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Refus de visa : ce frontiérisme qui fait obstacle aux voix africaines dans le domaine de la santé mondiale
OFM Edition 175

Refus de visa : ce frontiérisme qui fait obstacle aux voix africaines dans le domaine de la santé mondiale

Author:

Christian Djoko et Ekelru Jessica

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 5

Le refus récurrent de visas aux délégué.es africain.es lors des conférences sur la santé mondiale, telles que celles de 2022 à Montréal et 2024 à Munich, souligne une inégalité flagrante qui empêche les voix africaines de participer à des discussions cruciales. Ces exclusions compromettent l'efficacité des interventions en santé mondiale, en privant la communauté internationale de l’expertise des pays les plus affectés. Pour résoudre ce déséquilibre, les conférences doivent être organisées dans des pays à accès plus inclusif et les procédures de visa réformées, afin d'assurer une véritable représentation globale et équitable.

Introduction

 

Ces dernières années, le secteur de la santé mondiale a fait l’objet d’un examen minutieux en raison de ses pratiques inéquitables, notamment l’exclusion systémique des professionnel·les africain·es des conférences et forums importants. Alors que ces réunions sont censées favoriser la collaboration transfrontalière pour relever les défis de la santé mondiale, un schéma inquiétant de refus de visas pour les délégué·es africain·es est apparu, rappelant brutalement les déséquilibres de pouvoir qui perdurent dans ce domaine.

 

Ce problème va au-delà des désagréments individuels. Le refus persistant d’autoriser les expert·es africain·es à participer aux conférences internationales sur la santé met en évidence la marginalisation plus large du Sud dans la gouvernance mondiale de la santé, exacerbant ainsi les inégalités mêmes que le domaine prétend aborder.

 

Le privilège du passeport est bien réel

 

Le refus de visa pour les délégué·es africain·es est devenu une caractéristique récurrente des conférences sur la santé mondiale organisées dans les pays occidentaux. La Conférence internationale sur le sida de 2022 à Montréal en est un exemple très médiatisé. Malgré l’importance de l’événement et le rôle crucial des nations africaines dans la lutte contre le VIH/sida, de nombreux délégué·es africain·es — représentant les pays les plus touchés par l’épidémie — se sont vu refuser des visas. Les organisateur·rices de la conférence eux-mêmes ont reconnu le problème, mais semblaient impuissant·es à rectifier la situation, ce qui montre bien à quel point ces barrières sont profondément ancrées. De même, lors de la conférence sur le sida qui s’est tenue à Munich en 2024, un nombre important de participant·es africain·es se sont vu refuser leur visa, alors qu’iels étaient des orateur·rices invité·es ou des acteur·rices clés de la riposte mondiale au VIH.

 

Il ne s’agit pas d’un problème isolé. Qu’il s’agisse de conférences sur la tuberculose, le changement climatique ou la préparation aux pandémies, les professionnel·les africain·es sont confronté·es à des obstacles bureaucratiques que leurs homologues des pays occidentaux ne rencontrent pas. Les raisons invoquées pour justifier les refus de visa sont souvent opaques, allant de vagues préoccupations en matière de sécurité à des exigences financières arbitraires, laissant les délégué·es dans un flou frustrant. Le processus est coûteux, long, rébarbatif et frustrant, et conduit souvent les professionnel·les du Sud à renoncer à leur place à la table.

 

« En tant que praticien de la santé dans un pays à faible revenu, il m’est quasiment impossible de simplement prendre mon passeport et mes bagages pour me rendre à l’aéroport sans planifier 6 à 12 mois à l’avance. […] J’ai dû faire face à des frais de visa exorbitants et prouver des liens solides avec mon pays d’origine, en fournissant des lettres de soutien de mon conjoint, de mon employeur, de mes parents et de hauts fonctionnaires. On m’a également demandé une multitude de documents, dont des relevés bancaires certifiés, des titres de propriété, des hypothèques, des réservations de vol et d’hôtel, ainsi que des assurances maladie et voyage », explique Stephen Asiimwe, praticien ougandais en santé publique.

 

Cette situation fausse non seulement la diversité des conférences internationales, mais aussi le marché mondial de l’emploi dans la santé, rendant difficile pour les talents du Sud de travailler dans les grandes organisations de santé mondiale. Les restrictions sur les visas de travail et les procédures complexes des pays où ces institutions sont basées (États-Unis, Royaume-Uni, Suisse) renforcent ces barrières, réduisant ainsi la diversité et l’inclusivité dans ce secteur crucial.

 

 

L’exclusion compromet les résultats en matière de santé mondiale

 

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que cette exclusion s’étend souvent aux dirigeant.es (comme le cas de la directrice exécutive d’ONUSIDA ci-dessus mentionné), scientifiques et praticien·nes qui travaillent sur le terrain, naviguant dans les complexités des épidémies, de l’accès aux soins de santé et des systèmes de santé locaux. Ces expert·es détiennent des connaissances inestimables sur ce qui fonctionne dans leurs communautés, mais iels sont régulièrement empêché·es de participer aux discussions de haut niveau, ce qui se traduit par des politiques et des interventions qui peuvent être déconnectées des réalités du terrain.

