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VIH : la guérison d’une minorité dans un monde d’inégalités ?
OFM Edition 173

VIH : la guérison d’une minorité dans un monde d’inégalités ?

Author:

Ekelru Jessica et Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 6

Cet article vise à démontrer que, malgré l'engouement suscité par l'annonce du septième patient guéri du VIH, la pandémie demeure une crise mondiale d'une ampleur considérable, affectant plus de 39,9 millions de personnes, dont près de 10 millions sont privées d'accès aux soins. Les inégalités, aggravées par la stigmatisation, affectent surtout les populations marginalisées. L'article appelle à renforcer les approches communautaires pour une lutte plus équitable contre le VIH, tout en soulignant l'importance des progrès scientifiques accessibles et de la lutte contre les inégalités structurelles pour éradiquer la maladie.

Introduction

 

Lors de la conférence AIDS 2024, une nouvelle sensationnelle a été annoncée : la guérison définitive du VIH chez un septième patient, surnommé le « patient de Berlin ». Cette annonce, bien que marquant un jalon majeur dans la recherche scientifique, a été accompagnée d’un engouement médiatique disproportionné qui pourrait induire en erreur quant à l’état actuel de la pandémie de VIH. Il est essentiel de comprendre la portée réelle de cette avancée et de ne pas perdre de vue les défis persistants dans la lutte contre le VIH.

 

Une percée scientifique aux applications limitées

 

La guérison du VIH chez ce septième patient repose sur des interventions médicales hautement spécialisées, telles que des greffes de cellules souches combinées à des protocoles d’immunosuppression extrêmement stricts. Si ces méthodes sont d’une efficacité remarquable dans des cas particuliers, elles restent d’une complexité qui les rend difficilement transposables à grande échelle. En effet, ces procédures nécessitent des infrastructures médicales avancées, des ressources financières massives et une expertise clinique spécialisée. Par ailleurs, elles comportent des risques considérables pour les patient·e·s, ce qui limite encore davantage leur applicabilité.

 

La greffe de cellules souches, fondée sur une compatibilité génétique rare, est un privilège de quelques-un·e·s, un luxe réservé à des contextes très particuliers et éloignés des réalités des pays pauvres ou en voie de développement. Ces opérations exigent des périodes prolongées d’hospitalisation et un suivi médical rigoureux afin de prévenir le rejet de la greffe et de traiter les infections opportunistes liées à l’immunosuppression. De telles contraintes rendent ces traitements inaccessibles pour la grande majorité des personnes vivant avec le VIH (PVVIH), notamment dans les régions les plus durement touchées, comme l’Afrique subsaharienne, où les ressources médicales sont limitées et les systèmes de santé sous pression.

 

La pandémie de VIH : une crise toujours présente

 

En fait, les succès individuels, comme celui de la guérison du « patient de Berlin », ne doivent pas masquer les besoins criants en matière de prévention, de traitement et de soins continus. La pandémie de VIH reste un défi colossal qui transcende les frontières, une crise persistante qui touche plus de 39,9 millions de personnes dans le monde (Figure 1), avec une proportion alarmante de près de 10 millions de personnes n’ayant pas accès aux traitements nécessaires. En 2023, une personne mourait du VIH chaque minute, un chiffre qui résonne comme un cri de désespoir dans un monde où les avancées scientifiques n’atteignent pas toutes les personnes, surtout celles situées aux marges de l’économie mondiale.

 

En Afrique spécifiquement, où les inégalités économiques, géographiques et sociales limitent l’accès aux soins, les défis sont particulièrement graves. Les infrastructures de santé, souvent insuffisantes, ne permettent pas à des millions de personnes d’accéder aux traitements vitaux, ce qui contribue à perpétuer la souffrance et la mortalité liées au VIH. Le traitement est encore un privilège et non un droit universel. Le paradoxe est clair : nous célébrons des avancées spectaculaires dans des contextes privilégiés, tandis que des millions de personnes continuent de souffrir et de mourir dans l’indifférence relative du monde.

