Réunion de haut niveau à Yaoundé (Cameroun) pour faire progresser la lutte contre la tuberculose : Beaucoup reste à faire.
Author:
Christian Djoko
Article Type:Article Number: 2
Cet article revient sur les temps forts de la réunion régionale « Faire progresser la communauté, les droits et le genre pour une riposte équitable à la tuberculose en Afrique francophone », qui s’est tenue à Yaoundé, au Cameroun, le 11 au 13 juin 2024.
Contexte
Du 11 au 13 juin 2024, Yaoundé, capitale du Cameroun, a accueilli une réunion régionale majeure intitulée « Faire progresser la communauté, les droits et le genre pour une riposte équitable à la tuberculose en Afrique francophone ». Organisée par Stop TB Partnership (STP) et DRAF TB, avec le soutien technique et financier de L’Initiative/Expertise France, cette rencontre a réuni des actrices et acteurs clés de la lutte contre la tuberculose (TB) venu.es de toute l’Afrique francophone.
La réunion de Yaoundé s’inscrit dans un contexte mondial marqué par des inégalités persistantes dans la lutte contre la tuberculose. On observe un écart fatal entre les engagements de lutte contre la TB et les réalités de la TB. La Déclaration politique des Nations Unies sur la tuberculose de 2023 et le Plan mondial pour mettre fin à la tuberculose 2023-2030 appellent à une approche fondée sur la communauté, les droits et le genre (CRG) pour s’attaquer aux déterminants socio-économiques de la maladie. En Afrique francophone, où les taux de tuberculose restent élevés, il est crucial de renforcer les stratégies pour une riposte plus équitable.
Plusieurs thématiques importantes ont été abordées au cours de la réunion. Dans ce premier article d’une longue série consacrée à cet événement, nous nous contenterons de présenter les principales.
Approche Communauté, Droits et Genre (CRG)
L’approche CRG a été au cœur des présentations et des échanges. Cette approche met l’accent sur l’implication active des communautés, la protection des droits humains et l’intégration des questions de genre dans la riposte contre la tuberculose. Mieux encore, cette approche vise à aborder les facteurs structurels, sociaux et socio-économiques responsables de la maladie et à garantir l’engagement des survivants de la tuberculose et des communautés affectées. Tout en s’alignant sur le cadre international des droits humains, les principes de la couverture médicale universelle et les objectifs de développement durable, elle priorise des interventions inclusives, équitables et adaptées aux besoins des populations les plus vulnérables.
Les différentes interventions ont avant tout permis de constater que STP est un leader mondial dans la promotion de l’approche CRG. Parmi ses initiatives figurent la stratégie de Nairobi sur la tuberculose et les droits humains, la déclaration des droits des personnes souffrant de la tuberculose, et la plateforme numérique OneImpact pour le suivi communautaire. STP a également développé des outils d’évaluation qualitative pour analyser l’environnement juridique, les réponses de genre et les données relatives aux populations clés.
Les activités de groupes, les différents panels et les réponses aux questionnaires distribués lors de la réunion ont permis de constater à nouveau frais que la stigmatisation de la tuberculose aggrave les difficultés médicales, sociales et économiques et constitue un obstacle majeur à l’accès à des services de soins de qualité. Plus largement, la stigmatisation et la discrimination sont identifiées comme les principaux obstacles à la lutte contre la tuberculose.
Les discussions ont également porté sur les défis liés à l’intégration de l’approche CRG, notamment les barrières culturelles, les stigmates associés à la tuberculose et le manque de ressources. Viorel Soltan de STP a affirmé sans ambages au cours de son intervention qu’« il existe des outils, mais il y a peu d’argent ».
Au demeurant, les différent(e)s participant(e)s ont convenu que sans CRG, il ne peut y avoir de plaidoyer. Car le CRG permet de garantir les preuves et de soutenir ce qui est prioritaire et urgent. Mieux encore, l’intégration institutionnelle du CRG est apparu plus que jamais comme un excellent moyen de trouver de nombreux cas marquants qui échappent de fait à la prise en charge.
