COP 28 : Faut-il croire aux engagements des gouvernements en matière de climat et de santé?
Author:
Christian Djoko
Article Type:Article Number: 2
La COP 28 aux Emirats Arabes Unis a été le théâtre d'une reconnaissance sans précédent par les gouvernements de l'importance du climat et de la santé. Si pour la première fois les États ont en effet tenu compte du lien indissociable entre le climat et la santé, les engagements qu’ils ont pris en revanche pour la préservation de l’environnement ressemblent à s’y méprendre à un énième exercice de prestidigitation.
Contexte
La Conférence des Parties (COP28) à Abu Dhabi a marqué un tournant dans la discussion sur la santé et le climat. Pour la première fois (mieux vaut tard que jamais), la santé a été au cœur de l’agenda de la COP28, avec la mise en place d’une journée dédiée à la santé. Alors que le monde se réunit pour discuter et négocier des stratégies pour un avenir durable, les implications pour la santé apparaissent comme un aspect critique et urgent de la conversation. La crise climatique est une crise sanitaire. L’urgence climatique est une urgence sanitaire. Rappelons à cet égard quelques faits saillants qui rendent comptent des conséquences dramatiques du changement climatique sur la santé.
Les conséquences du changement climatique sur la santé
L’impact du changement climatique sur la santé humaine est complexe et multiforme.
- Maladies à transmission vectorielle :
Le changement climatique influence la distribution géographique et la prévalence des maladies à transmission vectorielle, telles que le paludisme (voir notre article sur le sujet ici), la dengue et la maladie de Lyme. Les changements de température, les régimes de précipitations et l’expansion des habitats appropriés pour les vecteurs de maladies contribuent à la propagation de ces maladies. « L’OMS prévoit, selon des estimations prudentes, 250 000 décès annuels supplémentaires d’ici les années 2030 en raison des effets du changement climatique sur des maladies comme le paludisme et des inondations côtières ». Les femmes, en particulier dans les régions tropicales et subtropicales, sont confrontées à un risque accru de contracter ces maladies à transmission vectorielle, avec des implications potentielles pour la santé maternelle et infantile.
- Sécurité alimentaire et hydrique :
Le changement climatique perturbe les modèles agricoles, ce qui affecte la sécurité alimentaire et hydrique. Les phénomènes météorologiques extrêmes, notamment les sécheresses et les inondations, compromettent le rendement des cultures et contaminent les sources d’eau. La malnutrition et les maladies transmises par l’eau deviennent plus fréquentes, exacerbant les disparités en matière de santé. Pour sensibiliser les décideurs sur la catastrophe qui s’annonce, l’OMS rappelle qu’« en 2020, 98 millions de personnes de plus ont connu l’insécurité alimentaire par rapport à la moyenne de 1981 à 2010 ». Toujours selon les données de l’OMS, « 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 600 millions souffrent de maladies d’origine alimentaire chaque année, 30 % des décès d’origine alimentaire concernant les enfants de moins de 5 ans. Les facteurs de stress climatiques augmentent les risques de maladies d’origine hydrique et alimentaire. En 2020, 770 millions de personnes ont souffert de la faim, principalement en Afrique et en Asie. Le changement climatique a une incidence sur la disponibilité, la qualité et la diversité des aliments, exacerbant les crises alimentaires et nutritionnelles ».
- Qualité de l’air, chaleur et santé respiratoire :
La mauvaise qualité de l’air, causée par la combustion de combustibles fossiles, contribue à l’augmentation des risques d’infections pulmonaires, lesquels peuvent être particulièrement graves, voire mortels, pour les personnes souffrant d’asthme ou vivant avec le VIH et la tuberculose. Précisons que 9 millions de personnes meurent chaque année à cause de la pollution de l’air. Notons par ailleurs que 189 millions de personnes sont exposées chaque année à des phénomènes météorologiques extrêmes. L’exposition prolongée à des chaleurs extrêmes, entre autres, constitue une menace directe pour la santé humaine, entraînant des maladies liées à la chaleur telles que le coup de chaleur et la déshydratation. Les populations vulnérables, notamment les personnes âgées et celles souffrant de problèmes de santé préexistants, sont particulièrement exposées.
