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À qui est destinée la stratégie nationale ?
OFM Edition 160

À qui est destinée la stratégie nationale ?

Author:

Cindy Carlson

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 5

Les bailleurs de fonds encouragent l'appropriation par les pays, mais à quoi renvoie-t-elle dans la pratique ?

Dans le premier des deux articles consacrés aux fameux principes d'appropriation par les pays, nous nous concentrons sur les plans stratégiques nationaux de lutte contre les maladies (PSN). À l'origine, ces plans ont été élaborés pour répondre à la nécessité de disposer d'un plan national décrivant la manière dont un pays assurerait la riposte à une maladie sur une période de temps déterminée. Ces plans ont permis de fonder les investissements sur une stratégie de lutte contre la maladie à plus long terme. Mais les règles du jeu ont changé depuis ce premier plan national de lutte contre le VIH en Ouganda, et les processus nationaux semblent de plus en plus dictés par des considérations d'ordre mondial. En observant les pays qui se démènent pour préparer leur PSN afin d'accompagner leurs demandes de financement du cycle 7 du Fonds mondial, nous nous demandons si les pays continueraient de se soumettre à ce processus sans la pression des bailleurs de fonds - et dans quelle mesure les PSN reflètent-ils concrètement les ambitions réalistes et réalisables d'un pays?

Les plans stratégiques nationaux de lutte contre le VIH/sida (PSN VIH/sida) sont des documents clés qui indiquent ce qu’un pays doit faire pour assurer la conjugaison des efforts de la société en vue de mettre fin au sida en tant que menace pour la santé publique. Ils sont censés être élaborés et détenus par une série de parties prenantes du pays à qui il incombe la responsabilité de diriger, de gérer et de mettre en œuvre la riposte au SIDA dudit pays. Je me demande de plus en plus si cette hypothèse se vérifie et quelles en sont les implications sur la mise en œuvre efficace et la réalisation des objectifs du PSN.

 

Quelle est l’origine des stratégies nationales de lutte contre le VIH?

 

Depuis près de trente ans, je participe à l’élaboration, à l’évaluation, à la préparation des directives et j’apprécie la qualité des documents d’orientation et des programmes nationaux en matière de santé et de VIH/sida. Au cours de cette période, j’ai observé plusieurs réorientations politiques concernant les éléments attendus des plans stratégiques nationaux de lutte contre le VIH/sida en particulier, et j’ai travaillé dans le cadre de ces réorientations qui sont presque toutes dictées au niveau mondial. C’est d’autant plus ironique que les premières stratégies nationales de lutte contre le SIDA élaborées dans les pays à faible revenu étaient issues de processus essentiellement nationaux,  l’Ouganda ayant été le pionnier du premier programme national de lutte contre le Sida et du premier plan national de lutte contre le Sida  en Afrique au milieu des années 80, avec l’aide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

 

En l’espace de quinze ans, tandis que la pandémie de sida continuait de se propager, les bailleurs de fonds internationaux ont encouragé un plus grand nombre de pays à suivre le modèle ougandais, ce qui a abouti à la pression mondiale en faveur des ‘Trois principess’ “(un cadre d’action national convenu pour la lutte contre le VIH/sida, une instance de coordination nationale de la lutte contre le sida et un système de S&E au niveau du pays) mis en place par l’ONUSIDA au début et au milieu des années 2000 (l’ONUSIDA n’ayant été lancée elle-même qu’en 1996). Dans l’intervalle, les conseils pour l’élaboration des PSN VIH/sida se sont multipliés, l’ONUSIDA  différents organismes des Nations Unies et de financement répertoriant les éléments qui, à leur avis,  doivent figurer dans les PSN VIH/Sida  (et dans d’autres sous-stratégies sectorielles techniques relatives au VIH, par exemple la santé, l’éducation, les affaires sociales, etc.)

 

Le Fonds mondial et les stratégies nationales de lutte contre les maladies

 

