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Enfin un roman qui parle du Fonds mondial !
OFM Edition 119

Enfin un roman qui parle du Fonds mondial !

Author:

Aidspan

Article Type:
Entretien

Article Number: 5

RƉSUMƉ Roberto Garcia Saez a exercĆ© toute sa carriĆØre dans le domaine de la coopĆ©ration au dĆ©veloppement. Il publie en cet automne 2021 le deuxiĆØme tome dā€™une fiction qui prend naissance en RDC, et met en scĆØne des personnes attachantes qui voyagent entre les Phnongs du Mondolkiri et les bureaux climatisĆ©s de lā€™ONU. On y dĆ©couvre Dee Dee un personnage transgenre congolais haut en couleur rĆŖvant dā€™une vie meilleure en ThaĆÆlande, des acteurs de lā€™humanitaire aux visions pour le moins variĆ©es, du personnel du Fonds mondial et diplomates de la santĆ© publique. https://www.robertogarciasaez.com/boutique/

AprĆØs, ONU SOIT QUI MAL Y PENSE, premier roman de Roberto Garcia Saez sur le Fonds mondial, nous avons dĆ©couvert la suite des aventures de Harrisson et RomĆ©ro dans DEE DEE PARADIZE.

1.Roberto Garcia Saez, prĆ©sentez-vous Ć  nos lecteurs…

Je mā€™appelle Roberto Garcia Saez, je suis franƧais issu dā€™une famille espagnole qui a fui le franquisme et sā€™est installĆ©e en France Ć  la fin de la deuxiĆØme guerre mondiale. AprĆØs des Ć©tudes en socio-Ć©conomie, jā€™ai rejoint les organisations internationales comme lā€™Union EuropĆ©enne, le Fonds mondial et le PNUD. Je dirige depuis 10 ans un cabinet de consultance, HMST, consacrĆ© aux enjeux de santĆ© mondiale.

Je fais partie de cette gĆ©nĆ©ration qui a rejoint le Fonds mondial Ć  ses premiĆØres heures en 2002, au SecrĆ©tariat dā€™abord, puis comme coordonnateur dā€™un rĆ©cipiendaire principal, puis membre du TRP, et ensuite plus dā€™une cinquantaine de missions liĆ©es au Fonds mondial. Jā€™y suis par consĆ©quent trĆØs attachĆ©, car son concept reprĆ©sentait tout ce que nous appelions de nos vœux face Ć  une coopĆ©ration descendante, dictĆ©e par les capitales europĆ©ennes, et nĆ©ocolonialiste. Le Fonds mondial prĆ©conisait une approche ascendante, avec la crĆ©ation des CCM qui devaient ĆŖtre le reflet de la gouvernance multisectorielle, le financement des stratĆ©gies Ć©laborĆ©es dans et par les pays, et lā€™implication et la promotion dā€™acteurs qui nā€™avaient jusque-lĆ  pas ou peu voix au chapitre, Ć  savoir les reprĆ©sentants de la sociĆ©tĆ© civile. Et puis le Fonds mondial sā€™est donnĆ© les moyens de ses ambitions grĆ¢ce Ć  des ressources importantes.

