La stratégie du Fonds mondial – Navigation sur un terrain glissant
Author:
Madhuri Kamat
Article Type:Article Number: 7
Accent particulier sur l'appropriation par les pays, le renforcement des systèmes de santé, les droits humains et à l'égalité de genre
Le présent document constitue la deuxième partie de notre analyse du rapport sur la revue stratégique 2023. Nous nous intéressons plus aux principes d’appropriation par les pays, au renforcement des systèmes de santé, aux droits humains et à l'égalité de genre qui ont été abordés dans le rapport ainsi que dans les échanges avec les parties prenantes lors de la réunion du Conseil d'administration du Fonds mondial qui s’est tenue en avril.
Orientation stratégique du Fonds mondial
Le présent article reste centré sur certains sujets majeurs tels que l’appropriation par les pays, les Systèmes de santé résilients et pérennes (SSRP), les droits humains et l’égalité de genre, suite à notre analyse de la revue stratégique (RS2023), dont une partie a également été examinée ici. Nous terminerons par quelques commentaires des parties prenantes lors de la 51ème réunion du Conseil d’administration du Fonds mondial en avril 2024. Toute citation directe extraite de la RS2023 est indiquée en italique. Dans d’autres cas, une mention d’emphase est ajoutée à la citation.
Rapport sur la revue stratégique 2023
Doit-on faire preuve de proactivité ou non ? Et que se passera-t-il après le retrait du Fonds mondial ?
La RS2023 met en garde contre le fait que l’influence proactive du Secrétariat dans l’établissement des priorités nationales pourrait également remettre en cause le principe d’appropriation par les pays. Par ailleurs, les directives du Secrétariat pourraient ne pas être nécessairement adaptées au contexte particulier d’un pays. Néanmoins, la RS2023 confirme que les subventions ont obtenu de meilleurs résultats dans les pays où le Fonds mondial a joué un rôle plus important dans le paysage des donateurs et l’invite donc à mieux utiliser ce levier stratégique de manière délibérée et consciente. Toutefois, les exemples cités dans le rapport pour illustrer une meilleure performance des subventions par rapport aux dépenses externes liées aux maladies et financées par le Fonds mondial, concernaient le traitement antirétroviral, la notification des cas de tuberculose et la distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticide à longue durée d’action (MILDA).
La RS2023 révèle néanmoins que le Fonds mondial accorde également une place importante aux produits de base, qui constituaient une préoccupation transversale dans l’ensemble des études de cas des pays. Bien que cette action ait permis de prévenir les ruptures de stock et d’assurer la sécurité des produits de base, elle a également entraîné la non-prise en compte d’autres interventions ne portant pas sur les produits de base. Au Nigéria, par exemple, l’accent a été mis principalement sur les moustiquaires imprégnées d’insecticide, au détriment d’interventions visant à changer les comportements afin d’encourager l’utilisation des moustiquaires qui était peu répandue.
La RS2023 relève que le Fonds mondial fait état de certains progrès en ce qui concerne l’augmentation des ressources nationales pour le VTP et considère, dans son indicateur de clé de performance, que cet objectif a été atteint, néanmoins une série de problèmes liés à la qualité des données ne permettent pas d’évaluer avec précision les tendances historiques en matière d’investissements nationaux dans le VTP. Cela dit, en réponse aux constats du rapport du Bureau de l’Inspecteur général sur le financement national en 2022, le Fonds mondial a renforcé sa collaboration avec la Banque mondiale et le Mécanisme de financement mondial afin d’améliorer le suivi des ressources nationales et externes, y compris par le biais d’investissements catalytiques. Le Fonds s’est également engagé dans le financement mixte avec la Banque mondiale et d’autres organismes multilatéraux de développement.