- Impact sur les systèmes de santé
Les phénomènes météorologiques extrêmes et les changements climatiques auront un impact délétère sur les systèmes de soins de santé. Comme le souligne le Fonds mondial, si rien n’est fait, ils endommageront les infrastructures médicales, en rendant difficile l’approvisionnement en médicaments et en augmentant la demande de soins d’urgence. Plus de 930 millions de personnes, soit environ 12% de la population mondiale, consacrent au moins 10% de leur budget aux dépenses de santé. La plupart des personnes les plus pauvres n’ont pas d’assurance santé, ce qui fait que les problèmes de santé les plongent dans la pauvreté. Environ 100 millions de personnes sont ainsi affectées chaque année. Le changement climatique aggrave cette situation. L’OMS « estime que le coût des dommages directs pour la santé (à l’exclusion des coûts dans des secteurs déterminants pour la santé tels que l’agriculture et l’eau et l’assainissement) se situe entre 2 et 4 milliards de dollars des États-Unis (USD) par an d’ici 2030. »
- Impact disproportionné sur les populations vulnérables
Il est important de souligner que nous ne sommes tous égaux devant les causes, mais surtout les conséquences de la crise climatique. La crise climatique n’est pas neutre en termes de genre ni daltonienne et encore moins aveugle devant les inégalités sociales. Le journaliste Nathaniel Rich rappelle dans son essai Perdre la Terre que la relation entre ceux qui ont brûlé le plus d’énergies fossiles et ceux qui souffriront le plus du changement climatique est cruellement inversée, à la fois chronologique et socio-économique. Les générations futures paieront pour les émissions passées et les démuni.e.s, les précaires, les femmes, les personnes racisées, les minorités sexuelles et de genre, ou encore les personnes migrantes subissent déjà et subiront davantage le mode de vie des plus riches.
Précisons que les vulnérabilités environnementales sont renforcées par des vulnérabilités socio-économiques structurelles préexistantes des communautés. Autrement dit, les inégalités socio-économiques à l’échelle des États et du monde structurent les vulnérabilités environnementales. Les Africains-Américains sont 1,54 fois plus exposés à la pollution due aux combustibles fossiles que l’ensemble de la population aux États-Unis. Des études récentes, dont certaines compilées par le mouvement Black Lives Matter, ont également montré que les communautés à faible revenu et les femmes noires sont affectées de manière disproportionnée par les risques sanitaires liés au climat. De plus, en 2014, 40% des jeunes sans logement aux États-Unis se définissaient comme LGBTQI+, ce qui signifie qu’ils font partie des populations les plus vulnérables en cas de fortes chaleurs, d’incendie ou d’inondation. Pendant l’été 2021, 400 000 Malgaches ont été touchés par une famine attribuée au changement climatique, marquant la première occurrence de ce genre dans l’histoire récente. Et pourtant, un résident moyen de Madagascar émet en moyenne 100 fois moins de gaz à effet de serre qu’un citoyen américain.
Ces multiples exemples tirés du livre (pp. 14-15) de Michaël Correia susmentionné montrent à quel point la crise climatique est aussi l’expression d’une injustice climatique.
Plus spécifiquement, les femmes, en particulier celles des pays à faible revenu, subissent souvent de plein fouet les conséquences des activités climaticides. Elles sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté, de ne pas avoir accès aux ressources et d’avoir une mobilité limitée, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux effets néfastes des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les ouragans, les inondations et les sécheresses. Les déplacements résultant de ces événements peuvent entraîner des risques sanitaires accrus, notamment la malnutrition, les maladies infectieuses et l’insuffisance des soins de santé génésique. Les déplacements, la pénurie de ressources et la concurrence pour les moyens de subsistance résultant du changement climatique accroissent également la vulnérabilité à la violence sexiste. Les femmes et les filles sont confrontées à des risques accrus d’exploitation, d’abus et de violence à la suite de catastrophes liées au climat, ce qui a un impact supplémentaire sur leur bien-être mental et physique.
Source : UNDP
- Impacts sur la santé mentale :
Les conséquences du changement climatique vont au-delà de la santé physique et ont un impact sur le bien-être mental. L’exposition accrue aux catastrophes naturelles, la perte des moyens de subsistance et le déplacement des communautés contribuent à augmenter le stress, l’anxiété et les troubles de stress post-traumatique.