2. Comment est venue cette aventure de lā€™Ć©critureĀ ?

Je nā€™y Ć©tais pas du tout destinĆ©. Jā€™Ć©tais un acteur de lā€™aide au dĆ©veloppement, chanceux dā€™avoir trĆØs jeune Ć©tĆ© mis en position de responsabilitĆ©. Puis, ma carriĆØre et ma vie, qui semblaient Ć  priori tracĆ©es, ont trĆ©buchĆ© et un Ć©vĆØnement a remis en question son dĆ©roulement. En RĆ©publique DĆ©mocratique du Congo, je dirigeais lā€™Ć©quipe du PNUD chargĆ©e de gĆ©rer les subventions Fonds Mondial, soit plus de 250 millions de dollars pour lutter contre les trois maladies. Suite Ć  une malversation commise par des consultants que nous avions recrutĆ©s, jā€™ai Ć©tĆ© accusĆ© Ć  tort de collusion. Sā€™en sont suivies plusieurs enquĆŖtes et investigations criminelles, et jā€™ai Ć©tĆ© aspirĆ© dans une spirale infernale et exposĆ© Ć  une vindicte populaire Ć  laquelle je nā€™Ć©tais pas prĆ©parĆ©. Brusquement, une partie de mon entourage a doutĆ© de moi, Ć  tel point que je nā€™ai eu dā€™autre choix que dā€™attaquer le PNUD en justice afin de prouver mon innocence, car lā€™agence onusienne mā€™avait lĆ¢chĆ© en rase campagne. Heureusement, Ć  lā€™Ć©poque, le tribunal des Nations Unies venait dā€™ĆŖtre crĆ©Ć© et jā€™ai pu bĆ©nĆ©ficier dā€™un traitement impartial. Non seulement, jā€™ai Ć©tĆ© blanchi mais Ć©galement indemnisĆ©. Cette aventure douloureuse a durĆ© 4 ans.

Cā€™est cette aventure inattendue qui a donnĆ© naissance Ć  mon premier roman ONU soit qui mal y pense, paru en 2011, qui raconte cette histoire sous forme fiction et fut mon plaidoyer, une forme dā€™exutoire. Le livre sā€™est Ć©coulĆ© Ć  3500 exemplaires. Et comme quoi, il ne faut jamais dĆ©sespĆ©rer et rester combatif, une comĆ©die musicale adaptĆ©e de ce roman a vu le jour, jouĆ©e durant 45 dates dans un thĆ©Ć¢tre parisien de 300 places en 2012. Je me suis alors dĆ©couvert un goĆ»t pour lā€™Ć©criture, jā€™ai pris des cours et jā€™ai Ć©tĆ© guidĆ© par un ami journaliste. Cette envie de raconter des histoires par lā€™Ć©criture ne mā€™a plus quittĆ© depuis.

Cette histoire aura paradoxalement Ć©tĆ© une des grandes chances de ma vie puisquā€™elle mā€™a poussĆ© dans mes retranchements. Jā€™ai notamment dĆ» faire face au regard inĆ©dit de ceux qui mā€™entouraient et Ć  leurs doutes sur ma probitĆ©, Ć  la rumeur persistante. Jā€™ai appris Ć  mieux me comprendre et reconnaitre mes peurs, limites et dā€™une certaine faƧon lā€™arrogance qui accompagnait mes succĆØs. Et grĆ¢ce Ć  tout cela, jā€™ai pu explorer dā€™autres horizons.

3. Que racontent vos deux romansĀ ?

Avec la rĆ©Ć©dition du premier roman, nous avons changĆ© le titre, et ce dernier sā€™appelle dĆ©sormais Un Ć©lĆ©phant dans une chaussette. Le deuxiĆØme qui est la suite, Dee Dee Paradize, porte le nom de lā€™un des protagonistes principaux.

 

Le premier roman met en scĆØne Patrick RomĆ©ro, un travailleur humanitaire au succĆØs jamais dĆ©menti, dĆ©pĆŖchĆ© en RDC en pleine guerre pour y gĆ©rer un programme dā€™urgence mis en œuvre par les Nations Unies (ce qui est aussi difficile que de faire rentrer un Ć©lĆ©phant dans une chaussette tant la bureaucratie est lourde), qui dĆ©cide de prendre des libertĆ©s avec les procĆ©dures pour accĆ©lĆ©rer le travail. Il sera poursuivi par Paul Harrisson, policier anglais chargĆ© de lutte contre la corruption. Le constat est un peu sombre. On y parle beaucoup dā€™argent et dā€™ambition personnelle, on y croise des fonctionnaires cyniques et ambitieux, des hommes politiques et des diplomates carriĆ©ristes mais aussi des rĆŖveurs humanistes. Cā€™est aussi un livre qui raconte lā€™espoir dā€™une multitude de gens que jā€™ai rencontrĆ©s lors de mes missions entre lā€™Afrique et lā€™Asie, qui veulent absolument faire la diffĆ©rence et aider les populations et qui sont frustrĆ©s face aux absurditĆ©s et aux limites des modĆØles de dĆ©veloppement que lā€™on applique.