 

Prenons l’exemple de la préparation aux pandémies, où les pays africains ont acquis une expérience inestimable dans la gestion de maladies infectieuses telles que l’Ebola, le VIH et la tuberculose. Ces expériences fournissent des enseignements cruciaux pour les stratégies mondiales en matière d’endiguement des maladies, de déploiement des vaccins et de résilience des systèmes de santé. Pourtant, lorsque les professionnel·les africain·es ne peuvent s’asseoir à la table des négociations, ces connaissances sont perdues et les stratégies de santé mondiale sont affaiblies par leur absence.

 

Comme le rapporte Celestina Obiekea, virologue au Nigeria Centers for Disease Control : « L’une des expériences les plus frustrantes de ma carrière a été le refus de visas qui m’empêchait de participer à des discussions mondiales où j’avais une expertise directe. Cela m’a tellement affectée que j’en suis venue à me préparer mentalement à ne pas saisir les opportunités nécessitant une demande de visa ou des démarches d’approbation ».

 

Pendant la pandémie de COVID-19, l’exclusion des scientifiques africain·es des forums mondiaux était évidente. Alors que les pays se bousculaient pour mettre au point et distribuer des vaccins, les expert·es africain·es de la santé ont lutté pour faire entendre leur voix dans les discussions sur l’équité et la distribution des vaccins. Les conséquences ont été désastreuses. L’inégalité en matière de vaccins est devenue une question déterminante, les pays africains restant dans l’expectative tandis que les nations plus riches accumulaient les stocks. L’absence de perspectives africaines dans les forums de prise de décision a probablement contribué à ce déséquilibre, car les stratégies de déploiement des vaccins ont souvent été adaptées aux besoins et à la logistique du Nord plutôt qu’à ceux du Sud.

 

Ces refus de visas perpétuent la problématique de la « science parachutée » ou « coloniale », une pratique où des chercheur·ses et nations occidentales conduisent des études dans les pays du Sud sans réelle collaboration ni reconnaissance des contributions des chercheur·ses locaux·ales. Ce modèle dicte des solutions aux défis rencontrés par les pays en développement sans intégrer les populations directement concernées dans le processus de décision.

 

 

Réimaginer les conférences sur la santé mondiale

 

Pour que la santé mondiale soit à la hauteur de ses idéaux d’équité et d’inclusion, des changements fondamentaux sont nécessaires dans la manière dont les conférences sur la santé mondiale sont organisées et menées. Si les modèles en ligne et hybrides introduits lors de la pandémie de COVID-19 ont apporté un certain soulagement, ils ne constituent pas une panacée. L’accès numérique pose encore des problèmes dans de nombreuses régions à faibles ressources, et l’absence d’opportunités de réseautage en personne marginalise encore davantage les délégué·es des pays du Sud.

 

Une solution évidente consiste à organiser ces conférences dans des lieux plus propices à l’obtention de visas. Des pays comme le Sénégal, le Rwanda, le Kenya ou la Thaïlande pour ne citer que ceux-là ont démontré leur capacité à accueillir de grandes conférences internationales, avec des politiques de visa plus accommodantes pour les participant·es de diverses régions. L’organisation de réunions sur la santé mondiale dans de tels endroits faciliterait non seulement la participation des délégué·es africain·es et d’autres pays à faible revenu, mais signalerait également un changement dans la dynamique du pouvoir en matière de santé mondiale, en s’éloignant de la domination des pays occidentaux.

 

Toutefois, la délocalisation des conférences n’est, elle aussi, qu’une solution à court terme. Le véritable défi consiste à démanteler les barrières systémiques qui empêchent la participation de l’Afrique. Les pays occidentaux doivent revoir leurs politiques en matière de visas, en particulier pour les professionnel·les qui assistent à des conférences universitaires et politiques. Cela pourrait impliquer la création de catégories spéciales de visas pour les participant·es aux conférences ou la mise en œuvre de procédures accélérées pour les personnes invitées par des organisations de santé mondiale réputées.

 

Conclusion

 

Les refus de visa sont devenus le symbole frappant des pratiques d’exclusion dans le domaine de la santé mondiale, où les personnes les plus affectées par les crises sanitaires sont souvent écartées des discussions qui déterminent les politiques censées les concerner directement. Pour obtenir des résultats concrets en matière de santé, les décideurs politiques et les organisations internationales doivent s’attaquer de manière proactive à ces inégalités.

 

Plus singulièrement, les organisations mondiales œuvrant dans la santé doivent user de leur influence pour remettre en cause les politiques de visa qui sapent les principes mêmes d’équité et d’inclusion qu’elles prétendent défendre. Elles devraient réaliser des évaluations indépendantes de l’équité des conférences et publier ces résultats dans des rapports annuels accessibles au public. L’approche actuelle, où les organisateur·rices expriment leur sympathie aux personnes n’ayant pas obtenu de visa, mais finissent par hausser les épaules, n’est plus tenable.

 

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