FAIRE PLUS AVEC MOINS : QUELLES SONT LES IMPLICATIONS POUR L’ATTEINTE DES OBJECTIFS MONDIAUX DE LUTTE CONTRE LES MALADIES ?
Author:
Maryline Mireku et George Njenga
Article Type:Article Number: 2
Le Fonds mondial n'a pas atteint l'objectif de la septième reconstitution des ressources, à savoir au moins 18 milliards de dollars de promesses de dons.
ÉSUMÉ Bien qu'elle ait collecté plus que jamais auparavant, à savoir 14,25 milliards de dollars, la septième reconstitution des ressources du Fonds mondial n'a pas atteint son objectif. Cette situation suscite de nombreuses inquiétudes quant aux ressources qui seront disponibles pour les différentes réponses nationales aux trois maladies. Mais au-delà du cas particulier de la septième reconstitution, cet article analyse la tendance à la baisse des objectifs de reconstitution au fil des ans et les implications de cette situation pour les trois maladies.
La septième conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial, qui s’est tenue en septembre, visait à réunir au moins 18 milliards de dollars pour la prochaine période de trois ans afin de financer ses programmes essentiels sur le VIH, la tuberculose, le paludisme et le renforcement des systèmes de santé. Malheureusement, elle n’y est pas parvenue, ne recueillant que 14,25 milliards de dollars. Bien que ce montant doive être applaudi, étant le plus important collecté à ce jour pour une reconstitution, il reste insuffisant pour atteindre les objectifs du dossier d’investissement. Au moment de la rédaction de cet article, le troisième plus grand donateur du Fonds qu’est le Royaume-Uni, et l’Italie, n’avaient toujours pas pris d’engagement. Cet article examine ce que l’échec de la reconstitution des ressources signifie pour l’avenir des programmes du Fonds mondial.
Introduction
Les investissements du Fonds mondial sont basés sur les priorités de la stratégie du Fonds mondial, elle-même guidée par des orientations normatives mondiales sur le VIH, la tuberculose, le paludisme et le renforcement des systèmes de santé. La performance du portefeuille du Fonds est due aux efforts de collaboration d’un large éventail de parties prenantes, notamment les gouvernements, les bailleurs de fonds, les organisations de la société civile et les populations affectées. Le Fonds mondial a investi plus de 55 milliards de dollars dans les pays en développement au cours des 20 dernières années et a sauvé plus de 50 millions de vies.
Toutefois, si des progrès ont été réalisés, des lacunes persistent.
Dans son rapport 2022, le Fonds a accordé plus de 4,4 milliards de dollars aux pays pour atténuer son impact sur le VIH, la tuberculose et le paludisme. Les interventions rendues possibles grâce à son financement avaient sauvé 50 millions de vies à la fin de 2021. Cependant, si le Fonds a fait état d’un succès général dans l’amélioration de l’accès à la thérapie antirétrovirale (TAR), au traitement de la tuberculose et à la distribution de moustiquaires, il ne fait aucun doute que la pandémie de COVID-19 a annulé les succès précédents dans ces trois maladies, et a eu un impact négatif sur des programmes connexes tels que la santé maternelle.
Situation du VIH, de la tuberculose et du paludisme
Avant COVID-19, le monde n’était déjà pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs en matière de VIH, de tuberculose et de paludisme. En 2020, pour la première fois en dix ans, les progrès réalisés dans ces trois maladies ont diminué, et les cibles manquées pour que le monde puisse atteindre les objectifs mondiaux de 2030.
Selon le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), l’incidence du VIH a diminué de 32 % entre 2010 et 2021. Toutefois, à l’échelle mondiale, 15 % (environ 5,9 millions de personnes) n’avaient pas accès aux services de dépistage du VIH et 25 % (9,7 millions de personnes) ne pouvaient pas accéder au traitement antirétroviral. La plupart des personnes vivant avec le VIH se trouvaient dans des pays en développement (20,6 millions), dont 53 % en Afrique orientale et australe.