Le deuxiĆØme acte, Dee Dee Paradize, est plus libre, il sonde lā€™ĆŖtre humain, dans sa complexitĆ© et ses dilemmes. A travers mes livres je retrace aussi la grande histoire de la lutte contre le VIH, je parle du combat des personnes LGBT Ć  travers Dee Dee qui est une personne transgenre, de la compĆ©tition entre organisations pour obtenir les ressources financiĆØres, des Ć©gos surdimensionnĆ©s et de la lutte collective. Et surtout, mes romans reviennent sur cette formidable avancĆ©e quā€™ont permis les militants VIHĀ : un combat menĆ© par les personnes concernĆ©es, et qui est centrĆ© sur les droits humains. A travers ces ouvrages, je veux cĆ©lĆ©brer la libertĆ© de faire ses propres choix, la crĆ©ativitĆ© pour faire de nouvelles choses, la capacitĆ© Ć  rebondir aprĆØs une Ć©preuves, la confiance en soi, bref les choses de la vie.

4. Est-ce votre regard ne trahit pas une perspective trĆØs spĆ©cifique dā€™un homme blanc cinquantenaireĀ ?

Bien entendu et jā€™en suis conscient. Je suis chanceux et honorĆ© dā€™avoir participĆ© Ć  de grands programmes qui, in fine, ont changĆ© la donne de la lutte contre les grandes pandĆ©mies. Tout cela paraissait inimaginable il y a 20 ans. Mais je reconnais quā€™il y a un privilĆØge de lā€™homme blancĀ : une iniquitĆ© et inĆ©galitĆ© claire entre le rĆ“le et les opportunitĆ©s donnĆ©es aux hommes et celles dĆ©volues aux femmes. Et bien entendu Ć  lā€™homme blanc, qui, malgrĆ© la fin de lā€™Ć©poque coloniale, continue de dicter bien des choix dans les pays qui bĆ©nĆ©ficient des programmes de coopĆ©ration. Cela crĆ©e une relation asymĆ©trique dans le dĆ©veloppement, car mĆŖme les grands fonds multilatĆ©raux sont majoritairement alimentĆ©s par des bailleurs occidentaux que lā€™on connaĆ®t bien, et qui poursuivent dā€™une certaine faƧon leurs objectifs dā€™influence culturelle et financiĆØre. Il y a mĆŖme un certain dĆ©ni des professionnels qui travaillent dans ces organisations Ć  reconnaĆ®tre cette situation. On se berce parfois dā€™illusion sur lā€™initiative des pays rĆ©cipiendaires. Dans les faits, les dĆ©cisions sont encore trop souvent prises dans les capitales des pays donateurs et des organisations. Mais jā€™ai espoirĀ car il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de la jeune gĆ©nĆ©ration, qui a soif dā€™Ć©galitĆ© et vient avec du sang neuf.