Lancement du Mouvement TB femmes Afrique francophone
La réunion de Yaoundé a également été marquée par le lancement du mouvement TB femmes Afrique francophone. Ce mouvement qui existe depuis plusieurs années dans l’espace anglophone vise à promouvoir et garantir des réponses transformatrices et sensibles au genre dans la lutte contre la tuberculose.
Le lancement de la branche francophone a été ponctué par une déclaration qui souligne l’importance de prendre en compte le genre dans la lutte contre la tuberculose, en reconnaissant que les normes de genre influencent la manière dont les soins sont dispensés et que les hommes et les femmes ont des rôles différents dans cette lutte. Cette déclaration met également en avant la vision de TB Femmes pour une société juste et inclusive, où les femmes ont les moyens de réaliser un monde sans tuberculose. Elle rappelle avec insistance que des soins équitables contre la tuberculose doivent reconnaître les différences entre les hommes et les femmes et répondre à leurs besoins spécifiques.
Dans une interview détaillée avec Ida Savadogo, la coordonnatrice du mouvement TB Femmes Afrique francophone, elle a souligné que :
« La déclaration marquant le lancement de TBFemmes Afrique francophone est un moment historique pour le chapitre Afrique francophone de TBwomen. Il était important de marquer le lancement de ce chapitre par une déclaration solennelle suivie de la signature de cette déclaration par les femmes survivantes de la TB et celles affectées par la TB, présente à cette réunion. La déclaration a reconnu plusieurs aspects dont notamment l’importance du genre dans la lutte contre la TB et le fait que les femmes et les hommes sont susceptibles de jouer des rôles différents dans cette lutte. Elle s’est également appuyée sur la problématique du besoin de renforcement des capacités des femmes. Elle est engageante. Car en signant cette déclaration, les femmes se sont engagées à respecter les principes d’intégrité, de responsabilité et de transparence, et qui encourage la solidarité par la collaboration et les partenariats, tout en prônant l’égalité des sexes, le respect mutuel et la confidentialité, afin que personne ne soit seul face à la tuberculose. »
Vous pouvez retrouver l’intégralité de cette entrevue ici.
Renforcement des partenariats et de la collaboration
Un questionnaire distribué lors de la rencontre a révélé que l’importance du CRG n’était pas suffisamment reflétée dans les programmes de lutte contre la tuberculose dans les pays francophones. Dans presque tous les pays, le CRG n’est pas intégré en tant que domaine d’intervention thématique dans les plans stratégiques nationaux (PSN). Il n’existe pas de ligne budgétaire dédiée au CRG dans les PSN, et encore moins un point focal CRG au sein des programmes nationaux de lutte contre la tuberculose (PNLT).
À partir de ce constat, l’importance cruciale des organisations communautaires dans la mise en œuvre des stratégies CRG a été immédiatement soulignée. Leur engagement et leur expertise locale sont indispensables pour atteindre les populations les plus vulnérables. De nombreuses interventions ont rappelé que le suivi communautaire est un élément clé pour assurer la responsabilité sociale et l’engagement multipartite. Ce suivi permet de mesurer l’impact des interventions et de garantir que les voix des communautés soient entendues.
La réunion a également mis en lumière l’importance de l’alignement des efforts et des synergies entre les différents acteurs et actrices, notamment entre les programmes et les communautés. Les participant(e)s ont convenu qu’il est crucial d’inscrire de manière centrale le CRG dans l’agenda des PSN et des PNLT. L’intégration d’un point focal CRG au sein des PNLT a été fortement recommandée par les représentant(e)s communautaires. Les responsables des programmes ont, quant à elleux, invité les acteurs de la société civile à continuer leur travail pour relever les évidences et les faire parvenir aux PNLT.
Enfin, des discussions ont eu lieu sur les mécanismes de financement disponibles pour soutenir les initiatives CRG. Le Fonds mondial et Expertise France/L’Initiative ont réaffirmé leur engagement à financer des projets intégrant ces approches. Les partenariats stratégiques sont essentiels pour maximiser l’impact des interventions et garantir une utilisation efficace des ressources.
Challenge Facility for Civil Society (CFCS)
La rencontre de Yaoundé a également donné lieu à une compréhension commune de la Challenge Facility for Civil Society (CFCS).