Les observations du Comité technique d’évaluation des propositions pour la période 2020-2022 relèvent également la citation de la RS2023 selon laquelle “bien que les demandes de financement soient généralement bien alignées sur les plans stratégiques nationaux de lutte contre les maladies et les plans nationaux du secteur de la santé, elles étaient encore trop axées sur les coûts de fonctionnement et les produits de santé plutôt que sur le renforcement des systèmes pour assurer des ripostes nationales durables, y compris dans les pays censés être en phase de planification de la transition future pour s’affranchir du soutien du Fonds mondial”
L’égalité de genre et les droits humains : un maillon manquant dans le SSRP?
Le SSRP, les droits humains, l’égalité de genre, ainsi que l’engagement des populations clés, font partie des éléments recommandés par la RS2023 pour une meilleure adaptation en vue de contribuer à améliorer l’impact dans ces domaines.
Tout en se félicitant de la maturité du modèle de financement et de sa mise en œuvre efficace, la RS2023 a également relevé les commentaires émanant principalement des parties prenantes des pays, mais aussi ceux du Fonds mondial, qu’ils soient internes ou externes (figure 1).
Figure 1
La RS2023 indique que l’inclusion des éléments susmentionnés est due à la nécessité pour les responsables de mise en œuvre de réduire le risque d’échec (pour obtenir l’approbation du financement ou pour justifier de la performance de la subvention, par exemple) au regard des orientations, des règles, des réalités ou des perceptions relatives au modèle de financement du Fonds mondial.
En outre, les données relatives au financement du Fonds mondial ne permettent pas d’établir des rapports différenciés sur les investissements liés aux droits humains et à l’égalité de genre, en particulier ceux qui sont intégrés dans des investissements plus importants. Toutefois, les données relatives au financement d’interventions spécifiques liées aux droits humains dans le cadre de la lutte contre le VIH et la tuberculose indiquent une augmentation constante des investissements. Présentement, le Règlement relatif aux subventions du Fonds mondial, bien qu’incluant les cinq normes en matière de droits humains, ne comporte pas un ensemble de normes en matière d’égalité de genre, d’après les commentaires recueillis lors d’entretiens avec des représentants de la société civile. En revanche, la RS2023 souligne que le Fonds mondial a introduit une annexe obligatoire à la demande de financement, « Priorités de financement de la société civile et des communautés les plus touchées par le VIH, la tuberculose et le paludisme », même si ces priorités ne figurent pas dans la demande de financement finale.
Les personnes interrogées dans le cadre de la RS2023 ont soulevé des questions concernant la sélection de seulement quatre pays supplémentaires pour l’initiative « Breaking Down Barriers (Lever les barrières)» (au lieu des 35 pays initialement prévus) au regard de l’engagement et de la priorité accordée par le Fonds mondial aux droits humains et à l’égalité de genre. L’une des personnes interrogées a déclaré « le travail effectué relativement aux droits humains au cours de la période couverte par la stratégie est appréciable, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires. Lors du dernier cycle de reconstitution des ressources, le Fonds mondial n’a pas atteint le montant envisagé de 18 milliards de dollars, ce qui a entraîné une réduction du financement catalytique qui, comme nous l’avons vu, contribue largement aux résultats obtenus en matière de droits humains et d’égalité de genre. On peut donc se demander où se situent les priorités du Fonds. »
Il existe d’autres mécanismes du Fonds mondial pour soutenir les populations clés, tels que la création du Conseil des jeunes, qui vise à rapprocher de l’organisation les adolescents et les jeunes vivant avec ou affectés par le VIH, la tuberculose et le paludisme; Her Voice Fund, un fonds du secteur privé qui œuvre en faveur de l’inclusion des adolescents et renforce l’inclusion des adolescentes et des jeunes femmes au sein des Instances de coordination nationale et des groupes de travail techniques (GTT), figure parmi les plateformes de prise de décision du Fonds mondial. Cependant, la RS2023 a confirmé une préoccupation exprimée, à savoir qu’après la demande de financement, la participation diminue. Cette situation requiert l’attention du Conseil d’administration, car les problèmes de sûreté et de sécurité s’intensifient en raison des menaces croissantes auxquelles sont exposés les membres des populations clés dans les structures du Fonds mondial. RISE, une étude externe citée dans le rapport du Fonds mondial, révèle que cette menace pèse également sur les Instances de coordination nationale. Vous pouvez consulter cette étude dans cet article d’Aidspan.