En 2008, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (Fonds mondial) a lancé un processus pilote de “demandes de subventions basée sur la stratégie nationale” (NSA pour National Strategy Application en anglais), en vertu duquel les nouvelles demandes de financement devaient être basées sur les stratégies nationales de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose ou le paludisme, dans un souci de rationalisation et d’allègement du processus de demande de financement. Une ‘première vague’ a été déployée dans trois pays encadrés par le Fonds mondial et soutenus par un certain nombre de consultants nationaux et internationaux. Parallèlement, le Fonds mondial s’est engagé auprès de l’initiative International Health Partnership Plus (IHP+), abritée par l’OMS, en vue de l’élaboration d’un cadre d’évaluation des stratégies ayant des caractéristiques assez génériques pour pouvoir couvrir l’ensemble des stratégies du secteur de la santé et les stratégies sous-sectorielles connexes, telles que celles liées au VIH ( ainsi qu’à la tuberculose et au paludisme). L’intérêt d’unir ses forces à celles de l’initiative IHP+ était de disposer d’un outil d’évaluation convenu et approuvé au niveau international, capable de déterminer la solidité des PSN, qui, appliqué à n’importe lequel des trois PSN de lutte contre les maladies, donnerait l’assurance que les demandes de subvention sont fondées sur des PSN solides. Cet effort déployé par plusieurs bailleurs de fonds et organisations des Nations unies a débouché sur la mise au point de l’outil d’évaluation conjointe des stratégies nationales (Joint Assessment of National Strategies) (JANS) et des processus connexes.

 

Sur la base des leçons tirées de la première vague, le Conseil d’administration du Fonds mondial a approuvé le financement de la Seconde vague des NSA, concernant dix pays en 2011. Au cours de cette deuxième vague, des équipes d’évaluation multisectorielles se sont rendues dans les dix pays et ont organisé des réunions et des ateliers afin de procéder à une évaluation approfondie de la stratégie de lutte contre la maladie, à l’aide de l’outil JANS. Ces équipes ont préparé des rapports signalant les “problèmes majeurs” liés aux stratégies nationales qu’elles avaient évaluées, rapports qui ont été globalement approuvés par les parties prenantes dans les pays. L’utilisation de l’outil JANS, bien que fournissant un cadre et un processus d’évaluation complets, s’est également avérée coûteuse, aussi bien en termes de temps que de financement. En outre, bien que les pays participant à la deuxième vague de NSA se soient portés volontaires en sachant que leurs stratégies feraient l’objet de cette évaluation intensive, le processus était très souvent réalisé en utilisant une approche descendante . Malheureusement, après tous ces efforts, les NSA pilotes de la deuxième vague ont été confrontés à la crise financière du cycle 11 du Fonds mondial et n’ont finalement pas été utilisés.

 

Les PSN dans le cadre du Cycle de subvention 7 du Fonds mondial (CS7)

 

Plus récemment, le Fonds mondial a ressuscité l’idée des NSA et demande désormais à certains pays de soumettre leurs demandes de financement en utilisant l’approche de “demande de financement adaptée au plan stratégique national”. Comme pour les NSA, ce canal a été mis en place dans l’optique de réduire la charge de travail des pays en ce qui concerne les demandes de financement, puisque, en théorie, ils n’auraient qu’à se référer à des parties spécifiques de leur PSN au moment de remplir le formulaire de demande de financement, plutôt que de préparer un ensemble de documents plus lourd. L’expérience de l’actuel cycle (2023) de demandes de financement adaptées au PSN montre que certains pays ont été en mesure de mettre à profit la flexibilité offerte par ce canal, mais ce n’est pas le cas de la majorité.

 

Qui décide réellement des priorités?

 

Les principes à la base de la demande faite aux pays de préparer des stratégies nationales “solides” et de les utiliser ensuite comme base de leurs demandes de financement auprès d’un vaste éventail de bailleurs de fonds, dont leurs propres gouvernements, sont séduisants. Ils partent du principe selon lequel les stratégies nationales reflètent les besoins prioritaires nationaux et les actions visant à répondre à ces besoins. Mais j’éprouve un malaise croissant concernant les processus de priorisation, l’influence sur la périodicité du PSN VIH/SIDA et la question de savoir qui, en fin de compte, “est propriétaire” des stratégies nationales de lutte contre le VIH/SIDA.

 

La priorisation demeure l’un des points les plus importants des PSN et de la mobilisation des ressources. C’est une démarche très recherchée et considérée comme souhaitable par beaucoup, mais il est rare de voir une priorisation réellement efficace et fondée sur des preuves. La priorisation est censée se faire sur la base de solides preuves épidémiologiques et de ripostes programmatiques concernant les réalités de l’épidémie de sida dans un pays donné. Grâce à ces données, les pays peuvent alors concentrer leur attention et leurs ressources sur les aspects qui en ont le plus besoin en vue de réduire le nombre de nouveaux cas de VIH et le nombre de décès dus au VIH. De nombreuses recherches ont été menées et des orientations ont été données sur les principaux domaines nécessitant une action pour remédier aux insuffisances constatées dans la riposte d’un pays au VIH. Il existe des objectifs mondiaux auxquels les pays sont invités à contribuer, tout comme pour le Fonds mondial. En principe, cette démarche n’est pas une mauvaise idée et peut contribuer à vaincre la réticence des pays à aborder des domaines particulièrement sensibles de la lutte contre le VIH, souvent en raison des opinions socioculturelles négatives de ceux qui sont le plus susceptibles d’être affectés par le VIH. Pourtant, ces opinions négatives sont très souvent à l’origine du peu d’actions entreprises dans les pays concernés, même lorsque des programmes destinés à ces groupes clés sont inscrits dans les programmes nationaux de lutte contre le sida et les propositions de subventions. Les domaines d’intervention qui devraient être prioritaires sont traités de manière superficielle parce que les contraintes politiques, sociales, économiques et culturelles sont trop importantes. Inscrire des objectifs et des activités dans un PSN parce qu’on vous dit de le faire, c’est tourner en dérision la notion d’appropriation et d’impulsion des PSN par les pays.