Source : OMS
Ne rien faire à la hauteur des risques susmentionnés auxquels sont d’ores et déjà exposées les populations vulnérables et défavorisées situées pour la plupart dans les pays du Sud global, c’est participer à un crime contre le vivant en général et l’humanité en particulier. C’est sans doute fort de ces constats alarmants et depuis longtemps attestés par un consensus scientifique mondial que 124 États ont approuvé la première déclaration politique de la COP sur le climat et la santé. Tout en reconnaissant les graves répercussions du changement climatique sur la santé, cette déclaration baptisée “Déclaration des Émirats arabes unis sur le climat et la santé” souligne la nécessité de mettre en place des systèmes de santé résilients au changement climatique et à faible émission de carbone pour protéger la santé de la planète et des populations. La déclaration intègre également des considérations sanitaires dans le contexte des processus pertinents de l’Accord de Paris et de la CCNUCC, en vue de minimiser les effets néfastes sur la santé publique et d’intégrer les considérations climatiques dans les programmes de travail de la santé mondiale. La présidence de la COP28 reconnaît que la réduction des effets du changement climatique sur la santé nécessitera des mesures dans l’ensemble de la société, y compris des réductions rapides des émissions de gaz à effet de serre. La déclaration a été annoncée avant la toute première Journée de la santé lors d’une COP et s’ajoute à une série d’annonces faites en vue de maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 1,5°C. Plusieurs engagements financiers ont été pris pour soutenir les engagements politiques en matière de climat et de santé, notamment un engagement de 300 millions d’USD du Fonds mondial pour préparer les systèmes de santé, 100 millions d’USD de la Fondation Rockefeller pour intensifier les solutions en matière de climat et de santé, et une annonce du gouvernement britannique d’un montant pouvant atteindre 54 millions de livres sterling.
Plus largement, la présidence de la COP28 s’est associée à plusieurs organisations, dont le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le Fonds vert pour le climat, la Fondation Rockefeller et l’Organisation mondiale de la santé, pour présenter dix principes visant à renforcer le financement de la lutte contre le changement climatique et la santé. Ces principes ont pour objectif de mobiliser des fonds nouveaux et supplémentaires, de promouvoir l’innovation à travers des projets transformateurs et de favoriser de nouvelles approches multisectorielles. 41 partenaires financiers et organisations de la société civile soutiennent ces principes, ce qui « témoigne » a priori d’une collaboration croissante entre les bailleurs de fonds et d’une volonté de soutenir durablement les solutions en matière de climat et de santé.
Analyse critique : Tout changer pour que rien ne changer
Si cette déclaration a un mérite, c’est le fait d’avoir tout au plus rappelé la nécessité de prendre des mesures rapides et audacieuses face aux risques que fait courir la crise climatique sur la santé. En effet, rappelons si besoin est encore qu’une Déclaration n’a aucune valeur contraignant au sens du droit international. Bien plus, de telles déclarations très souvent le résultat de discussions, tractations entre États aux intérêts divergents. En ce sens, certains compromis pour arriver à un équilibre entre les parties prenantes s’apparentent souvent à des silences, des renoncements voire des compromissions. À ce titre, on peut s’étonner de ne voir dans cette déclaration aucune mention ou référence à l’élimination progressive des combustibles fossiles. Or, on sait aujourd’hui que « les combustibles fossiles représentent actuellement 80 % de la demande énergétique primaire dans le monde et le système énergétique est la source d’environ deux tiers des émissions mondiales de CO2 ». On peut s’imaginer que certains pays signataires de cette Déclaration, par ailleurs de grands producteurs ou consommateurs de combustibles fossiles, s’y sont opposés. La totalité de l’industrie publique du charbon de la Chine par exemple (l’un des derniers pays à avoir signé la Déclaration) a à elle seule rejeté 14,5 % des gaz à effet de serre mondiaux depuis 1988.
En fait, cette déclaration ressemble à un catalogue de lieux communs, à une série d’appels dont certains ont été esquissés depuis au moins le Sommet de Rio en 1992. Autant dire que l’heure n’est plus à une confession de bonnes intentions. L’urgence de la crise et son impact sur la santé ne se prêtent plus à ce type de théâtres d’ombres, c’est-à-dire à des faux-semblants, des engagements (en demi-teinte) pour l’image. Même l’ambition affichée par certains pays ou Carbon majors d’atteindre la « neutralité carbone » ressemble à un greenwashing, une fumisterie, un projet de tarte à la crème, bref un énième chiffon agité à grand renfort de communication pour donner l’impression ou plutôt l’illusion que quelque chose bouge. La neutralité carbone est clairement le nouveau terme du greenwashing. Ces engagements à très long terme ne peuvent être considérés que s’ils sont suivis de mesures immédiates (ici et maintenant) et non d’un maintien du business as usual. En fait, ne regardons pas ce qu’ils disent, mais ce qu’ils font. Au lieu d’orchestrer une réduction planifiée de la production, les compagnies pétrolières redoublent d’efforts et opèrent comme si la crise climatique n’existait pas. Une lettre qui a fuité la semaine dernière montre que l’organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a exhorté ses membres a rejeté tout accord sur la fin des énergies fossiles à la COP28.
- Trois ans après la conclusion de l’Accord de Paris, le financement accordé par les banques à l’industrie du charbon avait connu une augmentation d’environ 11 %.