Les commentaires recueillis dans les pays indiquent que le Fonds mondial est souvent le seul à soutenir les programmes liés aux droits humains et à l’égalité de genre, ce qui, comme le souligne la RS2023, soulève la question de savoir ce qu’il adviendra de ces programmes lorsque le soutien du Fonds mondial diminuera au moment de son retrait, étant donné que les investissements nationaux dans ce domaine sont insuffisants.
Commentaires des parties prenantes
La question de la place exacte des investissements catalytiques (IC), sous lesquels s’inscrivent les initiatives stratégiques pour les droits humains et l’égalité de genre et, dans une certaine mesure, les SSRP, fait l’objet d’un débat permanent. Tandis qu’une partie prenante a demandé que les IC soient intégrés dans l’opération de subvention en termes de nouvelles approches ou d’assistance technique, une autre s’y est farouchement opposée parce que cela compromettrait le caractère flexible et innovant qui est primordial pour les IC. Bien que ne figurant pas dans l’évaluation de la méthodologie d’allocation, cette question a également fait l’objet d’une discussion dans ce cadre. Pour en savoir plus à ce sujet, cliquez ici.
Il a été estimé que les SSRP nécessitaient des interventions plus ciblées en fonction des priorités régionales, ainsi qu’une articulation claire des objectifs et une amélioration de la communication et des partenariats en matière d’expertise technique, qui doivent également être développés.
La question des droits humains et de l’égalité de genre a également été évoquée. Une partie prenante a estimé que les recommandations faites dans le cadre de la RS2023 étaient insuffisantes dans la mesure où elles ne visaient que des objectifs liés à l’égalité de genre. En effet, les recommandations concernant les SSRP, par exemple, doivent inclure des indicateurs de résultats qui permettront d’évaluer l’accès réel des femmes aux ressources et d’examiner les perceptions et les croyances stigmatisantes et discriminatoires ainsi que les pratiques, les lois, les institutions et les politiques. Il a même été suggéré que les réserves soient utilisées pour aider à surmonter les obstacles en matière de droits humains et remédier à la mise à l’écart croissante de la société civile compte tenu du sous-financement des réponses communautaires et des droits humains. Une demande a également été formulée pour connaître le chronogramme des deux évaluations des progrès de la subvention concernant les droits humains qui avaient été proposées par le Secrétariat lors de la 49ème réunion du Conseil d’administration. L’accent a également été mis sur la nécessité de soutenir les stratégies de santé communautaire et de s’attaquer aux lois et aux politiques restrictives.
Tout en saluant les progrès accomplis vers l’éradication du VIH, de la tuberculose et du paludisme, d’importants défis subsistent. Pour les relever, il faudra mettre en place des stratégies fondées sur des preuves constituant une partie essentielle des interventions programmatiques. Il a été réitéré que les droits humains devaient rester au cœur des objectifs stratégiques de l’organisation. La nécessité d’une orientation stratégique concernant l’amélioration des services dans un contexte marqué par des mouvements contre les droits humains et d’autres défis a été jugée prioritaire. L’initiative stratégique « Communautés, Droits et Genre » du Fonds mondial doit être renforcée et faire l’objet d’un plan d’action plus délibéré.
Conclusion
Le Fonds mondial doit examiner attentivement les raisons pour lesquelles les investissements catalytiques ont si bien fonctionné, quels sont les lacunes comblées par les fonds de contrepartie, de sorte que la prochaine fois qu’il y aura un déficit dans la reconstitution des ressources, le fonds catalytique puisse prendre le relais étant donné qu’il finance les droits humains et l’égalité de genre. Il est également primordial de prendre conscience que les SSRP pourront être renforcés que si l’égalité de genre et les droits humains en constituent les fondements. Ceci est important dans la mesure où les rapports des pays montrent que le Fonds mondial reste d’actualité. (Figure 2).
Figure 2