Initiée par le Stop TB Partnership, la CFCS est un mécanisme de financement crucial destiné à soutenir les organisations de la société civile (OSC) dans leur engagement contre la tuberculose (TB). Ce fonds vise à renforcer les capacités des OSC pour qu’elles puissent participer de manière significative à la lutte contre la TB, en mettant un accent particulier sur les approches communautaires, les droits de l’homme et l’équité de genre (CRG). Les principaux objectifs de la CFCS incluent le renforcement des capacités des OSC, l’engagement communautaire, la promotion des droits humains et de l’équité de genre, ainsi que l’encouragement à l’innovation et au leadership. Par le biais de subventions, le CFCS soutient des projets spécifiques dans les pays à forte charge de TB, où l’engagement des OSC peut avoir un impact considérable. Ces subventions varient en montant et en durée en fonction des projets et sont attribuées sur la base de leur potentiel d’impact, leur alignement avec les priorités de lutte contre la TB et leur capacité à mobiliser les communautés locales. L’impact attendu de ces subventions inclut une amélioration des services de lutte contre la TB, une voix plus forte des OSC dans les politiques de santé publique, et une surveillance communautaire renforcée pour garantir la responsabilité et la transparence dans la mise en œuvre des programmes. En somme, la Subvention CFCS joue un rôle essentiel en soutenant les OSC dans leurs efforts pour éradiquer la TB, en veillant à ce que les réponses à la maladie soient inclusives, équitables et basées sur les droits, permettant ainsi d’accroître la qualité et l’accessibilité des services pour les populations vulnérables et marginalisées.
Des participant(e)s ont partagé des témoignages poignants et des études de cas illustrant l’impact du CFCS dans la tuberculose contre la TB. À titre d’exemple, lisons cet extrait du discours prononcé dès l’ouverture de la réunion de Yaoundé par Mlle Abona Oyong Sidoine Marlyse, ancienne patiente atteinte de la tuberculose et membre de l’association des anciens patients et des patients atteints de la tuberculose en abrégé TBpeople -Cameroon.
« TBpeople, dans sa mission de rassembler le plus grand nombre pour éradiquer définitivement la tuberculose, bénéficie de la Subvention Challenge Facility for Civil Society Round 12. Ce mécanisme de financement destiné aux organisations de la société civile leur permet de s’engager dans un plaidoyer de haut niveau, de surmonter les obstacles liés à l’accès aux services et de surveiller la réponse à la tuberculose, afin d’assurer que les gouvernements respectent les engagements pris dans la déclaration des politiques des Nations Unies sur la tuberculose.
Malgré les avancées, nous constatons encore des cas de tuberculose non diagnostiqués et non pris en charge, en raison de nombreux obstacles liés aux services de santé, aux soins, aux mesures d’accompagnement et aux violations des droits de l’homme. Cette subvention nous offre l’opportunité de mettre à profit des outils novateurs comme ceux de l’approche CRG, qui changent la dynamique et renforcent nos efforts dans la lutte contre cette maladie. »
De nombreux autres témoignages sur l’impact de la Subvention Challenge Facility for Civil Society ont été partagés par les représentant(e)s du Burkina Faso, du Niger, de la République Démocratique du Congo et de la Centrafrique. Nous les présenterons en détail dans nos prochaines éditions.
Yaoundé n’était qu’une étape
Malgré quelques motifs de satisfaction, les tendances actuelles, surtout en Afrique francophone, sont préoccupantes. Pourtant, sans un effort substantiel en matière de CRG, l’éradication de la tuberculose d’ici 2030 semble irréalisable. La réunion régionale de Yaoundé n’était qu’une étape, mais une étape importante. En mettant l’accent sur les approches communautaires, les droits et le genre, les participant(e)s ont réaffirmé leur engagement à promouvoir une riposte équitable et inclusive à la tuberculose. Les discussions et les recommandations issues de cette réunion offrent une feuille de route précieuse pour les efforts futurs, visant à éliminer la tuberculose en tant que menace pour la santé publique et à garantir que personne ne soit laissé pour compte.