La tuberculose est à la fois évitable et curable mais continue d’avoir un impact mondial. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la tuberculose a tué 1,5 million de personnes en 2020, et la tuberculose était la deuxième maladie infectieuse après le COVID-19. Les pays à revenu faible et revenu intermédiaire (PRFI) représentent 98 % des cas de tuberculose déclarés. En revanche, 86 % des nouvelles infections tuberculeuses ont été signalées dans des pays à forte charge de tuberculose, notamment au Bangladesh, en Chine, en Inde, en Indonésie, au Nigeria, au Pakistan, aux Philippines et en Afrique du Sud. En outre, seul un tiers environ des personnes atteintes de tuberculose multirésistante (TB-MR) ont eu accès à un traitement en 2020.
Le paludisme est également évitable et curable. Il est endémique en Afrique et, selon l’OMS, en 2020, la région a déclaré 95 % des cas de paludisme dans le monde et 96 % des décès dus au paludisme dans le monde. Les enfants de moins de cinq ans représentaient environ 80 % des décès dus au paludisme. Quatre pays africains sont responsables de plus de la moitié des décès dus au paludisme dans le monde : le Nigeria (31,9 %), la République démocratique du Congo (13,2 %), la Tanzanie (4,1 %) et le Mozambique (3,8 %).
COVID-19 a exacerbé la gravité de la situation. La pandémie et les difficultés économiques et sociales qui y sont liées ont aggravé les problèmes préexistants pour les trois maladies, selon une nouvelle évaluation de Médecins Sans Frontières en 2022.
Les progrès réalisés ces dernières années ont été inversés. Les personnes atteintes de tuberculose ont été particulièrement touchées, avec une morbidité et une mortalité accrues et un net recul des taux d’amélioration antérieurs. Les décès dus à la tuberculose sont passés de 1,2 million en 2019 à 1,3 million en 2020, soit un retour aux niveaux de 2017. On estime que 10 millions de personnes contractent la maladie chaque année, mais le nombre total de personnes traitées pour la tuberculose a diminué de plus d’un million. La tuberculose multirésistante reste une crise de santé publique. Seule une personne sur trois atteinte de tuberculose résistante aux médicaments a accédé à un traitement en 2020. Dans les pays couverts par le Fonds mondial, le nombre de personnes traitées pour la tuberculose multirésistante a diminué de 19 %, tandis que le traitement des personnes atteintes de tuberculose ultrarésistante a baissé de 37 % et que, pour les personnes séropositives sous traitement antirétroviral et antituberculeux, la baisse a été de 16 %. Les personnes atteintes de formes de la maladie résistantes aux médicaments sont moins nombreuses à recevoir un traitement aujourd’hui qu’en 2019-2020.
Des tendances similaires ont été observées dans le dépistage du VIH, qui a diminué de 22 %, tandis que les services préventifs ont diminué de 11 % entre 2019 et 2020. Sur environ 9,7 millions de personnes vivant avec le VIH (PVVIH) qui ne reçoivent toujours pas de traitement, près d’un tiers de celles qui souhaitent commencer un traitement présentent déjà une séropositivité avancée, ce qui leur fait courir un risque important de mort imminente. De nombreuses PVVIH ont cessé de prendre leurs médicaments pendant la pandémie de COVID-19, ce qui a contribué à l’augmentation de ce chiffre.
Par ailleurs, le nombre de personnes décédées du paludisme est en hausse de 12% par rapport à 2019, avec 627 000 décès.
Ces faits déprimants ont rendu encore plus importante la réussite de la reconstitution des ressources du Fonds mondial afin de pouvoir mettre en place les ressources minimales pour soutenir les réponses nationales aux trois maladies.
Financement insuffisant pour le VIH, la tuberculose et le paludisme
La campagne de la septième reconstitution des ressources du Fonds mondial a souligné la nécessité d’améliorer l’équité en matière de santé en créant des systèmes de santé résilients et durables et en renforçant la préparation aux pandémies. Une approche intégrée a été identifiée comme essentielle pour mettre fin aux épidémies des trois maladies d’ici 2030, conformément aux objectifs mondiaux, et pour renforcer les capacités de prévention et de préparation aux futures pandémies.
Lors de la septième conférence de reconstitution des ressources, le Fonds mondial a demandé aux pays et aux donateurs de s’engager à verser au moins 18 milliards de dollars, ce qui constitue un minimum absolu pour « sauver 20 millions de vies, réduire de 64 % le taux de mortalité lié au VIH, à la tuberculose et au paludisme et construire un monde plus sain et plus équitable ».