 

Figure 1 : Données régionales 2023

 

 

L’inégalité d’accès aux soins est déjà préoccupante pour de très nombreuses PVVIH est aggravée par la stigmatisation et la discrimination. Cette stigmatisation, qu’elle soit sociale, institutionnelle ou liée au genre, continue de renforcer les barrières à l’accès aux soins. Les individus marginalisé·e·s, notamment les femmes, les enfants et les populations clés, tels que les travailleur·euse·s du sexe, les personnes transgenres, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, ainsi que les personnes qui consomment des drogues injectables, sont les plus touché·e·s par ces inégalités. Ces populations, déjà vulnérables en raison de leur position sociale et de leur marginalisation, subissent une double peine, à la fois en tant que victimes d’une épidémie mondiale et en tant que cibles d’une discrimination institutionnalisée qui les exclut des systèmes de santé.

 

La difficulté d’accès aux soins n’est donc pas uniquement une question d’infrastructure médicale, mais elle est aussi enracinée dans des facteurs sociaux, économiques et culturels. L’accès limité à l’éducation et aux informations de santé, la précarité économique, ainsi que les normes sociales et juridiques qui perpétuent la stigmatisation et la discrimination à l’égard des populations clés, renforcent ces obstacles. Selon le rapport régional pour l’Afrique de l’Ouest de l’Indice de Stigmatisation des Personnes vivant avec le VIH 2.0 (p. 25), sur un échantillon de 10 910 personnes vivant avec le VIH (PVVIH), voici les pourcentages, par catégorie, de celles ayant déclaré avoir évité de se rendre dans un centre de santé pour des soins au cours des 12 derniers mois en raison de leur statut sérologique.

 

Catégorie Pourcentage ayant évité les centres de santé

Total des PVVIH 

7,5 %

Populations clés

11,6 %

Population générale

6,2 %

Femmes transgenres

17,5 %

Personnes de 18-24 ans

12,7 %

Personnes de plus de 50 ans

6,9 %

Usagers de drogues (n=76)

17,5 %

Personnes transgenres (n=123)

14,9 %

 

 

Ainsi, les femmes et les filles, notamment dans des contextes de forte dépendance économique et de faible autonomisation, sont particulièrement vulnérables aux inégalités de traitement dans le cadre des services de santé. De même, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et les personnes transgenres sont souvent confronté·e·s à des discriminations institutionnalisées, se traduisant par un refus ou un accès limité aux soins de santé, ainsi que par des violences et une marginalisation accrue.

 

Figure 2 : Un aperçu des inégalités et vulnérabilités différenciées


Source : ONUSIDA

 

 

Face à cette réalité, il est essentiel plus que jamais de renforcer les approches militantes et communautaires dans la lutte contre le VIH, en les orientant résolument vers l’équité et les droits humains.

 

Vers une approche réaliste et inclusive de la lutte contre le VIH

 

Les annonces de guérison, aussi spectaculaires soient-elles, doivent être reçues avec prudence et communiquées de manière à refléter leur portée limitée à court terme. L’éradication du VIH ne sera possible que lorsque ces découvertes pourront être répliquées à grande échelle et rendues accessibles à l’ensemble des personnes vivant avec le virus, quelle que soit leur situation géographique ou socio-économique. En attendant le grand soir, le renforcement des approches militantes et communautaires, orientées vers l’équité et les droits humains, apparaît non seulement comme une stratégie efficace sur le plan sanitaire, mais aussi comme un impératif moral et politique pour garantir une lutte contre le VIH qui soit véritablement inclusive et juste.