Tout cela ne se fera pas sans Ć©cueil car vous savez bien quā€™on ne renonce Ć  ses privilĆØges facilement, jā€™en sais quelque choseĀ ! La structure du Fonds mondial a permis dā€™aller dans la direction dā€™un vrai rĆ©Ć©quilibrage mais elle montre aussi, aprĆØs deux dĆ©cennies, ses limites. On pourrait vraiment renverser la tendance en donnant le pouvoir de dĆ©cision aux pays grĆ¢ce notamment Ć  cet outil crucial que sont les CCM et qui font partie de lā€™ADN du Fonds mondial. Encore faut-il quā€™ils soient ancrĆ©s au plus haut niveau de la pyramide des Ć©tats bĆ©nĆ©ficiaires, Ć  des dialogues entre le plus niveau politique national (au-delĆ  des ministĆØres de la santĆ©) et dirigeants du Fonds mondial, en Ć©troit et rĆ©el partenariat avec Ć  la sociĆ©tĆ© civile qui doit ĆŖtre unifiĆ©e. Cela demande une plus grande unitĆ© de tous les acteurs pays engagĆ©s dans le dialogue avec le Fonds mondial, une vĆ©ritable stratĆ©gie de lobby portĆ©e par les CCM, et du courage pour parfois direĀ Ā«Ā nonĀ Ā» au Fonds mondial et imposer sa vision si nĆ©cessaire.

Peut-ĆŖtre que la COVID va donner cette opportunitĆ©, car les sujets Ć  lā€™ordre du jour sont plus larges que les 3 maladies, et ils impliquent des discussions sur le systĆØme dans son entier et ce jusquā€™au plus haut niveau.

5. Cā€™est cette rĆ©flexion que tu souhaites susciter chez le lecteurĀ ?

Mon premier roman est nĆ© de lā€™exaspĆ©ration face Ć  un systĆØme de plus en plus bureaucratique, qui a Ć©rigĆ© la procĆ©dure en objectif qui se suffit Ć  lui-mĆŖme. Ce qui devait contribuer Ć  assurer lā€™Ć©quitĆ©, la transparence et un Ć©quilibre est devenu une religion utilisĆ©e sans que plus personne nā€™en comprenne le sens, comme si la procĆ©dure se justifiait quel que soit le contexte. Je rĆŖve que le Fonds mondial sorte de cette spirale qui le paralyse et complexifie le travail dans les pays. Combien de fois ai-je entendu Ā«Non mais le Fonds mondial a ditā€¦Ā Ā».

Lā€™autre message que je souhaite transmettre avec ces romans concerne la compassionĀ : nous agissons dans un secteur compĆ©titif oĆ¹ la lutte pour les ressources est forte. Nos choix personnels et notre Ć©thique en sont dā€™autant plus essentiels, et cā€™est Ć©galement lā€™un des sujets clĆ©s de ces deux romans. Comme dit lā€™adage, Ā«Ā si tu ne peux pas changer le monde, change toi-mĆŖmeĀ Ā».

Je voudrais aussi dire que lā€™on apprend quand on tombe. Toute chute est une opportunitĆ©, pour comprendre, grandir et avancer. Il faut quand mĆŖme veiller Ć  ne pas rester au sol trop longtempsĀ ! Et surtout, il faut savoir pardonner, sans oublier. Prenons cette illustre phrase de Nelson Mandela, qui disait “le pardon libĆØre l’Ć¢me, il fait disparaĆ®tre la peur. C’est pourquoi le pardon est une arme si puissante”

6. Y a-t-il un troisiĆØme roman en prĆ©parationĀ ?

Je monte une piĆØce de thĆ©Ć¢tre appelĆ©e Lā€™oasis des doutes (dont lā€™histoire est tirĆ©e de lā€™un des chapitres de mon premier roman), qui met en scĆØne une enquĆŖte policiĆØre au cœur du systĆØme des Nations Unies. Elle sera programmĆ©e 15 jours (fin mars dĆ©but avril) Ć  Amsterdam et sera jouĆ©e en anglais.

Et puis je travaille aussi Ć  un nouveau roman, un sujet bien diffĆ©rent mais qui me touche toujours de prĆØsĀ : cā€™est lā€™histoire de ma famille, qui a Ć©migrĆ© en France pour fuir le rĆ©gime franquiste entre 1939 et 1950. Ce fut une dĆ©chirure pour les 500.000 rĆ©fugiĆ©s politiques qui ont trouvĆ© asile en France, et ces choix ont conditionnĆ© la vie de la gĆ©nĆ©ration suivante, la mienne…

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