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Une personne qui meurt actuellement de tuberculose est assassinée
OFM Edition 174

Une personne qui meurt actuellement de tuberculose est assassinée

Author:

Christian Djoko et Ekelru Jessica

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 3

Cet article est un texte d'opinion visant à démontrer que l'éradication de la tuberculose est de moins en moins un défi lancé à la science qu’un problème lié à la stigmatisation et, surtout, au sous-financement de la riposte. En partant de ce constat, le texte conclut que toute personne qui meurt aujourd'hui de cette maladie guérissable est simplement victime de non-assistance à personne en danger.

La tuberculose (TB) est une maladie infectieuse mortelle qui tue environ 3 600 personnes chaque jour, principalement dans les pays en développement. Causée par la bactérie Mycobacterium tuberculosis, cette maladie sévit depuis environ 40 000 ans et a évolué pour devenir un agent pathogène obstiné, résistant et particulièrement difficile à éradiquer.

 

 

En 2022, 10,6 millions de personnes ont contracté la tuberculose, et 1,5 million en sont mortes, ce qui représente une moyenne de 2,5 décès par minute. Ces chiffres (Figure 1) soulignent la gravité de la situation : la TB a retrouvé sa place de principale cause de mortalité infectieuse dans le monde, après une brève parenthèse due à la pandémie de Covid-19. Pendant les quelques minutes nécessaires à la lecture de cet article, une quinzaine de personnes auront succombé à cette maladie.

 

 

Figure 1 : Données de la tuberculose dans le monde en 2022

Source : OMS

C’est dans ce contexte que j’ai récemment pris part à la réunion régionale intitulée « Faire progresser la communauté, les droits et le genre pour une riposte équitable à la tuberculose en Afrique francophone », organisée par le Partenariat Halte à la Tuberculose et Draft TB à Yaoundé, au Cameroun, du 11 au 13 juin 2024. (Lisez notre article sur les temps forts de cette rencontre ici). Cette rencontre m’a permis de constater une fois de plus l’engagement profond des communautés dans la lutte contre cette maladie dévastatrice.

 

 

Ces actrices et acteurs communautaires, majoritairement d’ancien(ne)s malades, consacrent leur vie à cette cause avec une détermination inébranlable. Ils et elles investissent quotidiennement leur temps et leurs ressources pour intégrer les approches basées sur les droits, les communautés et le genre dans la lutte contre la tuberculose. Ce dévouement était particulièrement visible dans les discussions, les ateliers et les sessions de travail intensives, comme celles tenues à Yaoundé, où les participants ont échangé sans relâche sur les moyens d’améliorer l’intégration de ces approches dans les stratégies de lutte. Cette démarche est essentielle pour garantir une riposte équitable et efficace.

 

 

Ce qui s’est passé à Yaoundé n’est pas un cas isolé. Dans de nombreux pays du Sud global, des initiatives similaires sont entreprises, où des communautés entières se mobilisent contre la tuberculose. En consultant la documentation existante, les plans d’action, les outils disponibles, ou en assistant à de multiples réunions, ateliers et conférences dédiés à cette cause, je suis toujours frappé par l’existence d’une véritable communauté de pratiques. Cette communauté est composée de personnes hautement qualifiées et compétentes, toutes unies par un objectif commun : mettre fin à la tuberculose.

 

 

À mon retour de la réunion de Yaoundé, un slogan retentissait encore dans mon esprit, un mantra répété par les participant(e)s comme une sorte de cri de ralliement : « Oui, nous pouvons mettre fin à la tuberculose ». Cette conviction partagée, ce slogan, porteur d’espoir et de détermination, m’a conduit à m’interroger profondément : qu’est-ce qui entrave réellement nos efforts pour éradiquer cette maladie ? Qu’est-ce qui empêche l’élimination d’une maladie que nous savons depuis longtemps comment traiter et prévenir ? Pourquoi tant de personnes continuent-elles de mourir d’une maladie guérissable ?

 

 

Bien que des progrès significatifs aient été accomplis dans la lutte contre la tuberculose, comme en témoignent les résultats obtenus par le Fonds mondial dans les pays où il a investi depuis 2002 (Figure 2), les chiffres demeurent alarmants et dramatiques. L’écart demeure fatal (Figure 3) pour reprendre le titre d’un rapport de redevabilité des communautés touchées par la tuberculose et de la société civile (engagements vs. Réalités).

 

 

Figure 2 : Tendances des décès imputables à la tuberculose (exclusion faite des personnes séropositives au VIH) dans les pays où le Fonds mondial investit.