 

Les PSN ne devraient-ils pas s’aligner sur le cycle de planification d’un pays plutôt que sur celui des bailleurs de fonds?

 

Nous constatons par ailleurs que les pays élaborent également des PSN VIH/SIDA en fonction du  cycle de financement du Fonds mondial, en partie à cause de l’obligation pour les PSN de “coïncider” avec la durée de la subvention. Au cours des deux derniers cycles de subvention du Fonds mondial, le groupe avec lequel je travaille a constaté les bouleversements extraordinaires qu’entraîne le début d’un nouveau cycle. Un certain nombre de pays entreprennent un processus de consultation complet pour la revue et la révision d’un PSN en cours, ou pour l’élaboration d’un nouveau PSN, puis organisent (ou mènent simultanément) de multiples consultations pour l’élaboration d’une nouvelle demande de financement. Plus les parties prenantes des pays sont appelées à contribuer à ces consultations, moins elles disposent de temps pour la mise en œuvre. En outre, alors que les PSN sont censés être “à la base” des demandes de financement du Fonds mondial, nombre de ces PSN sont achevés après la soumission de la demande de financement et, pire encore, dans certains cas, les parties prenantes des pays laissent entendre qu’elles finaliseront leur PSN sur la base de leur demande de financement. En outre, le cycle triennal de subvention du Fonds mondial correspond rarement, voire jamais, aux cycles de planification nationaux des pays, qui sont souvent de cinq ans ou plus.

 

Que faut-il donc faire?

 

Il est évident que les nations ne sont pas des entités monolithiques – elles sont très pluralistes, composées de nombreux groupes d’intérêts différents, de sorte que les processus de planification doivent être inclusifs. Les processus de planification doivent donc être inclusifs. De bons PSN tentent de représenter les différents besoins des groupes les plus impliqués dans la mise en œuvre et impactés par les plans nationaux et locaux. Des PSN excellents différencient l’importance de ces besoins et intérêts en termes d’élimination du sida comme menace pour la santé publique dans leur pays et sont dirigés par des responsables qui priorisent ces besoins et intérêts, et rassemblent les ressources combinées du pays et des partenaires extérieurs pour mettre en œuvre leurs plans.

 

Les grands partenaires extérieurs ne devraient peut-être PAS insister pour que les PSN constituent la base de leurs propositions de subventions. Cela permettrait aux acteurs nationaux de conduire leurs propres processus et d’aligner les plans de lutte contre le VIH/SIDA de manière plus directe sur leurs propres cycles de planification et de budgétisation, plutôt que sur ceux des principaux bailleurs de fonds. Les PSN pourraient alors être véritablement la propriété des dirigeants gouvernementaux et communautaires, qui auront exposé ce qu’ils considèrent comme nécessaire, se seront engagés auprès de leurs populations à le réaliser et pourront déterminer où ils obtiendront les fonds nécessaires pour y parvenir.

 

Les bailleurs de fonds externes pourraient toujours demander aux pays de fournir le plan de lutte contre le VIH/sida le plus récent comme documentation de base et insister pour que les demandes de financement répondent également aux exigences du bailleur de fonds, notamment en faisant en sorte qu’une demande de financement soit présentée pour des domaines qui ne sont pas couverts par les plans nationaux, lorsque cela est nécessaire et pertinent. Libérer les plans de lutte contre les maladies ou d’autres plans sectoriels des exigences des bailleurs de fonds pourrait permettre une plus grande appropriation par les pays, réduire les redondances dans la planification que nous connaissons actuellement et dégager du temps pour ce qui est vraiment essentiel: la mise en œuvre des programmes et la fourniture de services de qualité dans le domaine du VIH/sida à ceux qui en ont besoin.

 

*Cindy Carlson est consultante principale en renforcement des systèmes de santé à Oxford Policy Management et ancienne présidente du comité technique de référence en évaluation du Fonds Mondial.

 

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