- Le 22 septembre 2020, de manière inattendue pour le monde entier, le chef d’État chinois, Xi-Jinping, a annoncé au cours d’une session de l’Assemblée générale des Nations unies : « Nous avons comme objectif de commencer à faire baisser les émissions de CO, avant 2030, et d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060 ». Cette déclaration tonitruante a été bien accueillie par la communauté internationale et les médias. Cependant, les experts du climat restent sceptiques, car actuellement, plus de 50 % de la consommation d’énergie du pays dépend du charbon, qui est la principale cause du réchauffement planétaire.
- Entre la signature de l’Accord de Paris et la fin de l’année 2019, le volume de gaz transporté par ce gazoduc, partant des profondeurs de la Sibérie jusqu’aux limites de l’Europe de l’Ouest, a augmenté de 50 %.
- À la fin de l’année 2015, au moment de la signature de l’accord de Paris sur le climat, une immense usine implantée à Jubail, une cité pétrolière située à l’est de l’Arabie saoudite, lançait discrètement sa production de polyéthylène. Ces composés chimiques représentent la matière plastique la plus répandue et sont présents dans la moitié des emballages produits à l’échelle mondiale.
- En avril 2018, un protocole d’accord a été signé entre Aramco (compagnie pétrolière saoudienne) et des compagnies pétrolières indiennes pour construire un site pétrochimique dans l’État du Maharashtra, en Inde. Ce projet, estimé à 44 milliards de dollars, prévoit la construction d’infrastructures qui raffineront chaque année 60 millions de tonnes de pétrole. Cependant, cela entraînera la destruction de milliers d’hectares de mangroves dans la région de Konkan, qui abritent de nombreuses espèces endémiques.
- En 2019, les trois principaux gestionnaires d’actifs, BlackRock, Vanguard et State Street, détenaient ensemble 10 milliards de barils de pétrole en réserve et avaient investi près de 300 milliards de dollars dans les énergies fossiles. Si l’on convertit ces investissements en émissions potentielles de CO2, on constate une augmentation de 17 % entre 2016 et 2019. De plus, BlackRock et Vanguard augmentent rapidement leur participation dans des multinationales considérées comme polluantes et s’opposent ou s’abstiennent fréquemment lors des votes sur des résolutions climatiques au sein de ces entreprises opérant dans le secteur des énergies fossiles.
- Les principales institutions bancaires internationales ont accordé près de 2 000 milliards de dollars aux grandes entreprises opérant dans les secteurs pétrolier, gazier et minier entre la fin de l’année 2015 et le début de 2019, malgré les recommandations du GIEC et les engagements de l’accord de Paris en faveur du désinvestissement des énergies fossiles. JP Morgan Chase est la banque d’investissement américaine qui a le plus financé l’industrie fossile à l’échelle mondiale, avec 195 milliards de dollars injectés dans le secteur au cours des trois dernières années, tandis que la banque britannique Barclays est la première institution bancaire européenne à soutenir les énergies polluantes, avec des investissements totalisant 85 milliards de dollars sur la même période.
- Comme le rapporte le Financial Times, la production américaine, récemment mesurée à 13,2 millions de barils par jour, a atteint un niveau record. C’est un peu plus que le pic de 2019.
La demande de gaz augmente de manière significative, à tel point que le Programme des Nations unies pour le Développement a récemment souligné que les projections de production de gaz pour 2040 dépassent de 50 % les niveaux compatibles avec la limite de réchauffement planétaire. Les industries fossiles prévoient d’accroître leurs investissements dans l’exploration et l’exploitation de nouveaux champs de plus de 85 % au cours de la prochaine décennie. Financer les acteurs climatiques néfastes s’avère être une activité extrêmement rentable. Alors que des particules de minerai noir pénètrent les voies respiratoires des résidents des nations du Sud, les bénéfices lucratifs du charbon alimentent les dividendes des investisseurs du Nord.
Autant dire que les mesures prises jusqu’ici demeurent largement insuffisantes par rapport à la menace qui pèse sur la santé mondiale. Ce qui est en jeu, la vie des millions d’humains, nécessite plus que jamais une action mondiale, résolue, déterminée et urgente en vue de maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 1,5°C. Le monde ne peut plus attendre. Chaque jour qui passe nous rapproche d’une issue fatale.
En fait, le monde sait exactement ce qu’il faut faire pour y parvenir, mais qu’en est-il de la volonté politique des dirigeants des principaux pays pollueurs ? Question rhétorique. Cela dit, une mobilisation synergique des sociétés civiles à l’échelle internationale est indispensable pour pousser résolument les États et entreprises climaticides à s’engager pour le climat, c’est-à-dire pour la vie.