Source : Rapport sur les résultats 2023 du Fonds mondial (p. 38)

 

 

Figure 3 :  Décès imputables à la tuberculose : progression vers la cible de l’OMS (dans les pays où le Fonds mondial investit)

Source : Rapport sur les résultats 2023 du Fonds mondial (p.35)

 

Ce constat est d’autant plus tragique que nous disposons des connaissances et des outils nécessaires pour éradiquer cette maladie infectieuse dévastatrice.

 

 

La science médicale a fait des avancées remarquables en matière de prévention, de diagnostic et de traitement de la tuberculose. Des médicaments efficaces existent pour guérir la majorité des cas, et des stratégies de prévention, telles que la vaccination par le BCG, ont prouvé dans bien des cas leur efficacité. Pourtant, la mise en œuvre de ces solutions reste insuffisante. Si nous savons ce qu’il faut faire pour inverser la courbe actuelle de l’incidence de la tuberculose et pour l’éradiquer en tant que problème de santé publique d’ici 2030, les efforts déployés restent insuffisants.

 

 

En fait, je souhaite surtout vous amener à comprendre que chaque décès dû à la tuberculose est évitable. Autrement dit, il y a de bonnes raisons de penser qu’une personne qui meurt actuellement de tuberculose est, en quelque sorte, victime d’un assassinat par négligence. Cela relève, ni plus ni moins, de la non-assistance à personne en danger.

 

 

Cette situation est due à plusieurs facteurs que les participant(e)s de la réunion de Yaoundé ont largement détaillés. Parmi la pluralité des éléments mis en exergue, au moins deux, par ailleurs interdépendants, semblaient communs à l’ensemble des pays représentés : l’insuffisance des ressources financières allouées à la lutte contre la tuberculose et la stigmatisation persistante associée à cette maladie.

 

 

Je rappelle rapidement que lors de la septième reconstitution de ses ressources, le Fonds mondial avait besoin d’au moins 18 milliards de dollars (ce qui était déjà loin des besoins réels) pour lutter entre autres contre la tuberculose (Figure 4). Il n’en a récolté que 15,7 milliards de dollars US.

 

 

Figure 4 : Vue d’ensemble des besoins en ressources et prévision des ressources disponibles pour le VIH, la tuberculose et le paludisme dans les pays où le Fonds mondial investit

Source : Lutter pour ce qui compte. Argumentaire d’investissement

 

 

Le manque de ressources financières, particulièrement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, constitue un obstacle majeur à la lutte contre la tuberculose. Cette insuffisance empêche de mobiliser ou de mettre en place l’ensemble des connaissances, outils et stratégies nécessaires pour éradiquer la tuberculose en tant que problème de santé publique. Qui est responsable de cette situation ? Les pays riches, sans doute, bien que certains d’entre eux apportent une contribution significative à la lutte contre la tuberculose. Cependant, la responsabilité incombe surtout aux pays du Sud global, notamment africains, qui, malgré de nombreuses déclarations, intentions et résolutions pompeuses, souvent prises lors de rencontres internationales qui ressemblent pour certaines délégations à des voyages de plaisance, n’investissent pas suffisamment dans la lutte contre la tuberculose et, plus généralement, dans le secteur de la santé.

 

 

Pour de nombreux gouvernements, les dépenses consacrées au secteur de la santé sont encore considérées comme des coûts, alors qu’elles devraient être vues comme des investissements. Certes, ces gouvernements sont confrontés à de nombreuses difficultés économiques et à des tensions budgétaires, mais une comparaison des budgets de la santé avec ceux d’autres ministères révèle que les budgets ne sont pas seulement une colonne de chiffres : ils reflètent aussi des choix politiques. Il est plus qu’évident que la santé de leurs populations n’est pas encore une priorité pour de nombreux gouvernements du Sud global. Pourtant, au-delà de l’impératif moral de sauver des vies, l’argent investi dans la santé est aussi, et peut-être surtout, un investissement économiquement rentable pour un pays.

 

 

Une modélisation (Figure 5) du Partenariat Halte à la Tuberculose illustre bien cela. Par exemple, elle prévoit que « la mise en œuvre des mesures prioritaires du plan mondial produirait un rendement global de 40 dollars pour chaque dollar investi et de 59 dollars pour chaque dollar investi dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les bénéfices s’accumulant jusqu’en 2050 ». Cette analyse démontre clairement que l’investissement dans la lutte contre la tuberculose génère des bénéfices économiques substantiels à long terme, rendant ainsi toute réticence à allouer des fonds à ce secteur non seulement court-termiste, mais également économiquement irrationnelle. De manière générale, le prix de l’inaction en matière de santé est en tout point de vue dévaster comme en témoigne une étude récente publiée dans le BMJ journals.