 

En effet, la mobilisation militante reste un levier indispensable pour infléchir les politiques publiques et exiger des financements suffisants, tout en favorisant une redistribution équitable des ressources sanitaires. Les approches communautaires, quant à elles, sont vitales pour ancrer la riposte dans les réalités locales, où la confiance et l’engagement des pairs sont cruciaux pour réduire la stigmatisation et renforcer l’accès aux services. Ces initiatives sont des vecteurs d’autonomisation, permettant aux personnes les plus touchées par l’épidémie de devenir des actrices et acteurs clés dans la conception et la mise en œuvre des interventions. Une orientation résolue vers l’équité implique aussi de reconnaître et d’aborder les multiples formes de discrimination qui freinent les progrès : qu’il s’agisse des droits des femmes, des travailleuses et travailleurs du sexe, des personnes LGBTIQ+ ou des usager·e·s de drogues, la lutte contre le VIH doit inévitablement s’accompagner d’une lutte pour les droits humains.

 

Les premiers résultats de l’initiative « Levez les obstacles », lancée en 2017 par le Fonds mondial, accréditent l’approche ci-dessus préconisée. Cette initiative, qui apporte un soutien technique et financier à 24 pays, vise à éliminer les barrières liées aux droits humains et au genre entravant l’accès aux services de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Bien que la mise en œuvre de programmes complets ait été complexe, les résultats démontrent de manière convaincante ce qui peut être accompli grâce à des investissements continus et des efforts soutenus. Les progrès les plus notables ont été réalisés lors de la phase initiale, entre l’évaluation de référence et la mi-parcours, reflétant la dynamique des premières interventions. Toutefois, à partir de la mi-parcours, le rythme des avancées a quelque peu ralenti, ce qui était attendu, notamment en raison des défis associés à la dernière étape des interventions (Figure 3). Cela souligne l’importance de renforcer les ressources, le temps alloué et l’engagement afin d’élargir la portée géographique et démographique des programmes, particulièrement dans un contexte comme l’Afrique où la défense des droits reste cruciale.

 

Figure 3 : Échelle moyenne des programmes visant à supprimer les obstacles au VIH liés aux droits humains par domaine de programme.

 

Plus largement, l’orientation vers l’équité exige une approche intersectionnelle, qui reconnaît que les facteurs de vulnérabilité au VIH se superposent aux autres formes de marginalisation (genre, sexualité, statut socio-économique, accès à l’éducation, etc.). En Afrique, où les disparités de genre et les violences systémiques continuent de limiter l’accès des femmes aux services de santé, il est crucial que les approches communautaires militent pour une véritable égalité de traitement et une réduction des inégalités structurelles. Loin d’être une question purement technique ou logistique, la lutte contre le VIH doit donc être envisagée comme une lutte politique et sociale, dont le succès dépend de la capacité à remettre en cause les hiérarchies de pouvoir qui sous-tendent les inégalités de santé.

 

Conclusion

 

L’annonce de la guérison du septième patient VIH est une avancée scientifique impressionnante, mais elle ne doit pas masquer les réalités profondes de l’injustice et des inégalités qui perdurent dans la lutte contre le VIH/SIDA. Si cette annonce est porteuse d’espoir, il est crucial de maintenir une perspective réaliste quant à son impact global. La pandémie de VIH reste une crise de santé publique d’une gravité sans précédent, qui exige une réponse collective, soutenue et inclusive.

 

Les futures avancées scientifiques devront impérativement être axées sur l’accessibilité et la réplication à grande échelle pour transformer l’espoir de guérison en une réalité pour tou·te·s. D’ici là, il est impératif de continuer à intensifier les efforts pour élargir l’accès aux traitements existants et soutenir les populations les plus touchées. L’éradication du VIH est un objectif à long terme, mais il est possible de l’atteindre à condition de rester engagé·e·s, d’investir durablement dans la santé publique et d’adopter une approche inclusive et équitable. Ce n’est qu’en conjuguant progrès scientifiques, volonté politique et engagement humanitaire que nous pourrons, un jour, espérer mettre fin à la pandémie de VIH et garantir un avenir sans sida pour tou·te·s. C’est là que réside la véritable promesse d’une guérison universelle.

 

 

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