer la surveillance des atteintes aux droits humainsĀ Ā» (p. 7). En fait, lāinitiative postule implicitement que les dĆ©cisions prises suivant cette approche participative seront dāautant meilleures quāelles auront Ć©tĆ© soumises Ć lāapprĆ©ciation des premiĆØres concernĆ©es, en lāoccurrence ici les femmes et les jeunes filles. Plus largement, lāĆ©pithĆØte Ā« participative Ā» ramĆØne lāenjeu de la lutte contre le VIH Ć une Ć©chelle de proximitĆ© beaucoup plus prĆ©cise, inclusive et engageante. Il permet de dāaccroitre la motivation et de mettre en selle lāempowermentĀ des femmes dans une perspective de lutte durable contre la pandĆ©mie.
Accroitre les investissements
Le Rapport nous apprend aussi, ce qui est en rĆ©alitĆ© connu de tous, que lāargent demeure lāĆ©lĆ©ment clĆ© de la lutte contre les maladies. Si on veut vaincre le VIH, il faut accroitre le financement destinĆ© Ć la prĆ©vention, au dĆ©pistage et au traitement. Ć lāĆ©chelle mondiale, la collecte dāau moins 18 milliards de dollars US au terme de la septiĆØme Reconstitution des ressources du Fonds mondial permettrait Ć cet Ć©gard de sāattaquer aux dĆ©terminants structurels qui rendent certaines personnes particuliĆØrement vulnĆ©rables Ć la maladie et les empĆŖchent dāaccĆ©der aux services de santĆ© dont elles ont besoin.
Pour terminer, il nāest peut-ĆŖtre pas inutile de rappeler que la mobilisation des fonds pour la lutte contre le VIH, tuberculose et paludisme nāest pas une dĆ©pense, mais un investissement nĆ©cessaire et crucial dans la mesure oĆ¹ elle permettrait, si lāon en croit laĀ StratĆ©gie du Fonds mondial (2023-2028)(Ā https://www.theglobalfund.org/media/11786/publication_seventh-replenishment-investment-case_summary_fr.pdf),Ā de rĆ©duire les inĆ©galitĆ©s en matiĆØre de santĆ©, notamment les obstacles liĆ©s aux droits humains et au genre qui entravent lāaccĆØs aux services (p. 79). La vie de millions de jeunes filles et femmes africaines en dĆ©pend.