Toutefois, comme l’a montré le dossier d’investissement, si ce montant permet de remettre la lutte sur les rails, le déficit financier non financé reste plus important qu’auparavant. La Conférence a réussi à obtenir des promesses de dons d’une valeur de 14,25 milliards de dollars. Toutefois, bien que des engagements supplémentaires soient attendues de la part de ceux qui n’ont pas fait de promesses, comme le Royaume-Uni ou l’Italie, il n’est pas du tout certain que Le Fonds Mondial parvienne à obtenir le montant de 18 milliards sollicité. L’instabilité politique dans ces pays et la détérioration du climat économique mondial n’autorisent guère à l’optimisme.
Il existe de réelles inquiétudes quant au fait que le déficit pourrait ne pas être comblé.
Problèmes de conversion des promesses de dons en fonds réels
Un suivi des tendances de mobilisation des ressources du Fonds mondial montre que, par le passé, il a été difficile d’atteindre les objectifs de reconstitution du Fonds. La figure ci-dessous montre les écarts entre les montants annoncés et les contributions effectivement reçues. Malgré l’augmentation des promesses de dons depuis 2001, on constate une diminution générale continue des contributions correspondantes. L’écart le plus important a été enregistré en 2020-2022, avec près de 40 %, probablement en raison des ramifications de COVID-19.
Figure 1 : Tendances des promesses de dons du Fonds mondial par rapport aux contributions : 2001 – 2022
Source : Adapté du rapport sur les promesses et les contributions du Fonds mondial.
Même si les promesses de dons ont augmenté au fil du temps, les donateurs n’ont pas toujours honoré leurs engagements. On peut se demander si la septième reconstitution des ressources atteindra l’objectif fixé en matière de promesses de dons, malgré l’espoir que de nouvelles promesses seront reçues avant la fin de l’année. Même si elle y parvient, rien ne garantit que les promesses seront converties en fonds reçus, d’autant plus que personne ne sait comment la récession économique mondiale va se poursuivre. Plus son impact sera important, moins les pays seront enclins à convertir leurs promesses en contributions concrètes.
Un financement futur suffisant semble incertain
Certains éléments indiquent que le financement est insuffisant et pourrait ne jamais l’être. Comme le montre le diagramme ci-dessous, le Fonds mondial prévoit un avenir sombre en matière de financement pour les trois maladies. Les projections suggèrent qu’il y aura un écart de 22% entre 2024 et 2026 dans les ressources anticipées nécessaires pour les réponses au VIH, à la tuberculose et au paludisme dans les pays où le Fonds mondial investit.
Figure 2 : Besoins en ressources par rapport aux ressources disponibles pour le VIH, la tuberculose et le paludisme dans les pays soutenus par le Fonds mondial.
Source : Dossier d’investissement du Fonds mondial
La lutte mondiale pour atteindre des objectifs financiers adéquats pour lutter contre ces trois maladies a également été signalée par l’OMS pour la tuberculose et la Fondation Kaiser Family pour le VIH. Selon l’OMS, le diagnostic et le traitement de la tuberculose entre 2000 et 2020 ont permis de sauver la vie d’environ 66 millions de personnes. Toutefois, en 2020, l’OMS a indiqué que moins de la moitié de l’objectif mondial de financement de la tuberculose était disponible pour les pays à faible revenu et revenu intermédiaire afin qu’ils atteignent les objectifs mondiaux. Un rapport de la Fondation Kaiser Family a indiqué une diminution de 200 millions de dollars du financement des bailleurs de fonds pour le VIH entre 2018 et 2019.
Que faire de la diminution des fonds des donateurs dans un contexte de recrudescence apparente du VIH, de la tuberculose et du paludisme ?
Dans un contexte de raréfaction des financements, l’impact du COVID-19 sur les ressources sanitaires et ses effets néfastes sur l’économie mondiale ont été aggravés par la superposition et l’intersection actuelles des crises, notamment la guerre en Ukraine. Parmi les autres préoccupations figurent la montée en flèche des prix des denrées alimentaires et de l’énergie dans le monde entier et la menace existentielle que représente le changement climatique, comme en témoignent la double catastrophe de la sécheresse et de la famine en Afrique et les inondations record au Pakistan.