 

 

Figure 5 : Retour sur investissement

Source : Plan mondial pour éliminer la tuberculose (2023-2030)

 

 

Au-delà des obstacles financiers, la tuberculose est également lourdement affectée par la stigmatisation et la discrimination envers les personnes atteintes. La peur de l’exclusion sociale, du rejet et de la discrimination peut dissuader les individus de se faire dépister et de suivre un traitement, par crainte d’être marginalisés ou ostracisés par leur communauté. Cette stigmatisation peut également conduire à l’automédication, à l’automédication et à des pratiques de traitement non conformes, ce qui contribue à l’aggravation de la maladie et à la propagation de la résistance aux antibiotiques.

 

 

Les attitudes négatives envers la tuberculose sont souvent ancrées dans des craintes irrationnelles et des idées fausses sur la transmission de la maladie. L’association de la tuberculose à la pauvreté, à la marginalisation et à des comportements à risque, peut alimenter la stigmatisation et l’exclusion sociale des personnes touchées, notamment les personnes de la communauté LGBT.

 

 

Le barème actuel d’allocation des ressources (2023-2025) du Fonds mondial révèle que les fonds alloués à la tuberculose ne représentent qu’un tiers de ceux consacrés au VIH et à peine plus de la moitié de ceux dédiés au paludisme (Figure 6). À l’échelle mondiale, entre 2002 et 2022, les investissements du Fonds mondial dans les trois grandes maladies se répartissent comme suit : 27 milliards de dollars pour le VIH, 9,5 milliards de dollars pour la tuberculose, et 16,2 milliards de dollars pour le paludisme. Cette répartition soulève des préoccupations importantes discussion au sein même des instances du Fonds mondial quant à l’efficacité de la lutte contre la tuberculose, surtout lorsqu’on considère les incidences élevées et les conséquences dévastatrices de cette maladie dans de nombreuses régions du monde. Au moment où j’écris ces lignes, une discussion est en cours lors de la réunion du Comité stratégique du Fonds mondial. Les résultats de ces délibérations seront connus dans les prochains mois.

 

 

Figure 6 : Sommes allouées par maladie (en millions de dollars US)

Source : Fonds mondial

 

 

En attendant, force est de constater que le débat récurrent autour de la révision de la méthodologie l’allocation des ressources a souvent été centré sur un rééquilibrage entre ces trois maladies, avec une pression croissante pour augmenter la part dédiée à la lutte contre la tuberculose. Or, il m’apparait plus que jamais nécessaire dans le cadre du huitième cycle de subvention à venir de rompre avec les schémas de pensée traditionnels. Autrement dit, si on veut réussir ce qu’on n’a jamais fait, il faut peut-être faire ce qu’on n’a jamais fait. Je m’explique.

 

Au lieu de s’enliser dans des débats interminables sur la répartition des ressources entre les maladies, il semble plus pertinent de chercher d’abord à élargir substantiellement l’assiette des ressources disponibles. Une analogie éclairante serait de comparer cette situation à une tarte ou une pizza de 14 cm. Si l’objectif est d’offrir des portions plus grandes et plus conséquentes à ceux qui la consommeront, redistribuer les portions existantes ne changera rien fondamentalement. La solution réside dans l’acquisition d’une pizza plus grande, de 30 cm par exemple.

 

 

Transposons cette analogie au contexte des allocations du Fonds mondial : pour augmenter les ressources dédiées à la lutte contre la tuberculose, il faut d’abord œuvrer collectivement pour accroître le financement global destiné à ces maladies. Cette stratégie permettra non seulement de garantir un financement adéquat pour la lutte contre le VIH et le paludisme, mais aussi de renforcer considérablement les efforts de lutte contre la tuberculose.

 

 

Pour terminer, permettez-moi de partager cette projection (Figure 7) du Partenariat Halte à la Tuberculose sur les ressources financières nécessaires pour éradiquer la tuberculose d’ici 2030. En observant ces chiffres, on ne peut qu’être frappé par l’ampleur du défi qui nous attend. Pourtant, nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à nous battre avec détermination pour mettre un terme définitif à cette maladie meurtrière. Il en va de l’intérêt de chacune et chacun d’entre nous. L’avenir de millions de vies en dépend.

 

 

Figure 7 : Besoins en ressources financières pour mettre fin à la TB à l’horizon 2030

Source : Plan mondial pour éliminer la tuberculose (2023-2030)

 

 

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