MON EXPÉRIENCE DE PAIR ÉDUCATEUR
Author:
Firmin Djoum
Article Type:Article Number: 7
RÉSUMÉ Le présent article relate mon expérience en tant que pair-éducateur. Pour de nombreux jeunes de la ville de Douala (Cameroun), les questions de santé sexuelle et reproductive sont très souvent basées sur des idées reçues, des préjugés, des a priori. S’il est loisible d’observer une peur assez répandue des IST/MST, l’absence d’une communication adéquate entraine cependant de nombreux risques sanitaires.
Contexte
Il y a quelques années, œuvrant pour une ONG, j’avais alors pour mission d’agir comme >pair éducateur. Il était alors question d’aller dans les lycées, collèges et tous lieux de rassemblements des jeunes de la ville de Douala pour entretenir les jeunes au sujet de la santé sexuelle et reproductive, avec un accent particulier sur les . Une scène vécue dans un lycée me revient constamment à l’esprit. J’avais choisi de tester les connaissances des jeunes au sujet des IST/MST. La tranche d’âge oscillait entre 16-22 ans. Répondant à une de mes questions, Elsa, une des jeunes personnes présentes dans la salle, affirmera avec conviction et aplomb que « le SIDA se voit sur le visage et le corps : Le visage plein de boutons, le corps maigre, et bien d’autres traits physiques indique l’état de séropositivité d’une personne », disait-elle alors en substance. À la question de savoir si elle était sexuellement active et quelle était, le cas échéant, la méthode contraceptive qu’elle utilisait, elle a répondu comme suit : « Je n’utilise pas de préservatifs à l’exception du coït interrompu. J’exige de mes partenaires de se retirer avant toute éjaculation. À la suite de sa réponse, j’ai posé une autre question : « sur quoi te bases-tu pour être sûre de leur état de santé ? ». Elle a répondu : « Je crois en ce qu’ils me disent à propos de leur statut sérologique ».
Entre mythes et réalités
Il m’a été donné de constater que tout comme Elsa, une grande proportion de jeunes se laisse aller à une certaine approximation à propos des questions de santé sexuelle et reproductive. En dépit des nombreux efforts consentis par l’État et les OSC (avec le soutien du Fonds Mondial) pour démystifier le VIH et les risques qui y sont liés, certains sont encore en proie aux ouï-dire, aux légendes, aux idées préconçues, etc. Aborder les questions relatives à la sexualité en général et aux IST/MST en particulier demeure tabou pour les jeunes de cette tranche d’âge. Un tabou qui est davantage renforcé par l’(in)action de certains parents qui ont, soit pour des raisons professionnelles ou religieuses, choisi de jamais parler de ces questions ou de les reléguer au second plan. Mon expérience de terrain me permet d’affirmer que cette absence d’échange ou d’éducation sexuelle au niveau même de la cellule familiale expose davantage les jeunes aux risques sanitaires. Il importe dès la maison d’outiller les jeunes afin de diminuer voire congédier les différents mythes, tabous et légendes qui entourent la sexualité et entrainent dans leur sillage des situations quelques fois dramatiques.
« Harcelés » au quotidien par des images, des scènes de consommation plus ou moins subtiles de sexe, le jeune ne sait à quel saint se vouer. Bien plus, face à un flot sans cesse croissant d’informations, il n’y a pas de filtre et encore moins de parents disponibles pour jouer le rôle de régulation et donner par ricochet la bonne information. Or, c’est souvent cette information qui peut faire toute la différence.
Pas besoin de communiquer, tout va bien ?
Autant il est possible d’organiser des campagnes de sensibilisation, des causeries éducatives, de parler des méthodes contraceptives et de leur utilité avec les jeunes, autant il est extrêmement difficile voire périlleux de parler de problèmes de santé sexuelle ou de les inviter à avoir constamment à leur disposition (pour celles et ceux qui sont sexuellement actifs) un préservatif masculin ou féminin. Lors d’une causerie éducative, une élève de seconde littéraire m’a dit : « Si ma mère me surprend avec le préservatif, elle va me tuer ». Ironie du sort, cette mère a conduit sa fille quelques mois plus tard à l’hôpital pour divers examens sérologiques, car elle se plaignait de divers maux au niveau de ses organes sexuels. À cette occasion, sa mère découvrit alors tout ahurie que sa fille était sexuellement active. La question qu’elle a posé à sa fille est symptomatique d’un problème profond. « Ma fille, qu’est-ce que je ne te donne pas ? ». Malgré les menaces et intimidations de sa génitrice, la jeune fille refusa de dévoiler l’identité de son compagnon.
En fait, ce que beaucoup de parents, tuteurs ou éducateurs ignorent c’est que, l’éducation pour ces jeunes n’est pas qu’une affaire de ressources financières ou matérielles. Oui, ces ressources sont utiles et nécessaires dans la mesure où elles couvrent les besoins de l’enfant et le préservent de « l’envie », de la « convoitise » et de bien d’autres maux de même nature. Cependant, le fait d’insister sur l’aspect matériel en négligeant l’immatériel créé un déséquilibre chez l’enfant. Qu’est-ce qu’est cet immatériel ? Il s’agit tout simplement de l’ensemble des connaissances sociales et intellectuelles que l’on veut transmettre à l’enfant. Par exemple sur le savoir-vivre en société, le savoir-faire dans la vie active, etc. Le tout soutenu par une ambiance de communication familiale franche, ouverte, adaptée et cordiale. J’ai pu constater que les familles dans lesquelles l’éducation à la vie et à l’amour (E.V.A) était d’actualité, les jeunes avaient une bonne connaissance des IST/MST et des moyens de s’en prémunir.
Au demeurant, mon expérience m’a permis de constater la parole autour de la sexualité en général et de la santé sexuelle et reproductive des jeunes en particulier n’est pas assez libérée. Un immense tabou subsiste encore. La pudeur, l’ignorance et le goût du risque nourrissent les risques sanitaires.
Toutefois, grâce aux actions concertées du Fonds Mondial et d’organismes ayant axé leurs actions sur la prévention et les soins sur le VIH/SIDA, force est de reconnaitre que les mentalités changent, que le regard des jeunes sur les PIVVIH changent, même si beaucoup de choses restent encore à faire : accentuer les actions de prévention, impliquer les acteurs à fort impact, adopter les discours de sensibilisation aux médias des cibles, et installer des points de retrait de préservatifs.