Il existe une concurrence pour les fonds des financeurs entre les programmes, comme le Fonds mondial par rapport au Fonds d’intermédiation financière (FIF) de la Banque mondiale pour la prévention, la préparation et la réponse à la pandémie (PPRP). Il y a plus de deux ans, le Fonds mondial a créé son fonds COVID-19 Response Mechanism (C19RM) pour atténuer les effets de la pandémie et soutenir les systèmes des pays qui y répondent. En revanche, en 2022, le FIF PPR de la Banque mondiale a été mis en place pour renforcer la réponse au COVID-19 selon les mêmes principes, mais par le biais d’une liste d’agences internationales non gouvernementales et onusiennes pré-approuvées. La plupart des donateurs du Fonds mondial, comme les États-Unis, apportent également un soutien financier à d’autres agences. La concurrence pour des ressources de plus en plus rares s’intensifie.
Trop d’importance accordée au financement externe
Les systèmes de santé des pays en développement dépendent généralement de manière excessive du soutien des financeurs externes, mais cette situation n’est pas viable compte tenue de l’évolution constante du paysage du financement des bailleurs de fonds. Pour des raisons de pérennité, les fonds nationaux devraient être le principal mécanisme de financement de la santé. Cependant, la réalité est que les gouvernements nationaux des pays en développement sont confrontés à de sévères limitations avec des priorités concurrentes et des ressources très limitées. Il suffit d’examiner les données relatives au financement national de la santé pour constater que la plupart des pays sont loin d’atteindre les objectifs régionaux de financement de la santé.
Et, rappelons-le, le Fonds mondial ne permet pas à lui seul d’investir dans la réponse nationale au VIH, à la tuberculose et au paludisme. Le dossier d’investissement est fortement tributaire du fait que la majeure partie du déficit financier, soit plus de 56 milliards de dollars, soit fournie par les pays en développement eux-mêmes. Il est encore moins probable que cela se produise pour les raisons évoquées ci-dessus.
Combien de temps encore les pays du Sud pourront-ils continuer à compter sur l’aide extérieure pour soutenir les systèmes de santé nationaux ? Les pays devront certainement faire plus avec moins. Mais il reste impératif pour les pays d’explorer des modes de financement innovants pour les systèmes de santé, tels que les investissements du secteur privé dans les soins de santé primaires. Le Fonds mondial et d’autres organismes fournissent depuis longtemps aux gouvernements nationaux des conseils sur le financement des systèmes de santé. S’il est nécessaire de plaider en faveur de réformes visant à rendre les dirigeants nationaux plus responsables du financement de leurs propres systèmes de santé, la mise en œuvre réussie des réformes nécessitera la clarté des critères de transition du financement, la coordination entre les donateurs et les gouvernements nationaux et, surtout, l’engagement politique et l’appropriation par les pays.
La maladie ne respecte aucune frontière
La pandémie de COVID-19 nous a montré que la maladie peut toucher aussi bien le sud que le nord, mais que les inégalités dans les systèmes de santé nationaux deviennent encore plus évidentes lorsqu’il s’agit de faire face à une pandémie à évolution rapide de ce type.
Dans un monde de plus en plus interconnecté, les infections risquent de se propager rapidement. Une collaboration internationale est nécessaire pour créer des systèmes d’alerte précoce en cas d’épidémie, mener des recherches sur la prévention et la gestion des maladies, et garantir un accès équitable aux ressources de santé au niveau mondial. En outre, une coordination est nécessaire pour compléter les efforts visant à lutter contre les effets du VIH, de la tuberculose et du paludisme afin d’éviter le cloisonnement des réponses sanitaires spécifiques à chaque maladie au niveau national. Rien de tout cela n’est nouveau. Mais il s’agit de considérations importantes lorsqu’on réfléchit à la manière d’optimiser les rares fonds des financeurs.
Nous reconnaissons l’importance du financement national du VIH, de la tuberculose et du paludisme pour la pérennité, la responsabilité et l’appropriation des réponses au niveau national. Toutefois, le financement des pays en développement par les bailleurs de fonds est plus susceptible d’assurer une coordination et des réponses mondiales à l’égard de ces trois maladies et la fourniture équitable de services de santé aux populations vulnérables et clés dont l’accès aux services n’est en grande partie garanti que par les investissements des donateurs.
En fin de compte, la véritable question, telle que posée par Peter Sands, directeur exécutif du Fonds mondial, et Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, n’est pas de savoir si le monde peut se permettre de contribuer davantage au Fonds mondial, mais plutôt de savoir s’il peut se permettre de ne pas le faire.